Noam Chomsky s’exprimant lors du Forum international pour l’émancipation et l’égalité à Buenos Aires,
en Argentine, le 12 mars 2015. (Augusto Starita / Ministerio de Cultura de la Nación)
Interview de Noam Chomsky
Noam Chomsky nous parle ici de l’hypocrisie des États-Unis qui attisent un conflit absurde avec la Chine, de la guerre inutilement sanglante et qui a tout broyé en Afghanistan, et de la raison pour laquelle les États-Unis pourraient facilement résoudre le problème du changement climatique.
Source : Jacobin Mag, Poyâ Pâkzâd, Benjamin Magnussen, Noam Chomsky
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Bien qu’il approche à grands pas de son quatre-vingt-treizième anniversaire, Noam Chomsky montre peu de signes de relâchement. L’intellectuel public de renommée mondiale a publié deux livres en 2021 – Consequences of Capitalism : Manufacturing Discontent and Resistance (avec Marv Waterstone) et The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic and the Urgent Need for Social Change (avec C. J. Polychroniou) – et sa disponibilité pour des interviews sur des sujets très variés reste indéfectible.
En octobre 2021, Chomsky s’est entretenu avec Poyâ Pâkzâd et Benjamin Magnusson du magazine danois Eftertryk sur la guerre en Afghanistan, les conflits en cours avec la Chine provoqués par les États-Unis, le changement climatique et l’anarchisme. Vous pouvez visionner la rencontre sur YouTube ici. La conversation a été retouchée pour des raisons de longueur et de clarté.
Concernant l’Afghanistan
PP : La guerre en Afghanistan a été surnommée « la bonne guerre », généralement par opposition à la guerre en Irak. Je sais que vous avez une vision alternative de ce qu’était la guerre en Afghanistan.
NC : Revenons vingt ans en arrière [au] 11 septembre. Il est important de reconnaître tout d’abord que les États-Unis ne savaient pas qui était responsable du 11 septembre. En fait, huit mois plus tard, le directeur du FBI, Robert Mueller, a tenu sa première grande conférence de presse. On lui a demandé : « Qui est responsable du 11 septembre ? » Et ce, après l’enquête multinationale probablement la plus approfondie, de l’histoire de l’humanité. Il a répondu : « Nous supposons que les commanditaires en étaient al-Qaida et [Oussama] Ben Laden, mais nous n’avons pas été en mesure de l’établir. » C’était huit mois après l’invasion.
Qu’est-ce qui a motivé l’invasion elle-même ? Je pense que la meilleure réponse à cette question a été donnée par la principale figure de la résistance afghane anti-talibans, Abdul Haq, un leader afghan très respecté [qui] menait de l’intérieur la résistance aux talibans. Lors d’un entretien en octobre 2001, juste après le début des bombardements, un éminent spécialiste de l’Asie centrale, Anatol Lieven, lui a demandé : « Que pensez-vous de l’invasion ? »
[Abdul Haq] a répondu : « L’invasion tuera de nombreux Afghans, [et] sapera nos efforts pour renverser le régime taliban de l’intérieur ». Il a détaillé les efforts en question et les a jugés prometteurs. Cela [l’invasion] va les saper. « Mais les Américains n’en ont rien à ficher des Afghans, et renverser les talibans ne les intéresse pas. Tout ce qu’ils veulent, c’est montrer leurs muscles et intimider tout le monde, partout sur la planète. »
C’est à quelque chose près ce qu’a répété, dans des termes différents, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, qui était l’un des principaux responsables de l’invasion. Les talibans ont très rapidement offert de se rendre. Ils voulaient simplement rentrer dans leurs villages et qu’on les laisse tranquilles, et les États-Unis auraient pu prendre le relais. Bien sûr, [les États-Unis] auraient pu alors détenir Oussama ben Laden et tenir al-Qaïda entre leurs mains.
La réponse de Rumsfeld à cette offre a été : « Nous ne négocions pas les redditions. » Réponse qui a été appuyée par le président, George W. Bush, qui a dit la même chose : « Nous ne négocions pas les redditions, nous utilisons simplement la force. » On lui a posé des questions sur al-Qaïda et [Oussama] Ben Laden. Il a répondu : « Je ne sais rien de ces gens-là. Ces gens-là ne sont pas ma préoccupation. Ce que nous avons en tête est un jeu plus important. »
Le « jeu plus important en tête » a, bien sûr, été détaillé. Ce n’était pas un secret. Ils voulaient s’en prendre à l’Irak – voilà quel était le réel prix à gagner. L’Afghanistan n’est rien. [Ils voulaient] s’attaquer à l’Irak, le véritable enjeu, et ensuite l’utiliser comme base pour aller dans d’autres pays de la région. C’était ça le plan.
En fait, si les États-Unis avaient voulu se saisir de [Oussama] Ben Laden — qui était à l’époque un suspect, rappelez-vous, et non un coupable — cela n’aurait pas été très difficile. [Ils] auraient pu le faire grâce à une action policière de petite envergure, et cela aurait probablement été soutenu par les talibans. Ils auraient été ravis de s’en débarrasser. Il représentait une véritable plaie. [Les talibans] ne pouvaient pas le jeter dehors en raison des règles tribales — on ne jette pas dehors quelqu’un qui a cherché refuge. Et dans la conception pachtoune de ce qui est un comportement correct, c’est important. Mais si les États-Unis avaient voulu entreprendre une action de police, ils ne s’y seraient pas opposés.
[Mais] ce n’était pas le bon plan. Il nous faut montrer nos muscles et intimider tout le monde.
Ce qui s’est passé après ça, c’est que les talibans sont retournés dans leurs villages. Les États-Unis sont arrivés, leurs alliés sont arrivés. Il y a de très bons reporters qui, depuis le début, ont suivi cette affaire sur le terrain. Le meilleur d’entre eux est Anand Gopal. [Il] a récemment publié un article à ce sujet dans le New Yorker, qui le reprend. D’autres ont rapporté exactement la même chose. Un rapport récent du Washington Post dit fondamentalement la même chose, et cela vient d’un autre des rares reporters qui se sont rendus dans les zones rurales – c’est là que se trouve l’Afghanistan.
Ils disent tous la même chose : au début, la population rurale afghane était soulagée que les combats soient terminés. Ils pouvaient enfin jouir d’un peu de paix. Et ce qu’il pensaient — ils ne connaissaient pas beaucoup les États-Unis — et c’est une idée que nombre de gens dans le monde partagent : « Voilà, ce pays est super riche, et il peut faire tout un tas de supers choses pour nous. » Ils espéraient que les États-Unis viendraient là et que d’une manière ou d’une autre ils régleraient leurs problèmes de pauvreté et tout ça.
Ça n’a pas duré très longtemps. Dès que les forces américaines sont arrivées, elles ont commencé à attaquer les Afghans. Une bombe pouvait viser quelqu’un qu’ils pensaient être un taliban, mais elle pouvait frapper une fête de mariage et tuer quarante personnes. Alors à partir de là, [les talibans] arrivaient à recruter les proches. Les forces spéciales [américaines] se mettent à entrer de force dans les maisons des gens pendant la nuit, les humilient, les envoient dans une salle de torture. Et voilà comment on a créé davantage de talibans. Et tout cela s’est poursuivi jusqu’à ce que finalement une résistance digne de ce nom monte dans les campagnes.
Comment les États-Unis ont-ils réagi ? En intensifiant la violence. Soit de leur fait, soit de celui de l’armée afghane qui s’était mobilisée, qui utilisait les mêmes tactiques [que les États-Unis]. Ce que disent maintenant ces mêmes journalistes, c’est que « tout le monde détestait les Américains, y compris l’armée afghane. » Et il y avait de bonnes raisons à cela.
Pendant ce temps, quelque chose d’autre se passait. Les États-Unis, quand ils sont arrivés, ne savaient rien de l’Afghanistan. Alors ils ont cherché des gens qui pourraient exécuter leurs ordres. Qui étaient-ils ? Les seigneurs de la guerre. Les monstres qui gouvernaient. Voilà, les plus avisés pouvaient se manifester disant : « Je vais travailler pour vous. » Mais ils ne sont pas stupides. Un seigneur de guerre pouvait contacter les Américains et dire, « Dans ce village là-bas, il y a des talibans » — en fait, un de ses ennemis. Alors les Américains arrivaient et détruisaient le village et cela voulait dire plus de recrues pour les talibans.
Cela a duré vingt ans. A la fin, la résistance était de grande ampleur. Une résistance populaire. En fait, les talibans étaient à l’origine ancrés chez les Pachtounes – il s’agit du plus important des groupes ethniques [en Afghanistan] – mais ils se sont étendus. L’une des rares surprises, très rares, de ces dernières semaines a été que les seigneurs de la guerre dans les régions tadjikes et ouzbèkes sont immédiatement passés du côté des talibans. C’était inattendu. Tout le reste était parfaitement prévu.
Il était évident que le gouvernement allait s’effondrer. Le gouvernement est tout simplement un bourbier de corruption, [pour lequel] il n’y a aucun soutien. L’armée afghane – dont la moitié n’existe que sur le papier, des soldats fantômes. D’autres étaient des soldats qui n’étaient pas payés, qui n’avaient pas de munitions. Les dirigeants et les fonctionnaires corrompus volaient tout. Ils n’allaient pas se battre pour les Américains, alors ils se sont tout simplement volatilisés.
Tout cela était clair. J’ai écrit des textes là dessus à l’avance, [et] d’autres l’ont fait [également]. Les seules personnes qui ne semblaient pas le comprendre étaient celles qui avaient accès aux services de renseignement. Les services de renseignements racontent une autre histoire. Cela fait partie des façons dont les rapports des services secrets sont manipulés. Mais si on regarde les faits sur le terrain, ce qui allait se passer était clair. La surprise a été le ralliement aux talibans de leurs anciens ennemis, les seigneurs de la guerre à Herat, Mazar-i-Sharif et autres — autrement dit c’est cela qui était inattendu. Donc, maintenant, il semble que nous nous trouvions face à une organisation dirigée par plusieurs ethnies.
Qu’en est-il du retrait ? Il faut pour cela remonter au président Donald Trump. En février 2020, Trump a conclu un accord avec les talibans. Il n’a même pas pris la peine d’en informer le gouvernement afghan, [parce que] ils ne sont rien. Le peuple afghan, bien sûr, ne compte pas du tout. [Trump] a passé un accord avec les talibans stipulant que les troupes américaines se retireraient en mai 2021 – le pire moment possible. Le début de la saison des combats. Sans aucune possibilité de faire des arrangements, de conclure des accords localement. « Nous nous retirerons, et vous pourrez faire tout ce que vous voudrez », a-t-il dit. Il n’a imposé aucune condition. Il n’a formulé qu’une seule exigence : « Ne tirez pas sur les soldats américains, ce qui ne ferait pas bon effet me concernant. Mais pour tout le reste, c’est votre problème. »
Il est intéressant de noter la réaction du Parti républicain, qui a salué cet accord comme un exploit historique de notre grand leader, le président Trump. Il a fait la une de la page web du Parti républicain, et il y est resté, jusqu’au début de la débâcle. En fait, Joe Biden a amélioré les conditions de Trump à la marge : il a retardé l’opération de quelques mois, afin de disposer d’un peu plus de temps, [et il] a ajouté quelques conditions concernant les talibans. [Joe Biden] a mis en oeuvre une version améliorée de ce qu’ils saluaient comme une magnifique réussite historique du génie Trump.
Dès que la débâcle a commencé, tout cela a disparu de leur page web et ils se sont mis à accuser les Démocrates et l’armée de ce désastre. Vous avez peut-être vu la séance du Sénat, au cours de laquelle le général Mark Milley et d’autres ont été invités à répondre de leurs actes par des Républicains qui, un mois plus tôt, applaudissaient cet exploit historique, et qui maintenant dénonçaient l’armée pour avoir simplement mené à bien ce qu’ils avaient encensé. Cela porte l’impudence à un niveau encore plus élevé – mais c’est ça le Parti républicain.
Maintenant on en arrive à l’étape suivante. La communauté internationale est maintenant divisée sur la façon de gérer la situation. Une approche a été préconisée par les puissances régionales basées en Chine — il s’agit principalement de l’Organisation de coopération de Shanghai [OCS] — la Chine, la Russie, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, l’Iran, l’Inde et le Pakistan. Leur approche consiste à composer d’une manière ou d’une autre avec le régime des talibans. La situation en Afghanistan est déplorable. Une multitude de gens meurt de faim, [et] l’économie [s’est] effondrée, alors leur stratégie est la suivante : « Fournissons-leur une aide et un soutien pour la population, engageons le dialogue avec eux, efforçons-nous de rendre leur gouvernement plus inclusif, moins répressif, et de réorienter l’économie pour la faire passer de la production d’opium à l’exportation de minerais et d’autres ressources ». C’est une approche possible.
Voilà une des raisons pour lesquelles la Chine est une ennemie : ils ne se respectent tout simplement pas les ordres. Ce n’est pas tolérable (aux yeux du gouvernement américain).
Il existe une autre approche, qui est impulsée par les États-Unis et qui comprend l’Inde, un allié des États-Unis. Au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, l’Inde s’y est opposée, préférant l’approche américaine, qui consiste à priver les Afghans de toute aide et assistance. Il s’agit de bloquer leurs ressources — il se trouve que les ressources de [leur] trésorerie se trouvent dans des banques américaines — et de faire pression sur le FMI et la Banque mondiale pour les dissuader de leur offrir quelque aide que ce soit. Punir les Afghans dans toute la mesure du possible. Cela ne punit pas les dirigeants — les sanctions atteignent la population. Elles renforcent généralement le dirigeant, car la population doit se réfugier sous son aile pour survivre.
Les États-Unis sont le seul pays à pouvoir imposer des sanctions. Les autres pays les suivent parfois, mais s’ils essaient de le faire eux-mêmes, personne n’y prêtera la moindre attention. Lorsque les États-Unis imposent des sanctions, tout le monde doit obéir – même si on y est opposé.
Prenons les sanctions contre Cuba, ce sont les plus anciennes. Le monde entier s’y oppose. Le vote aux Nations unies, le plus récent, a donné 184 voix contre, 2 voix pour. Israël suit les États-Unis — c’est un État client, donc il y est obligé. Le reste du monde dit non, mais tous respectent les sanctions américaines, parce que celles-ci sont des sanctions de tiers. Ils disent aux autres : « Si vous ne vous y pliez pas, nous vous expulsons du système financier international. » Et puis il existe d’autres punitions. Fondamentalement, le monde est une mafia, et le Parrain donne les ordres, et tout le monde obéit que ce soit de bonne grâce ou pas. C’est ça la réalité, [ce n’est] pas de la science politique.
Par conséquent, si les États-Unis imposent des sanctions, comme pour l’Afghanistan, que cela lui plaise ou pas, le reste du monde doit obéir. Peut-être pas la Chine. Eux ne le feront pas. Voilà une des raisons pour lesquelles la Chine est une ennemie : ils ne se respectent tout simplement pas les ordres. Ce n’est pas tolérable. Mais peut-être que les États d’Asie centrale se rallieront à la Chine. En fait, ils ont évolué — ils ont viré les bases américaines et se tournent vers le système eurasien reposant sur la Chine, l’initiative « Belt and Road », le système d’investissement que la Chine a mis en place [La Belt and Road Initiative, ou Nouvelle route de la Soie consiste en un projet majeur initié par la Chine, et visant à accroitre la connectivité et la coopération de la région eurasiatique principalement via des infrastructures et des accords commerciaux ambitieux, NdT]. Il semble donc bien que ce soit la façon dont les choses évoluent.
Concernant la Chine et AUKUS
PP : On présente la Chine comme une menace pour l’Occident — à savoir l’Europe et les États-Unis — et récemment il y a eu cette nouvelle alliance, qui semble être une alliance de vente d’armes. Et on se retrouve avec une forte réaction d’Emmanuel Macron en France, parce qu’il perd des parts de marché. Qu’en pensez-vous ?
NC : AUKUS. Tout d’abord, pourquoi la Chine est-elle une menace ? L’ancien premier ministre australien Paul Keating, éminent diplomate international, a commis récemment une excellente déclaration à ce sujet, il a dit : « Quelle menace la Chine représente-t-elle ? Eh bien, voilà un pays qui a sorti de la pauvreté 20 % de la population mondiale et qui est devenu un État fonctionnel ». Il fait d’énormes progrès sur le plan économique, [mais] il est indépendant des États-Unis — c’est ça la menace chinoise. La menace chinoise, a-t-il dit, c’est l’existence même de la Chine. On ne peut pas tolérer ça.
Revenons en à notre image de la mafia. Le Parrain n’accepte pas les centres de pouvoir qui ne suivent pas les règles, donc la Chine représente une menace. Ce n’est pas une menace militaire. La menace militaire est contre la Chine. La Chine est encerclée de bases américaines armées de missiles nucléaires, juste au large, visant la Chine. C’est la Chine qui est menacée, pas les États-Unis. Les États-Unis sont menacés certes, mais par un rival potentiel qui ne suit pas les ordres. C’est ça la menace.
Jetons un coup d’œil à AUKUS. Ce qui est dépeint dans la presse et les gouvernements est [que] c’est un problème de liberté de navigation. [Mais] il n’y a pas de problème de liberté de navigation. En fait, l’un des principaux analystes stratégiques australiens vient d’écrire un article important à ce sujet. Il a dit : « [Il n’y a] aucune menace pour la navigation. » Aucune. Il n’y en a aucune qu’on puisse soulever. Le problème est ce qu’on appelle les « zones économiques exclusives ». La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 a établi ce qu’on appelle les zones économiques exclusives. A 200 miles des côtes, il doit y avoir une totale liberté de navigation. Mais il ne doit pas y avoir de « menace ou d’usage de la force ».
Pour la Chine et l’Inde, cela signifie qu’il ne peut y avoir d’opérations de renseignement militaire. Les États-Unis ne sont pas d’accord. [Ils disent que les États-Unis ont le droit de mener des opérations militaires et de renseignement dans la zone exclusive, ce qu’ils ont fait récemment, il y a juste deux semaines, dans la zone indienne. L’Inde a protesté vigoureusement, mais [ils] ne peuvent bien sûr rien y faire.
Eh bien, la Chine proteste aussi, et elle peut faire quelque chose. C’est ça le contentieux : Peut-il y avoir des opérations de renseignement militaire américain dans la zone économique exclusive de la Chine ? Je répète la formulation « pas de menace ou d’utilisation de la force ».
La Chine ne représente pas une menace militaire. La menace militaire est contre la Chine. La Chine est encerclée de bases américaines armées de missiles nucléaires, juste au large, visant la Chine. C’est la Chine qui est menacée. Pas les États-Unis.
Je devrais mentionner en passant que les États-Unis sont la seule puissance maritime qui ne ratifie pas le droit de la mer. [Les] États-Unis ne ratifient pas les conventions internationales — c’est une ingérence dans leur souveraineté. Parce que c’est une chose que le Parrain n’accepte pas.
La question est donc plutôt technique : Comment interpréter le droit de la mer par rapport à la question : « La règle de la force interdit-elle les opérations de renseignement militaire ? » Voilà la question. Les États-Unis d’un côté, la Chine et l’Inde de l’autre. On est [là] dans un cas évident où la diplomatie doit intervenir. [Mais] les États-Unis ne pratiquent pas des choses aussi sibyllines que la « diplomatie ».
Nous pouvons maintenant retourner au cas de l’Afghanistan. Quand les talibans ont capitulé, la réponse a été : « Nous ne négocions pas. Nous employons la force. »
Maintenant, venons-en à AUKUS. Les États-Unis ont conclu un accord avec l’Australie pour lui envoyer une flotte de sous-marins chasseurs-tueurs perfectionnés équipés d’armes nucléaires. La Chine n’en a aucun, [et] on est là dans la mer de Chine méridionale. La Chine a quatre sous-marins. De vieux sous-marins [qui sont] bruyants, non nucléaires, facilement détectables et coincés dans la mer de Chine méridionale. Ils ne peuvent aller nulle part. C’est la Chine. [Les États-Unis, bien sûr, en ont beaucoup. Jetons un œil aux sous-marins nucléaires des États-Unis. Il y a une flotte de sous-marins de pointe. Chacun d’entre eux – chacun – possède, j’ai oublié combien, de missiles Trident. Chaque missile Trident a de nombreuses ogives. Chaque sous-marin américain peut attaquer environ deux cents villes dans le monde entier. C’est ça le rapport de force des sous-marins dans la mer de Chine méridionale.
Pour remédier à cette situation, les États-Unis envoient davantage de sous-marins nucléaires à l’Australie — que l’Australie paie, mais qui sont ensuite intégrés au commandement naval américain. C’est une menace très sérieuse pour la Chine. Il n’y a pas d’objectif stratégique. Ces sous-marins ne seront même pas en service avant probablement quinze ans. D’ici là, bien sûr, la Chine aura renforcé ses forces militaires pour contrer cette nouvelle menace, d’où une escalade. Encore une fois, nous montrons nos muscles, nous montrons que nous avons l’intention de dominer le monde.
Même chose pour la France. La France avait déjà conclu un accord avec l’Australie pour envoyer des sous-marins conventionnels. Les États-Unis n’ont même pas prévenu la France que cet accord était dénoncé par le nouvel accord américano-australien visant à envoyer des sous-marins nucléaires de pointe. Donc, naturellement, [Emmanuel] Macron en a été plutôt contrarié. C’est un coup dur pour l’industrie française, un coup dur. Ils n’ont même pas été informés. Il y a là un message. Il dit à l’Union européenne : « Voici votre rôle dans les affaires mondiales. Si nous avons besoin de vous, nous vous demanderons de faire quelque chose. Si nous voulons faire quelque chose, nous ne prendrons même pas la peine de vous en informer. Vous êtes des vassaux. »
La France a rappelé ses ambassadeurs en signe de protestation. Il n’a pas été question de rappeler l’ambassadeur posté en Angleterre, inutile, tout le monde sait bien que l’Angleterre n’est qu’un État vassal. Ne vous embêtez pas avec eux. Mais c’est ainsi que se déroulent les affaires du monde. C’est le pacte AUKUS. Ça va dégénérer en crise. C’est très tendu. Il y a une escalade réciproque.
Donc les États-Unis intensifient les tensions au large des côtes chinoises. La Chine envoie des avions de guerre dans la zone protégée de Taïwan. Il s’agit là de manoeuvres « oeil pour oeil, dent pour dent ». Elles se multiplient. Elles peuvent mener à la guerre, [et] une guerre entre la Chine et les États-Unis signifie que ç’en est fini de nous. C’est terminé. Pas seulement eux — tout le monde. On ne peut pas avoir une guerre entre des puissances nucléaires. La Chine n’a pas un grand système nucléaire — rien qui puisse être comparé avec les États-Unis — mais suffisamment pour attaquer les territoires continentaux des États-Unis depuis le continent [de la Chine].
Concernant le changement climatique
BM : Pour changer de sujet : Quel est, selon vous, le principal obstacle à la lutte contre la crise climatique ?
NC : Il y a deux obstacles majeurs. Le premier est, bien entendu, constitué par les entreprises de combustibles fossiles. Le deuxième est le fait des gouvernements du monde entier, y compris l’Europe et les États-Unis. Nous venons de le constater de manière très impressionnante au cours de l’été. Le 9 août 2021, le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] a publié sa toute dernière analyse de la situation climatique. Il s’agissait d’un avertissement très alarmant — beaucoup plus qu’auparavant.
En gros, le message était : « Nous avons deux choix. » Nous pouvons soit commencer dès maintenant à réduire l’utilisation des combustibles fossiles, [et] le faire systématiquement chaque année, jusqu’à les éliminer progressivement d’ici le milieu du siècle. Ça c’est un des choix. L’autre choix est le cataclysme. La fin de toute vie humaine organisée sur terre. Pas tout de suite — nous atteindrons simplement des points de basculement irréversibles, et cela continuera jusqu’à la catastrophe. Voilà les options.
Comment les grandes puissances ont-elles réagi ? Le lendemain du rapport du GIEC, Joe Biden a lancé un appel au cartel de l’OPEP [Organisation des pays exportateurs de pétrole] afin que ce dernier augmente sa production. L’Europe a emboîté le pas en appelant tous les producteurs, y compris la Russie, à augmenter la production. Augmenter la production. Voilà quelle a été la réponse à l’avertissement du GIEC nous enjoignant de commencer à réduire dès maintenant.
C’est pour des raisons politiques, pour le profit des compagnies pétrolières. [La] raison politique en est qu’ils veulent que les prix baissent. C’est mieux pour eux. [Pour] Joe Biden, si le prix de l’essence est élevé, cela nuit à ses perspectives électorales. [Si] vous lisez la presse économique en ce moment, un grand débat est en cours : Quel est le meilleur moyen pour augmenter la production ? Est-ce par le biais du pétrole de schiste américain – l’industrie de la fracturation – ou est-ce par l’intermédiaire de l’OPEP ? Mais quelle est le meilleur moyen si on veut augmenter la production ? C’est la presse économique. Allez lire les revues consacrées au secteur pétrolier. [Ils sont] euphoriques : « Nous venons de trouver de nouveaux gisements à exploiter. La demande est en augmentation. C’est génial. »
Passons maintenant au Congrès américain. Le programme Biden — sous la pression des jeunes militants, des mouvements Bernie Sanders, etc. — est en fait une véritable amélioration par rapport à tout ce qui a précédé, du moins sur le papier. Ce n’est pas merveilleux, mais c’est bien mieux que tout le reste. Les négociations [précédentes] au Congrès présentées dans le cadre de reconciliation bill [Les projets de loi décrits comme des projets de réconciliation peuvent être adoptés par le Sénat à la majorité simple de 51 voix ou de 50 voix plus celle du vice-président en cas d’égalité, NdT], initiées par Bernie Sanders, ont très fortement réduit les propositions de Sanders. Le projet de loi est très précieux. Il revient d’une certaine manière sur les énormes agressions subies par la population pendant l’ère néolibérale.
Il existe des mesures parfaitement réalisables pour atteindre les objectifs du GIEC et, en même temps, créer un monde meilleur. De meilleurs emplois, de meilleures conditions de vie et l’amélioration de la nature de la société. Tout cela est possible.
Les Républicains s’y opposent à 100 %. Rien. [Ils] n’accepteront rien. Les Démocrates ont un vote décisif. Les Démocrates dits modérés, que l’on devrait qualifier d’ « ultra-réactionnaires », représentent le vote décisif. L’un d’entre eux est le président de la commission sénatoriale de l’énergie, [qui] se trouve également être le champion du Congrès pour ce qui est de recevoir des fonds de l’industrie des combustibles fossiles — ce qui est un exploit, car ils arrosent tout le monde — mais c’est lui le champion. Il s’appelle Joe Manchin. Il a une politique — il l’a rendu explicite — qui est tirée du manuel des compagnies pétrolières. Il a été très clair ; il a dit : « on n’élimine rien, on innove ». Donc, pas de réduction de l’utilisation des combustibles fossiles. Si on peut inventer quelque chose de nouveau, c’est bon. Donc, il bloque le projet Biden. Il y a des dispositions sur le changement climatique dedans. Elles sont déjà en vigueur. Bloquées.
En Europe, cela varie. Certains pays, comme le Danemark, par exemple, s’orientent de façon assez significative vers les énergies renouvelables. Il n’en est pas de même pour tout le monde. Mais lorsqu’il s’agit de dire aux compagnies pétrolières et aux producteurs ce qu’ils doivent faire, l’Europe est, pour autant que je sache, unanime pour dire « Augmentez la production » — et cela vient juste après l’avertissement qui nous enjoint de diminuer la production. Voilà le monde dans lequel nous vivons.
BM : Dans ce contexte, pensez-vous qu’il soit possible de trouver des solutions adaptées en terme de temps et d’ampleur à l’intérieur du système capitaliste ?
NC : C’est très simple. Sans tergiverser. Il existe des propositions très prudentes et détaillées qui ont été élaborées. Même par l’Agence internationale de l’énergie [AIE], qui est un groupe composé de producteurs. Il y a des propositions détaillées, d’autres viennent d’un certain nombre d’économistes, de très bons économistes. L’un d’entre eux est mon co-auteur Robert Pollin, un autre est Jeffrey Sachs à Columbia. Utilisant des modèles différents, ils arrivent tous aux mêmes résultats. Il existe des mesures parfaitement réalisables pour atteindre les objectifs du GIEC et, en même temps, créer un monde meilleur. De meilleurs emplois, de meilleures conditions de vie, [et] une amélioration de la nature de la société. Tout cela est possible.
Les dirigeants européens qui réclament une augmentation de la production le savent parfaitement — du moins s’ils savent lire. Et cela ne représente que 2 à 3 % du PIB — ce qui est facilement gérable. C’est en fait moins que ce que le Trésor américain a dépensé pour renflouer les institutions financières pendant la crise actuelle. Facilement gérable. [C’est] une minuscule fraction de ce qui a été dépensé pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais le problème est : Est-il possible de trouver une volonté politique ? Cela ne viendra pas des dirigeants. Cela devra venir d’une action populaire de masse. Et le scandale et la tragédie, c’est que cela vient uniquement des jeunes. La grève pour le climat au début de l’année — les jeunes. Le « Sunrise Movement » aux États-Unis, qui a poussé l’administration Biden à adopter au moins une proposition raisonnable sur le papier — ce sont les jeunes. Lorsque Greta Thunberg se lève à la réunion de Davos et dit : « Vous nous avez trahis », elle a parfaitement raison. Elle n’a été que timidement applaudie, puis ils ont dit : « Tu es une gentille petite fille, pourquoi ne retournes-tu pas à l’école ? On va s’en occuper. » C’est du domaine du possible. Mais ça va demander beaucoup d’efforts et d’énergie.
Il y a des problèmes majeurs. Le mois dernier, une étude du FMI [Fonds monétaire international] a tenté d’évaluer le montant des subventions accordées aux entreprises de combustibles fossiles. Leur estimation est d’environ 11 millions de dollars par minute, principalement attribués par les pays riches à l’industrie des combustibles fossiles. Certaines de ces subventions sont directes, d’autres indirectes, par exemple en sous-estimant le coût de l’utilisation des combustibles fossiles. C’est quand même une sacrée somme. Cela se passe tous les jours.
Toute la période néolibérale a été principalement une guerre des classes. Cela n’avait rien à voir avec les marchés ou quoi que ce soit d’autre. Juste une guerre de classes. C’en est une autre forme. Voulons-nous confier l’avenir de nos enfants et petits-enfants à des éléments qui veulent faire le plus de profit possible et se moquent de ce qui se passera demain ? C’est un choix. L’autre choix est de passer à un monde vivable et meilleur.
Sur l’anarchisme et le libéralisme classique
BM : Passons à l’anarchisme. Je pense que c’est un terme qui est très mal compris. Beaucoup de gens pensent que l’anarchie est liée à une société chaotique sans règles, ce qui est très différent de l’anarchisme dont vous parlez. Pourriez-vous expliquer brièvement ce que vous entendez par anarchisme ?
NC : Eh bien, ce que je veux dire, c’est que l’anarchisme couvre un très large éventail. Il couvre toutes sortes de choses. Mais même l’ultra droite se dit anarchiste — ce qui signifie qu’ils veulent que le pouvoir passe du gouvernement à la tyrannie privée. Mais le courant dominant s’est fondé sur un principe très simple : toute forme de hiérarchie et de domination est illégitime, sauf si elle trouve sa justification en elle-même. Il y a une obligation de la preuve. Parfois, cette exigence de preuve est respectée — très rarement. Si elle ne peut pas être apportée, il faut démanteler la hiérarchie et la transformer en une société plus libre, participative et coopérative.
Un système anarchiste peut très bien avoir une hiérarchie, tant qu’elle est contrôlée depuis la base. Par exemple, si j’ai besoin d’une opération chirurgicale, je vais voir un médecin, pas un charpentier. Ça, c’est de la hiérarchie. Mais c’est moi qui l’ai choisie — c’est un médecin en vertu de ma décision, de notre décision collective, nous décidons que certains groupes de personnes peuvent acquérir les compétences dont la communauté a besoin. Ainsi, tant que la responsabilité est confiée à la communauté démocratique participative dans chaque institution, sur le lieu de travail, dans les communautés partout, alors nous nous dirigeons vers une société libre et juste.
Il s’agira d’une société hautement organisée. Il peut y avoir beaucoup de planification sur la façon dont nous devrions distribuer les ressources, sur ce que devraient être nos politiques. Tout cela pourrait être, ou devrait être, d’envergure internationale. Donc, une organisation riche et complexe fondée sur un contrôle populaire et démocratique, répondant à la condition que toute forme de hiérarchie qui ne peut se justifier doit être démantelée en faveur de plus de liberté. Ensuite, vous pouvez décliner tout cela de manière très détaillée.
PP : Je suppose que la concrétisation de cette philosophie, en termes économiques, serait de faire quelque chose à propos de ces tyrannies privées.
NC : Eh bien, on peut faire beaucoup de choses et, en fait, on le fait déjà. L’une des choses à faire correspond à la vision classique des mouvements de travailleurs et des mouvements d’agriculteurs au XIXe siècle — en fait, elle trouve ses racines dans le libéralisme classique : « Ceux qui travaillent dans une entreprise devraient en être propriétaire et la gérer ». Nous devrions nous diriger vers ce que les agriculteurs radicaux appelaient un commonwealth coopératif, au sein duquel les agriculteurs eux-mêmes s’organisaient collectivement [et] s’affranchissaient de la domination des banquiers et des gestionnaires de marché du Nord-Est [et au contraire] se débrouillaient eux-mêmes. C’était le mouvement populiste aux États-Unis au XIXe siècle. Ils commençaient à s’associer au mouvement ouvrier en plein essor, qui soutenait que « ceux qui travaillent à l’usine devraient en être propriétaires. Nul n’a le droit de confisquer le travail d’un autre.
On considère aujourd’hui qu’il est merveilleux de pouvoir se soumettre à un maître pendant la majeure partie de sa vie professionnelle. Cela s’appelle « avoir un boulot ».
C’est, en fait, du libéralisme classique. Revenons à quelqu’un comme Wilhelm von Humboldt, l’un des principaux fondateurs du libéralisme classique, qui a dit que « le paysan qui travaille dans les champs a plus de droit de propriété que le propriétaire qui est assis dans un palais quelque part ». C’est ça le libéralisme classique. Aux États-Unis, Abraham Lincoln était un libéral classique. Pour lui, et même pour le Parti républicain, ce qu’ils appelaient « l’esclavage salarié » — la subordination à un maître — est exactement comme l’esclavage, sauf que c’est temporaire, jusqu’à ce qu’on puisse s’en libérer. Maintenant, il y a une petite différence. Il parlait de liberté individuelle, [et] les agriculteurs et les travailleurs eux parlaient de liberté collective — un commonwealth coopératif. Mais à part cela, les racines sont dans l’idée classique, [qui] remonte aux Romains — que la subordination à un maître est une attaque fondamentale contre la dignité humaine et les droits humains. Un siècle de propagande a fait sortir cette idée de la tête des gens.
On considère aujourd’hui qu’il est merveilleux de pouvoir se soumettre à un maître pendant la majeure partie de sa vie professionnelle. Cela s’appelle « avoir un boulot ». Or pendant des millénaires, c’était considéré comme une horrible atteinte à la dignité humaine. Des millénaires, littéralement, jusqu’au XIXe siècle. Il a fallu beaucoup de travail pour imposer aux gens l’idée que c’est une chose merveilleuse de passer son temps à suivre les ordres de quelqu’un d’autre.
Et le faire d’une manière qui est en fait plus extrême que ce que font les états totalitaires ! Par exemple, Staline ne pouvait pas vous dire « Vous avez le droit d’aller aux toilettes pendant 15 minutes à 15 heures ». Il ne pouvait pas faire ça. C’est ce qu’on appelle « avoir un boulot » — [quelqu’un qui vous dit] quel type de vêtements porter [et], si vous travaillez dans un entrepôt Amazon, quel type de parcours emprunter pour aller d’un endroit à un autre. Si vous travaillez pour une société de livraison, vous n’avez pas le droit de vous arrêter quinze minutes pour prendre un café, et on vous contrôle parce qu’on a un système de surveillance dans le camion. Si vous faites ça, vous recevez un blâme, et si vous en recevez plusieurs, vous serez mis à la porte. C’est ce qu’on appelle « avoir un boulot ». Se subordonner à un maître.
Eh bien, pas seulement les anarchistes, mais même le mouvement socialiste ont pris ça pour slogan. « Le contrôle des entreprises par les travailleurs » était la base du mouvement socialiste traditionnel, [mais] cela a changé depuis longtemps. Mais je pense que toutes ces idées peuvent être reconstruites rapidement — elles le sont [déjà], dans une certaine mesure. Il y a des entreprises contrôlées par les travailleurs, des coopératives, des initiatives locales qui se développent, qui sont les éléments d’une société plus libre et plus juste, qui suivrait les principes anarchistes généraux.
Malheureusement, cela ne pourra pas se faire à temps pour faire face à nos crises immédiates. L’échelle du temps n’est pas celle qu’il faut. Les crises immédiates [sont] des crises de survie [et] devront être traitées plus ou moins dans le cadre des institutions existantes. Elles peuvent être modifiées, mais elles ne seront pas fondamentalement changées à temps pour faire face aux crises. Cela ne signifie pas que l’on cesse de travailler sur le long terme. On fait ça, et cela change la prise de conscience, modifie la compréhension, et construit des éléments de liberté au sein d’une société hautement répressive. On peut le faire. Mais les crises immédiates vont exiger de travailler dans le cadre des institutions existantes. On est coincés avec ça.
À propos de l’auteur
Noam Chomsky est professeur émérite de linguistique au Massachusetts Institute of Technology. Haymarket Books a récemment publié douze de ses livres les plus connus dans de nouvelles éditions.
À propos des journalistes
Poyâ Pâkzâd est rédacteur en chef du magazine danois de gauche Eftertryk Magasin et conseiller en politique économique auprès de l’Alliance rouge-verte.
Benjamin Magnussen est rédacteur du magazine danois de gauche Eftertryk Magasin.
Source : Jacobin Mag, Poyâ Pâkzâd, Benjamin Magnussen, Noam Chomsky, 19-11-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Source : Les Crises
https://www.les-crises.fr/…