Seule la résistance sous toutes ses formes est susceptible de faire sortir les Palestiniens
du labyrinthe politique dans lequel l’AP les a enfermés. (Photo : Countercurrents.org)

Par Rima Najjar

Activistes, conspuez et harcelez l’AP pour ses péchés autant que vous harcelez Israël pour ses crimes !

Aujourd’hui, après des décennies de répression, le mouvement de résistance apporte une nouvelle direction à la lutte nationale de la Palestine pour sa libération. Mais cette résistance n’est jamais venue de l’Autorité palestinienne ( AP ), dont la raison d’existence ne consiste qu’à contribuer aux priorités israéliennes que sont la sécurité et le commerce.

Rima Najjar, 5 décembre 2021

Le « processus de paix » que l’AP s’est arrangée pour vendre à la jeune génération des Palestiniens en Cisjordanie s’est effectivement révélée comme le mirage qu’elle avait toujours été, un mirage dont Yasser Arafat et le roi Hussein de Jordanie étaient d’ailleurs parfaitement au courant. On dit d’ailleurs qu’au moment de signer l’accord d’Oslo, le roi Hussein aurait murmuré:

« Si Israël était sérieux quant à son retrait de la Cisjordanie, il me l’aurait rendue, au lieu de la donner à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). »

Dans un article publié en 2017 dans The Algemeiner et intitulé « Israël ne peut se retirer de la Cisjordanie », Gershon Hacohen insistait en écrivant sur le mur – et c’était déjà vrai bien avant qu’Israël ne construise le mur :

« La plus grande menace contre l’existence d’Israël, ce ne sont ni les milices chiites sur la frontière du Golan, ni la menace nucléaire iranienne, qui sont toutes deux de nature physique et militaire.

« Au contraire, c’est la menace d’un État palestinien selon les paramètres de Clinton – qui se traduirait par la division de Jérusalem et le retrait derrière les frontières de 1967 – qui constitue le pire danger pour Israël. »

Comme de très nombreux analystes politiques l’ont fait remarquer à de nombreuses reprises, l’AP est un trésor de sécurité, pour Israël. Aussi longtemps qu’elle existera, elle supportera tous les frais de l’occupation israélienne. Les configurations sécuritaires de l’AP en relation avec ses partenaires sécuritaires nationaux, régionaux et internationaux ont toujours été très problématiques. La politique néolibérale et l’aide des EU et de l’UE continuent d’entretenir la promesse illusoire de l’autodétermination.

Seule la résistance sous toutes ses formes est susceptible de sortir les Palestiniens du labyrinthe politique dans lequel l’AP les a enfermés. Depuis qu’ils sont entrés dans ce labyrinthe, nombre d’entre eux ont toujours un bandeau sur les yeux mais bien d’autres, particulièrement parmi les jeunes, ont le regard débarrassé désormais de toute illusion de construction d’un État libéral ou de développement économique en Cisjordanie occupée.

Le labyrinthe est toujours sombre, humide et nauséabond. Considérez, par exemple, l’article publié hier dans Al Jazeera sur « la crise financière » dans les territoires occupés, décrite comme « la pire » depuis la création de l’AP en 1993. C’est la même vieille histoire exacerbée par la pandémie et la politique américaine récente :

« L’aide des donateurs et la retenue par Israël des fonds de taxes vitaux pressurent le budget de l’AP déjà réduit comme une peau de chagrin. »

On affirme qu’un employé public aurait dit :

« Jusqu’à présent, personne ne sait si nous allons être payés ou non, ou si nous recevrons nos salaires en entier ou seulement à 75 pour 100. »

Les gros titres comme celui ci-dessus, hier, dans Al Jazeera, revenaient souvent quand j’étais en Cisjordanie en 2006, après que le Hamas avait pris le pouvoir et constitué un gouvernement palestinien unitaire et que l’administration Bush, avec ses partenaires du Quartet et Israël, avaient rompu les ponts avec l’AP et mis un terme à l’assistance à cette dernière.

Je me demandais comment les milliers de familles dépendant de l’argent public s’arrangeaient pour en sortir. Quelqu’un m’expliqua que presque chaque famille de ce genre avait des membres travaillant à l’étranger et qui aidaient leurs proches. Certains employés travaillaient au noir. Des femmes vendaient leurs bijoux en or, la dot traditionnelle que les femmes palestiniennes ont quand elles se marient. L’école et les systèmes de soins avaient de graves problèmes mais continuaient de fonctionner tant bien que mal.

À l’époque, le Congrès adopta la Loi publique 109–446, la loi contre le terrorisme palestinien de 2006, afin de durcir les restrictions sur l’aide aux Palestiniens. En 2007, la représentante Ileana Ros-Lehtinen introduisit le H.R. (pour « House of Representatives », ou Chambre des représentants, NdT) 1856, qui restreignait davantage encore le contact avec l’assistance à l’AP.

On peut se rappeler que l’administration Biden avait dans un premier temps accepté la décision de l’AP d’organiser des élections en avril, élections auxquelles il était prévu que participent tous les partis politiques palestiniens. Toutefois, mise sous pression par Israël, l’administration Biden avait inversé sa position et convaincu Abbas de reporter les élections. La raison du revirement de la part de l’AP était économique : Le Hamas dans un gouvernement palestinien unitaire allait déclencher des lois américaines qui supprimeraient le financement de l’Autorité palestinienne.

Dans le chapitre 11 de son ouvrage récent, Political Economy of Palestine, l’économiste Anas Iqtait défend l’idée que des fonds aisément disponibles, sous forme d’aide étrangère et de recettes douanières au profit de l’AP ont

« libéré cette dernière de devoir mettre sur pied un contrat avec sa population et élargi le fossé entre son propre personnel et le reste de la société ».

Au vu du bourbier économique dépeint ci-dessus, il est logique de se demander comment l’AP pourrait trouver le moyen de résister. La réponse à cette question nécessite une compréhension critique de l’économie politique « tournant autour de la question coloniale » et de la réalité de l’existence d’un unique État d’apartheid israélien du fleuve à la mer.

Via une telle compréhension et organisation, je crois qu’il est possible de remplacer l’AP par un système politique qui favoriserait la solidarité avec les luttes populaires en Palestine et se transformerait lui-même en une force de changement social, économique et politique. Je crois que l’AP, en tant qu’acteur compromis et corrompu de l’horrible statu quo actuel régnant en Palestine, constitue une énorme pierre d’achoppement pour tout progrès politique ou matériel. C’est la raison pour laquelle des montagnes de preuves de même que des milliers de prisonniers et martyrs palestiniens qui ont sacrifié leurs vies pour que puissent vivre d’autres Palestiniens ne sont fondamentalement pas parvenus à améliorer les conditions des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Les Palestiniens ont été collectivement affaiblis par la complicité et la lâcheté de l’AP et le fait qu’elle s’appuie sur la médiation des États-Unis. Le mouvement de résistance n’a toujours pas récupéré complètement. Ce n’est que maintenant que des mouvements comme Masar Badil commencent à organiser la façon dont les Palestiniens pourraient collectivement résister à la colonisation et à l’apartheid d’Israël, en élaborant un correctif important à l’encontre des nombreux défaitistes qui discutent aujourd’hui de la Palestine comme si le statu quo existant constituait le dernier, à ce propos.

La nécessité d’un puissant mouvement de résistance ciblant l’AP et pas uniquement Israël est cruciale pour la libération de la Palestine. À tout le moins, les activistes doivent conspuer et harceler l’AP pour ses péchés tout autant, voire davantage, qu’ils ne harcèlent Israël pour ses crimes. Critiquer l’AP et lui réclamer des comptes n’est pas antipalestinien ; c’est une démarche patriotique et c’est même une composante aussi importante du mouvement de résistance que ne l’est le fait de critiquer l’apartheid israélien.

La résistance palestinienne s’exprime sous de nombreuses formes, collectives et individuelles. Bien que les actions individuelles, comme la dénonciation continuelle et infatigable des crimes d’Israël dans les médias sociaux, ou encore la production de formes d’art de la résistance soient très rarement quantifiées, elles ont néanmoins un énorme potentiel et on peut mettre à leur compte le fait qu’elles infirment réellement le « discours » d’Israël.

Sur Facebook, il n’existe, que je sache, pas de groupes ou de pages qui soient publiquement critiques envers l’AP ou qui expriment des demandes populaires en ce sens. Par ailleurs, ce genre de pages prolifèrent, contre Israël. C’est la raison laquelle j’ai lancé une page intitulée « Sins of the Palestinian Authority » (Les péchés de l’Autorité palestinienne)  —  non pas pour assimiler les crimes de l’AP à ceux de l’entité sioniste juive de colonialisme de peuplement, mais plutôt pour mettre en exergue la nature problématique d’une structure appelée « Autorité » et qui se sert de tout ce qui est permis à ce genre d’autorité pour entraver la libération et activer plus encore la dépossession du peuple palestinien actuellement orchestrée par Israël. Au sujet de cette page :

« Ce groupe est engagé dans la solidarité avec la résistance palestinienne et avec la libération de la terre et du peuple de Palestine, afin de concrétiser la victoire du fleuve à la mer.

« L’Autorité palestinienne aujourd’hui a la plus importante force de police par habitant dans le monde. Pourtant, elle utilise cette force pour sauvegarder la sécurité israélienne au lieu de sauvegarder la résistance palestinienne à l’apartheid d’Israël et à l’occupation. Ce groupe est censé dénoncer les manquements du système palestinien de gouvernance, qui a été bâti sur le défunt ‘processus de paix’, de même que l’élite palestinienne et les puissances, arabes et occidentales, qui continuent à prêcher et à appliquer la ‘feuille de route’ de la ‘normalisation’ de ce système défunt. »

La résistance palestinienne est tournée vers un futur plein d’espoir, alors que l’AP continue de ne représenter rien d’autre que de mauvaises nouvelles pour la lutte de libération et les aspirations nationales de la Palestine.

°°°°°

Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille paternelle provient du village – dépeuplé de force – de Lifta dans la périphérie ouest de Jérusalem et dont la famille maternelle est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée

                                    °°°°°

Publié le 5 décembre 2021 sur Countercurrents
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Source : Charleroi pour la Palestine
https://charleroi-pourlapalestine.be/…