Par Mahmoud Albanna
« Mahmoud Albanna est un enfant de Palestine, né et ayant grandi à Gaza, territoire de 365 km2 et peuplé de 2 Millions d’habitants. Arrivé en France, il y a 5 ans pour y poursuivre des études supérieures, il est retourné pour la première fois à Gaza en août dernier. Voici le récit de ce retour que, pour Palestine–Amitié, il a fait et dont nous avons publié un extrait dans notre Bulletin de décembre. »
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Au cours des six dernières années, Gaza a subi trois agressions israéliennes. Celles de 2008 (23 jours), de 2012 (8 jours) et de 2014 (51 jours) pendant lesquelles l’armée de l’occupation israélienne a tué 3920 Palestiniens et a blessé 17570 autres.
Je suis arrivé en France il y a maintenant cinq ans pour poursuivre des études supérieures. Comme tous les Palestiniens émigrés, pendant toutes ces années, j’ai enduré l’éloignement avec ma famille et mes amis proches. Je voyais tous les autres étudiants internationaux partir voir leurs familles régulièrement, notamment pendant les vacances. Cela m’était interdit suite au blocus israélien imposé sur la Bande de Gaza depuis Juin 2007.
C’est à cause de ce blocus que je suis arrivé en 2016 en France avec un retard de presque deux mois à l’université de Franche-Comté pour poursuivre mes études. De même en 2018, pour mon mariage en France et celui de mon frère à Gaza, J’ai été privé de fêter ces deux événements avec ma famille et le reste de mes amis. Ces deux moments de joie et de festivité ont été vécus de Gaza et de France sur les réseaux sociaux par des appel-vidéos. Il est important aussi de dire que suite aux unions et naissances intervenues depuis mon départ de Gaza, j’ai pu faire connaissance avec des nouveaux membres de ma famille seulement via internet sans les avoir rencontrés.
Depuis 2007, suite au blocus imposé par l’occupant, seules les personnes pour des raisons humanitaires comme les malades ou les étudiants qui veulent poursuivre leurs études à l’étranger peuvent, sous certaines conditions, échapper à l’enfermement. Mais il faut aussi mentionner que cela n’est pas complètement vrai, car il y a de nombreux exemples de personnes malades qui ont perdu la vie par manque d’actes médicaux adéquats car leur laissez-passer pour se soigner est arrivé trop tard ou a été refusé. Il y a aussi le cas d’étudiants qui ont perdu leurs bourses d’études du pays d’accueil suite au délai d’attente trop long d’une autorisation de sortie. Pour ma part, j’ai obtenu une bourse d’étude attribuée par le gouvernement français, que j’ai failli perdre suite aux deux mois d’attente pendant lesquels, j’ai eu plusieurs refus de sortie de la part de l’occupation israélienne. Mais un vendredi après-midi du mois d’Octobre 2016, mon téléphone sonne :
– Allô, monsieur Mahmoud Albanna, veuillez apporter votre passeport avant la fin de cette journée au passage de Rafah pour préparer votre départ prévu demain matin à 6h.
– Pardon monsieur ! Vous avez bien dit Mahmoud Albanna ?
– Oui Albanna, c’est bien vous.
Je commence finalement à me préparer pour mon départ et faire mes adieux à ma famille et aux amis, sans savoir si nous pourrons nous revoir. Il est important de préciser qu’il existe deux endroits de sortie de Gaza, soit au passage de Rafah par l’Egypte soit par le passage d’Erez du côté de la Palestine Occupée. En effet, l’occupation israélienne a bombardé et détruit l’aéroport Yasser Arafat situé à Gaza entre 2001 et 2006.
J’ai donc pu partir par le passage de Rafah “côté Egyptien”. Et l’aventure a ainsi commencé et dure maintenant depuis cinq ans, au cours desquelles j’ai obtenu un Master d’Art de la Scène et du Spectacle Vivant “ Théâtre et Cultures du monde”, mais aussi commencé à travailler, rencontré ma future épouse et devenir père d’un petit garçon nommé Kaïs. La seule ombre à ce tableau : l’éloignement de ma famille et de tous mes proches de Gaza.
Ce n’est qu’au début de cette année de 2021 que le gouvernement Egyptien a autorisé la réouverture du passage de Rafah et facilité les conditions de circulation des personnes permettant ainsi à beaucoup de Gazaouis émigrés de pouvoir visiter leurs familles à Gaza. Cet allègement partiel du blocus m’a permis de visiter mes parents dont malheureusement l’état de santé s’est dégradé au cours de mes cinq années d’absence et où j’ai pu aussi découvrir d’importants changements.
Mon projet était de partir en famille avec mon épouse et mon petit garçon. Mais malheureusement, ce ne fut pas possible. J’ai failli reporter mon projet en me disant qu’on le réaliserait quand toutes les conditions seraient réunies pour partir à Gaza accompagné de mon épouse et de mon fils car mes parents n’ont jamais rencontré ma conjointe ni embrassé leur petit-fils. Mais au cours d’un dîner chez mon beau-frère, celui-ci m’a dit : Et pourquoi tu ne partirais pas tout seul ? Cette idée a cheminé dans mon esprit et avec mon épouse nous avons pris la décision difficile de me rendre seul en Palestine, sans aucune certitude de pouvoir ressortir facilement de Gaza pour retourner en France.
J’ai donc réservé mon billet d’avion pour le Caire. Je suis parti de France le mardi 3 août et je suis arrivé à l’aéroport du Caire le lendemain à l’aube. C’est la partie la plus facile du voyage. Ensuite, j’ai pris le bus pour Gaza avec d’autres Palestiniens qui, eux aussi, allaient visiter leurs familles. Normalement le trajet ne dure que cinq à sept heures pour arriver à Gaza. Mais en raison des conditions de l’état d’urgence imposé par l’Egypte et de nombreux check-points mis en place par l’armée egyptienne tout au long du parcours avec fouilles de valises et du bus à chaque contrôle, sur une route en mauvais état, le trajet Le Caire-Gaza peut parfois durer deux jours pour franchir les 320 kms qui séparent Le Caire du passage de Rafah.
Mais j’ai été chanceux car malgré les nombreuses fouilles aux check-points, je suis arrivé, fatigué, au passage de Rafah en fin de journée. Le passage se compose de deux salles, la première est sous le contrôle de l’Egypte et la deuxième sous le contrôle du gouvernement Palestinien de Gaza où mes amis m’attendaient. Les démarches et contrôles dans ces deux salles ressemblent à ceux des aéroports mais sont très longs. Cela a duré 5 heures. Avant que je puisse être enfin autorisé à pénétrer dans la bande de Gaza il est environ 21 h. Parti à 4heures du matin, nous aurons mis 17 heures pour franchir les 320 kms qui séparent Le Caire de la Bande de Gaza.
Enfin arrivé, je salue chaleureusement mes amis avec qui j’avais préparé la surprise de ma venue à Gaza pour ma famille. Je conduis la voiture d’un ami pour aller chez moi, et j’appelle mes parents pour les prévenir 15 minutes avant d’être à la maison de crainte qu’une trop grosse surprise n’altère leur santé déjà fragile.
Je me rappelle qu’arrivé à destination, il y avait une coupure d’électricité dans notre quartier. Le premier geste que j’ai voulu faire avant de prononcer une parole, a été de prendre ma mère et mon père dans mes bras. Tout le monde, famille, amis et voisins, était là. C’était comme un rêve pour moi et pour eux j’imagine, surtout que cela était inattendu.
Après ce long voyage je prends une douche et je suis choqué par la salinité de l’eau bien plus élevée qu’en 2016. Mais je ne leur dis rien pour ne pas chagriner ma famille et mes amis qui n’ont d’autre choix que celui d’utiliser ce liquide impropre à la consommation.
Je passe la soirée chaleureusement avec eux et nous profitons de tous ces moments mémorables de retrouvailles. Et je goûte avec gourmandise la vraie nourriture orientale de chez moi : du houmous, du falafel, du kunafa et du baklava.
Le lendemain, je me réveille très tôt le matin pour m’inscrire pour mon retour en France prévu quelques semaines plus tard. Un ami français me demande « pourquoi tu t’inscris si tôt ? » Je lui réponds que des milliers de personnes s’inscrivent tous les jours afin d’obtenir un laisser-passer pour franchir, pour différentes raisons, le passage de Rafah. Il est donc prudent d’engager les démarches très tôt, dès mon arrivée, pour avoir une chance de pouvoir quitter Gaza vers la fin du mois. Je suis inscris sous le numéro de 267597.
À Gaza, je vis ce retour comme si je n’étais pas parti. Entouré de ma famille, la maison déborde toute la journée de monde. De nombreuses visites et aussi beaucoup d’invitations.
Le temps passe très vite. Je profite de ma présence pour emmener mes parents faire des examens de santé et voir leurs médecins. Je visite Gaza, ma ville, et je rencontre le maximum d’amis et de connaissances. Le soir, je profite de la plage et je vais même à l’entrainement de mon ex équipe de foot.
J’essaie de cacher la tristesse qui me serre le cœur face au constat des innombrables difficultés qui assaillent les Gazaouis dans tous les domaines de leur vie quotidienne. Nous n’échangeons que des pensées positives et notamment sur les solutions de survie inventées par la population de Gaza pour survivre malgré le manque de moyen.
A l’opposé de cette volonté de vivre, j’ai été frappé par la cruauté de l’occupation israélienne qui a détruit au cours de la dernière agression de nombreux lieux de la ville où j’ai beaucoup de souvenirs : des tours, des immeubles et même des rues complètes. Cette dernière agression qui a duré 11 jours, a causé la mort de 232 Palestiniens dont 65 enfants et 1900 blessés.
La plupart des jeunes n’ont jamais quitté la Bande de Gaza. Depuis leur naissance, ils n’ont jamais vu un train, un avion civil. Les seuls avions qui survolent le ciel de Gaza sont des avions de guerre israéliens qui nous bombardent. Ils n’ont jamais connu d’autres lieux que ceux de la petite enclave de Gaza. Ils n’ont jamais visité une montagne, une rivière ou une source naturelle. Certains de mes amis me parlent de mes publications sur les réseaux sociaux dans lesquelles je partage des photos et vidéos de toutes les régions et pays que j’ai pu visiter depuis mon arrivée en France. Ils me font part de leurs désirs et de leurs rêves de pouvoir, eux aussi, voyager et visiter d’autres pays.
Pendant toutes ces années, beaucoup de mes amis de jeunesse, n’ont pas pu avancer dans leur existence, bloqués par le manque de perspective et le chômage. 61 % des jeunes sont sans emploi. Aussi, je vous laisse imaginer combien de jeunes Gazaouis ont échoué à construire une vie de famille, à gagner leur indépendance pour construire leur propre vie. Combien de rêves ont été anéantis et combien de vie ont été perdues suite à cette situation.
Au cours de ce mois passé à Gaza, la seule fois où il y a eu des bombardements c’était le 6 août, deux jours après mon arrivée.
Ce soir-là, je rentrais à pied de chez un ami sous le bruit des drones et des F16 qui bombardaient la ville. L’armée israélienne utilisait des technologies de pointe en représailles à l’envoi de ballons incendiaires depuis la Bande de Gaza. Le calme est revenu les jours suivants.
Malgré ce déséquilibre entre la puissante armée d’occupation israélienne et le peuple Gazaoui qui lutte pour desserrer l’étau du blocus qui les empêche de vivre, l’Egypte décide, pour ramener le calme et faire pression, de fermer le passage de Rafah. Cette fermeture ne durera que trois jours mais provoquera un énorme retard pour le départ et l’arrivée de centaines de Palestiniens. Cette situation m’a aussi concerné et décalé mon retour en France de plus d’une semaine par rapport à la date initialement prévue au moment de mon départ. Et cela aurait pu être encore plus long si je n’avais pas été aidé par des amis.
A l’annonce de la fermeture du passage de Rafah, personne ne savait combien de temps allait durer cette fermeture. Loin de mon épouse et de mon petit garçon, nous échangions quotidiennement via internet. Nous étions inquiets pour ma sortie et aussi pour mon emploi que je risquais de perdre si cette situation s’éternisait. Nous suivions les listes hebdomadaires affichées par le ministère. Au début septembre, c’est la rentrée scolaire et la date de reprise de mon travail mais je suis toujours à Gaza. J’attends impatiemment les listes de la semaine suivante, et avec beaucoup de soulagement je vois que mon nom figure sur la liste. Aussi, je me prépare pour le départ, et tout s’accélère. Je revis les mêmes scènes qu’en 2016. J’essaie de dire au revoir à un maximum de personnes que je connais au cours de cette dernière soirée à Gaza. Je passe le reste de la nuit avec ma famille. Dans ma tête, je n’ai qu’une seule pensée : Est-ce que je les reverrai un jour ? Dans combien de temps ?
Je pars vers 5h du matin, je traverse le passage de Rafah au bout de dix heures, pendant lesquelles j’ai rempli les démarches administratives et j’ai subi les interrogatoires, procédure qui s’applique surtout aux jeunes.
J’arrive enfin à l’aéroport du Caire vers une heure du matin le lendemain. Compte tenu de l’incertitude de mon arrivée à l’aéroport du Caire, comme toutes les personnes qui quittent Gaza, je n’ai pu réserver à l’avance un billet d’avion pour mon retour vers l’Europe. J’essaie donc de me connecter à internet pour pouvoir réserver le plus vite possible un billet et ne pas rester bloqué longtemps à l’aéroport. Je prends un billet pour un vol en début de matinée que je dois payer au prix fort car réservé dans les dernières heures. Je prends enfin l’avion et je rentre en France pour retrouver ma petite famille et je reprends mon travail dès le lendemain. Je suis de retour en France avec toute l’énergie positive que j’apporte d’une ville qui a connu tant de misère ces dernières années mais qui, malgré tout, continue à garder l’espoir et à sourire à la vie.
Mahmoud ALBANNA
Octobre 2021
Source : Palestine-Amitié Besançon
http://palestineamitie.canalblog.com/…