Par Shatha Hammad / Middle East Eye
Les oléiculteurs palestiniens affirment que les attaques menées « sous l’œil vigilant » de l’armée israélienne ont détruit la saison de récolte, pourtant festive.
En moins de dix jours, Musleh Badawi et sa famille ont été attaqués à trois reprises par des colons alors qu’ils travaillaient sur leurs terres et cueillaient des olives.
Cette année, la saison de récolte, qui s’étend d’octobre à novembre, a été la plus difficile de mémoire d’homme pour la famille de Musleh Badawi et d’autres familles palestiniennes victimes d’attaques similaires.
La récolte des olives est une source de vie pour quelque 80 000 à 100 000 familles palestiniennes en Cisjordanie occupée.
« Nous nous préparions à la saison de la récolte des olives comme s’il s’agissait d’une grande fête. Mais les événements d’aujourd’hui ont jeté une ombre sur cette occasion, en raison des attaques des colons. Comme si cela ne suffisait pas, l’armée israélienne nous a également empêchés d’atteindre nos champs », a déclaré Musleh Badawi à Middle East Eye dimanche.
Badawi mentionne que lors de la première attaque, le 29 octobre, les coupables venaient de la colonie voisine d’Esh Kodesh. Ils sont venus sur les terres des agriculteurs et ont volé leur matériel de récolte et quatre grands sacs d’olives dont la valeur était estimée à 5000 shekels (1600 $). « Nous avons informé la police israélienne et le bureau de coordination et de liaison israélien, mais ils ont ignoré nos plaintes alors qu’ils ont confirmé que les colons étaient les auteurs du vol. »
Badawi, 71 ans, est père de huit enfants et grand-père de 18, et sa famille dépend des oliviers comme principale source de revenus. Malgré les attaques répétées auxquelles ils sont confrontés, ils n’ont pas quitté leurs terres, et y restent constamment.
« Le 5 novembre, nous nous sommes rendus sur notre autre parcelle de terre près de la colonie d’Elieh, qui compte 50 oliviers », a-t-il déclaré. « Nous avons été surpris de voir que les colons nous avaient devancés sur le terrain et avaient déjà cueilli les arbres. L’armée israélienne est alors arrivée et nous a mis dehors. »
Deux jours plus tard, la famille a subi une troisième attaque alors qu’elle se trouvait sur sa terre, une parcelle de 10 dunams (un hectare) près de l’avant-poste de Hayovel.
« Même si la zone est considérée comme une zone B, l’armée israélienne est quand même venue nous mettre dehors, mais seulement après que nous nous soyons battus – jusqu’à ce qu’ils puissent nous faire partir de force », a déclaré Badawi. Il a ajouté que les attaques répétées contre sa famille lui font craindre en permanence de perdre ses terres au profit de la colonisation et d’être totalement empêchée d’accéder à ses terres dans les années à venir.
La zone B, selon les accords d’Oslo, est administrée à la fois par Israël et par l’Autorité palestinienne, et ne compte aucune colonie israélienne.
Imposer un « nouveau statu quo »
L’expérience de la famille Badawi est familière à des dizaines d’autres familles palestiniennes pendant la récolte des olives.
Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), dans son dernier rapport couvrant la période du 5 au 18 octobre, a documenté les actions des colons, qui ont notamment endommagé plus de 1 600 arbres (la plupart des oliviers) ou volé la récolte des Palestiniens. Ces attaques ont eu lieu dans des villages voisins des villes de Naplouse, Hébron, Salfit, Ramallah et Jérusalem.
Bashar Qaryouti, un militant anti-colonisation, a déclaré à MEE que l’administration civile israélienne a publié de nouvelles cartes qui prévoient la confiscation de davantage de terres et empêchent des dizaines de familles palestiniennes d’accéder à leurs terres – estimées à des milliers de dounams.
« Ce à quoi nous avons été confrontés cette année a été la vague d’attaques la plus dangereuse depuis des années », déclare Qaryouti. « Elle impose un nouveau statu quo, en particulier dans la région centrale de la Cisjordanie et à Hébron ».
Il a ajouté que les attaques des colons se sont intensifiées pendant la saison de la récolte des olives contre les villages situés au sud de Naplouse spécifiquement, y compris le vol d’olives et de matériel, les attaques contre les familles, l’obstruction des Palestiniens pour accéder à leurs champs et le déracinement de centaines d’oliviers. Il a déclaré à MEE que les colons ont même planté des objets tranchants sur les routes agricoles, endommageant de nombreux véhicules palestiniens, pour les empêcher d’atteindre leurs terres.
« La plupart des attaques des colons ont été menées sous l’œil attentif de l’administration civile et de l’armée israéliennes, qui se sont contentées de rester les bras croisés, voire de fournir une protection aux colons », a ajouté Qaryouti.
Shaher Muhammad Azem, 53 ans, confirme ce qui précède, ayant été victime d’une attaque sur ses terres il y a quatre ans par un colon connu. Shaher a déposé plusieurs plaintes contre le colon, en vain.
Shaher est originaire du village de Qaryout. La colonie d’Elieh entoure ses 11 dunams (1,1 hectare) de terre, et l’armée israélienne l’empêche d’y accéder sans autorisation préalable. « Lorsque je suis arrivé sur mon terrain, le colon [du nom de] Koron m’a dit devant l’armée et l’administration civile qu’il avait cueilli tous mes oliviers et qu’il ne me restait rien », a-t-il déclaré. Son terrain abrite 60 oliviers, et tous ont été récoltés illégalement par vol.
Shaher a expliqué à MEE que les attaques ne se produisent pas seulement pendant la récolte des olives : chaque fois qu’il va labourer sa terre, les colons plantent des objets pointus sur les routes voisines, ce qui endommage son tracteur.
La famille de Shaher, qui compte 11 personnes, n’a pas été épargnée par les ramifications. « Ces attaques m’ont détruit, moi et ma famille », a-t-il déclaré. « Nous dépendons de la récolte des olives, et nous avions de grands espoirs pour cette saison…mais à cause de ces attaques, je ne suis pas en mesure de payer les frais de scolarité de ma fille à l’université, et elle a maintenant interrompu ses études. Nous avions l’habitude de vendre des olives et de l’huile d’olive, mais aujourd’hui nous l’achetons, et les colons volent nos arbres sous nos yeux.
« L’année dernière, poursuit-il, les colons ont volé notre récolte, et il ne restait qu’une seule branche non cueillie. Le colon m’a dit qu’il avait laissé cette branche d’olivier pour moi, pour que je puisse bien voir à quel point ces olives étaient bonnes, ’pour que tu aies une crise cardiaque et que tu meures’ ». Le colon, Koron, le menace régulièrement, lui disant : « Je suis bien au-dessus de la police. Tu ne pourras pas m’atteindre avec tes plaintes ».
Une recrudescence des attaques de colons
Moayyad Besharat, responsable des programmes et des projets à l’Union des comités de travail agricole, a déclaré à MEE que le 13 octobre, l’union a lancé sa campagne annuelle pour aider les villageois palestiniens dont les terres sont situées dans des zones menacées, grâce à la présence de groupes internationaux et de bénévoles pendant la récolte.
Au cours de la seconde moitié du mois d’octobre, dit-il, 95 attaques de colons ont été enregistrées dans les villages du sud de Naplouse. « Les attaques des colons s’intensifient tout au long de la saison de la cueillette des olives, avec pour objectif de vider les terres de toute présence palestinienne. Les colons ont été davantage provoqués par la présence de dizaines de Palestiniens cette année, venus aider les agriculteurs et affirmer leur engagement envers la terre, ce que les colons rejettent. »
Il a ajouté : « Malgré notre présence en grand nombre pour assurer la protection des agriculteurs, les colons ont continué à lancer des attaques généralisées, coupant les arbres, volant les récoltes et les outils, et harcelant les villageois sous les yeux de l’armée et de l’administration civile israélienne. Ils n’ont fait aucun cas des organisations internationales présentes ».
Moayyad a affirmé que les attaques des colons et le harcèlement de l’armée ont augmenté en général récemment, et ce qui était clair cette fois-ci, c’est que les attaques étaient beaucoup plus nombreuses qu’auparavant. Les colons étaient également accompagnés d’escortes de l’armée et ils ont expulsé des dizaines de familles de leurs terres, alors que ces familles avaient obtenu des permis de séjour de l’administration civile israélienne.
Selon les données de l’ONU, près de la moitié des terres agricoles palestiniennes sont plantées d’environ 10 millions d’oliviers en Cisjordanie et dans la bande de Gaza assiégée.
Le Comité international de la Croix-Rouge a déclaré que plus de 9 300 oliviers appartenant à des agriculteurs palestiniens ont été endommagés, coupés ou déracinés par des colons israéliens entre août 2020 et août 2021.
Traduction : AFPS
Source : AFPS
https://www.france-palestine.org/…