Palestiniens évacués mardi 11 mai 2021 d’immeubles ciblés par des bombardements israéliens,
en réponse aux tirs de roquettes depuis Gaza par le mouvement islamiste Hamas.
Photo AFP( MAHMUD HAMS / AFP )
Par Leïla Shahid
Leïla Shahid, déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France de 1994 à 2005, puis ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne de 2005 à 2015, revient sur les heurts qui ont opposé ces derniers jours Palestiniens et forces de sécurité israéliennes.
La Marseillaise : Pourquoi a-t-on assisté à ces violences qui ont secoué Jérusalem-Est ?
Leïla Shahid : Cela fait exactement 73 ans que le peuple palestinien vit dans la négation de son droit national et 54 ans d’occupation militaire à Jérusalem-Est, à Gaza et en Cisjordanie. Je ne comprends donc pas l’opinion internationale qui se dit surprise. Tant qu’il n’y aura pas de solution au déracinement et à la négation des droits nationaux du peuple palestinien, tant que la communauté internationale continue à assurer à Israël une impunité totale, il y aura toujours de nouveaux cycles de violence qui coûteront cher aux peuples palestinien et israélien. C’est de ce fait hypocrite de parler d’éruption de violence. La Palestine vit dans la violence et la misère depuis des décennies, depuis que nous n’avons plus de patrie, de papiers, de services sociaux, éducatifs et médicaux. On voit bien qu’il y a deux poids, deux mesures : ce qui émeut les médias, ce sont les roquettes tirées par le Hamas sur Jérusalem. Quand on évoque les 25 morts à Gaza, dont neuf enfants et une majorité de civils, on dirait que ce sont des lapins, pas des êtres humains.
L’extrême droite israélienne a-t-elle mis le feu aux poudres ?
Le contexte, c’est que pour la quatrième fois, il y a un gouvernement israélien dirigé par Netanyahu, qui est probablement la coalition la plus extrémiste, la plus raciste, la plus négationniste des droits du peuple palestinien qu’on ait connue depuis Ben Gourion. Car elle inclut des partis sionistes religieux héritiers du rabbin nationaliste Meir Kahane, qui ont battu campagne notamment à Jérusalem, et qui ont aujourd’hui six membres siégeant à la Knesset. L’organisation Kach fondée par Meir Kahane était, je le rappelle, interdite aux États-Unis, en France, elle l’était aussi en Israël. Une grande partie des démocrates israéliens ne cautionnent ni leur racisme ni leur extrémisme. M. Netanyahu les a poussés à former un parti au moment où il espérait former une coalition nationale. Or son parti, le Likoud, n’a eu que 30 sièges à la Knesset, alors que 61 sont nécessaires pour former un gouvernement. Maintenant qu’il a raté son coup, les nationalistes religieux sont membres du parlement israélien. Après avoir été sollicités pour être membres du gouvernement, pourquoi reculeraient-ils devant le fait de littéralement nettoyer la ville de Jérusalem-Est de ses habitants palestiniens, chrétiens et musulmans ? On parle souvent d’hubris en grec. En Israël, on parle de chutzpah. C’est cette arrogance de l’hubris : comme on leur assure une impunité totale, ils sentent qu’ils peuvent toujours aller plus loin, même s’ils ne sont pas représentatifs du peuple israélien.
Quels sont les autres facteurs qui ont contribué à cette crise ?
Il y a plusieurs raisons qui font que cela explose maintenant. La première, c’est que M. Trump déclare Jérusalem comme la capitale officielle d’un État, celui d’Israël uniquement, sans réaction internationale, alors que c’est une violation totale du droit. Le nouveau président des États-Unis, Joe Biden, n’est pas revenu sur la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine en cas de reprise des négociations. C’est inacceptable. La deuxième raison, c’est que le gouvernement d’affaires courantes de Netanyahu met [en place] tous les jours des centaines d’unités de colons dans Jérusalem, comme à Cheikh Jarrach, qui est au cœur de la vieille ville. Résonne ainsi, à deux jours du 15 mai, la commémoration de notre Nakbah, l’expulsion de 700 000 Palestiniens mis à la porte de force en 1948. Les colons recommencent ici une nouvelle Nakbah, en délogeant les gens de leur maison. C’est un traumatisme très important. L’expulsion de ces familles de ces quartiers n’est pas une question immobilière. C’est une question foncièrement politique. Troisièmement, il y a moins d’un an, Israël, avec les accords d’Abraham, a établi des relations diplomatiques avec les États arabes, sans demander de contreparties sur l’arrêt de la colonisation. Pour toutes ces raisons, il y a eu une accumulation. Le coup de grâce, c’est le report des élections législatives et présidentielle palestiniennes. Dans cet état de pré-guerre, Netanyahu a demandé à la police d’occuper l’Esplanade des mosquées. Or c’est la Jordanie qui est en charge de la gestion de ces lieux saints et la police israélienne n’a pas le droit d’y rentrer. Netanyahu savait que les réactions seraient vives, pour ce dernier vendredi avant la fin du ramadan. Dans cette stratégie du pire, Netanyahu souhaite peut-être un retour à un état sécuritaire qui justifierait son retour au pouvoir.
L’élection de Joe Biden peut-elle changer la donne ?
Oui, elle l’a déjà changée. Premièrement, il nous a débarrassés de Donald Trump, qui était un danger international et pour le peuple américain. Ensuite, il est à la tête d’un parti où existent de vraies forces et personnalités politiques attachées au respect du droit international. Pour la première fois, de nouveau, le discours américain parle du droit international. Malgré tout, Joe Biden a d’autres priorités. Notamment, et c’est très important, de retravailler avec les structures multilatérales, comme l’Union européenne, concernant les négociations sur le nucléaire iranien. Des signes positifs ont été envoyés envers les Palestiniens mais il faut aussi être sur le plan politique et diplomatique, plus offensif. C’est important que les Européens poussent les Américains vers une plus grande implication au Proche-Orient car les Palestiniens ont besoin d’un front commun afin de mettre en œuvre les résolutions déjà votées, pour faire reconnaître leur droit à l’autodétermination et à la souveraineté.
La Marseillaise du 12 mai 2021Lire aussiA contre-courantPar Roland RICHA
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Source : Assawra
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