Quand la critique d’Israël devient un tabou dans les rédactions françaises.

Face à une ligne éditoriale de plus en plus alignée sur les intérêts israéliens, le journaliste Quentin Müller quitte Marianne en activant sa clause de conscience. Quand dire la vérité devient une faute, partir devient un devoir.

L’heure est au grand ménage. Les temps changent, dit-on. Et chez Marianne, hebdomadaire autrefois connu pour une certaine « liberté de ton », on ne fait pas les choses à moitié : désormais, pour rester à bord, mieux vaut saluer bien bas la bannière étoilée et réciter son petit psaume pro-sioniste du matin. Sinon, la sortie, c’est par là. Quentin Müller, journaliste indépendant spécialiste du Yémen et de la péninsule arabique, vient d’en faire les frais. Il publie une lettre sur X !

De Marianne à Israël Hebdo : le virage droit dans le mur

Pendant dix ans, Quentin Müller a arpenté les zones de conflit pour raconter ce que les rédactions feutrées préfèrent ignorer : « Informer, du mieux que je pouvais, sur le sort des « invisibles » au Moyen-Orient et en Afrique de l’Est ». Mais voilà, à Marianne, le nouveau mot d’ordre est simple : « Il faut rentrer dans le rang ou partir ».

Le journal, en vente, a vu défiler les candidats au rachat. La rédaction découvre dans la presse que l’hebdo est en vente. « Très vite, le bal des prétendants s’est ouvert, avec en prime, la brutalité, sur la forme et bientôt sur le fond », confie Müller. Rejet de l’offre du milliardaire Pierre-Édouard Stérin, rejet de l’option sociale et solidaire. Puis la décision tombe : Marianne reste aux mains de l’actionnaire principal, le milliardaire Daniel Křetínský, avec une toute nouvelle ligne éditoriale. Il intervient pour que Marianne soutienne le candidat Macron en 2022. L’aide à la presse pour « soutenir le pluralisme », qui était de 1 188 927 en 2022, passe à 1 435 917 en 2023 pour soutenir Marianne.

Clause de conscience : sortir la tête haute plutôt que baisser les yeux

Face à ce virage idéologique, Müller active ce que peu osent invoquer dans le métier : la clause de conscience. « J’ai fait valoir ma clause de conscience, estimant que la poursuite de mon métier dans ce journal-là portait atteinte à mon honneur et à mes intérêts moraux », écrit-il. Un mot rare, « honneur », qu’on croyait presque oublié dans les salles de rédaction.

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La nouvelle direction pose ses conditions : plus de critiques envers certains « alliés », recentrage sur « les sujets européens et transatlantiques », et une préférence affichée pour les « démocraties, toujours perfectibles, aux dictatures ou aux mouvements autoritaires ». Traduction : ne plus parler de l’impensable. Et surtout, ne pas trop creuser du côté de Tel-Aviv.

“Israël est une démocratie. Il n’y a pas de génocide à Gaza”

Voici le cœur du malaise. Lors d’un entretien avec la direction, Müller raconte :

« Il m’a été reproché, devant témoins, un « tropisme anti-israélien », de trop couvrir la campagne israélienne au Moyen-Orient dans mes sujets. Il m’a été dit qu’il faudrait, à l’avenir, intégrer deux impondérables : « Israël est une démocratie et il n’y a pas de génocide à Gaza » ».

Le journaliste tente alors de rappeler quelques faits : « Les anciens Arabes de 48 n’ont pas les mêmes droits que les citoyens juifs. Plus de 150 000 hectares ont été confisqués au profit d’agglomérations juives ». Et de citer des sources crédibles : la Cour internationale de justice évoque un risque plausible de génocide, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Netanyahou et son ministre de la Défense. Mais à quoi bon citer les plus hautes instances juridiques mondiales, quand une direction préfère le storytelling à la vérité ?

Publier, c’est trahir ?

Autre reproche fait à Müller : ses publications sur le réseau X. Le crime ? Avoir dénoncé publiquement l’arrestation de son confrère Sylvain Mercadier, pigiste, capturé par l’armée israélienne alors qu’il couvrait les destructions hors du Golan. « Il a été battu, menotté, les yeux bandés, insulté et interrogé », écrit-il. Et lui, Müller, ose s’émouvoir. Encore une faute.

« Je m’en émouvais sur X, interrogeant les limites d’un État qui se dit démocratique mais qui entrave la liberté d’informer et arrête, intimide, sinon violente des journalistes ».

Visiblement, la liberté d’informer, quand elle déplaît aux bons partenaires, devient une prise de risque professionnelle.

Un adieu sans reniement

« Ce fut un cas de conscience. Rester pour défendre une vision du métier ou partir et être en paix avec moi-même ? J’ai fait le choix de partir ». Il évoque avec émotion cette rédaction autrefois « plurielle », où l’on pouvait débattre, contester, penser. Il remercie Natacha Polony, Gérald Andrieu, Stéphane Aubouard, ceux qui l’ont accompagné dans une aventure aujourd’hui vidée de sa substance.

Marianne, cette idée morte un lundi matin

Müller se souvient : « J’ai connu Marianne alors que je n’étais encore qu’un collégien. Mes parents s’étaient abonnés à l’époque où le journal osait critiquer frontalement Nicolas Sarkozy ». Le journal qui jadis prétendait incarner l’esprit de la République a cédé à l’air du temps : un mélange de complaisance géopolitique et de marketing éditorial.

Résister par la plume : un combat qui continue

« Je continuerai de me battre, où que je sois, pour la liberté d’informer et l’indépendance de la profession », conclut Müller. « Je continuerai à faire du terrain et aller là où l’information manque. C’est le cœur de mon métier ».

Ce qu’en pense le 4-4-2 ?

Tant que certains États — à commencer par Israël — pourront imposer leur narratif jusque dans les salles de rédaction françaises, le journalisme ne sera plus un contre-pouvoir, mais un simple relais diplomatique sous influence.

par Le Média en 4-4-2
(Envoyé par Djerrad Amar)

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