Par Jeremy Scahill
Netanyahou veut faire capoter l’accord, l’équipe de Trump pratique une diplomatie en double langage, et le Hamas affirme ne pas vouloir diriger Gaza tout en refusant de disparaître.
Source : Drop Site News, 24 février 2025
Traduction : lecridespeuples.substack.com

Des familles palestiniennes après qu’Israël a retardé la libération de prisonniers palestiniens, le 23 février 2025.
La première phase de l’accord de cessez-le-feu et d’échange de prisonniers entre Israël et le Hamas doit expirer le samedi 1er mars, après ce qui est censé être le dernier échange, jeudi, des corps de quatre captifs israéliens contre la libération de plusieurs centaines de Palestiniens détenus par Israël. Cependant, alors que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’emploie activement à saboter cet accord, conclu sous l’égide de la communauté internationale et entré officiellement en vigueur le 19 janvier, son avenir reste des plus incertains.
Les négociations sur la mise en œuvre de la deuxième phase de l’accord – qui prévoit un retrait israélien du corridor de Philadelphie, le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte, à la fin de la première phase – devaient commencer au plus tard le 3 février. Mais Netanyahou a refusé d’autoriser les négociateurs israéliens à entamer les pourparlers. Il a préféré se rendre à Washington, où il a été le premier dirigeant étranger à rencontrer le président Donald Trump, récemment réélu. Lors de leur conférence de presse commune, Trump a surpris tout le monde en annonçant son intention de faire de Gaza un territoire américain et d’en faire une « Riviera du Moyen-Orient ». Depuis cette visite, Netanyahou a intensifié ses menaces de reprise d’une guerre à grande échelle à Gaza, tout en participant à contrecœur aux échanges hebdomadaires de captifs israéliens contre des Palestiniens enlevés ou emprisonnés par Israël.
Tout a changé samedi. Après que le Hamas et d’autres factions de la résistance palestinienne ont libéré six prisonniers israéliens – dont l’un, Omer Shem-Tov, a embrassé deux combattants des Brigades Al-Qassam sur scène lors de la cérémonie de remise –, Netanyahou a infligé un véritable supplice à des centaines de familles palestiniennes qui attendaient la libération de leurs proches. Après le retour des captifs israéliens en Israël, il a annoncé qu’il retardait la libération de 620 Palestiniens prévue ce jour-là. Les prisonniers autorisés à sortir avaient déjà pris place dans des bus, dans une prison de Cisjordanie occupée.
–https://x.com/lecridespeuples/status/1893285197228961943
Dimanche, Israël a déclaré qu’aucun autre Palestinien ne serait libéré tant que le Hamas ne cesserait pas « les cérémonies qui portent atteinte à la dignité de nos otages et l’utilisation cynique de nos otages à des fins de propagande ». Israël a également été furieux de la diffusion d’une vidéo par les Brigades Al-Qassam montrant qu’elles avaient emmené deux autres captifs israéliens à la cérémonie de remise à Nuseirat samedi et les avaient filmés à l’intérieur d’une camionnette en train d’assister à la libération de leurs compatriotes. Dans l’enregistrement, les captifs israéliens appelaient Netanyahou à respecter les termes de l’accord de cessez-le-feu afin d’assurer leur libération de Gaza.
Sur les 620 personnes qui devaient être libérées samedi, plus de 400 sont des Palestiniens de Gaza faits prisonniers par Israël, dont 23 enfants et une femme, ainsi que 110 Palestiniens condamnés à perpétuité ou à de longues peines de prison.
« En reportant la libération de nos prisonniers palestiniens telle qu’elle est prévue dans l’accord de cessez-le-feu de la phase 1, le gouvernement ennemi agit [de manière inconsidérée] et expose l’ensemble de l’accord à un grave danger », a déclaré Basem Naïm, membre du bureau politique du Hamas, dans un communiqué. « Ils critiquent la manière dont nous remettons les prisonniers israéliens, alors même que cela témoigne de notre respect conforme à nos valeurs, mais en retour, tous nos prisonniers subissent de graves tortures et l’isolement avant leur libération ; leurs familles ont été menacées si elles exprimaient la moindre joie à la libération de leurs proches. »
Dimanche, le Hamas a déclaré qu’il ne reprendrait pas les négociations indirectes sur un cessez-le-feu plus large tant que les prisonniers palestiniens ne seraient pas libérés, tout en se disant ouvert aux propositions des médiateurs internationaux pour surmonter l’impasse. Si Israël ne libère pas les Palestiniens prévus, le Hamas a averti que « toutes les options sont sur la table », y compris le report du retour prévu jeudi des corps de quatre Israéliens emmenés à Gaza le 7 octobre.
Après la restitution des corps, Israël a affirmé qu’une combinaison d’analyses médico-légales et de « renseignements » israéliens avait permis de conclure que les enfants avaient été « assassinés » en captivité. Netanyahou a déclaré, sans apporter de preuves, que leurs ravisseurs les avaient « étranglés de leurs propres mains ». Aucune preuve publique n’a été fournie pour étayer cette accusation.
Puis, aggravant une situation déjà très tendue, un examen médico-légal a révélé que le cercueil censé contenir le corps de Shiri Bibas ne renfermait en réalité pas ses restes. Netanyahou a accusé le Hamas d’un acte de terreur psychologique cynique et malveillant, insinuant que le groupe avait délibérément remis à Israël le corps d’une « femme de Gaza ». Le Hamas a répondu en annonçant l’ouverture d’une enquête et a rapidement déclaré que cette erreur était due au fait que les restes de Shiri Bibas avaient été conservés avec ceux de Palestiniens tués lors de la même frappe. Moins de 48 heures plus tard, ses restes ont été retrouvés et remis à la Croix-Rouge.
« Des erreurs malheureuses peuvent se produire, d’autant plus que les bombardements sionistes ont entraîné un mélange des cadavres de prisonniers israéliens avec ceux de Palestiniens, dont des milliers sont encore sous les décombres », a déclaré Naïm. « Nous rappelons au monde que nous avons reçu des milliers de corps de l’ennemi sioniste dans des sacs bleus sans aucune identification et sans aucun respect pour leur humanité. Pourtant, nous n’avons entendu aucune condamnation de ces crimes de la part des responsables internationaux, et les médias occidentaux officiels ne se sont pas souciés des droits de l’homme des Palestiniens. »

Le président américain Donald Trump serre la main de Steve Witkoff, envoyé spécial au Moyen-Orient, le 11 février 2025.
La Maison-Blanche a rapidement approuvé le refus d’Israël de libérer les prisonniers palestiniens samedi. « Compte tenu du traitement barbare des otages par le Hamas, notamment le hideux défilé des cercueils des enfants Bibas dans les rues de Gaza, la décision d’Israël de retarder la libération des prisonniers est une réponse appropriée », a déclaré Brian Hughes, porte-parole du Conseil de sécurité nationale. Il a ajouté que Trump « est prêt à soutenir Israël, quelle que soit la ligne de conduite qu’il choisira à l’égard du Hamas ». Netanyahou a également affirmé être en possession d’une soi-disant lettre parallèle de Trump (et d’une autre de l’ancien président Joe Biden) garantissant à Israël qu’il pourrait reprendre une guerre à grande échelle contre Gaza si le cessez-le-feu était jugé intenable.
L’émissaire de Trump pour les négociations sur Gaza a toutefois présenté une vision plus nuancée de la situation. « Nous allons passer à la phase 2. Je suis très concentré sur cet objectif et je pense que cela va se produire », a déclaré dimanche Steve Witkoff, homme d’affaires milliardaire et envoyé spécial de Trump, ajoutant qu’il était convaincu que les négociations et le cessez-le-feu allaient se poursuivre.
Depuis la signature de l’accord, Netanyahou a répété à son cabinet qu’il considérait les trois phases de l’accord comme une seule et même phase, visant à libérer autant de prisonniers israéliens que possible tout en empêchant toute tentative d’imposer un retrait total d’Israël de Gaza ou un plan de reconstruction incluant les Palestiniens toujours présents dans l’enclave. Dimanche, Witkoff a reconnu : « Nous devons obtenir une prolongation de la phase 1. »
Selon l’accord signé entre Israël et le Hamas, les forces israéliennes sont censées entamer leur retrait total du corridor de Philadelphie, à la frontière entre Gaza et l’Égypte, à la fin de la première phase. Depuis des mois, Netanyahou affirme qu’Israël n’a aucune intention de respecter cet engagement, malgré l’accord. Les analystes israéliens estiment que Netanyahou rejettera l’application complète des termes de la phase 2 et maintiendra la situation dans une impasse par une série d’accords partiels visant à obtenir la libération de plus de captifs et de dépouilles israéliens. Trente-trois captifs israéliens et internationaux devaient être libérés dans le cadre de la première phase de l’accord. On estime actuellement que 61 Israéliens sont toujours détenus à Gaza, et la phase 2 prévoit leur libération en échange d’un cessez-le-feu permanent, du retrait israélien de Gaza et de la libération de milliers de Palestiniens.
En vertu de l’accord signé par Israël, environ 60 000 maisons mobiles et 200 000 tentes devaient être acheminées vers Gaza, accompagnées d’équipements lourds pour déblayer les décombres. Israël a presque totalement bloqué ces expéditions depuis le 19 janvier, ce qui illustre clairement la volonté de Netanyahou d’empêcher toute amélioration significative des conditions de vie des Palestiniens.
Au début de la semaine dernière, Khalil Al-Hayya, chef du Hamas à Gaza, a déclaré que le groupe était prêt à négocier un accord global pour la phase 2, qui inclurait le retour de tous les prisonniers israéliens détenus à Gaza « en un seul paquet », plutôt que par des libérations hebdomadaires échelonnées, comme cela a été le cas lors de la phase 1. En contrepartie, le Hamas et les autres groupes de résistance palestiniens exigeraient qu’Israël retire totalement ses forces de la bande de Gaza et que des médiateurs internationaux, y compris les États-Unis, certifient une trêve permanente.
Netanyahou ne veut d’aucun accord de ce type avec le Hamas et affirme que Trump « est en parfait accord avec nous sur tout ce qui concerne Gaza ». Cependant, le flot de messages contradictoires de Trump rend difficile l’évaluation de l’issue qu’il privilégie. À première vue, sa menace grandiloquente de s’emparer de Gaza, d’en déplacer la population et d’y construire des hôtels et des immeubles de bureaux sous propriété américaine apparaît comme une menace explicite de conquête impériale violente – peut-être destinée à faire pression sur l’Égypte, la Jordanie et d’autres nations arabes pour qu’elles proposent leurs propres plans.
L’analyste palestinien Abdaljawad Omar, professeur à l’université de Birzeit, estime qu’il s’agissait peut-être aussi d’un message adressé à Israël. « L’idée que les Américains prennent le contrôle de Gaza était en quelque sorte une réprimande adressée à Netanyahou sur l’estrade. Cela signifiait qu’il existe des tensions entre ces deux figures », m’a-t-il récemment confié. « Trump ne voulait pas accorder trop de crédit à Netanyahou. C’est pour cela qu’il a déclaré que c’est Washington qui prendrait le contrôle, et non Israël. » Toutefois, selon Abdaljawad Omar, Netanyahou a finalement accueilli favorablement la menace de prise de contrôle de Gaza par Trump, car elle renforce l’idée selon laquelle « la question palestinienne ne peut être résolue que par l’éradication totale de la présence physique des Palestiniens sur la terre de Palestine » – une idée à laquelle, si on se fie à leur histoire, les Palestiniens de Gaza ne se plieront pas.
Lors d’une interview accordée dimanche à CBS, lorsqu’on lui a demandé si Trump soutenait le droit des Palestiniens à retourner à Gaza après la reconstruction, Witkoff a répondu : « Je ne pense pas que quiconque ait un problème avec le retour des gens. Nous avons eu des discussions à ce sujet. Je pense simplement que la question essentielle aujourd’hui est de mener à bien la phase deux, puis d’élaborer un plan de reconstruction pour Gaza. » Il a toutefois affirmé que les estimations précédentes du temps nécessaire à la reconstruction de Gaza étaient bien inférieures aux évaluations actuelles. « Personne ne pourra vraiment vivre là-bas dans un environnement sûr avant probablement au moins 15 ans », a-t-il déclaré. « Il y a énormément de travail à accomplir : des tonnes de décombres, des obus d’artillerie partout qui peuvent exploser à tout moment. C’est un projet de longue haleine, et il n’est pas envisageable que des gens vivent là pour l’instant. »
L’Égypte a élaboré sa propre contre-proposition pour la reconstruction de Gaza, affirmant qu’elle ne nécessiterait pas de déplacement massif ou forcé des Palestiniens. Ce plan, qui doit être examiné lors d’un sommet de la Ligue arabe le 4 mars, prévoit un programme sur trois à cinq ans visant à établir des zones de sécurité pour reloger temporairement les habitants de Gaza dans des maisons mobiles et des abris, pendant que les décombres sont déblayés et que les travaux de reconstruction commencent, selon le journal public égyptien Al-Ahram. Le journal précise que ce plan a été conçu pour « réfuter la logique du président américain Trump » et « toute autre vision ou plan visant à modifier la structure géographique et démographique de la bande de Gaza ».
« La quantité de décombres à Gaza n’est pas aussi importante que les États-Unis et Israël le prétendent, et des entrepreneurs ont confirmé qu’une grande partie de ces débris peut être recyclée dans le processus de reconstruction », a récemment déclaré Rakha Hassan, ancien vice-ministre égyptien des Affaires étrangères. « Les hôpitaux peuvent être restaurés rapidement, en quelques mois, car une grande partie de leur structure extérieure est encore debout… La main-d’œuvre gazaouie sera essentielle au plan de reconstruction. La population de Gaza doit rester sur place pour assurer elle-même la reconstruction. »
Dans les semaines à venir, l’attention se portera sur le rôle que le Hamas jouera dans la reconstruction et la gouvernance de la bande de Gaza. Dans tous ses discours, Netanyahou répète qu’il poursuivra la guerre jusqu’à ce que le Hamas soit éliminé, que ses dirigeants soient contraints à l’exil et que son aile militaire soit désarmée. Lorsqu’on lui a demandé dimanche si cela signifiait que le Hamas ne pourrait pas participer au gouvernement ou devait se dissoudre entièrement, Witkoff a déclaré à CNN : « Je dirais qu’à ce stade, il est certain qu’ils ne peuvent pas faire partie d’un quelconque gouvernement à Gaza. Quant à leur existence, je laisse ce détail à [Netanyahou]. » Plus tard, sur CBS, il a affirmé que la deuxième phase de l’accord signé entre Israël et le Hamas prévoyait un « cessez-le-feu permanent, une cessation totale de la violence et, en outre, le fait que le Hamas ne pourra plus réintégrer le gouvernement. Et je pense que la façon de résoudre ce problème est simple : le Hamas doit partir. Ils doivent partir – et la négociation portera sur ce point – je dirais physiquement. »
Le Hamas a également déclaré publiquement qu’il renoncerait volontairement à gouverner la bande de Gaza. « Nous avons affirmé à maintes reprises, même avant le 7 octobre, que nous étions prêts à quitter immédiatement nos fonctions de gouvernement dans la bande de Gaza et à permettre l’établissement d’un gouvernement d’unité palestinienne, d’un gouvernement technocratique ou de toute autre solution décidée par les Palestiniens dans le cadre du consensus palestinien », a déclaré Naïm, un responsable du Hamas. Dans le même temps, le Hamas a clairement indiqué qu’il ne disparaîtrait pas en tant que mouvement politique ou groupe de résistance et qu’il ne désarmerait pas tant que l’occupation ne prendra pas fin et qu’un État palestinien ne sera pas établi.
« Nous poursuivrons notre lutte aux côtés de toutes les autres factions et de l’ensemble de notre peuple pour atteindre ces objectifs par tous les moyens, y compris politiques, diplomatiques et par la résistance armée », a affirmé Naïm. « Mais pour ce qui est de la gestion de la vie quotidienne des Palestiniens – la santé, l’éducation et les affaires sociales –, nous sommes prêts à nous en remettre à une solution fondée sur le consensus. » Des analystes palestiniens soulignent que le Hamas a exercé l’autorité gouvernementale à Gaza pendant deux décennies, et que l’exclure complètement de la gouvernance pourrait avoir des conséquences désastreuses dans plusieurs secteurs, notamment la sécurité et l’administration de base.
Le plan égyptien envisagerait un arrangement dans lequel l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, basée à Ramallah, autoriserait la création d’un comité indépendant de 15 Palestiniens chargé d’administrer temporairement Gaza et de superviser la reconstruction. Toutefois, selon certains rapports, dans ce scénario, ni l’Autorité palestinienne ni le Hamas ne joueraient de rôle officiel dans la gestion de la bande de Gaza. L’Autorité palestinienne, profondément impopulaire et largement perçue comme un agent de l’occupation israélienne, a maintenu qu’elle n’accepterait aucun plan concernant Gaza dans lequel elle ne serait pas impliquée. Israël, pour sa part, a déclaré qu’il n’accepterait aucun plan impliquant ni le Hamas ni l’Autorité palestinienne.
Witkoff a indiqué qu’il prévoyait de se rendre en Égypte, au Qatar, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis plus tard cette semaine, ce qui devrait permettre de clarifier les réflexions actuelles de la Maison-Blanche sur les alternatives parrainées par les pays arabes au projet de nettoyage ethnique de la « Riviera de Gaza » proposé par Trump. Il commencera son voyage dans la région par Israël, où il a déclaré vouloir obtenir la poursuite de l’accord sur Gaza. Mais, comme aime à le dire Witkoff, « le diable se cache dans les détails ».
Pour soutenir ce travail censuré en permanence, partagez cet article et abonnez-vous à notre Newsletter. Vous pouvez aussi faire un don et nous suivre au quotidien sur Twitter.
Source : Le Cri des Peuples
https://lecridespeuples.fr/…