José Marti, né en 1853, qui a suivi avec ferveur l’épopée de 1868, est lucide quant à la principale raison de l’échec de la première guerre d’indépendance : le manque d’unité patriotique.
© The Granger Collection / Roger-Viollet

Par Salim Lamrani

Le 29 janvier 1895, le héros national cubain signe l’ordre de soulèvement général contre l’Espagne et lance la bataille décisive pour la libération de sa patrie.

            Colonie espagnole depuis plus le XVe siècle, à la suite de la conquête de l’Amérique par Christophe Colomb, Cuba a toujours aspiré à conquérir son indépendance et à prendre les rênes de son destin. Au début du XIXe siècle, le peuple haïtien, guidé par l’exemple de Toussaint Louverture, brise les chaînes de l’esclavage et terrasse l’armée napoléonienne sur le champ de bataille, infligeant à la France sa première défaite coloniale et établissant, le 1er janvier 1804, la première république indépendante d’Amérique latine. Inspiré par cette grande victoire, l’ensemble du continent prend les armes contre l’Espagne pour conquérir, à son tour, la liberté.

            Seuls Cuba et Porto Rico restent sous domination espagnole, et la plus grande île de la Caraïbe suscite la convoitise des États-Unis en raison de sa position géostratégique au sein du Golfe du Mexique. Dès 1805, Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, évoque la nécessité d’annexer Cuba. En 1823, John Quincy Adams, alors secrétaire d’État et futur président, élabore la théorie du « fruit mûr », soulignant que, tôt ou tard, de gré ou de force, l’île finirait par intégrer l’Union étasunienne. D’ailleurs, lorsque la Colombie et le Mexique envisagent une expédition pour libérer Cuba dans les années 1820, ils se heurtent à l’hostilité résolue de Washington.

            En 1868, sous l’égide de Carlos Manuel de Céspedes, le peuple cubain, suivant l’exemple d’Haïti, proclame l’abolition de l’esclavage et prend les armes pour conquérir sa souveraineté. Pendant tout le conflit, qui dure une décennie, les États-Unis apportent leur soutien politique et militaire à l’Espagne et s’opposent fermement à toute idée d’émancipation pour l’île. Miné par les divisions internes au sein des forces indépendantistes, le mouvement du Dix-Octobreest contraint de signer, en 1878, le Pacte de Zanjón, un armistice qui n’accorde ni liberté ni souveraineté.

            José Marti, né en 1853, qui a suivi avec ferveur l’épopée de 1868, est lucide quant à la principale raison de l’échec de la Première guerre d’indépendance : le manque d’unité patriotique. En 1892, il décide alors de créer une structure fédératrice, le Parti Révolutionnaire Cubain, qui rassemble tous les Cubains de bonne volonté ayant à cœur le destin de la patrie, dans le but de préparer « la guerre nécessaire » contre le joug espagnol. Il sollicite l’aide Máximo Gomez, le général dominicain internationaliste et vétéran de la Guerre des Dix Ans, pour prendre la tête de l’Armée de libération : « Je n’ai d’autre rémunération à vous offrir que le plaisir du sacrifice et l’ingratitude probable des hommes. Je viens vous demander d’abandonner vos enfants et votre épouse pour aider Cuba à conquérir sa liberté, au péril de la mort ».

            Le 29 janvier 1895, Martí et Gómez signent l’ordre de soulèvement général contre l’Espagne et fixent la date de l’insurrection au 24 février. Trois expéditions armées prennent la mer pour rejoindre Cuba : José Martí depuis New York, Máximo Gomez depuis la République dominicaine et Antonio Maceo depuis le Costa Rica. Marti, homme d’idées, ne peut concevoir d’exiger le sacrifice ultime à son peuple sans prendre lui-même les armes. Il débarque dans l’île en avril 1895 en tant que Major Général de l’Armée de libération.

            Le 18 mai 1895, Marti rédige sa dernière lettre à son ami mexicain Manuel Mercado, dans laquelle il dénonce la volonté de domination de Washington. Il insiste sur la nécessité d’éviter « l’annexion de Cuba aux États-Unis ». Le lendemain, le 19 mai, Marti tombe au champ d’honneur à l’âge de 42 ans, lors d’un affrontement contre les troupes espagnoles à Dos Rios. Refusant de rester à l’arrière-garde, il se sépare de sa troupe et charge l’ennemi, qui lui inflige des blessures mortelles.

            Galvanisés par le sacrifice de leur leader moral, les patriotes cubains intensifient les combats et infligent défaite après défaite à l’armée ibérique. En 1898, après trois ans de lutte acharnée, l’Espagne est sur le point de capituler, et les patriotes cubains entrevoient enfin l’issue victorieuse de trois décennies de combats entamés en 1868. Mais, au moment où le triomphe apparaît à l’horizon, les États-Unis décident d’intervenir militairement à Cuba pour empêcher l’île d’accéder à sa légitime émancipation. Le Traité de paix de Paris est signé en 1898 entre Madrid et Washington, sans la présence des Cubains qui avaient pourtant versé leur sang pour conquérir leur liberté.

Après trois années d’occupation militaire, Washington impose à Cuba l’intégration de l’amendement Platt dans la nouvelle Constitution, verrouillant toute possibilité d’indépendance véritable. Cet amendement autorise le puissant voisin à intervenir militairement à tout moment dans l’île pour protéger ses intérêts et oblige les nouvelles autorités cubaines d’obtenir son autorisation avant de conclure tout accord avec une puissance étrangère. Cuba passe ainsi du statut de colonie espagnole à celui de protectorat des États-Unis, brisant ainsi le rêve de souveraineté.

Il faudra attendre le 1er janvier 1959, avec l’avènement de la Révolution cubaine menée par Fidel Castro, pour que le peuple cubain parvienne enfin conquérir une véritable indépendance.

Source : auteur
https://www.humanite.fr/…

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