Par Anis Balafrej*
https://www.madaniya.info/ consacre un dossier en deux volets aux deux monarchies ayant des responsabilités particulières envers la Palestine, le Maroc, dont le Roi préside le comité Al Qods, et l’Arabie saoudite, en sa qualité de gardien des Lieux Saints de l’Islam. Ces deux dossiers sont traités par les meilleurs spécialistes en la matière, chacun en son domaine.
Pour le Maroc par Anis Balafrej, membre éminent du militantisme marocain pro palestinien, et fils de Ahmed Balafrej, chef du parti Al Istiqlal, (L’indépendance), animateur du combat contre le protectorat français sur le Maroc
Pour l’Arabie saoudite par Madawi Al Rasheed, Petite-fille de Mohammad Ben Talal Al Rasheed, le dernier Émir de Haïl (Arabie saoudite), spécialiste mondialement reconnue des affaires de la Péninsule arabique, Madawi Al Rasheed est professeure d’anthropologie sociale au département de théologie et de sciences religieuses du King’s College de Londres depuis 1994.
Le Maroc dans la tempête arabe
Par Anis Balafrej, ingénieur, diplômé de l’École Centrale Paris, membre éminent du militantisme marocain pro palestinien, Anis Balafrej est le fils de Ahmed Balafrej, chef du parti Al Istiqlal, (L’indépendance), animateur du combat contre le protectorat français sur le Maroc.
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Il est clair, aujourd’hui, qu’en signant le « Pacte d’Avraham » en 2020, le Maroc s’est rangé du mauvais coté de l’Histoire, avec les colonisateurs sionistes génocidaires et leurs alliés, contre la justice et le Droit inaliénable du peuple Palestinien à l’indépendance.
Ce qui ne peut qu’affaiblir et desservir sa position concernant le Sahara, car on ne peut pas être pour le Droit qui justifie notre légitimité au Sahara et violer ce même Droit en Palestine.
Comment le Maroc, avant-gardiste dans l’émancipation des peuples africains contre la politique française d’assimilation et promoteur du Groupe d’Accra en 1958, qui aboutira a la Conférence de Casablanca en 1960, le Maroc présent à la réunion du groupe de Bandoeng en 1955, qui sera a l’origine du mouvement des non-alignés, le Maroc fervent défenseur de la Cause Palestinienne, qui, dès l’indépendance, en 1956, fit interdire les activités sionistes au Maroc dont celles de l’Agence juive et les départs de nos concitoyens juifs vers l’état hébreu, le Maroc qui a promulgué un texte de loi (1) pour déchoir de leur nationalité marocaine tout citoyen du Maroc qui s’enrôle dans l’armée sioniste, comment le Maroc en est arrivé à renier aujourd’hui les principes fondateurs de son indépendance que sont le non alignement et sa politique étrangère anticolonialiste et anti sioniste ?
Une évolution lente, commence dès 1960, au lendemain de la dislocation du Parti de l’Istiqlal, principal acteur de la politique anti colonialiste depuis 1944, et suivie par la mort précipitée de Mohamed V en Février 1961.
Force est de constater que les activités sionistes se sont redéployées au Maroc à la suite de ces deux évènements.
Le Mossad puis l’Agence juive ont repris pied suivis par les départs massifs et organisés des marocains de confession juive sous la supervision discrète des autorités marocaines.
Le Maroc a perdu ainsi près de 3% de sa population de 1961 à 1967, au profit de l’occupant de la Palestine, qui les a confinés près des frontières égyptienne, jordanienne et libanaise pour servir de chair à canon.
Cette décision du nouveau roi a une portée stratégique pour renforcer la jeune entité sioniste, à la recherche de ressources humaines juives, corvéables à merci.
Le nouveau règne commence donc sous la bénédiction sioniste, forte mais discrète.
Ce qui n’empêchera pas le roi d’afficher des positions pro palestiniennes et pro arabes, de réunir la Conférence islamique de Rabat en 1969, suite à la tentative d’incendie de la mosquée Al Aqsa, des Conférences arabes au sommet de Casablanca en 1965 et de Fès en 1982, reconnaissant l’OLP comme le représentant unique du peuple palestinien, d’envoyer des contingents des FAR en Egypte et en Syrie en 1973.
Le régime montrait une face en symbiose avec le peuple marocain fervent défenseur de la cause palestinienne, ce qui lui donnait toute la marge pour réprimer les militants de la cause palestinienne et du progrès social.
En sous main, les relations avec l’entité sioniste se développaient et concernaient la collaboration entre services secrets et l’échange d’informations sur l’opposition dont le fait saillant a été l’assassinat de Mehdi Ben Barka, en Octobre 1965.
Quel a été le résultat de cette collaboration discrète avec les services secrets israéliens ?
Deux tentatives de coup d’Etat militaire sont passées sous les radars du Mossad en 1971 et 1972.
La défaite arabe de Juin 1967 serait due aux informations importantes et stratégiques communiquées à l’ennemi par “la taupe” marocaine.
Plus généralement, la politique de paix prônée par le Maroc envers l’entité sioniste, les rencontres secrètes avec Shimon Pérés dès 1986 et avec d’autres dirigeants sionistes étaient fondées sur la vision royale de l’alliance entre “l’argent arabe du pétrole” et la “technologie israélienne” pour configurer le Moyen Orient et permettre à Israel de s’y intégrer.
Quid de la Palestine ?
Israël en a profité pour neutraliser deux pays arabes du front – l’Egypte et la Jordanie – qui ont signé avec lui des traités de paix et pour occuper le Liban en 1982, base arrière de la résistance palestinienne, qui fut contrainte de s’exiler en Tunisie, au Yémen et de former les premiers noyaux du Hezbollah au Liban.
Après l’échec d’Oslo, où les Palestiniens se sont contentés de 22% de leur pays pour y fonder un Etat, dans ce qu’on appelle la “solution à deux Etats”, il apparaît désormais complètement irréaliste d’envisager la paix avec les sionistes.
Tofane Al Aqsa, le 7 Octobre, a permis de préciser les enjeux :
Israël a dévoilé au monde son vrai visage, celui défini par les pères fondateurs, dont Ben Gourion, qui se disait socialiste : Coloniser toute la Palestine, chasser sa population arabe au-delà des frontières à défaut de l’exterminer, établir la “paix” avec les pays arabes, une paix de domination, car les visées sionistes ne s’arrêtent pas en Palestine.
Ce point de vue n’est pas seulement celui de l’extrême droite sioniste mais d’un large éventail de la classe politique.
La Knesset a voté dernièrement, droite et gauche confondues, à une large majorité, le refus de l’établissement d’un Etat Palestinien sur une partie de la Palestine.
Aux dirigeants arabes qui gavent leurs peuples d’illusions et de “solutions à deux Etats” et de “soutien au peuple Palestinien”, avec qui voulez-vous faire la paix ? Avec ceux qui colonisent toute la Palestine et veulent exterminer son peuple ou le chasser ?
Dans ce cas, la “paix” que vous signez est celle de Ben Gourion et Netanyahu.
Il faut l’annoncer clairement !
C’est malheureusement la voie dans laquelle s’est engagée le Maroc, en signant les “accords d’Avraham” et une alliance militaire avec l’ennemi sioniste.
En plein génocide à Gaza, les relations Marocco-“israéliennes” se poursuivent et le bureau de liaison sioniste à Rabat vient de rouvrir ce mois d’Aout.
Ceci aggrave considérablement la fracture entre le pouvoir et le peuple.
Contrairement à ce que propagent certains fonctionnaires zélés et des intellectuels rétribués, le peuple marocain est fondamentalement attaché aux valeurs de l’Islam et de l’arabité ainsi qu’au soutien indéfectible à la cause palestinienne.
Ce sont les dynasties amazighes qui ont islamisé et arabisé le Maroc. Sa population est principalement amazighe avec les apports arabes, africains sub sahariens, andalous formant un seul et même peuple, musulman, avec une minorité juive.
Ce peuple a défié le colonialisme et l’a mis en échec, lorsqu’il a voulu le diviser entre amazigh et arabe par le “ Dahir Berbère ” en 1930.
Aux yeux de la France, les amazighs ne sont pas de vrais musulmans ; ils peuvent donc être christianisés et soustrait du pouvoir juridique du sultan.
En propageant des idées ethnicistes et racistes, Israël prétend que le peuple marocain n’est pas arabe, que sa composante judéo-amazigh le prédispose à sortir de la sphère arabo-musulmane.
Les mêmes schémas ont conduit à l’éclatement du Soudan et à l’établissement d’une république kurde en Irak.
Le Maroc est à la croisée des chemins.
Quelle place veut-il avoir dans le monde de demain ?
Veut-il rester sous l’hégémonie américano-israélienne quitte à perdre son indépendance et à voir sa marge de manœuvre politique et économique rétrécir comme une peau de chagrin ?
Donc à devoir affronter une large résistance populaire inéluctable pour combattre les inégalités sociales, l’arbitraire, la corruption, l’absence de démocratie et la nouvelle colonisation sioniste rampante.
Ou veut-il sauvegarder son indépendance et une certaine marge de manœuvre qui lui permette de mieux défendre ses intérêts dans un monde multipolaire où l’hégémonie américaine est en plein déclin ?
Ce choix courageux nécessité de renforcer le front intérieur par une politique sociale avancée et l’instauration des libertés, la séparation des pouvoirs et l’instauration d’une justice indépendante.
Ce sont les réformes que Mohamed V et le Parti de l’Istiqlal s’étaient engagés à mener dès l’avènement de l’indépendance en 1956 et qui sont restées lettre morte.
Avec ces réformes, le plan d’autonomie interne du Sahara devient crédible, facilement applicable et scellera définitivement son statut en même temps qu’il marquera le début d’une ère de progrès et d’unité du Maghreb.
Tout concourt à ce dernier choix. Les grands bouleversements mondiaux actuels, la montée en puissance de la Chine, bientôt première économie mondiale, entraînant les pays du BRICS, et la création d’une banque d’investissement et de développement qui en dépend, la dé-dollarisation des échanges commerciaux, l’échec de l’OTAN en Ukraine face à la Russie, l’impasse d’Israël et des Etats Unis face à la résistance palestinienne et libanaise, qui constitue, en fait, une défaite stratégique de leur politique au Moyen Orient, tout cela doit être pris en compte pour réévaluer la stratégie du Maroc et la focaliser sur les intérêts supérieurs du Maroc et de la Cause arabe et à changer de cap pour répondre positivement aux appels et aux cris de larges mouvances du peuple marocain.
(1) Dahir 1-58-250
Illustration
© MAP
Anis Balafrej
Ingénieur, diplômé de l’École Centrale Paris, membre éminent du militantisme marocain pro palestinien, Anis Balafrej est le fils de Ahmed Balafrej, chef du parti Al Istiqlal, (L’indépendance), animateur du combat contre le protectorat français sur le Maroc.
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