Crédit photo © The Cradle

Par le correspondant de The Cradle

Ce procès ne marquera peut-être pas un nouveau chapitre de l’héritage controversé de Netanyahu. Mais les fractures du pays risquent d’être plus longues à guérir que le temps qu’il passera à la barre.

Par le correspondant de The Cradle (11 décembre 2024)*

Le procès pour corruption de Benjamin Netanyahu se déroule sur fond d’allégations de corruption et de fraude, d’accusations internationales de crimes de guerre, de scandales internes et d’une condamnation mondiale croissante, alors qu’il continue d’alimenter des guerres dévastatrices dont on ne voit pas la fin.

L’entrée du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans la salle d’audience du tribunal de Tel Aviv hier a été tout sauf discrète. Le premier Premier ministre en exercice à être poursuivi pour corruption, Benjamin Netanyahu a profité de l’occasion pour qualifier son procès de chasse aux sorcières. À l’extérieur du palais de justice, la tension était à son comble : une centaine de manifestants se sont rassemblés, lui reprochant la mort des otages détenus à Gaza, tandis que ses fidèles soutiens, tout aussi nombreux, leur faisaient face de l’autre côté d’un barrage de police.

Le Premier ministre en difficulté, qui doit témoigner sur trois jours avant d’être confronté à un contre-interrogatoire, continue de nier énergiquement avoir tenté de se soustraire à son procès depuis son inculpation en 2019 pour des accusations de corruption, de fraude et d’abus de confiance.

Accusé d’avoir accepté des cadeaux de riches hommes d’affaires et d’avoir accordé des faveurs à des magnats des médias en échange d’une couverture positive, M. Netanyahu avait alors ignoré le conseil de son avocat de s’éloigner de la politique.

Déclarant à la veille de son audience qu’il “attend ce moment depuis huit ans pour dire la vérité selon ses souvenirs”, M. Netanyahu a lancé une attaque préventive contre le système judiciaire, la police et les médias lors d’une conférence de presse télévisée lundi.

Des années de stratagèmes politiques pour échapper à la justice

Ses détracteurs n’ont toutefois pas tardé à répliquer. Le chef de l’opposition, Yair Lapid, a condamné la focalisation égocentrique de M. Netanyahu sur le nombre croissant de victimes de la guerre, qualifiant sa conférence de presse de “honteuse compilation de mensonges”. M. Lapid a accusé M. Netanyahu d’avoir déployé “tous les stratagèmes possibles” dans ses manœuvres dilatoires pour éviter de faire face à la justice, affirmant que le Premier ministre a privilégié sa survie personnelle au détriment de la sécurité et de la stabilité du pays. Il l’a même rendu responsable de l’opération “Al-Aqsa Flood” de la Résistance palestinienne du 7 octobre, de “la guerre [qui s’en est suivie] et de la non libération des victimes de l’enlèvement”.

Pendant près de cinq ans, Netanyahu a manœuvré pour reporter cette échéance judiciaire, invoquant les perturbations du covid-19, les retards de procédure et l’impasse politique lors d’élections à répétition pour justifier le report des audiences. Après avoir formé une coalition radicale en décembre 2022, il a intensifié ses initiatives visant à saper et à politiser le système judiciaire, en proposant des “réformes” qui ont déclenché des manifestations de masse tout au long de l’année 2023.

Ces contestations n’ont reculé qu’après l’opération “Al-Aqsa Flood”, lorsque la riposte de Netanyahu – une offensive militaire brutale sans précédent – a suscité, à juste titre, des accusations de génocide et de crimes de guerre de la part de la Cour pénale internationale (CPI). Lorsqu’il est entré dans la salle d’audience souterraine et sécurisée, le Premier ministre était sous une pression croissante, tant en Israël qu’à l’étranger.

Il fait face, avec son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, à des allégations de crimes de guerre – les premières du genre au sein de l’alliance des États occidentaux – ainsi qu’aux répercussions de l’effondrement économique et du “déplacement” massif de colons du nord du pays en raison de l’implication précoce du Hezbollah dans le conflit régional.

Mais la pression intérieure et internationale s’est tellement intensifiée que M. Netanyahu s’est trouvé à court de prétextes au moment d’assister à l’audience d’hier pour donner sa version des faits à Tel-Aviv.

Le Premier ministre israélien est entré dans la salle d’audience sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre à Gaza, et avec un large consensus international sur la culpabilité d’Israël sur l’état d’apartheid et le génocide ayant entraîné la mort de près de 45 000 Palestiniens, dont une majorité de femmes et d’enfants.

Pourtant, ce qui préoccupe davantage les Israéliens, c’est la fuite de près d’un demi-million de Juifs israéliens de l’État d’occupation, le déplacement potentiellement permanent d’un quart de million de personnes de la bande de Gaza et de la frontière libanaise depuis octobre 2023, des dizaines de milliards de dollars de difficultés économiques, et la faillite de quelque 60 000 entreprises en 15 mois de guerre.

Scandales internes et “Bibi Files”

La crédibilité de Netanyahu s’est trouvée encore plus compromise par un récent scandale de sécurité impliquant son assistant, Eli Feldstein, qui a divulgué – ou fabriqué – un document confidentiel des services du renseignement au journal allemand Bild et au Jewish Chronicle du Royaume-Uni.

L’objectif était apparemment de faire croire au public que Yahya Sinwar, le dernier commandant du Hamas, avait l’intention de faire sortir clandestinement les otages israéliens de la bande de Gaza – une information que Netanyahu aurait ensuite utilisée pour convaincre les Israéliens que si leur armée ne reste pas cantonnée dans le couloir Philadelphie, le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte, les otages pourraient se retrouver dans le Sinaï ou “réapparaître en Iran ou au Yémen”.

Lorsque les autorités israéliennes ont arrêté Feldstein et quatre autres personnes dans le cadre de ces fuites le mois dernier, M. Lapid a accusé le bureau du Premier ministre d’avoir divulgué

“des documents secrets falsifiés pour torpiller la possibilité d’un accord sur les otages – et façonner une opération d’influence de l’opinion publique contre les familles des otages”.

Les médias israéliens ont rapporté le 3 décembre que Feldstein a déclaré à la police qu’il a informé Netanyahu de l’existence du document deux jours avant qu’il ne le divulgue à Bild. L’avocat de Feldstein, Oded Savoray, est allé encore plus loin, affirmant que Netanyahu avait connaissance de l’existence des deux documents et du projet de les divulguer.

M. Savoray a accusé le Premier ministre de “se soustraire à la responsabilité d’un incident qu’il a lui-même initié”, et a déclaré que M. Feldstein ne se tairait plus au sujet de ce scandale qui fait boule de neige. L’avocat a déclaré à la radio-télévision israélienne (KAN) qu’“à un certain stade de l’enquête, il [Feldstein] a décidé de ne plus porter le chapeau pour le Premier ministre et ses services”.

Pour ajouter aux déboires de Netanyahu, le documentaire interdit The Bibi Files sera présenté en avant-première lors de son procès, exposant des séquences d’interrogatoire brutes de 2019, des comptes rendus accablants de son leadership autoritaire, et l’influence corrosive de sa femme Sara et de leur fils Yair sur les prises de décision du Premier ministre.

La survie personnelle au détriment de la stabilité de l’État

La réalisatrice du film, Alexis Bloom, a indiqué à plusieurs reprises que les politiques de Netanyahu – le Premier ministre israélien resté le plus longtemps en poste dans la courte histoire de l’État – sont motivées par des intérêts personnels et

“sa détermination à échapper aux poursuites et aux procès pour corruption qui pourraient entraîner une peine d’emprisonnement”, ajoutant que “cela pourrait expliquer bon nombre de ses décisions politiques, de ses manœuvres et de ses guerres”.

Faisant écho aux critiques de ses opposants, elle a reconnu que la coalition qu’il dirige et “la motivation première de la gouvernance sont la protection des intérêts personnels de Netanyahu”, notamment la poursuite et la généralisation de la guerre de Gaza sur de multiples fronts “pour sa propre survie politique”.

Le film inclut des témoignages d’éminents politiciens israéliens, de journalistes et d’amis proches qui décrivent Netanyahu comme étant “un artisan du chaos” et précisent qu’il “survit en état de guerre, en état d’instabilité”. L’ancien Premier ministre Ehud Olmert, qui a lui-même démissionné avant d’être poursuivi par la justice israélienne, apparaît dans le documentaire pour dire qu’en résistant aux conseils de son avocat qui lui conseillait de démissionner, Netanyahu “a défié le système”. Il a déclaré : “Non, je suis au-dessus de tout cela, bien au-delà ! Personne ne peut m’atteindre”. Ce faisant, Netanyahu a conçu et mis en place le gouvernement le plus ancré à l’extrême droite et le plus raciste de toute l’existence d’Israël – dans le seul but de s’accrocher au pouvoir.

Alors que Netanyahu fait face à ses démêlés judiciaires, The Bibi Files dresse le portrait sans concession d’un dirigeant accusé d’avoir privilégié sa survie personnelle au détriment de l’avenir de l’État.

Il n’est pas certain que ce procès marque un tournant pour Israël ou qu’il marque un nouveau chapitre de l’héritage controversé de Netanyahu. Toutefois, il est évident que les fractures politiques et sociales engendrées par Netanyahou risquent d’être bien plus longues à guérir que le temps qu’il passera à la barre.

*Source : The Cradle

Traduction: Spirit Of Free Speech

Source : France-Irak Actualité
https://www.france-irak-actualite.com/…