Par Jacques-Marie BOURGET
Debout devant Belmondo qui meurt, l’anglophone Jean Seberg pose une question : « Qu’est ce que c’est « dégueulasse ? »… Dégueulasse ? C’est parfois un article du quotidien Le Monde. Surtout quand son sujet porte sur le sort du plus vieux prisonnier politique de la terre, Georges Ibrahim Abdallah. Papier qui nous laisse à bout de souffle.
Dans les quinze prochains jours ce bagnard enchainé au boulet du temps doit savoir s’il pourra respirer un air libre. Ou non. Le 7 octobre à Lannemezan où il est enfermé, le révolté, marxiste libanais de 73 ans, doit comparaitre devant un trio de « juges des libertés ». Ils détiennent la clé du futur. Il faut garder en tête que cet homme, Abdallah, si l’on applique le droit et rien d’autre, est libérable depuis 1999. Vous avez bien compris, en France un Guantanamo existe : on peut maintenir en cellule un détenu qui devrait être libre depuis 25 ans. Mais cette rétention inhumaine, qui fait honte à ce qui reste de France, n’indigne pas les apôtres du convenable, comme ceux du Monde. Au lieu de publier un article clair et sec, plaidant pour que cesse l’injustice, le journal du soir sans espoir, nous débite une saga molle. Qui entend conter l’aventure de GIA sans la plume de Zola mais avec le logiciel de Bouvard et Pécuchet. Pour résumer, il faut donc comprendre : « on vous livre une histoire de terroriste, mais on s’en fout. »
Un exemple. Si vous avez un sujet à rédiger sur Albert Dreyfus, votre témoin de base, votre fil rouge, ne va pas être Hubert-Joseph Henry, l’accusateur en chef de l’officier innocent ! La mémoire crédible vous la cherchez ailleurs. Mais au Monde on ne fait pas comme-ça, le journal trouve bien plus sûr de bâtir son histoire sur la parole d’un homme qui en a trop, Louis Caprioli. Un ancien flic de la DST, un prudent qui regarde sous son lit avant de se coucher, certain que peut se cacher-là un « terroriste ». Donc, pas de gigot sans ail et pas de procès, pas d’articles sur le terrorisme, sans le bavardage de Caprioli. Pourtant, quand la presse embrasse la police, ce n’est pas la lumière qui tombe mais la nuit qui arrive.
Nous autres, tentons donc d’éclairer un peu les coulisses dégueulasses de l’affaire Abdallah, autant de choses que le bavard poulet de la DST ne dira jamais. Ainsi Le Monde laisse dire à Caprioli qu’Abdallah est coupable parce que dans l’un de ses appartements « on a retrouvé l’arme ayant été utilisée pour tuer un officier américain (CIA) et un autre israélien (Mossad) ». Affaire entendue ! Non puisque la vérité nous oblige à rapporter l’authentique plutôt que les postillons. La planque d’Abdallah est bien réelle, elle avait déjà été visitée par la police avant ce nouveau coup de peigne de la DST. C’est juste, on découvre une valise et l’arme des crimes à l’intérieur. Mais aussi une bouteille de « Corrector », un petit liquide blanc qui servait de gomme à l’ère de la machine à taper. Et sur le petit flacon les experts détectent une empreinte d’Abdallah. Le révolutionnaire est ficelé. Non pourtant puisque ce qu’oublie Caprioli, c’est que dans la valise miraculeuse, on trouve aussi un quotidien daté d’un temps où Abdallah est déjà en prison. Que les amateurs d’énigme du genre Netflix nous expliquent : comment GIA peut oublier un journal dans une mallette alors qu’il est, lui, enfermé dans une cellule ? Caprioli a oublié de signaler au Monde que le libanais était Houdini.
Les idiots utiles du grand journal enfilent ainsi quelques autres perles de l’ancien as de la DST. Qui dit sans rougir, que les FARL (c’est-à-dire le groupe d’Abdallah) sont « responsables de la mort de deux artificiers », chargés de désamorcer une bombe au cœur de Paris. Autrement dit en langue DST, Abdallah est aussi coupable de ce double crime. Ici nous sommes au marché de gros, de gros mensonges. Les deux démineurs sont morts en aout 82, deux ans avant l’apparition de GIA. Et la seule trace trouvée au cours de l’enquête désigne Action Directe. Et Abdallah n’a pas été poursuivi. Dommage, le portrait du « tueur » aurait été plus que parfait.
Cette note de lecture d’un article du Monde nous oblige, hélas, à faire part à nos affligés lecteurs d’un mensonge de plus. Les journalistes du quotidien oublient de rapporter le rôle -vraiment « dégueulasse »- joué par leur canard dans la condamnation d’Abdallah. Tentons de faire simple. Alors que le révolutionnaire libanais est enfermé à la Santé, entre 85 et 86, Paris explose sous les bombes « terroristes ». Immédiatement des investigateurs du calibre Caprioli montrent du doigt les amis d’Abdallah. Qui entendent, par un chantage aux morts, faire libérer leur patron. Pasqua, le si délicat ministre de l’Intérieur, est convaincu de cette vérité et Edwy Plenel, as des as de l’investigation au Monde, aussi. On peut bien cogner sur Abdallah puisqu’il n’est ni Frère Musulman ni trotskiste, ce n’est donc pas un ami. Et Le Monde sort ses caractères Gross Bertha pour affliger les Fraction Armées Révolutionnaires Libanaises, autrement dit GIA.
Pendant que le journal mouline sa titraille Caprioli, accompagné de quelques flics et du juge Marsaud, s’en vont à la prison pour faire avouer à GIA qu’il est bien le chef d’orchestre clandestin de ces tueries. Face aux revolvers P38, le marxiste, chrétien du Liban, est prié d’avouer des crimes dont il ne connait rien. Puisqu’ils sont commis par une faction actionnée par l’Iran. Pourtant, lors de sa condamnation par une juridiction d’exception, une cour « Spécialement composée », le poids des accusations du Monde, et de Pasqua, vont peser dans le sens de la perpétuité. Pas honteux du tout, les investigateurs du quotidien de référence détournent aujourd’hui les flèches de la vérité pour mettre la honte au Nouvel Observateur. A propos de GIA l’hebdo a eu alors le malheur de titrer : « L’homme qui a fait trembler les Français »… Le Monde devrait s’excuser, et engager des journalistes qui ne prennent pas les balivernes policières pour de l’or.
Pour terminer sur une anecdote en forme de boomerang, rappelons-nous le contenu d’une note révélée par Wikileaks. Il s’agit d’un télégramme envoyé le 9 mais 2005 par l’ambassade des EU à Paris à ses patrons de Washington. Le câble traite du cas de Djamel Beghal, un franco-algérien soupçonné de terrorisme, et de ses amis. Le texte est le suivant « Ricard dit que les preuves ne seraient pas suffisantes normalement pour les condamner, mais il estime que ses services ont réussi grâce à leur réputation ». Pas mal l’indépendance de la justice, voilà un magistrat, Jean-François Ricard, aujourd’hui patron du pôle antiterroriste, qui s’en va faire le paon chez les Étasuniens pour leur dire qu’il a obtenu une condamnation « grâce à la réputation » de son équipe. Terrible justice, terrible police, terrible journalisme. Malheureux Abdallah.
Article original publié sur le site Afrique Asie.
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Source : Le Grand Soir
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