Réfugiés du camp pour personnes déplacées à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 11 juillet 2024.
© Eyad BABA / AFP

Par Ziad Medoukh

Ziad Medoukh, universitaire et poète gazaoui, nous a fait parvenir ce texte douloureux où il dénonce la situation des Palestiniens sous les bombes israéliennes depuis dix mois et l’impuissance de la communauté internationale à faire cesser le massacre. Il évoque les jeunes de Gaza, leurs questions sans réponse sur une vie qui se déroule à l’ombre de la mort imminente.

À Gaza : deux choix uniquement, mourir ou subir.

Pourquoi tout cela ?

Quand cette agression horrible prendra fin ?

Est-ce que le reste du monde entend nos cris de souffrance ?

Et mon avenir comme jeune étudiante ?

Est-ce que nous pourrons de nouveau reconstruire notre maison détruite ?

Quand pourrai-je reprendre les cours ?

Est-ce que j’ai le droit à une vie normale ?

Jusqu’à quand on va se déplacer d’un quartier à un autre ?

Pourquoi il n’y a rien sur les marchés ?

Est-ce que je peux consulter mon médecin et mon dentiste ?

Quand vais-je prendre ma douche tous les jours et pas seulement une fois par semaine ?

Pourquoi ne reste-t-il aucun hôpital à Gaza ?

Quand va-t-on manger à notre faim ?

Pourquoi rien ne bouge et rien ne change pour nous ?

Quand va-t-on prendre trois repas par jour et pas seulement un modeste repas ?

16 000 enfants palestiniens assassinés en dix mois ce n’est pas un crime ?

Comment les nombreux déplacés vivent-ils dans les tentes et les centres d’accueil dans cette chaleur épouvantable sans ventilateurs et sans électricité ?

Jusqu’à quand notre souffrance sous les bombes ?

Cent trente mille victimes palestiniennes, mortes et blessés, ne suffisent pas pour cette occupation aveugle ?

Ce sont des questions posées par les enfants et les jeunes à leurs parents. Je les entends souvent lors de mon séjour provisoire chez mes proches et cousins dans les maisons qui m’accueillent après la destruction de ma maison début décembre 2023.

Ces questions ont été de nouveau posées en ce début juillet 2024 alors que je me trouve à l’ouest de la ville de Gaza après l’évacuation forcée de la population quand les chars de l’armée d’occupation ont encerclé les quartiers est, centre et sud de la ville de Gaza en ordonnant aux habitants de se rendre au centre de la bande de Gaza. Mais les 400 000 restants se sont dirigés vers l’ouest de la ville même si dans toute la bande de Gaza aucun lieu n’est sécurisé.

« Notre malheur dépasse l’imaginable. »

Le problème est que les parents ne trouvent jamais des réponses à ces questions légitimes, des parents qui sont débordés et épuisés par l’horreur de cette agression horrible et qui essaient d’écarter toute demande de leurs enfants même très simple car après dix mois de cette offensive militaire terrible avec un bilan très lourd et qui ne cesse de s’alourdir jour après jour, la situation est de pire en pire pour tous les habitants.

Des parents qui n’ont plus d’argent ni revenus pour acheter quelques denrées alimentaires ou des vêtements étant donné le chômage, la destruction de toutes les infrastructures civiles et le manque de tout. Les Palestiniens de la bande de Gaza continuent de souffrir, de subir et de supporter l’insupportable dans une région détruite et occupée totalement. Ici, tout le monde est très triste, ni sourire ni rire, seulement du chagrin et de la douleur. Notre malheur dépasse l’imaginable.

Il est difficile pour moi citoyen palestinien de Gaza de décrire en deux ou trois pages cette situation catastrophique à tous les niveaux avec une crise sanitaire et humanitaire sans précédent qui persiste, car je n’ai pas le moral pour continuer à écrire et à raconter l’horreur absolue vécue par toute une population civile bouleversée et traumatisée. Je passe mon temps à trouver un refuge quand les chars et les blindés arrivent dans le quartier où j’habitais provisoirement.

« À chaque lever du jour, on s’interroge : est-ce qu’on va rester en vie jusqu’au soir vu l’ampleur de ce carnage terrible ? »

Même si témoigner de notre désastre me soulage un peu dans ce contexte particulier. Mais je vais essayer le plus succinctement possible de narrer une partie de mon vécu pendant des mois qui se répètent sans aucun changement.

D’abord, accepter cette situation injuste et s’adapter avec ce contexte tragique est un véritable acte de résistance de la part de la population civile. À Gaza, nous avons le choix uniquement entre mourir sous les bombes de l’occupation ou subir et souffrir dans des conditions inacceptables et inimaginables. Je ne vous cache pas que je me demande toujours, ainsi que tous les Palestiniens de Gaza, quel peuple nous sommes pour supporter cette situation inadmissible et cette souffrance qui dure et qui dure, et je me pose souvent les mêmes questions innocentes entendues par tous les habitants horrifiés.

Nous vivons des journées terribles sous les bombes sans eau, sans nourriture, sans médicaments et sans sécurité. Et à chaque lever du jour, on s’interroge : est-ce qu’on va rester en vie jusqu’au soir vu l’ampleur de ce carnage terrible ? Notre quotidien est très difficile, marqué par la souffrance, l’inquiétude, la peur et l’attente. On ne vit pas une vie normale, on survit dans des conditions inhumaines.

« Nous n’avons aucune garantie de trouver ce qui est nécessaire à notre survie. »

Toute la journée est consacrée à chercher de l’eau, puis de la nourriture si on trouve de quoi manger, après du bois pour cuisiner, et finalement trouver un endroit qui possède des panneaux solaires pour recharger nos portables et lampes, et quelques fois si on tombe malade aller aux quelques cliniques et centres médicaux – tous les hôpitaux de Gaza sont maintenant hors-service, ils sont détruits totalement ou partiellement – ils ne possèdent rien, ni laboratoires ni matériel médical, seulement des médicaments périmés. Et souvent on passe notre temps à chercher un endroit sécurisé quand notre quartier est encerclé.

Le soir, on est obligé de rentrer avant 19 heures pour rester en famille suivre via les chaînes de radio du téléphone portable les dernières nouvelles de cette agression et des négociations de cessez-le-feu, même si tout le monde est fatigué et dégoûté car rien n’avance. Oui, nous n’avons aucune garantie de trouver ce qui est nécessaire à notre survie, car il n’y a rien et les aides humanitaires internationales n’entrent pas dans la ville de Gaza et dans le nord en particulier.

Et si on a la chance de trouver quelques denrées alimentaires, leur prix est multiplié par dix, quinze ou vingt, imaginez-vous, un kilo de sucre vaut 30 euros, et un kilo de riz coûte 25 euros, ce n’est jamais arrivé à Gaza ! Une vraie famine sévit dans le nord qui a fait jusqu’à présent 65 victimes, des enfants et des personnes âgées. Sans oublier les maladies infectieuses à cause de l’eau contaminée.

Un communiqué de l’Organisation Mondiale de la Santé – OMS – publié le vendredi 28 juin 2024, montre que les services sanitaires ont détecté plus d’un million de cas de maladies infectieuses dans la bande de Gaza, en particulier les hépatites, et ils craignent la propagation du choléra en raison de l’eau contaminée. J’ai de la peine pour les enfants et les jeunes, les pauvres n’ont rien actuellement ni écoles, ni universités, ni stades, ni lieux de loisirs, ni cafés, ni restaurants. Ils n’ont ni avenir et ni perspectives. Ils ne vivent pas leur enfance et leur jeunesse, ils passent leur temps à aider les parents et les proches dans des tâches quotidiennes très dures.

« La mort peut frapper toute personne à n’importe quel moment et dans n’importe quel endroit. »

Ces enfants et ces jeunes malheureux ont perdu leur année scolaire et universitaire et ils ne savent pas quand ils vont reprendre leurs cours, surtout que l’occupation a détruit totalement 227 écoles et 13 universités dans la bande de Gaza. Ces enfants ne peuvent pas jouer devant leurs immeubles détruits et les jeunes ne peuvent pas rester ensemble discuter devant leurs bâtiments dévastés à cause des déchets et des poubelles dans les rues que les services municipaux ne peuvent pas ramasser par manque de moyens.

Plusieurs sentiments habitent les habitants ici : la colère, la peur, l’inquiétude, l’angoisse, mais les quatre sentiments qui dominent sont :

L’impuissance, personne ne pourra empêcher le nombre considérable de nos morts et blessés ni la destruction massive partout dans les quartiers de Gaza, tout le monde est impuissant.

L’insécurité, la mort peut frapper toute personne à n’importe quel moment et dans n’importe quel endroit, avec les bombardements des avions militaires et des chars qui sont arrivés dans toutes les villes de la bande de Gaza, oui personne n’est à l’abri, tu peux être tué ou blessé par ces bombardements intensifs jour et nuit soit chez toi soit dans les rues ou sur les marchés, même dans les hôpitaux et les cimetières.

L’indifférence, malheureusement, la mort est devenue une banalité pour les habitants ici, ça dure depuis dix mois avec le nombre considérable de morts et de blessés, quand l’armée de l’occupation assassine des centaines de civils par jour et commet des massacres comme le massacre de Rafah fin mai dernier quand elle a attaqué les tentes des déplacés et a assassiné 70 personnes ou quand elle a commis un massacre dans le camp de Nussirat début juin pour libérer quatre otages et a assassiné 275 Palestiniens, ou encore quand l’est de la ville de Gaza a été la cible des incursions militaires debout juillet 2024 qui ont fait 120 morts ; les gens ici ont accepté cette réalité sans trop agir car ils voient et entendent parler tous les jours de dizaines de crimes autour d’eux.

La nostalgie, les citoyens font toujours une comparaison entre la vie à Gaza avant le 7 octobre 2023, et la vie à Gaza actuellement et ils regrettent le temps d’avant l’agression. Oui, Gaza était une ville vivante, c’est vrai il y avait le blocus et beaucoup de produits et du matériel manquaient, mais, au moins, il y avait une vie, des écoles, des universités, des marchés, des restaurants et une population dynamique pleine d’énergie et d’espérance.

« Le seul élément qui nous réchauffe nos cœurs brisés est le soutien indéfectible de ces solidaires de bonne volonté partout dans le monde. »

Ce qui aggrave notre souffrance c’est ce silence complice du monde officiel, la chape de silence que les médias entretiennent, et l’indifférence totale des organisations des droits de l’homme qui n’arrivent pas à condamner cette ignominie. Oui, il y a eu ces derniers mois des décisions courageuses de quelques instances internationales pour réclamer justice et arrêt des massacres, mais le plus important pour nous c’est le concret et l’application sur le terrain de ces décisions par un gouvernement d’extrême droite qui se comporte comme un État hors la loi.

C’est vrai, notre volonté remarquable et notre patience extraordinaire, mais surtout notre adaptation avec ce contexte très difficile est un aspect très positif qui nous aide à supporter cette souffrance. Mais notre situation est de plus en plus délicate dans une région occultée et laissée à son sort par une communauté internationale officielle sourde à nos souffrances !

Le seul élément qui nous réchauffe nos cœurs brisés est le soutien indéfectible de ces solidaires de bonne volonté partout dans le monde notamment le soulèvement des jeunes étudiants dans les universités américaines et européennes qui réclament un cessez-le-feu immédiat et une application du droit international. Cette mobilisation citoyenne internationale calme notre colère immense.

Tout est paralysé à Gaza, tout est détruit. Le problème dans ce contexte : vous ne pouvez rien faire devant cette injustice, nous n’avons pas d’autre choix que de supporter et de résister en attendant un changement. Le sentiment de l’enfermement et de l’isolement est un sentiment terrible ! Et les Palestiniens de Gaza sont les mieux placés pour le ressentir, eux les enfermaient dans leur prison à ciel ouvert depuis plusieurs années. Les Palestiniens de Gaza sont privés de liberté sauf de leur liberté de penser. Leur seul droit est de respirer l’air souvent pollué par l’odeur des bombes.

Gaza continue de subir

Les Palestiniens de Gaza continuent de souffrir

Ils attendent toujours

Ils attendent une solution

Ils attendent sans fin

Ils attendent l’inconnu

Ils attendent leur sort

Mais ils n’ont pas d’autre choix que d’attendre et d’attendre encore !

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Source : auteur
https://www.humanite.fr/…

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