Revue de presse
Pour rappel, le 28 juin dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan déclarait son souhait de renouveler ses rencontres amicales avec le président Bachar al-Assad comme par le passé, en dépit du fait que, dès 2011, il a été le fer de lance de la destruction de la Syrie et le complice extrêmement efficace de la coalition otano-arabo-sioniste [1].
Depuis, le président turc a tenté de mâter ceux qui se sont violemment opposés à son désir d’ouverture sur la Syrie de quelques bords qu’ils soient, déplacés syriens égarés ou terroristes et mercenaires armés dans le nord de la Syrie, tout comme il a tenté de calmer les comportements racistes qui ont explosé contre les réfugiés syriens en Turquie.
Le 7 juillet, il a renouvelé son souhait d’une rencontre avec le président syrien à bord de l’avion qui le ramenait de Berlin où il a assisté au match perdu de son équipe nationale à l’Euro-2024 de football. D’après Al-Mayadeen [2], l’essentiel de ce deuxième message se résume à dire qu’il était prêt « à tout moment à inviter son voisin Bachar al-Assad à Ankara », en arguant que le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre irakien Mouhammad al-Soudani oeuvraient pour cette rencontre « en Turquie ». Il a ajouté : « Dès que Bachar al-Assad fera un pas vers de meilleures relations avec la Turquie, nous initierons une réponse appropriée… Israël doit abandonner ses intentions de semer les conflits dans la région et les États occidentaux, notamment les États-Unis, doivent cesser de soutenir Israël à cet effet ».
Le 8 juillet, le quotidien syrien Al-Watan titrait : « Arrivée à Idleb du cadavre de l’un des mercenaires syriens d’Ankara en provenance du Niger » [3]. 550 mercenaires syriens dupés, puisés par Erdogan au sein des milices armées à sa solde [qu’il a eu le toupet de nommer « armée nationale syrienne »], puis expédiés depuis avril 2024 en deux lots successifs au Niger pour combattre dans ses propres intérêts, comme tant d’autres expédiés auparavant en Libye et en Azerbaïdjan.
Dans ces conditions, il est difficile de ne pas comprendre le silence des autorités syriennes ; le président syrien, conscient du rôle premier de la géographie de son pays, ayant déclaré une fois pour toutes son ouverture à toutes les initiatives liées aux relations entre la Syrie et la Turquie, mais que « la condition fondamentale de tout dialogue syro-turc est la déclaration par Ankara de sa volonté de se retirer de tout le territoire syrien et de mettre fin à ses activités terroristes ».
Mais, comme chacun le sait, pour Erdogan, les seuls « terroristes » sont les kurdes du PKK, et le 11 juillet, l’agence de presse du gouvernement turc, Anadolu, nous a appris qu’Erdogan attendait des alliés de l’OTAN une approche non discriminatoire dans la lutte contre le terrorisme [4] ; et TRT Afrika, filiale du principal radiodiffuseur de service public en Turquie, nous a appris aussi que le sommet de l’OTAN 2024, tenu à Washington du 9 au 11 juillet, répond aux préoccupations de la Turquie !? [5].
Le 12 juillet, c’est une fois de plus à bord de l’avion de retour du sommet de l’Otan 2024 qu’Erdogan a déclaré: « Nous voulons la paix en Syrie et nous attendons de tous ceux qui sont du côté de la paix qu’ils soutiennent cet appel historique… Une paix juste profitera surtout à la Turquie… Le ministre turc des Affaires étrangères discute actuellement avec les parties concernées pour l’établissement d’une feuille de route… » [6].
Mais dans la soirée du 12 juillet, le ministre irakien des Affaires étrangères Fouad Hussein avait déjà annoncé, à partir de Washington, qu’un accord de principe avait été conclu avec la Syrie et la Turquie pour la tenue d’une réunion des responsables des deux pays dans la capitale irakienne, Bagdad. Une réunion dont la date sera fixée après son retour en Irak [7].
Bagdad qui serait l’endroit idéal pour une réunion au sommet entre la Turquie et la Syrie au cas où les rencontres préliminaires des responsables des deux pays lèveraient les doutes des Syriens, comme l’a espéré M. Nabih al-Bourgi dans son éditorial du 9 juillet [8] que nous traduisons ci-dessous :
« Si le sommet entre Bachar al-Assad et Recep Tayyip Erdogan se tient à Bagdad, ce serait l’endroit idéal, étant donné que la Syrie et l’Irak sont les deux seuls pays arabes limitrophes de la Turquie, laquelle souffre du problème kurde aussi bien à l’intérieur qu’au-delà de ces deux frontières. Une région où les fleuves ont divisé ou rassemblé au fil du temps.
Le choix de Bagdad pourrait paraître étrange vu que cette capitale des Abbasides a souvent été en conflit, parfois sanglant, avec la capitale des Omeyyades, Damas, même lorsqu’elles se sont réunies sous la bannière d’un seul parti : le « Parti Baas ».
Un conflit politique ou historique qui s’est transformé en un conflit idéologique dont la dimension philosophique fut problématique, au point que la relation entre Damas et Bagdad a pu être comparée à la relation entre Moscou et Pékin sous la bannière communiste. Du reste, John Foster Dulles, lequel a lancé en 1957 la « doctrine Eisenhower » consistant à éviter le développement du communisme au Moyen-Orient, a appelé à l’établissement d’un « mur d’enfer » entre la Syrie et l’Irak.
Or, lors du Congrès de Vienne (1815) visant à reformuler les relations et les cartes européennes après l’ère bonapartiste, le chancelier autrichien Clément Metternich avait déclaré : « Fermez bien les fenêtres pour que les hurlements de l’Histoire ne nous parviennent pas ». En l’occurrence, l’Histoire de notre région est pesante et exténuante, ce qui ne nous fait pas avancer, mais nous fait plutôt reculer. Et l’idéologie remplace le langage des concessions par le langage des cavernes, ce qui résume la calamité dont nous souffrons : l’inconscience de l’invisible.
En effet, nous savons tous que le président turc a pensé pouvoir exploiter les conflits géopolitiques et même les conflits tribaux pour relancer le sultanat, mais qu’il lui a bêtement échappé que l’Occident et l’Orient s’opposeraient à ce sultanat qui a maintenu les Arabes dans le réfrigérateur (ou l’obscurantisme ; Ndt) pendant quatre siècles environ.
Nous savons aussi que le président turc qui parlait du président syrien comme d’un « cher frère » a noyé toute la Syrie dans le sang, si bien que la poignée de main entre les deux présidents promet d’être un moment passionnant.
Aujourd’hui, la Turquie est en déclin économique et l’homme qui dirige la « Sublime Porte » pourrait en être la victime puisque les États-Unis peuvent la pousser encore plus bas, s’ils le souhaitent. Ce qui risque de se produire si le président Erdogan concrétise sa rencontre avec le président Al-Assad. Mais les Turcs ne disent-ils pas que ceux qui ont sauvé Erdogan du « coup d’État américain », en 2016, ce sont les Iraniens et les Russes, et que ce sont eux qui tenteront de le protéger si les Américains tentent de l’évincer, surtout depuis le déclin dramatique de la popularité de son Parti de la justice et du développement (AKP) ? Un déclin qui s’est clairement manifesté lors des dernières élections législatives en Turquie.
Il est indubitable qu’Erdogan reste ce personnage suscitant nombre d’interrogations. Qui sait où cet homme met les pieds, et même où il met la tête ? Il est tantôt à la porte de la Maison Blanche, tantôt à la porte du Kremlin. Il danse parfois au niveau du goulot, parfois au niveau du fond de la bouteille. Comment Assad pourrait-il lui faire confiance avant qu’il ne s’engage à retirer son armée du territoire syrien, tout en se préparant à s’entendre sur une formule contractuelle garantissant la sécurité des deux pays de manière parallèle et équilibrée ?
Quoi qu’il en soit, il n’est plus question que les griffes ottomanes continuent à attaquer la Syrie blessée et soumise au siège le plus dur de l’Histoire, afin de forcer Bachar al-Assad à transformer Damas en banlieue de Jérusalem. Ce qu’Al-Assad père a rejeté, Al-Assad fils ne peut l’accepter. Tous deux incarnent l’âme syrienne, sa fierté nationale et patriote.
Et maintenant, les intérêts syriens et turcs se rejoignent plus que jamais. Les États-Unis d’Amérique vivent une crise interne et une crise externe. Et Israël, l’État fou, est devenu un État aveugle.
Au début de la crise syrienne, Vladimir Poutine avait déclaré : « De Damas naîtra le nouvel ordre international ». Un nouvel ordre régional émergera-t-il de Bagdad en relations étroites avec l’Iran et l’Arabie saoudite ? ».
Mouna Alno-Nakhal
13/07/2024
Notes :
[1][Quels seraient les motifs de la nouvelle ouverture d’Erdogan sur la Syrie ?]
[2][Vidéo d’Al-Mayadeen du 7 juillet 2024 à partir de 2’50]
[3][وصول جثة أول قتيل من مرتزقة أنقرة السوريين في النيجر إلى ريف إدلب ]
[4][Erdogan attend des alliés de l’OTAN une approche non discriminatoire dans la lutte contre le
terrorisme ]
[5][Le sommet de l’OTAN répond aux préoccupations de la Turquie]
[6][Erdogan: « Nous voulons la paix en Syrie » ]
[7][العراق: سنرعى اجتماعاً سورياً – تركياً في بغداد.. يُحدَّد موعده لاحقاً ]
[8][لحظة المصافحة بين الأسد وأردوغان]
Source : Mouna Alno-Nakhal