Une station-service Shell au Canada (Raysonho, CC0, Wikimedia Commons)
Par Donald Pols
Source : Consortium News, Donald Pols, 19-02-2021
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
La justice a finalement prévalu, écrit Donald Pols. Mais cette affaire aurait dû être parfaitement claire.
Pour le peuple du Delta du Niger imbibé de pétrole, la justice a finalement prévalu. Le 29 janvier, après 13 ans de lutte pour que des vies ruinées par des déversements de pétrole soient réparées, trois agriculteurs nigérians, soutenus par Milieudefensie et Les Amis de la Terre – Pays-Bas, ont gagné contre l’une des plus puissantes sociétés transnationales du monde, Shell, devant un tribunal néerlandais.
Dans toute la région méridionale du delta du Nigeria, des personnes qui n’ont jamais entendu parler de la Cour d’appel de La Haye ont fait la fête pour célébrer cette victoire. Mais aucune victime ne devrait devoir attendre 13 années pour obtenir justice. De meilleures lois sont nécessaires dès à présent pour donner aux victimes des moyens plus rapides et plus efficaces d’obtenir réparation.
La découverte de pétrole dans le delta du Niger a entraîné des souffrances indicibles à sa population. Depuis le début, dans les années 1950, Shell est présente – et avec elle sont arrivés les déversements de pétrole et la pollution. L’échec répété des compagnies pétrolières et du gouvernement nigérian à dépolluer a causé de graves problèmes de santé à des centaines de milliers de personnes du peuple Ogoni – qui respiraient des fumées toxiques, buvaient de l’eau empoisonnée, cultivaient des sols contaminés, incapables de gagner leur vie. L’espérance de vie y est inférieure de 10 ans à celle du reste du Nigeria.
Chef Barizaa Dooh était un homme d’affaires prospère dans le village luxuriant et florissant de Goi – il avait une boulangerie, des terres agricoles fertiles et plusieurs canots de pêche en haute mer – jusqu’à ce que deux importants déversements de pétrole dus à un oléoduc mal entretenu de Shell se produisent en 2003 et 2004.
Le village a été pratiquement anéanti, la terre contaminée, les poissons sont morts et Dooh a presque tout perdu. Shell a nié toute responsabilité. Dooh s’est donc courageusement joint à trois autres agriculteurs des villages voisins et aux Amis de la Terre pour poursuivre Shell dans son pays d’origine, les Pays-Bas. Dooh n’a pas vécu assez longtemps pour prendre connaissance du verdict ordonnant à Shell d’assumer la responsabilité de la destruction de son village. Mais son fils, Eric, qui a pris sa place en tant que plaignant, a déclaré : « Il y a enfin de l’espoir, une certaine justice pour le peuple nigérian qui souffre des conséquences du pétrole de Shell. »
Un jugement important
Il s’agit d’une décision importante. C’est la première fois que des survivants de la pollution de Shell obtiennent justice et compensation dans le pays d’origine du géant pétrolier. Le siège de Shell va devoir reconsidérer la façon dont il pensait pouvoir s’en tirer au Nigeria.
Le tribunal a jugé que Shell et sa filiale nigériane avaient manqué à leur devoir de vigilance. Shell n’a pas fait tout ce qui était nécessaire pour empêcher les dommages causés par les fuites. Shell a le devoir d’intervenir dans le comportement de sa filiale : elles ne peuvent plus se renvoyer la balle et se cacher derrière un réseau compliqué de sous-entités et de sociétés de services. Encore mieux, le jugement signifie que toute entreprise néerlandaise qui ne respecte pas les droits de l’homme ni les réglementations environnementales à l’étranger risque désormais d’être traduite en justice, de devoir rendre des comptes et se voir infliger une amende.
Pour mes brillants collègues du Nigeria qui ont travaillé sans relâche avec les communautés du Delta, ce jugement est porteur d’espoir pour toute la région. Il peut aider les habitants du Delta à réécrire leur histoire sanglante, à la hauteur de la promesse du martyr de la résistance environnementale Ken Saro-Wiwa. Les victimes des milliers d’autres fuites de pétrole dans le Delta du Niger ont désormais un chemin vers la justice et la réparation.
Pourquoi aussi long ?
Mais qu’est-ce qui a pris autant de temps ? La vérité est que nos avocats ont dû passer la majorité de ces 13 années à débattre des procédures avec le tribunal et à sauter les obstacles de Shell.
Des années ont été gaspillées à essayer d’accéder aux documents clés de Shell, à essayer de prouver que le siège social de Shell portait la responsabilité de sa filiale, et que l’affaire devait être entendue par les tribunaux néerlandais. Des années durant lesquelles les plaignants nigérians se sont confrontés à la justice au lieu de profiter de la vie avec leur famille.
Il ne devrait pas être nécessaire que les Amis de la Terre se lancent dans un marathon judiciaire pour que seulement quatre fermiers obtiennent compensation par Shell dans son pays d’origine. Le cas aurait dû être rassez facile à trancher. C’est pourquoi nous avons besoin de meilleures lois pour tenir les entreprises européennes comme Shell responsables de ce qui se passe en leur nom à l’étranger.
Un devoir de diligence pour s’assurer que les entreprises préviennent activement les dommages tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement ; la transparence sur ce qu’elles font ; et la responsabilité de leur société mère, pour court-circuiter le réseau complexe des transferts de responsabilité. Il doit être facile pour toutes les personnes touchées par les violations des droits de l’homme et les atteintes à l’environnement par les entreprises européennes à l’étranger d’avoir accès à la justice en Europe : si vous ne pouvez pas les traduire en justice, elles ne sont pas responsables.
En ce moment, l’UE débat de la mise en place d’une législation européenne sur la diligence raisonnable des entreprises. Il pourrait s’agir de l’outil le plus puissant à ce jour pour garantir que les entreprises européennes soient responsables de leurs actes à l’étranger. Cette affaire a ouvert la voie aux victimes de crimes commis par des entreprises. Nous avons maintenant besoin de lois fortes pour rendre cette procédure plus facile d’accès. Pour que la responsabilité légale des sociétés holding comme Shell soit la norme et non l’exception. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons alors espérer dissuader ces abus.
Donald Pols est le directeur de Milieudefensie/Amis de la Terre Hollande et Président des Amis de la Terre Europe. Suivez le sur Twitter : @DonaldPols
Source : Consortium News, Donald Pols, 19-02-2021
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
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