Le général Yisrael Shomer lors d’une réunion d’évaluation de la situation, en avril.
Photo : Unité du porte-parole de l’armée israélienne

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 16/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les bottes militaires poignent sous la robe noire, chaque tête est couverte d’un mortier noir. Il s’agit des récipiendaires d’un doctorat honoris causa [ou plutôt opprobrii causa, NdT] de l’université Reichman* en 2024, décerné cette année « en reconnaissance de l’héroïsme israélien » : une propagandiste de quat’sous (Noa Tishby) ; la commandante d’une compagnie de chars [la première compagnie féminine de tankistes, hashtag #metooIcankill] (la capitaine Karni Gez) ; un fondateur de Frères et sœurs d’armes (Eyal Naveh) ; un dirigeant des communautés de la frontière de Gaza (Haim Jelin) et le général de brigade Yisrael Shomer, commandant de la 146e Division.

Shomer a été honoré pour avoir « consacré de nombreuses années à la force et à la sécurité de l’État d’Israël ». Selon le site ouèbe de l’université, « cet honneur est décerné à des personnes dont les actions illustrent les valeurs du sionisme, de l’esprit d’entreprise, de la responsabilité sociale et de l’intégrité académique, et en reconnaissance de leurs contributions importantes à l’État d’Israël, au peuple juif et à l’université Reichman ».

Retour en arrière : Vendredi matin, 3 juillet 2015, point de contrôle de Qalandiyah en Cisjordanie. La circulation est lente. Un adolescent palestinien s’approche de la voiture du commandant de la brigade Binyamin, le colonel Yisrael Shomer, lance une grosse pierre dans le pare-brise et s’enfuit. Personne n’est blessé. Le sang du futur docteur honoraire ne fait qu’un tour : il sort de sa voiture et se lance à la chasse.

Le commandant de brigade tire trois balles à une distance de six à sept mètres dans le dos du garçon qui s’enfuit, tombe en sang et meurt peu après à l’hôpital. La peine de mort pour avoir jeté une pierre. Avant de dégager vite fait bien fait, le commandant de brigade a pris le temps de retourner le corps de sa victime du pied pour vérifier son état, comme on retourne un animal mort, sans appeler les secours.

 Mohammed Kosba avait 17 ans, c’était un enfant de réfugiés. Il était le troisième fils que ses parents, Fatma et Sami, ont perdu. Ses frères Yasser, 10 ans, et Samer, 15 ans, ont également été abattus par l’armée après avoir jeté des pierres. Ils ont été tués à 40 jours d’intervalle au cours de l’hiver 2002. (Mon article s’intitulait « Les 40 jours de Sami Kosba »). La première fois que je suis venu chez eux, dans le camp de réfugiés, après la mort de ses frères, Mohammed avait 4 ans.

Il a été enterré à côté de ses frères 13 ans plus tard, et le sang sur l’îlot de circulation n’avait pas encore séché lorsque je suis arrivé sur place. Les FDI ont promis d’enquêter. L’adolescent ne représentait aucune menace pour le commandant lorsqu’il a décidé de le punir pour avoir osé jeter une pierre sur la voiture d’un officier juif. Si cela s’était produit sur l’autoroute Ayalon, dans le centre d’Israël, le tireur aurait probablement été arrêté et jugé pour homicide par imprudence. Mais Shomer était un officier des FDI et sa victime était un adolescent palestinien qui avait perdu deux de ses frères et ne voulait pas voir une armée d’occupation près de son camp de réfugiés.

Un an plus tard, l’armée a clos l’enquête, comme il est d’usage. Deux ans plus tard, le dernier chef d’état-major de l’armée à avoir encore quelques principes, Gadi Eisenkot, a retardé la promotion de l’officier qui avait tué le garçon alors qu’il s’enfuyait. Mais la carrière de Shomer a repris son cours après ce petit déraillement. Il est sur le point de devenir le chef de la division des opérations de l’armée israélienne, avec un doctorat honorifique.

L’honneur lui revient, le déshonneur à l’université Reichman. Alors qu’à Harvard, à laquelle Reichman aimerait beaucoup ressembler, on se bat contre la guerre à Gaza et pour les droits du peuple palestinien, à Reichman, un doctorat honorifique est décerné à un tueur d’enfants. Une université qui porte le nom de son fondateur du vivant de celui-ci, ce qui est en soi particulier, qui excelle dans les liens étroits avec l’establishment de la défense – comme s’il s’agissait du Collège de la défense nationale israélienne, plutôt que d’une université privée -, qui a depuis longtemps dépassé les bornes du monde académique, décerne des médailles à des officiers dont même le chef d’état-major s’est offusqué de la conduite scandaleuse.

Mais une guerre est en cours en Israël, et tout le monde est mobilisé pour la cause. Shomer vit dans le kibboutz Kfar Azza, à la frontière de Gaza, et à Reichman, au service de l’armée depuis sa création, on veut lui rendre hommage et occulter sa faute. Mais à Qalandiyah, on n’oublie pas le lâche officier qui a poursuivi un jeune réfugié pauvre qui avait perdu deux de ses frères et lui a tiré trois balles dans le dos à bout portant. Un commandant de brigade de l’armée israélienne qui a le comportement d’un criminel à la tête brûlée. Les habitants de Qalandiyah n’oublieront jamais, même si le général de brigade Shomer continue de recevoir des diplômes honorifiques d’universités tout sauf honorables.

NdT

*Le Centre interdisciplinaire d’Herzliya (banlieue de Tel Aviv) a été fondé en 1994 par Uriel Reichman « pour éduquer les futurs leaders ». Elle a pris le nom d’Université Reichman en 2020, un an avant que le fondateur prenne sa retraite. Elle a été autorisée à délivrer des doctorats en droit, psychologie et informatique en 2021. Il s’agit de la première université privée israélienne. Les frais de scolarité y sont 4 fois plus élevés que dans les universités publiques. Elle est en 1870ème position dans le dernier Classement mondial des universités (CWUR) et la moins bien notée des universités israéliennes. L’attribution de doctorats honorifiques a sans doute pour objectif d’améliorer son « ranking » mais le choix des heureux élus aura sans doute l’effet inverse.

Source : TLAXCALA
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