Par Jean-Luc Mélenchon
L’accord cadre pour l’union populaire est signé. La mécanique des candidatures unique au premier tour est remise en place. Un programme de mesures d’urgence des cent jours est en cours de mise au point. La démarche a été engagée aux premières heures de la journée du 10 juin, compte tenu des délais imposés par la dissolution. LFI avait proposé la rencontre et les Verts ont proposé leur local pour se retrouver. D’abord absents, le PS et Place publique sont venus et la discussion a eu lieu sans écarter aucun sujet. Le label Front populaire semble le mieux accepté puisque plusieurs participants (comme nous) l’ont utilisé à tour de rôle. À mes yeux, il est précieux car il indique une volonté d’élargissement de l’action à des forces associatives et syndicales. J’ai proposé plusieurs textes de réflexion sur le sujet dans le passé depuis 2018 et j’en donne de nouveau le lien pour ceux que cela intéressera. Il est important de comprendre que nous ne visons pas un effet « défensif » mais une logique de conquête démocratique pour le changement de la majorité parlementaire dès cette élection. Si nous savons organiser la campagne hyper rapide qui se dessine, cela peut être à portée de main si on regarde les chiffres disponibles.
Voici le texte signé ce soir.
Quelques jours pour faire front populaire
Nous avons échangé ce jour pour faire face à la situation historique du pays, suite aux résultats des élections européennes et à la dissolution de l’Assemblée nationale.
Nous appelons à la constitution d’un nouveau front populaire rassemblant dans une forme inédite toutes les forces de gauche humanistes, syndicales, associatives et citoyennes. Nous souhaitons porter un programme de ruptures sociales et écologiques pour construire une alternative à Emmanuel Macron et combattre le projet raciste de l’extrême droite.
Dans chaque circonscription, nous voulons soutenir des candidatures uniques dès le premier tour. Elles porteront un programme de rupture détaillant les mesures à engager dans les 100 premiers jours du gouvernement du nouveau front populaire. Notre objectif est de gouverner pour répondre aux urgences démocratiques, écologiques, sociales et pour la paix.
En écho à l’appel des syndicats ce soir et de la jeunesse, nous appelons à rejoindre les cortèges et à manifester largement.
A la manière dont nous gouvernerons, sur un cap clair, nous voulons bâtir ce nouveau front populaire avec toutes les forces qui partagent cette ambition et cet espoir.
Les premiers signataires : Les Écologistes, La France Insoumise, Le Parti communiste français, Le Parti socialiste. Liste ouverte à signature ! déjà : Place publique, Génération·s.
Je veux à présent développer d’autres réflexions à propos du moment. Il le faut quand un clou médiatique chasse l’autre. Le rebondissement spectaculaire de la soirée électorale des européennes avec la dissolution de l’Assemblée nationale est évidemment un franchissement de seuil incroyable. La fin de vie de ce qu’il reste de la minorité présidentielle parlementaire est consommée. Les lois de la physique politique ont repris le dessus. Un minorité ne peut gouverner un pays sans mandat d’une assemblée et contre la volonté de la majorité de la population. Du premier jour après sa défaite aux législatives de 2022 à la série des 49.3 jusqu’à la raclée présidentielle des européennes, il y a une continuité de situations insoutenables amoncelées. Ont achevé le naufrage l’expérience calamiteuse de la primature de Gabriel Attal, venant après la morne maltraitance sociale de l’épisode Élisabeth Borne.
Le Président n’avait plus aucune légitimité pour gouverner de quelque façon que ce soit. Pris entre les oppositions internes de ses groupes parlementaires, un fantastique vote de rejet, et face à un effet boomerang terrifiant de ses jeux avec le RN, Emmanuel Macron a donc perdu ses nerfs. Et, là encore, je crois que cela vient de loin, de profond en lui. Mais comme mon propos n’est pas le sondage de la psyché de cette décision, je m’en tiens à l’impression qu’elle me suggère : la prochaine étape prévisible de cette sorte d’hubris est sa propre démission avant le terme de ce mandat. En tous cas, la signification d’un tel geste le soir même d’un tel résultat n’a qu’un sens visible : il remet les clefs de la maison aux vainqueurs de la soirée. Peu importe les tortueux calculs qui lui sont prêtés à ce sujet. L’immédiat est en danger. Il faut à l’inverse des apparences chercher à gagner. Car le vote rendait le pays inflammable. Macron y a jeté une allumette et l’onde de choc ne fait que commencer avant la crise finale que sera son départ de la présidence.
Pour cela, il faut partir du résultat électoral du 9 juin pour bien apprécier les rapports de force politique actuels. L’élection a eu lieu. Le coup de la dissolution n’efface pas le vécu des cinq derniers mois par les millions de gens qui ont mûri leur choix de vote pendant cette période. Le résultat n’est pas une photo, mais une empreinte dans l’expérience collective du pays. Une géographie sociale et démographique s’est exprimée.
L’agitation médiatique et les gesticulations fractionnistes de l’après-vote ne doivent pas nous faire perdre de vue l’acquis et le reste à construire sur celui-ci. Je parle de ce qui est atteint par les Insoumis. Les quartiers et la jeunesse ont massivement voté Insoumis. D’une élection européenne à l’autre, ils nous ont donné un million de voix supplémentaires. 71 % de progression. Dans les grandes villes comme dans les agglomérations, le vote préférentiel insoumis est un fait politico-social nouveau. Dans 11 villes de plus de dix mille habitants, LFI regroupe plus de la moitié des suffrages ! Dans 290 villes de plus de 10 000 inscrits, LFI est en tête de la gauche. Ce paysage part des 60 % à la Courneuve jusqu’à 35 % à Ivry, pour ne parler que de la région parisienne où LFI arrive en seconde force régionale.
Si l’on rapporte les résultats par « blocs » selon la grille d’évaluation que nous avions faite au lendemain des présidentielles, on est frappé par la stabilité globale du paysage depuis 2022 même si le RN y est en dynamique. Et cette stabilité est gagnée à gauche par les progrès de mobilisation géographiquement et démographiquement acquis par l’action de LFI et les votes qui se sont rassemblés sur sa liste dans des territoires d’abstention. Un mécanisme inverse à celui des simples transferts de voix d’une liste à l’autre à l’intérieur du même ensemble. Ce résultat est celui d’une stratégie de déploiement qui s’est avérée payante : nous avons fait campagne à partir de ce qui motive le grand nombre de nos familles. Nous n’avons pas reculé devant le problème posé par le génocide en Palestine et la complicité des élites sociales et médiatiques de ce pays avec Netanyahu.
Nous parlions de trois « blocs » à quasi-égalité au sortir de la présidentielle. Où en sont-ils ? L’ensemble du « bloc populaire », comme nous l’appelions, fait 7,7 millions de voix. Il gagne un demi-million de voix au total par rapport à 2019 à quasi-égalité avec le bloc d’extrême droite. Celui-ci regroupe 7,7 millions de voix lui aussi, en gagnant 2,5 millions de voix par rapport à 2019. Vérification est ainsi faite de nos affirmations sur le sujet. De son côté, le bloc libéral baisse à 5,4 millions de voix. Il perd un million et demi de suffrages par rapport à 2019.
Cela montre ce que la division nous a coûté : la possibilité de disputer la première place ! Un désarmement unilatéral dont la responsabilité revient entièrement à ceux qui ont refusé l’Union. La leçon à en tirer n’est pas une vendetta sans fin. Comme au lendemain de la présidentielle de 2022 je l’avais proposé, je le répète : il faut jeter la rancune à la rivière ! Sinon quoi ? La vendetta sans fin ? Il faut chercher sans cesse le moyen d’avancer. Nous en avons les moyens. Si l’union politique se conclut de nouveau comme nous le proposons, la compétition peut créer une dynamique en notre faveur. Nous pouvons gagner. Je sais que cela peut étonner, compte tenu des commentaires actuels des médias et des sondeurs. Mais la dynamique politique et les additions électorales ont aussi leur logique et ce n’est pas la même. On l’a vu en ce qui nous concerne aux européennes.
Pour ce qui concerne LFI, une osmose s’est formée entre le peuple populaire et le mouvement insoumis sous forme de milliers de votes groupés dans les bureaux de vote des quartiers, de la jeunesse et notamment de la jeunesse féminine populaire. Ils nous ont donné la première place devant tous dans des villes significatives comme Lille, Strasbourg, Mulhouse, ou bien la tête de la gauche comme à Marseille.
Quelle que soit l’élection à venir, LFI est en force. Mais le projet de LFI ne se résume aucunement à soi-même. « Tout changer » nécessite une victoire électorale. Nous avons fait le choix en 2022 de la stratégie d’union politique. J’ai déjà expliqué comment cela nous semblait être le chemin le plus court pour « l’unité du peuple ». Je n’y reviens pas ici. Nous l’avons confirmé, en vain, pour les européennes. Nous la reprenons à notre compte encore une fois, sans aucune autre arrière-pensée que d’être les meilleurs sur le terrain pour la construction d’une opinion majoritaire de notre côté. Au contraire des formations traditionnelles, nous ne voulons pas « récupérer », mais « être récupéré » comme outil efficace pour l’action populaire. Ces mots incluent une méthode, des objectifs et des façons d’agir bien spécifiques. Nous ne sommes pas des « avant-gardistes » comme on disait au siècle dernier. Plutôt des « passeurs », des « facilitateurs », des « organisateurs de l’action ».
La Dissolution est une violence de bout en bout. Bien sûr, le président ne pouvait plus mettre en œuvre son projet. En ce sens, il a eu raison formellement de dissoudre. Mais cela n’a pas la dimension démocratique que l’on peut attendre d’un événement de cette nature. La méthode utilisée est à l’image de sa brutalisation ordinaire. Décision surprise, annoncée avant même les résultats définitifs, délais de dépôts de candidature ultra courts, campagne électorale réduite à trois semaines. Tout a été fait pour paralyser l’énergie qu’une dissolution est censée mobiliser. À présent il faut, sans trêve ni pause, agir, regrouper, mettre en mouvement partout où des forces sont disponibles. Nous compenserons les difficultés par l’intensité de notre mobilisation de l’engagement.
Pour les insoumis, direction porte-à-porte en milieu populaire et jeune. Moins de paroles, plus d’action, le slogan est désormais une ligne de conduite urgente.
Source : Jean-Luc Mélenchon
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