Rishi Sunak (au centre) tient une conférence de presse avec le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg (à gauche) puis rencontre des soldats britanniques stationnés sur la base militaire de la Brigade blindée de Varsovie, en Pologne, le 23 avril 2024 [Photo by Simon Walker/No 10 Downing Street / CC BY-NC-ND 2.0]
Par Chris Marsden
L’annonce faite mercredi par le Premier ministre britannique Rishi Sunak de la tenue d’élections générales anticipées le 4 juillet a choqué jusqu’à ses propres députés conservateurs.
Les ministres et les députés d’arrière-ban ont qualifié cette décision de « folie », alors que les conservateurs accusent un retard de 20 points dans les sondages par rapport au Parti travailliste d’opposition. Les plus proches alliés ministériels de Sunak ont été tenus dans l’ignorance jusqu’à la réunion du cabinet, convoquée moins d’une heure avant que le premier ministre ne fasse sous une pluie battante son annonce à Downing Street.
Mais la décision de Sunak et la rapidité et le secret avec lequel elle est mise en œuvre sont liés aux calculs de la classe dirigeante britannique et de ses alliés impérialistes aux États-Unis. Ils estiment que des élections anticipées sont nécessaires pour devancer l’opposition croissante à la guerre et créer le cadre politique pour une escalade massive du conflit avec la Russie.
Dans son annonce, Sunak a clairement indiqué que l’escalade rapide de la guerre de fait que l’OTAN mène contre la Russie en Ukraine était au cœur de ses préoccupations. «Cette élection aura lieu à un moment où le monde est plus dangereux qu’il ne l’a jamais été depuis la fin de la guerre froide», a-t-il déclaré. «La Russie de Poutine mène une guerre brutale en Ukraine et ne s’arrêtera pas là si elle réussit».
Il ajouta: «Au Moyen-Orient, les forces de l’extrémisme islamiste menacent la stabilité régionale et, en fin de compte, mondiale», tandis que «la Chine cherche à dominer le XXIe siècle en prenant l’avantage dans le domaine de la technologie, et la migration est utilisée comme une arme par des États hostiles pour menacer l’intégrité de nos frontières».
La focalisation des élections législatives sur la guerre et la sécurité nationale est dictée par les préparatifs avancés d’une nouvelle étape dans le conflit ukrainien impliquant l’utilisation d’armes de l’OTAN pour cibler directement la Russie et même l’envoi de troupes de l’OTAN dans la zone de guerre.
Le Royaume-Uni est le principal allié militaire de l’impérialisme américain et a été en première ligne pour chaque mesure d’escalade militaire en Ukraine, y compris par l’envoi de forces spéciales et la formation de milliers de soldats ukrainiens. C’est sous le premier ministre Boris Johnson que le conflit a éclaté pour la première fois, le 24 février 2022. Boris Johnson voulait que le soutien britannique à la guerre définisse son gouvernement.
Mais Washington a été contraint de s’appuyer sur un gouvernement britannique profondément instable, en proie à d’âpres conflits entre factions et à la haine de millions de gens, en particulier pour le programme meurtrier d’immunité collective mis en œuvre lors d’une pandémie qui a fait plus de 230.000 morts.
Johnson a été contraint de démissionner de son poste de chef du parti conservateur le 7 juillet 2022, devenant ainsi le premier chef d’une grande puissance impérialiste à quitter son poste durant la guerre par procuration menée par l’OTAN contre la Russie.
Un article paru le 8 juillet 2022 sur le World Socialist Web Site indiquait:
La crainte politique qui anime une bataille pour le leadership du parti et qui a failli conduire à l’effondrement du gouvernement est que Johnson est une figure tellement discréditée et qui sème tant la discorde qu’on ne pouvait pas lui confier la prochaine étape de l’offensive de la classe dirigeante contre la classe ouvrière ou la poursuite de la guerre de l’OTAN en Europe.
Sa démission forcée, explique le WSWS, «a déclenché une course à la direction dominée par d’anciennes figures militaires» qui a finalement été remportée par la belliciste enragée Liz Truss, ministre des Affaires étrangères de Johnson, qui, au cours de sa campagne, s’est vantée d’être prête à utiliser des armes nucléaires contre la Russie ».
Mais après avoir pris ses fonctions en septembre 2022, Truss a été rapidement destituée le 20 octobre, sous la pression des marchés mondiaux, pour avoir annoncé des réductions d’impôts importantes et non financées.
Depuis lors, tout espoir que son remplacement par Sunak apporte enfin la stabilité politique a été anéanti par la croissance constante de l’opposition sociale et politique à l’agenda conservateur d’austérité et de guerre — opposition qui a d’abord éclaté dans la vague de grèves de 2022 et a ensuite pris une forme politique dans le mouvement de masse d’opposition au soutien de la Grande-Bretagne au génocide d’Israël à Gaza.
Les efforts de Sunak pour sauver son poste de premier ministre se sont donc concentrés sur la tentative de répondre à l’exigence de Washington : placer la guerre au centre de l’agenda gouvernemental.
Le 23 avril, sur une base militaire à Varsovie, en Pologne, il a annoncé que la Grande-Bretagne augmenterait ses dépenses militaires à 2,5 pour cent du PIB, «garantissant ainsi que le Royaume-Uni reste de loin le deuxième pays de l’OTAN en termes de dépenses de défense, après les États-Unis». Il mettait «l’industrie de la défense britannique sur le pied de guerre» et il enverrait à l’Ukraine «le plus grand nombre d’équipements militaires britanniques», dont «plus de 400 véhicules, 4 millions de munitions, 60 bateaux et embarcations de raid en mer, des défenses aériennes vitales et des missiles Storm Shadow à longue portée et à guidage de précision».
Le 3 mai, lors d’une rencontre avec le président ukrainien Zelensky, le ministre des Affaires étrangères David Cameron a donné son feu vert à l’Ukraine pour qu’elle utilise des missiles de croisière britanniques « Storm Shadow» contre des cibles situées sur le territoire reconnu de la Russie.
Enfin, dans un discours prononcé le 13 mai pour présenter la campagne électorale des conservateurs, Sunak a lancé un avertissement: «Le monde est plus proche d’une dangereuse escalade nucléaire qu’il ne l’a jamais été depuis la crise des missiles de Cuba», imputant cette situation à «un axe d’États autoritaires tels que la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et la Chine». Il a déclaré que «la guerre est revenue en Europe, et nos alliés de l’OTAN nous avertissent que si Poutine réussit en Ukraine, ils pourraient être les prochains».
Il a menacé de réprimer sauvagement les manifestations contre le génocide de Gaza et contre la guerre, les dénonçant comme un abus de «nos valeurs démocratiques libérales».
Mais ni Washington ni la classe dirigeante britannique ne peuvent tolérer qu’un gouvernement incapable de gouverner efficacement et dépourvu de toute légitimité reste en place un instant de plus. Sunak a donc été contraint d’appeler à des élections, même si cela signifiait la défaite quasi certaine de son gouvernement.
Les commentaires des médias montrent clairement que le parti travailliste de Sir Keir Starmer est désormais considéré comme un instrument fiable et plus efficace pour mener la guerre à l’étranger, pour imposer les mesures d’austérité nécessaires pour financer la guerre et pour réprimer l’opposition de la classe ouvrière que cela provoquera. Son gouvernement n’apportera pas de changement à la politique des conservateurs, mais la poursuivra, tout en s’appuyant sur les services de l’appareil syndical.
Lui et son premier banc parlementaire [les ministres potentiels] ont commencé leur préparation au pouvoir en expulsant Jeremy Corbyn et nombre de ses principaux alliés du groupe parlementaire afin de prouver que le Labour [les travaillistes] n’était pas seulement le parti le plus favorable aux affaires, mais aussi le «parti de l’OTAN» dont l’engagement est de faire la guerre à la Russie, et le parti du sionisme prêt à soutenir le génocide à Gaza et une guerre plus large au Moyen-Orient.
Starmer a déclaré au Daily Mail en avril que sa politique pro-OTAN — soutenue par des déclarations répétées de sa volonté d’utiliser des armes nucléaires — était avancée «face à la montée des menaces mondiales et à l’agression croissante de la Russie». Le parti travailliste changé que je dirige sait que notre sécurité nationale passe toujours en premier».
Si les travaillistes remportent les élections du 4 juillet, le premier voyage international de Starmer sera le sommet de l’OTAN à Washington du 9 au 11 juillet, où seront discutés les plans d’intensification de l’agression contre la Russie.
Le grand danger politique auquel est confrontée la classe ouvrière est que pour le moment il n’existe qu’une faible compréhension de combien sont avancés les préparatifs d’une guerre plus vaste.
Des millions de travailleurs et de jeunes sont descendus dans la rue à l’international pour s’opposer au génocide israélien à Gaza. Chez ceux qui manifestent au Royaume-Uni, Sunak et Starmer sont tous deux détestés.
Pourtant, les dirigeants de ces mouvements, tels que la «Stop the War Coalition», n’ont fait aucune tentative sérieuse pour expliquer que ce qui se passe est une tentative des puissances impérialistes de rediviser entre elles le monde et ses ressources. Un nouveau partage du monde où la guerre contre la Russie en Ukraine, le soutien au meurtre de masse et au nettoyage ethnique des Palestiniens et l’escalade des provocations ciblant l’Iran et la Chine sont différents fronts d’un seul et même conflit mondial.
Pour désarmer la classe ouvrière, on se concentre désormais sur des efforts pour réduire l’opposition au parti travailliste à un vote de protestation inoffensif dans les circonscriptions principalement musulmanes et contre les députés les plus à droite, tout en insistant pour dire que le parti travailliste doit par ailleurs être soutenu comme le «moindre mal» par rapport au parti conservateur, et qu’il est possible pousser à gauche.
Cette trahison politique est combattue par le SEP (Socialist Equality Party – Parti de l’égalité Socialiste). Nous présentons des candidats à ces élections en opposition aux partis conservateur et travailliste. Nous avertissons qu’un gouvernement Starmer serait un ennemi mortel de la classe ouvrière, déterminé à faire la guerre à l’extérieur et à mener la guerre des classes à l’intérieur. Notre objectif est d’organiser un mouvement de masse des travailleurs et des jeunes contre le génocide à Gaza, la guerre en Ukraine et les plans de guerre contre l’Iran et la Chine, et de construire le leadership socialiste nécessaire à cette lutte de vie et de mort.
(Article paru en anglais le 24 mai 2024)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…