Par Leila Mazboudi
Bloquant les routes partout au Liban depuis plus d’une semaine, les protestataires veulent le départ du chef de l’Etat qui dénonce des actes de sabotage et des ingérences étrangères … Cette fois-ci, la protestation n’a rien d’un mouvement populaire. Dans l’arrière fond: une protection américaine sans failles à l’architecte de la crise économique et financière, et un non saoudien à un gouvernement avec le Hezbollah ou ses alliés…Face auxquels, le président fait preuve d’une grande tenacité.
Le président libanais Michel Aoun a fermement dénoncé des blocages de route « inacceptables », qui se déroulent au Liban depuis plus d’une semaine, y voyant un « acte de sabotage ». Il a accusé des parties et des plateformes étrangères de porter atteinte au statut international de l’Etat et à la monnaie nationale, estimant que la récente dépréciation de la livre face au dollar est « injustifiée ».
« Les citoyens ont le droit d’exprimer leur opinion en manifestant. Cependant, les fermetures de routes portent atteinte au droit des citoyens de voyager et d’aller au travail, surtout après des semaines de fermeture générale », a-t-il déclaré le lundi 9 mars. Et de poursuivre : « Ce qui se passe dans les barrages routiers va au-delà de la simple expression d’opinions. C’est un acte délibéré de sabotage visant à porter atteinte à la stabilité. Par conséquent, les services de sécurité et militaires doivent s’acquitter pleinement de leurs devoirs et appliquer les lois sans hésitation ».
Dans le récent mouvement de contestation, au cours duquel les protestataires bloquent plusieurs axes routiers majeurs, ils réclament surtout son départ, lui imputant arbitrairement et avec exagération la responsabilité de l’effondrement économique et financier sans précédent que traverse le Liban.
La semaine passée la livre libanaise a connu une nouvelle dépréciation, franchissant le cap des 10.000 livres contre le dollar américain.
Cela faisait plusieurs mois qu’elle tournait aux alentours des 9.000. après avoir perdu en moins d’un an , 85% de sa valeur. Provoquant une inflation sans précédent et une baisse vertigineuse du pouvoir d’achat.
« Des doigts se sont inflitrés dans le marché du dollar et dans le mouvement de contestation pour exercer des pressions politiques et envoyer des messages », a expliqué le journal libanais al-Joumhouriyat.
Il y a eu auparavant un circulaire de la Banque du Liban (BDL) aux banques libanaises leur demandant d’augmenter de 20% leur capital par rapport à leur niveau en 2018, ainsi que le placement auprès des banques correspondantes d’un montant équivalent à 3 % de leurs dépôts en devises à fin 2021. Faute de quoi ils sortiront du marché.
Riad Salamé, l’intouchable
Depuis 2019, le Liban connaît sa pire crise économique et financière. Elle a été causée par les politiques bancaires prônées par Riad Salamé chef de la BDL depuis plus de 30 ans. Or celui-ci dispose d’un soutien américain sans faille. Il persiste dans son poste malgré le fait que le chef de l’Etat et le Premier ministre des affaires courantes Hassan Diab réclament son départ. Et malgré son refus de procéder à l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban confié aux cabinets Alvarez-Marsal.
La semaine passée, l’agence américaine Bloomberg avait publié à la foi de certains responsables de la Maison Blanche, que cette dernière compte le sanctionner. Mais l’information a aussitôt été démentie par l’ambassade des Etats-Unis au Liban.
Riad Salamé a réussi une évasion vers l’étranger de plusieurs dizaines de milliards de dollars, 30 selon certaines estimations, avant l’éclatement du mouvement de protestation en octobre 2019. Ces fonds reviennent à des élites politiques, économiques et financières, toutes appartenances politiques et confessionnelles confondues.
Il bloque aussi les comptes bancaires de plusieurs milliers d’épargnants libanais, estimés à plusieurs milliards de dollars … Et il n’arrête de parler de 7 milliards qui se trouveraient dans les maisons, chez les particuliers.
Sa politique de taux de prêts élevés a aussi favorisé une économie rentière qui a été adoptée par l’ex-Premier ministre Rafic Hariri et les gouvernements qui se sont succédés. Le défunt disposait pour sa part d’un soutien sans failles aussi bien de l’Arabie saoudite que de la France spécifiquement. Acteurs internationaux et régionaux ont laissé faire cette politique économique qui a profondément porté atteinte aux différents secteurs de la production locale et endetté le pays. Sa dette culmine à plus de 86 milliards $, soit plus de 150 % du PIB, troisième taux le plus élevé au monde.
L’obstination du président, le non de Riad, et Hariri
Depuis l’explosion du port dont les résultats de l’enquête menée par les Occientaux tardent à être rendus publics, et les deux visites de son président Emmanuel Macron, Paris se présente comme la puissance salvatrice du Liban. Elle évoque des réformes indispensables pour débloquer des aides internationales maintes fois promises.
Mais son initiative en vue de la formation d’un gouvernement de technocrates peine à voir le jour depuis la désignation de Saad Hariri, lechef du courant du Futur. Ce dernier s’entêtant à vouloir s’accaparer toutes les nominations des portefeuilles ministériels, refusant au chef de l’Etat le droit que lui accorde la Constitution d’y contribuer. L’attachement du chef de l’Etat à ses prérogatives semble être la cause de la campagne pour sa révocation.
Interrogé sur une éventuelle décision de Hariri de renoncer à former le gouvernement, un cacique du Futur, Nouhad al-Machnouk a assuré qu’elle serait conditionnée à la démission du chef de l’Etat!
Or, Hariri a avoué depuis quelques jours ne pas être en mesure de former un gouvernement sans l’approbation de l’Arabie saoudite. Et celle-ci refuse toute participation du Hezbollah ou de ses alliés dans ce gouvernement. « Ce que l’Arabie exige de M. Hariri au Liban , il ne peut l’exécuter », a fait valoir le numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Qassem, lors d’une récente interview.
Néanmoins, le royaume semble le mettre à l’épreuve sur cette question, pour qu’il puisse retourner à Riad. Depuis qu’il a été brutalisé et humilié sur l’ordre du prince héritier Mohamad ben Salmane, pour la simple raison qu’il n’arrivait pas à circonscrire le Hezbollah, il n’y est plus le bienvenu. Entretemps, les Saoudiens lui préfèrent le chef des Forces libanaises Samir Geagea, avec qui leur ambassadeur au Liban multiplie les rencontres. Ce mardi 9 mars encore.
Or M. Hariri tente une médiation avec Abu Dhabi où il s’est rendu plusieurs fois ces temps-ci. Dont ce mardi encore, où il a rencontré le chef de la diplomatie russe Serguei Lavrov, en marge de sa visite aux Emirats arabes unis. Il n’avait auparavant pas réussi à obtenir une visite en Russie pour rencontrer le président Vladimir Poutine.
Président le conseil des ministres lors de l’éclatement du mouvement de contestation fin 2019, provoqué par la décision de son gouvernement d’imposer un tarif aux services de Whatsapp , pourtant gratuits de par le monde, il a démissioné. Lorsque l’effondrement économique a commencé directement après, exacerbant davantage les protestations, son courant s’y est immiscé. Ainsi que tous les autres partis pro américains et les ONG qu’ils financent.
Ce fut l’une des raisons pour lesquelle celles-ci ont fini par échouer . Sans compter la propagation de la pandémie du Covid-19.
Une contestation des affamés aux pneus neufs
La crédibilité de ce mouvement entachée , il peine depuis à se reconstituer.
Durant cette semaine de protestations, on retrouve les mêmes scènes sur les axes routiers bloqués. Un groupe d’une vingtaine de jeunes au maximum qui apportent avec eux des pneus neufs et les font brûler, bloquant les routes, avant d’être écartés par les forces de l’ordre et l’armée, sérieusement débordées. Et puis ils recommencent de nouveau. Les gens se demandent d’ailleurs comment « ces jeunes soit-disant affamés ont les moyens de se procurer des pneus neufs »
Les appels pour le lundi 8 mars sur les réseaux sociaux pour une « Journée de la colère » à travers le pays ont été un fiasco.
La plupart des groupes qui avaient constitué le gros du mouvement de contestation de 2019 n’y ont pas participé, rapporte le journal al-Akhbar.
« C’est cette même clique qui a causé l’effondrement du pays qui se révolte sur son cadavre », estime-t-il.
Le quotidien évoque une participation des Forces libanaises et des Kataeb de Samir Geagea et des Gemayel, du parti socialiste de Walid Joumblatt et du courant du Futur de Saad Hariri. Mêmes si les dirigeants de ces formations refusent de revendiquer ouvertement leur participation.
Ils se sont partagés les blocages des routes : les FL et le Kataeb celles du Mont Liban, les PSP sur celle d’une partie de la Montagne du Chouf et la route du sud-Liban et le Futur sur celles menant à la Békaa et de Beyrouth.
Et leurs partisans de réclamer la démission du président de la république et rien d’autre.
« Et lorsqu’on leur demande pourquoi le président Aoun, ils répondent : parce qu’il est l’allié du Hezbollah… Ou parce qu’il est assis dans les bras de l’Iran », prétendent-ils.
« Ce qu’ils veulent c’est la politique de neutralité », laquelle avait été prônée par le patriarche maronite Béchara Rai dans son dernier discours, toujours selon al-Akhbar. Son éminence a apporté de l’eau à leur moulin.
Les masques de l’ambassadrice américaine
Face à tout cela, le Hezbollah s’abstient de tout commentaire. Son allié le mouvement Amal a rejeté les allégations selon lesquelles ses membres participent au blocage de routes, ou qu’il veuille la démission du chef de l’Etat.
« L’objectif de ces troubles est de faire pression pour la formation d’un gouvernement de sorte qu’il n’y aurait aucune voix qui puisse s’opposer aux desideratas de Washington », a expliqué le chef du mouvement du Peuple, l’ex-député Najah Wakim. Accusant des protagonistes locaux proaméricains de confisquer « les revendications des gens avec des slogans politiques qui n’ont rien à voir avec leur souffrances ».
Les Américains veulent trois choses du Liban: affaiblir la résistance pour entamer le processus de sa normalisation avec l’entité sioniste, ses hydrocarbures très promettants capables entre autres d’éradiquer sa dette et la délimitation des frontières maritimes et terrestres avec la palestine occupée, à l’avantage d’Israël.
« Tous les Libanais, depuis le nord et jusqu’au sud, connaissent la tête de l’ambassadrice des Etats-Unis (Dorothy Shia, ndlr) Est-ce que 10% d’entre eux connaissent le nom de l’ambassadeur de l’Iran », a dit M.Wakim pour illustrer l’importance de l’ingérence de Washington dans les affaires internes libanaises. Sans oublier ses tentatives effrénées pour redorer son image profondément ternie. Les Libanais, dans leur grande partie, étant profondément conscients de son rôle infeste dans l’effondrement de leur pays.
Ces dernières semaines, en plein confinement, a été diffusée dans les télévisions libanaises pro américaines et sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle on voit Shia dans une rue, en train de distribuer mesquinement des masques aux automobilistes.
« Elle doit en pâtir pour en faire à ce point », a dit une professeure universitaire libanaise.
Quand bien même les Américains devraint avoir plus d’un tour dans leur sac, au pays du cèdre, ils ne sont pas non plus au bout de leur peine…
Source: Divers
Source : Al Manar
https://french.almanar.com.lb/…