Par André Lacroix

La lucidité et le courage politique font cruellement défaut à nos démocraties. Résultat de plusieurs décennies d’aveuglement et de lâcheté : des milliers de morts en Palestine et en Ukraine.

En Palestine

Sans remonter à la Déclaration Balfour, ni à la Naqba, ni même au « détricotage » consenti des Accords d’Oslo, arrêtons-nous à l’énorme faute commise par nos démocraties en janvier 2006, après la victoire du Hamas dans les urnes, dont même Le Monde (26/01/2006) a reconnu qu’elle avait été « obtenue au terme d’un processus électoral exemplaire ».

Au lieu de saluer cette victoire et de conforter au sein du Hamas le camp des pragmatiques, nos gouvernants, dans leur obsession à combattre le terrorisme, n’ont fait qu’accroître l’attrait pour la lutte armée aux yeux des Palestiniens, d’autant que le Fatah, perçu comme une courroie de transmission au service du gouvernement israélien, perdait une bonne part de sa représentativité. Fort de l’appui de nos démocraties, les dirigeants de l’État hébreu ne se sont d’ailleurs pas fait prier pour miser sur les islamistes du Hamas pour détruire le Fatah d’inspiration laïque.

Et pourtant, si le Hamas après sa victoire électorale avait été reconnu comme une force politique représentative, il aurait bien été forcé, comme l’avait fait l’OLP en 1996, d’abandonner un jour ou l’autre son fantasme de destruction de l’État d’Israël.

Ça n’a d’ailleurs aucun sens d’imaginer que le Hamas, à supposer qu’il en ait eu l’intention, soit en mesure d’abattre un jour l’État d’Israël. Ce fantasme occidental n’a servi qu’à une chose : donner au gouvernement de « la seule démocratie du Proche Orient » le feu vert pour transformer la bande de Gaza en prison à ciel ouvert et, par voie de conséquence, fanatiser les responsables du Hamas.

Cette lourde faute historique a été dénoncée par l’ancienne députée européenne Véronique De Keyser dans son ouvrage coécrit avec Stéphane Hessel Palestine, la trahison européenne, Fayard 2013. Hélas, cette grande dame – une vraie socialiste – a dû se sentir bien seule au sein du Parlement européen largement acquis aux thèses atlantistes.

Bien sûr, on ne réécrira pas l’histoire. Mais on peut tout de même se poser la question suivante : si nos démocraties avaient respecté le résultat des élections palestiniennes de 2006 au lieu de diaboliser le Hamas, y aurait-il eu un 7 octobre 2023 ?

En Ukraine

Tentons un parallèle avec la situation en Ukraine : y aurait-il eu un 24 février 2022 si nos démocraties avaient fait preuve de lucidité et de loyauté ?

Sans remonter aux tensions de la Guerre froide, ni à la trahison de la parole donnée à Gorbatchev de ne pas étendre l’OTAN à l’est, ni même au mépris des Accords de Minsk par Merkel et consorts, arrêtons-nous à l’énorme faute commise par l’Occident à la fin de l’automne 2021, quand la Russie avait massé des troupes aux frontières de l’Ukraine.

Si la « Communauté internationale » (à savoir les Etats-Unis et leurs vassaux) s’était alors engagée à refuser l’entrée de l’Ukraine au sein de l’OTAN et si elle avait forcé Kiev à accorder au Donbass une véritable autonomie au sein de l’Ukraine, jamais sans doute Vladimir Poutine n’aurait lancé son opération spéciale.

Le 14 décembre 2021 encore, il avait appelé solennellement à des négociations immédiates avec l’OTAN et les États-Unis sur les garanties à apporter à la Russie pour sa sécurité sur fond de tensions avec l’Ukraine. Si cet appel n’avait pas été snobé, il est hautement probable que des milliers de vies auraient été épargnées…

Et même après le début des opérations, en mars 2022, la situation aurait encore pu s’apaiser si Boris Johnson, missionné par l’Oncle Sam, n’avait pas fait capoter les négociations en passe de réussir entre Zelensky et Poutine.

Ça n’a par ailleurs aucun sens d’imaginer que la Russie, à supposer qu’elle en ait eu l’intention, puisse jamais annexer l’Ukraine ou d’autres pays, comme le démontre magistralement le Professeur John Mearsheime.

Ce fantasme colporté à l’échelle mondiale a pour conséquences dramatiques : la mise au second rang du péril climatique qui devrait être la préoccupation politique n°1, la menace réelle d’un élargissement du conflit avec l’accroissement inconsidéré de le production et du commerce des armes, l’affaiblissement des économies européennes victimes de l’effet-boomerang des sanctions imposées à la Russie et – last but not least – des centaines de milliers de vies fauchées dans une guerre par procuration se déroulant sur le sol de l’Ukraine.

D’Enabel à Belgorod

1) Le 31 janvier 2024, l’immeuble abritant à Gaza les bureaux d’Enabel (Agence belge de Développement) a été réduit à des gravats. Convoquée par la ministre belge des affaires étrangères à Bruxelles, l’ambassadrice israélienne a dit évoquer l’ouverture d’une enquête.

Résultat de cette enquête (Le Soir du 15/02/2024) : « Selon les explications fournies mercredi par Israël, Enabel n’était pas visée. L’armée a fait exploser le bâtiment qui se situait juste à côté ‘pour un motif militaire non précisé’. »

Circulez : il n’y a rien à voir. L’ambassadrice d’Israël en Belgique peut dormir tranquille : si la démolition d’un immeuble a valu à Mme Idit Rosenzweig-Abu une convocation, il n’en sera sans doute pas de même pour le massacre d’une population…

2) Après les bombardements du 30 décembre 2023 qui ont tué 25 civils à Belgorod, Kiev a lancé le 15 février 2024 une nouvelle attaque contre cette ville russe, provoquant la mort de 6 personnes dont un bébé.

Résultat : la France censure des chaînes Telegram le jour où l’Ukraine fait un massacre à Belgorod).

Circulez : il n’y a rien à voir. Le moment choisi pour cette censure indique clairement que Paris ne veut plus que les Français puissent savoir que l’Ukraine tue délibérément des civils avec les armes que les pays occidentaux lui fournissent.

André LACROIX

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Source : Le Grand Soir
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