Par Vladimir Caller

Depuis qu’en février 1947 la Grande Bretagne, sortie très affaiblie de la guerre, décida de remettre aux Nations Unies son mandat d’occupation des territoires de la Palestine, la « bataille démographique » entre Juifs et Arabes pour occuper ces terrains ne fit que s’exacerber, favorisée par les effets, matériels et symboliques, de la montée du national-socialisme dans l’Europe germanique et plus tard par la mise en œuvre de la Shoah. L’historien et diplomate israélien Elie Barnavi n’hésite pas à le reconnaître franchement : « Pour choquant que cela puisse paraître, Hitler a certainement été le levier le plus puissant dans l’édification de l’Etat juif [ ] ». C’est donc l’Organisation des Nations Unies qui assumera la mission compliquée d’organiser le partage de ces terres, d’autant plus compliquée qu’elles sont considérées comme des « terres saintes » par les deux parties, et qui fera une proposition largement favorable, quant aux surfaces à distribuer (voir plus loin), à la partie israélienne.

Un fin tacticien

Côté juif, un brillant négociateur, David Ben Gourion, aussi radicalement antipalestinien que Benyamin Netanyahou mais bien plus tacticien sur le fond et élégant dans les formes que lui, acceptera en principe les critères de partition du territoire palestinien proposés par les Nations Unies. Et il le fera parce qu’il savait qu’il n’allait en aucune manière les respecter ; le refus de cet accord par les Palestiniens ne pouvait que conforter ses calculs. On se trouvait ainsi en 1948 devant une sorte d’accord factice entre « (…) ceux qui ne le souhaitaient pas mais qui disaient ”oui” (les Israéliens) et les autres qui le souhaitaient mais qui disaient ”non” (les Palestiniens.) », ces derniers voulant une partition bien plus juste.

Cette formulation, dont je regrette de ne pas me rappeler l’auteur, résume bien le quiproquo diplomatique de haut niveau dont Israël, plus exactement Ben Gourion et ses rêves expansionnistes, sortiront vainqueurs sur toute la ligne. Ce dernier reconnaîtra plus tard sa mauvaise foi avec une sincérité désarmante : « Si j’étais un leader arabe, je ne ferais jamais de concessions à Israël. C’est naturel : nous leurs avons pris leur pays. Bien sûr, Dieu nous l’avait promis, mais qu’est-ce que ça peut vouloir dire pour eux ? Notre Dieu est le nôtre, pas le leur. [ ] » Ainsi, faute d’accord confirmé, naîtra un État qui eut la très rare particularité de ne pas avoir commencé par définir ses frontières.

C’est à peu près ainsi qu’est née l’illusion d’une solution « à deux États ». Elle a connu moult vicissitudes dont, en particulier, le spectaculaire rétrécissement des terres initialement pressenties pour l’instauration d’un État palestinien.
Peu importent nos avis sur les événements du 7 octobre et leurs prolongements, il me semble évident qu’à leur suite, la solution dite « à deux États » pour régler le conflit israélo-palestinien et encore plus celle « à un seul État » unifié, sont vouées à un enterrement définitif. Et ce d’autant plus que, à défaut d’un minimum de lucidité politique, une forte influence religieuse, en plus dans sa version messianique, semble dicter la définition des objectifs finaux des belligérants. Ainsi, il ne resterait comme « sortie » de l’impasse que l’effacement du peuple palestinien ou du peuple juif des terres disputées ; ou des deux, si la conflagration devenait nucléaire et planétaire.

Cherchant à comprendre la nature de cette crise, il m’a paru indispensable de jeter un regard sur les comportements et responsabilités de certains de ses protagonistes.

Le « ben-gourionisme » français

Ce 12 octobre, lors de son allocution télévisuelle sur la guerre Israël-Hamas, Emmanuel Macron, après avoir condamné sévèrement et à plusieurs reprises la nature terroriste de l’agression du Hamas et confirmé son soutien absolu à l’État d’Israël, s’est dit favorable pour sortir de l’impasse à « la résolution du conflit israélo-palestinien par une solution à deux États ».

Le président français n’a jamais condamné l’implantation, souvent très violente, des colonies juives sur des terres palestiniennes ; lui qui, pourtant, ne manque pas l’occasion de condamner toute atteinte aux droits de l’homme à Caracas, à Moscou ou à la Paz, s’est toujours contenté de conseiller de la « retenue » à chaque massacre de manifestants palestiniens [ ]. Il avait donc besoin d’urgence d’un brevet d’impartialité pour dissimuler son réel tropisme prosioniste. Ce fut le sens d’une proposition de sortie de crise dans laquelle il ne croyait absolument pas.

En agissant de la sorte, il ne faisait que, d’une certaine manière, reproduire les méthodes du fondateur de l’État d’Israël David Ben Gourion qui faisait appel à quelques formulations faussement progressistes et arborait une étiquette « socialiste » pour mieux œuvrer à la construction des piliers de ce qui allait devenir le système du néo-apartheid israélien. Sa proposition en faveur de la solution « à deux Etats » pour sortir du vieux conflit israélo-palestinien, pouvait donc lui être très utile pour se fabriquer une image de neutralité. Or, vu sa proximité avec l’État d’Israël, Emmanuel Macron est parfaitement au courant que, non seulement la probabilité de la « solution à deux États » est tout à fait nulle mais qu’elle impossible précisément parce que la diplomatie occidentale, dont la française, a tout fait pour que cette option ne puisse jamais se réaliser. Et ce, en cautionnant, sinon en soutenant, l’expansionnisme israélien mené par voie militaire ou par la colonisation illégale de terres palestiniennes ; cette dernière pratique s’est d’ailleurs substituée à celle de la guerre classique.

Les chiffres et les lettres

Le territoire de la Palestine mandataire, c’est-à-dire celui hérité du démembrement de l’Empire ottoman et qui devait être « partagé » entre un État israélien et un État palestinien, avait une superficie totale de 26 625 km2. Suivant les termes du partage adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1947, l’État juif devait disposer d’un peu moins de 15 000 km2 de ce total et l’État palestinien d’environ 11 500 km2 ; en outre, un territoire d’à peu près 1 300 km2 autour de Jérusalem restait sous mandat international. Aujourd’hui, l’État d’Israël possède à lui seul, territoires occupés inclus, une superficie de 27 799 km2, c’est-à-dire plus que la surface totale du territoire qui devait « héberger » les deux États. À son tour la Palestine, qui n’est toujours pas devenue officiellement État « grâce » encore au sabotage des diplomaties occidentales, ne dispose que d’un peu moins de 6 400 km2, soit pratiquement la moitié de la superficie que prévoyait le plan de partage de 1947. Ce territoire est par ailleurs singulièrement éparpillé en minuscules parcelles comme vous pouvez le voir sur l’image ci-dessous.

La plaidoirie, faussement sincère, de Monsieur Macron en faveur des deux États reflète donc davantage l’indécence très réelle de son discours politique que la réalité des faits sur le terrain [ ].

C’est ainsi que la décision longuement négociée en 1947 pour permettre la création de deux États voisins fut systématiquement violée au bénéfice de la partie israélienne dont la superficie a pratiquement doublé comme démontré ci-dessus. Dans cette expansion, la création de colonies juives de peuplement sur des terres appartenant aux familles et communautés palestiniennes a joué un rôle décisif. Au départ, elle fut l’initiative de groupes de militants sionistes qui décidaient, de leur propre initiative, de chasser, très souvent brutalement, des paysans palestiniens de leurs lopins de terre et de leurs maisons pour se les approprier. Mais cette pratique s’est peu à peu généralisée avec la caution des divers gouvernements de droite ou de « gauche ». On estime maintenant à presque 900 000 le nombre de colons israéliens qui occupent, en totale illégalité, des territoires usurpés. L’organisation Amnesty International résumait ainsi la situation en juin 2017 : « Plus de 100 000 hectares de terres palestiniennes ont été accaparés par Israël depuis 1967 ; pour ce faire, 50 000 habitations et autres structures ont été démolies par Israël ces 50 dernières années. Les colonies illégales juives israéliennes couvrent 35 % du territoire de Jérusalem-Est [ ]. »

C’est totalement illégal, d’abord au regard du droit élémentaire de la propriété, mais également au regard du droit international, puisque la création de ces colonies juives constitue de facto une redéfinition des accords de partage. Les gouvernements sionistes successifs, au lieu de sanctionner ces pratiques illégales, les ont légitimées en adoptant des lois visant à leur donner un statut juridique, comme la loi de février 2017, sous le gouvernement de Netanyahou, dont le quotidien français Le Figaro fit un bon résumé : « La Knesset israélienne a adopté lundi soir, un projet de loi qui autorise la confiscation de terres appartenant à des propriétaires palestiniens en Cisjordanie occupée. Ce texte vise à “régulariser” a posteriori la situation d’avant-postes édifiés sans autorisation depuis que l’État hébreu s’est engagé à ne plus créer de nouvelles colonies après la signature des accords d’Oslo (1993) [ ]. » La décision israélienne fut immédiatement condamnée par les Nations unies : « Le Secrétaire général regrette l’adoption de la loi israélienne de régularisation des colonies construites en Cisjordanie occupée [ ]. »

Ces pratiques devinrent si nombreuses et violentes que le Conseil de sécurité des Nations Unies jugea impérieux de se prononcer. C’est ainsi que le 23 décembre 2016, ce Conseil adopta par 14 voix contre zéro (les États-Unis s’abstiendront) la résolution 2334 dans les termes suivants : « Guidé par les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies rappelant que l’acquisition de territoires par la force est inadmissible, Réaffirmant qu’Israël, puissance occupante, est tenu de respecter scrupuleusement ses obligations et responsabilités juridiques […] »

Le Conseil de sécurité :

1. Réaffirme que la création par Israël de colonies de peuplement dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement en droit et constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution à deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable ;

2. Exige de nouveau d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard [ ]. »

Les colonisations et la « solution à deux États »

Inutile de dire que la « solution à deux États » était l’idéale ; inutile également de dire que la politique expansionniste israélienne visait à éviter absolument cette option moyennant, notamment, la multiplication des colonies et privant ainsi la Palestine de la base matérielle pour la création de son État. Pour ce faire, Israël se devait non seulement d’affaiblir les Palestiniens « territorialement » mais aussi politiquement ; autrement dit, de nuire, de toutes les manières possibles, à l’Organisation de Libération de la Palestine de Yasser Arafat et de soutenir le Hamas, organisation islamiste créée par Abdallah Azzam, idéologue de la guerre sainte, mentor des Frères musulmans, référence majeure de Ben Laden et inspirateur également des talibans afghans, radicalement opposé à la politique des « deux États » [ ].

Benyamin Netanyahou avait très bien compris qu’avec un Hamas fort et un Arafat faible il n’y aurait jamais deux États. Voici ce qu’il avouait à son groupe parlementaire en mars 2019 : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie [ ]. » Il apparaît donc évident que dans la situation « post 7 octobre 2023/Hamas », la perspective d’une solution à deux États est devenue plus que jamais improbable ; encore moins celle d’un seul État binational.

Qualifier de « néocolonialiste » la politique de multiplication forcenée des colonisations du premier ministre israélien nous semble un peu court. En réalité, digne héritier de la pensée et de l’œuvre de Vladimir Jabotinsky, Netanyahou ne souhaite pas coloniser la Cisjordanie et Gaza ; son plan consiste à vider ces deux territoires de ses populations palestiniennes, en commençant par la Cisjordanie. Elles devraient devenir à terme partie du territoire d’Israël, le seul pays au monde sans frontières établies. Si l’attaque du Hamas du 7 octobre fut une telle réussite, ce fut précisément parce que les forces de choc de l’armée de terre israélienne se trouvaient cette nuit-là en Cisjordanie pour épauler les opérations de colonisation des commandos sionistes.

[*] Netanyahou – Jabotinsky, le retour aux sources ?

Vladimir Jabotinsky (1880-1940), partisan de l’éradication totale des populations palestiniennes, fut le théoricien et l’inspirateur des positions les plus extrêmes du sionisme. Il fut le fondateur de Betar et plus tard l’animateur de l’Irgoun, les forces de choc militaires actives contre les populations arabes et le sionisme de gauche, et dans l’écrasement des grèves ouvrières. Son racisme anti-arabe n’avait d’égal que son anticommunisme. Il est allé jusqu’à proposer sa collaboration à Simon Petlioura, le chef de l’armée nationaliste ukrainienne qui se battait contre l’Armée rouge au lendemain de la Révolution d’octobre et qui fut coupable de pogroms ayant provoqué la mort de milliers de Juifs. Jabotinsky signera un accord avec lui, sans en référer à la direction de l’Organisation sioniste mondiale, ce qui lui vaudra un blâme.

Ce parcours n’empêchera pas David Ben Gourion de créer en 1955 le « Prix de l’Ordre Jabotinsky » pour honorer les personnes ayant travaillé « à la diffusion de la philosophie et des idées de Jabotinsky ». On notera dans la liste des lauréats un certain Elie Wiesel, prix Nobel de la paix 1986. Le secrétaire particulier de Jabotinsky fut Benzion Netanyahou, le père de Benyamin.

Un Nakba-bis de tentes dans le Sinaï ?

WikiLeaks, a partagé lundi 30 octobre un rapport produit le 13 par le ministère des Renseignements israélien intitulé « Document d’orientation : alternatives à une directive politique pour la population civile à Gaza » évoquant un déplacement forcé des civils de Gaza vers l’Égypte après la défaite du Hamas : déplacement qui « produirait des résultats stratégiques positifs et à long terme ». WikiLeaks affirme que ce « document consultatif envisage un processus en trois étapes comprenant l’établissement de villes de tentes dans le Sinaï et l’ouverture d’un corridor humanitaire, suivi par la construction de villes dans le nord [de la région] d’où il n’y aurait pas de retour à Gaza ». Selon l’agence Associated Press, le bureau du premier ministre, Benyamin Netanyahou, a minimisé sa portée en le qualifiant d’exercice hypothétique. (Le ministère des Renseignements prépare de manière indépendante des études et des documents d’orientation, qui sont distribués au gouvernement et aux organes de sécurité pour examen, mais qui ne les engagent pas.)

Le rapport estime que (au cas où ce projet serait mis à exécution, NdlR) des campagnes de communication devront être menées à l’égard des pays occidentaux, orientaux mais aussi auprès de la population gazaouie pour lui « faire comprendre qu’il n’y a plus aucun espoir de retour dans les territoires qu’Israël veut occuper… » Le document imagine même le type de message à adresser aux déplacés : « Allah a veillé à ce que vous perdiez cette terre à cause de la direction du Hamas – vous n’avez pas d’autre choix que de déménager ailleurs avec l’aide de vos frères musulmans [ ]. »

L’existence de cette « hypothèse » a en fait été confirmée le 12 octobre par l’ancien vice-ministre israélien des Affaires étrangères et conseiller en politique étrangère de Benyamin Netanyahou, Danny Ayalon dans un entretien avec le journaliste d’Al Jaseera, Marc Lamont Hill. L’ancien diplomate a déclaré : « … c’est réfléchi. (….) Il y a un espace presque infini dans le désert du Sinaï, juste de l’autre côté de Gaza. L’idée est qu’ils partent vers des zones ouvertes où nous et la communauté internationale préparerons les infrastructures, vous savez, des camps de tentes, avec de la nourriture et de l’eau. – vous savez, tout comme pour les réfugiés syriens qui ont fui le massacre d’Assad il y a quelques années vers la Turquie. La Turquie en a reçu 2 millions. C’est l’idée [ ]. » Invité de France Inter ce 3 novembre, l’ancien ministre libanais et consultant des Nations Unies Ghassan Salamé, a confirmé que la raison principale de la première visite d’Anthony Blinken après le 7 octobre fut d’essayer de vendre, sans succès, ce projet et à Israël et à l’Égypte et à la Jordanie [ ].

De son côté, le célèbre journaliste d’investigation Seymour Hersh a déclaré : « Un responsable israélien m’a dit qu’Israël essayait de convaincre le Qatar, qui, à l’instigation du premier ministre Benyamin Netanyahou, était un soutien financier de longue date du Hamas, de s’associer à l’Égypte pour financer un village de tentes pour le million ou plus de réfugiés qui attendent de l’autre côté de la frontière [ ]. »

Une convergence sordide de financements

D’un côté, suivant le désidérata de Netanyahou mentionné ci-dessus, le Qatar alimente généreusement le Hamas en dollars, sous prétexte qu’il constitue la véritable expression de le pensée islamiste, mais en réalité pour contrer la progression politique de l’Organisation de libération de la Palestine à l’époque où cette dernière avait une position intransigeante de défense des droits des Palestiniens, notamment en ce qui concerne le retour aux frontières de 1967.
L’autre source de financement provenait et provient toujours de l’Union européenne cette fois en faveur de l’Autorité palestinienne, c’est-à-dire en faveur de l’organisation combattue depuis toujours par le Hamas. Cette situation pourrait, en principe, nous conduire à estimer qu’il s’agit de deux flux d’argent non seulement distincts mais opposés, or c’est exactement le contraire. Il s’agit en réalité de deux démarches qui vont dans le même sens, à savoir consolider le statu quo et soutenir ainsi, indirectement, les politiques expansionnistes des divers gouvernements israéliens.

Dans le cas de l’Union européenne, la pratique est singulièrement cynique. Cette organisation se vante régulièrement d’être la première source de financement des « programmes d’aide à la Palestine » sans préciser qu’il s’agit de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, entité qui est très loin de représenter « la Palestine ». Ce qu’elle ne dit pas, c’est que les montants qu’elle verse servent, d’un côté, de soins palliatifs en visant à tenir calme une population en extrême détresse et de l’autre, à alimenter la bureaucratie corrompue et collaborationniste qu’est devenue l’Autorité palestinienne. Ainsi, on est dans un cadre où d’une certaine manière l’Union européenne et le Qatar livrent le même combat : empêcher, via leurs subordonnés respectifs, le Hamas et l’Autorité palestinienne, la création d’un État palestinien [ ].

Le réveil sanglant du 7 octobre

Pour le monde entier, en particulier pour les protagonistes les plus concernés, les États-Unis, l’Union européenne, et les pays arabes, la question palestinienne était passée carrément aux oubliettes ; c’était un dossier que l’on croyait passé définitivement par pertes et profits. Cette assurance ne pouvait qu’être renforcée par les progrès des accords « d’Abraham », une initiative de la Maison Blanche cherchant à normaliser les relations entre les pays arabes et Israël ayant comme conséquence l’abandon définitif de la solidarité que ces pays étaient supposés avoir en faveur de la Palestine. Des accords en ce sens avaient été déjà conclus avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc et un autre avec l’Arabie Saoudite était déjà en phase finale de préparation. L’atmosphère était si favorable aux objectifs de la diplomatie étatsunienne que le 29 septembre, c’est-à-dire huit jours avant l’attaque militaire du Hamas, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Jake Sullivan déclarait dans une conférence de presse (sic) : « Le Moyen-Orient est plus calme aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été au cours des deux dernières décennies [ ]. »

Le réveil au matin du 8 octobre fut violent non seulement pour Jake Sullivan, mais surtout pour Israël, son gouvernement, sa population, et pour le monde. Des oubliettes, la question palestinienne faisait un retour au sommet de l’agenda de la politique internationale, avec une opération militaire d’une efficacité et d’une technicité remarquables. D’une brutalité remarquable également, que nous ne pouvons que condamner sans réserve. On peut en effet comprendre, c’est notre cas, l’impératif de révolte, y compris armée, d’un peuple si violemment opprimé depuis si longtemps. Mais rien ne justifie qu’un militant exécute des civils désarmés ; cela n’a jamais fait partie de l’éthique des combats révolutionnaires et ne le sera jamais.

Cela étant dit, les médias dominants, ne retiennent que ces gestes condamnables. Ils se limitent à ne voir que ces groupes de jeunes tués « pendant qu’ils dansaient » dans une rave party [ ]. Pas un mot, pas une pensée pour ces autres jeunes, leurs agresseurs, dont une très large partie sortaient d’un enfer dans lequel ils sont emprisonnés depuis leur naissance, et qui n’avaient d’autre perspective que de continuer à subir des répressions et des massacres à répétition. En traversant la frontière, l’estomac à moitié vide, ils se sont trouvés en face d’autres jeunes de leur âge faisant la fête et dont la vie est depuis (presque) toujours une succession de rave parties. Le Hamas a su exploiter dans le sens de son idéologie la détresse de ces jeunes Palestiniens, quasi sans aucune autre formation que la haine et la révolte.

Le RDV de deux « barbaries »

À la différence des jeunes « barbares » palestiniens, les décideurs de Tel Aviv et leurs alliés sont eux, bien propres sur eux et encore mieux nourris ; chez eux, ce ne sont pas les tripes qui déterminent leur conduite mais leurs raisonnements aussi froids que leurs calculs. Ainsi, Netanyahou dit qu’il faut soutenir le Hamas pour qu’il n’y ait jamais d’État palestinien. Ainsi, Ursula von der Leyen, en parlant de la guerre en Ukraine, élève la voix pour condamner la Russie : « Priver des hommes, des femmes et des enfants d’eau, d’électricité et de chauffage, ce sont des crimes de guerre, des actes de pure terreur » [ ] et ne dit pas un mot lorsque Tel Aviv décide, par un geste administratif et non pas suite à des opérations militaires comme dans le cas russe, de fermer les robinets d’eau, de gaz et d’électricité aux populations civiles de Gaza [ ].

Quand le président d’Israël Isaac Herzog déclare lors d’une conférence de presse que : « C’est toute une nation qui est responsable. Cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas au courant, ne sont pas impliqués, n’est absolument pas vraie. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu se battre contre ce régime diabolique » , cherchant à justifier à l’avance la mort des civils gazaouis pendant l’intervention terrestre de Tsahal [ ], il nous fait surtout regretter cet autre Israël, et même cet autre sionisme dans la lignée d’esprits juifs comme Baruch Spinoza, Martin Buber, Moses Hess, Zeev Sternhel et tant d’autres, qui croyaient tout simplement en la possibilité de l’égalité et de la fraternité entre les hommes, entre tous les hommes.

Lorsqu’Emmanuel Macron interdisait ce 19 octobre toute manifestation de solidarité avec les populations de Gaza et de Palestine parce qu’il fallait observer (sic) « un délai de décence », il s’était bien abstenu de demander un même « délai de décence » à ses amis de Tel Aviv pour arrêter leurs bombardements, à un moment où plus de 6 000 tonnes de bombes sur des zones densément peuplées de Gaza avaient déjà été envoyées provoquant la mort de presque 3 000 personnes, dont un tiers d’enfants. Devant cet évident « deux poids deux mesures », on est en droit de se demander où s’arrêtera la dévaluation de la morale politique.

Source : »»https://investigaction.net/conflit-israelo-palestinien-lart-dempecher-…

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Source : Le Grand Soir
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