Haroun Abou Aram avec son père, Rasmi. Photo : Alex Levac
Par Gideon Levy
Gideon Levy, Haaretz, 16/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
C’était l’une des images les plus horribles que j’aie rencontrées sous l’occupation israélienne. Sur le sol d’une grotte sombre gisait un beau jeune homme, ses jambes très maigres soulevées sur une chaise en plastique, un tuyau de drainage de flegme planté dans son cou, sa tête enveloppée dans une serviette, ses yeux fermés, une couche sur ses reins. Son père se tenait au-dessus de lui, essuyant la sueur de son visage, sa mère était assise dans un coin de la grotte, son visage en disait long. Il est resté allongé comme ça, sans bouger, sans lit, sans électricité et sans eau courante, pendant deux ans. Deux ans et 43 jours, pour être précis.
Mardi matin 14 février, à 10 heures, Haroun Abou Aram est mort. Depuis que je l’avais vu l’été dernier, une de ses jambes avait été amputée. Maintenant, les médecins étaient sur le point d’amputer la seconde. Il est mort à l’hôpital d’Hébron d’une infection qui s’était propagée dans son corps à cause des escarres causées par le fait d’être resté couché sur le sol de la grotte pendant deux ans, et d’autres complications. Au cours des deux dernières semaines de sa vie misérable, il a été hospitalisé à Hébron, jusqu’à sa mort cette semaine.
Lorsque nous lui avons rendu visite dans la grotte l’ été dernier, Alex Levac et moi, il faisait semblant de dormir. Quand il a finalement ouvert les yeux, il nous a seulement demandé de sortir. Un an et demi plus tôt, le 1er janvier 2021, il a eu son 23e anniversaire. Ce jour-là, sa vie s’est arrêtée. Un soldat israélien lui a tiré dans le cou à bout portant et l’a rendu paralysé à partir du cou pour le reste de sa courte vie. Haroun avait tenté de sauver le générateur des voisins, que le soldat était sur le point de confisquer par la force.
Sans le générateur, il n’y a pas de vie dans la communauté de bergers de Khirbet Al Rakiz, au sud du Jebel Al Khalil (mont Hébron). Haroun a essayé d’arracher le générateur des mains du soldat, qui l’a abattu. Les FDI affirmeront plus tard que le soldat a senti que sa vie était en danger. Un soldat armé a senti que sa vie était menacée par un berger non armé, qui ne voulait rien d’autre que sauver le générateur de ses voisins – c’est ce que prévoit le code de conduite des soldats des FDI.
Selon le code éthique de cette même armée, le soldat n’a jamais été jugé pour quoi que ce soit. L’enquête a été close, le soldat a continué sa vie comme si rien de grave ne s’était produit.
La punition minimale qu’il aurait dû recevoir aurait été d’être obligé de rendre visite à sa victime. De regarder sa victime en face et de voir ce qu’il lui a fait. Mais Harun a été jeté et abandonné sur le sol de la grotte où vivent ses parents. Environ un an avant qu’il ne soit blessé, la maison de la famille avait été démolie par l’administration “civile”.
Au cours des deux années qui ont suivi, l’administration “civile” n’a pas permis à la famille de construire une route d’accès pour permettre à Haroun d’être déplacé, ni de construire une pièce où il pourrait vivre dans des conditions un peu plus humaines. C’était avant que le croquemitaine de la gauche sioniste, Bezalel Smotrich, ne soit nommé ministre en charge de l’administration “civile”.
Après que Haroun a été blessé, les autorités ont également retiré le permis de travail de son père – pour la construction de routes en Israël – par crainte qu’il ne cherche à se venger, et la famille s’est retrouvée sans soutien de famille. Mais ce n’était pas la fin de leurs galères. Israël a refusé de reconnaître la blessure d’Haroun et de financer ses soins médicaux et infirmiers, affirmant que l’État n’était pas “responsable des dommages”. Aucune responsabilité pour les dommages, aucune responsabilité pour quoi que ce soit, aucune culpabilité et aucune réparation. Vous cherchez le visage du mal israélien ? Sa victime a été jetée dans une grotte à Khirbet A Rakiz pendant deux ans.
L’histoire d’Haroun n’a suscité aucun intérêt en Israël – à l’exception de Médecins pour les droits humains, qui a collecté des dons pour l’hospitaliser en Israël pendant quelques mois, et d’un merveilleux groupe de volontaires israéliens qui se sont engagés à aider la famille. Ils ont continué à le faire avec un dévouement sans fin jusqu’à ses derniers instants.
Hier, Arela, du kibboutz Shoval a écrit sur Facebook qu’elle était sur le point de lui rendre visite à l’hôpital mardi, mais lorsqu’elle a appelé son père pour coordonner la visite, on lui a annoncé son décès.
« La mère Farsi et le père Rasmi, ses frères et sœurs, tous ont consacré leur vie à lui et l’ont perdu aujourd’hui. Je l’ai perdu aussi, nous l’avons perdu. Il était comme un fils pour nous ». Haroun est mort dans une terrible agonie, il avait l’habitude de pleurer la nuit et pendant la journée, il fermait les yeux et faisait semblant de dormir. Israël aussi a fermé les yeux. Quelle ignominie.
Source : TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…
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