Par Jo Ghanem
Alors que la ville syrienne de Jablé publiait sur les réseaux sociaux un appel de détresse demandant au plus grand nombre de jeunes volontaires de rejoindre au plus vite le cimetière Al-Fayd afin d’aider à creuser les tombes, le nombre de corps à ensevelir en leur dernière demeure ayant largement dépassé les capacités locales, le porte-parole officiel du département d’État américain, déclarait via Tweeter : « La Turquie envoie généreusement ses équipes d’intervention dans le monde entier pour aider lors des catastrophes naturelles. Les États-Unis sont prêts à aider les peuples turc et syrien en ces temps difficiles ».
Une déclaration qui a suscité des centaines de commentaires de citoyens du monde entier, la plupart se résumant à dire : « Levez les sanctions contre la Syrie. Arrêtez de voler le pétrole et le blé du peuple syrien ».
Au même moment, un militant syrien résidant en Allemagne annonçait sur Tweeter : « Les responsables du site GoFundME ont clôturé la campagne de dons au profit des Syriens victimes du séisme alors que nous avions collecté environ 15 000 euros en moins de 12 heures parce qu’il leur faudrait respecter les sanctions américaines et s’assurer que l’aide n’ira pas au « régime ». Aujourd’hui, je compte travailler avec ces mêmes responsables afin qu’ils lèvent leur interdiction puisqu’il s’agit d’une campagne humanitaire qui n’a rien à voir avec la politique et que c’est, plus exactement, un test de leur humanité…»
Une interdiction en raison de lois occidentales soumises aux lois d’un blocus décrété par les États-Unis contre le peuple syrien, lequel a pu observer les avions de l’aide internationale se diriger vers la Turquie à partir de 04H30 du lundi 6 février jusqu’au matin du mercredi suivant. D’où cette carte du trafic aérien résumant à elle seule notre histoire avec les États-Unis.
Moi, citoyen syrien, je tente depuis des heures de trouver le discours juste, objectif et digne de publication. Mais l’oppression, la colère et la déception qui pèsent sur mon cœur et le cœur de tous ceux que j’ai vus et entendus ces deux derniers jours rendent la sobriété du langage extrêmement difficile.
Je me souviens de ce jour de février 2014 où j’ai atterri, en transit, à l’aéroport d’un pays arabe qui accueillait une réunion d’un gang international initié par les États-Unis et présenté au monde en tant que « Groupe des amis du peuple syrien ». Je revois l’officier des douanes me tirer par le bras et ordonner ma mise à l’écart à la seule vue de mon passeport syrien. Je me revois maintenu en garde à vue en attendant pendant des heures l’avion qui devait m’emmener au loin parce sous prétexte que je constituais un danger pour le pays. Et, plus particulièrement, je me souviens de la réponse à mes réprimandes du timide soldat chargé de m’emmener jusqu’à mon siège dans l’avion : « Pardonne-moi, mon frère, je suis l’esclave du commandant ».
L’esclave du commandant ! Depuis hier, tous les Syriens ont entendu cette expression retentir d’une voix collective en observant les cartes du trafic aérien au-dessus de leur pays. Tous les Syriens ont vu les esclaves éviter leur ciel et boucher leurs oreilles aux cris des centaines de milliers de victimes innocentes sous les décombres ou dans les rues désertées sauf par le gel, le froid et la douleur.
Des esclaves du commandant américain ! Désormais, tel est le monde vu par les Syriens « qui n’ont pas d’amis », à moins qu’ils acceptent de détruire leur pays pour le bien de ce commandant dont la soif ne serait même pas étanchée par un fleuve de sang intarissable.
Les États-Unis d’Amérique volent chaque jour 80% du pétrole syrien et, à chaque saison de récoltes, brûlent tout le blé qu’ils n’ont pas pu voler. Ils imposent de prétendues sanctions aux secteurs des transports, de l’industrie, du commerce et des banques. Ils interdisent les transferts financiers, s’opposent fermement à tout rapprochement entre les Syriens et imposent leur volonté, par la force, à tout gouvernement qui voudrait établir la moindre communication politique, économique ou humanitaire avec le gouvernement syrien.
Concrètement, les États-Unis d’Amérique refusent l’aide humanitaire non seulement aux victimes civiles du séisme dans les zones sous souveraineté de l’État syrien, mais aussi aux victimes civiles dans les zones où ils ont investi et investissent toujours dans le terrorisme, la guerre et les groupes armés qu’ils ont soutenus, entraînés, armés, et auxquels ils ont remis l’argent collecté dans le monde entier pour détruire la Syrie.
En d’autres termes, les États-Unis disent à ceux pour qui ils ont réuni tous les gouvernements de l’Occident et plus de la moitié des gouvernements du monde en tant que « Groupe des amis du peuple syrien » : nous ne sommes vos amis que lorsque vous voulez vous combattre entre vous et détruire votre pays ; sachez que face à une catastrophe naturelle, nous ne pouvons pas vous aider car il existe des lois de blocus sacrées qui ne peuvent en aucun cas être violées ; soyez certains que nous ferons tout le nécessaire pour vous priver de toute forme d’assistance qui pourrait sauver vos vies et la vie de vos enfants ; mourez sous les décombres, mourez de froid et de faim : puisse tout Syrien sinistré, ayant survécu à notre guerre et au séisme, mourir d’une mort lente et douloureuse ; prenez en considération les déclarations vous assurant de notre sympathie et de notre intention de vous aider, mais ne nous demandez pas comment.
Ainsi, du fait de son vécu et suite à cette catastrophe ayant révélé les derniers vices cachés d’un empire du mal à nul autre pareil, tout Syrien vivant sur cette terre meurtrie sait que les États-Unis d’Amérique sont l’ennemi absolu, que ses administrations qui dominent le monde par la force des armes et l’oppression sont dépourvues de tout ce qui nourrit l’âme de l’humanité.
Par ailleurs, nombreux sont les Syriens qui n’arrivent pas à comprendre le niveau d’asservissement et de mépris d’autrui atteint par certains régimes et gouvernements arabes, au point de tuer leur propre humanité et d’humilier leur propre peuple alors qu’ils regardent des Syriens mourir sans leur tendre la main, tandis que leurs avions chargés d’équipes et de matériel de secours en tout genre se dirigent vers notre voisine blessée tout comme nous le sommes : la Turquie.
Au soir de ce mercredi 8 février, seuls 13 pays ont annoncé leur volonté d’aider les Syriens et certains sont arrivés sur place dès les premières heures. Parmi ceux-là, des pays qui endurent un blocus américain étouffant et meurtrier depuis des années, tels l’Iran et le Liban ; des pays qui ont subi des guerres américaines ayant déchiré leur géographie, détruit leurs villes et villages, tué des centaines de milliers de leurs habitants, tels l’Irak et la Libye ; des pays qui subissent des guerres militaires, économiques et politiques entretenues par Washington dans le but de renverser leurs gouvernements et de les détruire, telles la Russie et la Chine ; des pays qui, en aucune circonstance, ne se sont dérobés face à leurs devoirs humanitaires et nationaux, telle l’Algérie.
Quant aux Émirats arabes unis, les Syriens se demandent comment se fait-il qu’ils aient pu répondre à l’appel de leur douleur alors que d’autres pays arabes du Golfe n’ont pas bougé le petit doigt dans leur direction. Les Syriens ne l’oublieront jamais, tout comme ils n’ont pas oublié que les gouvernements de ces pays ont largement ouvert leurs frontières, leurs banques, leurs arsenaux et leurs médias pour financer la guerre contre leur pays; certains étant allés jusqu’à prendre en charge les frais de transport des combattants takfiristes et des mercenaires venus des quatre coins de la planète pour démolir l’État syrien, son armée et son peuple.
Aujourd’hui, après plus de dix ans d’une guerre dirigée par les États-Unis d’Amérique et financée par des pays arabes et occidentaux, le séisme du 6 février est venu transformer notre pays en un lieu sinistré dans tous les sens du terme et notre peuple en une masse humaine pétrie de douleurs et de désolations. Mais, du même coup, il a renforcé notre capacité à distinguer l’ami de l’ennemi.
Les Syriens n’ont pas encore sorti leurs proches, morts ou survivants, de sous les décombres. Ils auront à travailler dur avant de pouvoir contenir les effets de cette terrifiante catastrophe ; ce qui nécessitera de piétiner les lois du blocus de l’empire américain et de détruire les outils d’une oppression ayant réduit plus de la moitié de ce monde en esclaves qui n’osent même plus secourir leur frère en humanité.
Ce qui ne fut pas le cas du ministre libanais « Ali Hamieh » lequel, en dépit des sanctions et des catastrophes subies par son pays, n’a pas hésité à annoncer devant le monde entier que les ports et aéroports du Liban sont ouverts à tous ceux qui voudraient les emprunter pour secourir le frère syrien gravement blessé. Un nom que les Syriens ne sont pas près d’oublier.
Jo Ghanem
Citoyen syrien
08/02/2023
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : [Al-Mayadeen] [
العالَم أمام المأساة السورية: عبد المأمور
Source : Mouna Alno-Nakhal
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