Par Pierre Barbancey

Le groupe Sionisme religieux obtient 14 députés, soit le double de la précédente législature. Surtout, il assure à Benyamin Netanyahou un retour au pouvoir, tout en étant en position de force.

Tout sourires, son épouse à ses côtés, Benyamin Netanyahou, crédité de 31 sièges à l’issue du cinquième scrutin législatif en trois ans, est en passe de former une majorité à la Knesset. Pourtant, il ne cesse de le répéter : « J’ai de l’expérience, j’ai fait quelques élections, nous devons attendre les résultats définitifs. » Ceux-ci ne seront proclamés qu’aujourd’hui, mais l’affaire est quasiment entendue. Ce mercredi, en milieu de matinée, environ 84 % des bulletins avaient été dépouillés alors que le taux de participation de 71,3 % est le plus élevé depuis 2015. Avec ses alliés, le bloc de Netanyahou compterait 65 sièges, soit quatre de plus que la majorité nécessaire, la Knesset (le Parlement) comptant 120 membres. Mais ces scores pourraient changer à l’annonce des résultats officiels, notamment en fonction des sièges remportés par les petits partis. S’ils ne passent pas la barre des 3,25 %, leurs voix sont réparties. Le parti arabe Balad et celui de la gauche sioniste, Meretz, pourraient se retrouver dans ce cas.
Avec 24 sièges, le premier ministre sortant, Yaïr Lapid, ne parvient pas à talonner suffisamment Netanyahou pour espérer l’empêcher de revenir au pouvoir. D’autant que Lapid, pour former une éventuelle coalition, ne peut compter que sur des formations ne réalisant pas des scores élevés, donc n’obtenant que peu de députés. Sans parler d’une hétérogénéité évidente, puisqu’une telle alliance irait d’Avigdor Liberman, l’homme qui voulait décapiter à la hache les Arabes et les déporter, au Parti travailliste, en passant par de petites entités qui essaient de vendre leurs voix pour recueillir quelques miettes, sans oublier les islamistes de Raam, dirigé par Mansour Abbas, celui qui a désuni les Palestiniens d’Israël.

Itamar Ben-Gvir, promoteur de ce triomphe

En 2020, les partis arabes et les communistes, hostiles au bloc de droite de Netanyahou, avaient récolté un record de 15 sièges en se présentant unis, sous l’impulsion du PC israélien. Mais, malgré les tentatives du chef de file communiste, Ayman Odeh, ils se sont ensuite présentés en ordre dispersé, cette fois sous trois listes, Raam (islamiste modéré), Hadash-Taal (laïc) et Balad (nationaliste). Les deux premières obtiendraient 5 sièges chacune.
Netanyahou, en vieux loup de la politique, l’a joué mezza voce depuis la clôture du scrutin. Mais le grand vainqueur avéré de ces élections est bien l’extrême droite israélienne. Les deux partis Otzma Yehudit (Pouvoir juif), d’Itamar Ben-Gvir, et HaTzionut HarDatit (Parti religieux sioniste), de Bezalel Smotrich, se sont regroupés sous le nom de Sionisme religieux. Ils obtiennent quatorze députés, soit le double de la précédente législature et trois fois plus de parlementaires que l’historique Parti travailliste.
Itamar Ben-Gvir, grand admirateur du rabbin d’extrême droite Meir Kahane, fondateur de la Ligue de défense juive (LDJ) aux États-Unis, est assurément le promoteur de ce triomphe. Il pourrait même devenir le ministre de la Police de Netanyahou. Depuis plusieurs mois, il multiplie les provocations en accompagnant les colons sur l’esplanade des Mosquées, créant toujours plus de tension à Jérusalem-Est. Il est le représentant d’une droite messianique pour laquelle les Palestiniens n’ont aucun droit, qui considère qu’Israël doit s’étendre du Jourdain à la Méditerranée et du Liban à l’Égypte. Otzma Yehudit est le successeur idéologique du parti Kach, une formation suprémaciste juive et raciste. Il réclame l’expulsion du pays des citoyens arabes et l’instauration d’une théocratie. Il revendique l’annexion de toute la Cisjordanie, mais sans accorder aux Palestiniens un quelconque droit de vote.

Des gages aux deux partis ultra-orthodoxes

Pour être inquiétant, ce résultat n’est cependant pas surprenant. Il survient dans un climat de répression tous azimuts contre les Palestiniens, désignés comme les ennemis susceptibles de remettre en cause l’existence d’Israël. Yaïr Lapid n’a eu de cesse d’envoyer ses soldats dans les territoires occupés, particulièrement à Jénine et à Naplouse, pour tenter d’éradiquer toute révolte de la jeunesse palestinienne. Celle-ci, en quête d’avenir, cherche ses propres voies de libération. Au même moment, de nombreux jeunes Israéliens font d’Itamar Ben-Gvir leur nouvelle idole. Ils se retrouvent dans son récit historico-biblique des « droits du peuple juif » sur ces terres. Une popularité d’autant plus renforcée que les colons ont une influence grandissante sur la vie politique israélienne et au sein de l’armée, donc dans toutes les strates de la société. Ainsi, pour la première fois, un colon, le major général Herzi Halevi, a été nommé chef d’état-major de l’armée israélienne. « Il y a cette fiction, que les membres de la communauté internationale semblent avoir, selon laquelle il y a en quelque sorte Israël et puis il y a les colonies – comme si elles étaient séparées les unes des autres », fait remarquer Diana Buttu, ancienne porte-parole de l’OLP aujourd’hui analyste politique à Ramallah. « Mais vraiment, en réalité, on voit que c’est un tout. »
Le contrôle de la Cisjordanie par Israël étant une évidence défendue par tous les gouvernements successifs, le renforcement du groupe le plus extrême en ce domaine était à attendre. Mais il s’est également accéléré sous l’impulsion d’un Netanyahou dans le besoin électoral. Il a manœuvré pour l’union de l’extrême droite, bénéficiant ainsi du soutien d’un solide bloc de 14 députés, et a donné des gages aux deux partis ultra-orthodoxes (Shas et Judaïsme unifié de la Torah), devenus ses obligés, prêts à le suivre partout. « Les résultats montrent que Netanyahou a plus de chances de former un gouvernement avec des fascistes à ses côtés », s’est inquiétée Aida Touma-Suleiman, députée communiste (Hadash-Taal). « Et cela nous préoccupe grandement (…) car cela témoigne de la direction que prend ce pays et de ce qui attend les Palestiniens vivant dans ce pays. »
Mercredi, Itamar Ben-Gvir, qui avait policé (c’est le mot !) son image pendant la campagne électorale, a laissé apparaître son vrai visage. « Le temps est venu pour un gouvernement de droite à part entière. Le temps est venu d’être les maîtres (…) dans notre pays ! » a-t-il lancé, en réitérant son appel à user de la force, notamment contre des Palestiniens.

Pierre Barbancey
L’Humanité du 03 novembre 2022

Source : Assawra
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