Par Clara Weiss
Rien ne montre de façon aussi criante le caractère pro-capitaliste et pro-impérialiste de l’AFL-CIO que la dissimulation délibérée des crimes historiques du fascisme ukrainien par Randi Weingarten, lors de sa tournée pro-guerre en Ukraine cette semaine.
En tweetant sur son voyage en Ukraine, Randi Weingarten a prétendu qu’elle était là «au nom» des 1,7 million d’enseignants membres de l’AFT. C’est là un mensonge éhonté. Elle a visité l’Ukraine non pas en représentante des enseignants mais en serviteur loyal de l’appareil d’État américain, de l’armée et de profiteurs de guerre qui ont engrangé des bénéfices records dus aux milliards de dollars de livraisons d’armes à l’armée ukrainienne et aux paramilitaires fascistes.
Aucune de ses discussions n’eut quoi que ce soit à voir avec les intérêts des travailleurs en Ukraine, et encore moins aux États-Unis. Au cours de son voyage, elle a rencontré des responsables syndicaux soutenus par les États-Unis, qu’on appelle maintenant à imposer à la classe ouvrière ukrainienne les attaques massives du gouvernement Zelensky. Hier, elle s’est entretenue à Varsovie avec les dirigeants de syndicats d’enseignants polonais qui s’efforcent de contenir la colère croissante de la classe ouvrière face à l’inflation galopante.
Sa tournée de guerre en Ukraine a culminé avec un voyage à Lviv. Là, elle a eu l’audace de se référer au massacre fasciste dans cette ville pour justifier son soutien à la guerre menée contre la Russie par les États-Unis et l’OTAN. «J’ai passé du temps aujourd’hui à me promener dans le quartier juif de Lviv et à visiter le mémorial du ghetto juif. 140.000 Juifs y ont été tués entre 1941 et 1943. Cela équivaut à 98 pour cent de la population juive, qui représentait 30 pour cent de la population de Lviv à l’époque», a-t-elle tweeté Jeudi.
Ce que Weingarten a omis de mentionner, c’est que l’Organisation fasciste des nationalistes ukrainiens de Stepan Bandera (OUN-B) a joué un rôle essentiel dans l’extermination de la population juive de Lviv. Cette omission n’est pas un accident. La veille, Weingarten avait rencontré le maire de Lviv, Andriy Sadovyi. Si elle a tweeté : «trois mots le guident – “intact, résilience et survie”», Sadovyi est, en fait, un admirateur déclaré du fasciste Bandera.
En 2011, Sadovyi a fait l’éloge de Bandera et de son allié fasciste Roman Shukhevich, les disant «nos héros» qui ont «défendu notre sol» et qui devraient être honorés par «les enfants et les jeunes». Le 26 février, il a exhorté les habitants à défendre la ville avec ce qu’il a appelé des «“smoothies” de Bandera» – son terme pour les cocktails Molotov.
Sous l’administration de Sadovyi, de grands pans de Lviv ont été transformés en sorte de parc à thème fasciste. La ville pullule de monuments à la gloire des fascistes ukrainiens et des collaborateurs nazis, et de nombreuses rues et bâtiments portent leur nom. En 2012, le Centre Simon Wisenthal a critiqué directement Sadovyi pour avoir tenté de «couvrir des manifestations très fortes d’antisémitisme» à Lviv, et a dénoncé la municipalité pour avoir continué «à tolérer l’antisémitisme», notamment en décernant un prix dédié à Bandera.
Selon l’historien Per Anders Rudling, le Kriyvka, peut-être le restaurant local le plus populaire, a pour thème la branche armée de l’OUN-B, l’UPA (Armée insurrectionnelle ukrainienne). Sa devise est «Le combat continue» et il affirme attirer un million de visiteurs par an. Au menu, il propose des plats comme «Porc bouilli froid “Hände Hoch”» et «Sérénade de combat». Ses clients sont assis dans des salles à manger décorées de «portraits plus grands que nature de Bandera», tandis que les toilettes sont placardées d’anecdotes russes et juives. Ce n’est là que l’un de toute une série de restaurants, cafés et bistrots «pop fascistes», dirigés par l’un des entrepreneurs les plus prospères de la ville.
L’université nationale de Lviv Ivan Franko, où Weingarten a rencontré des responsables du principal syndicat d’enseignants ukrainien, est, selon Rudling, «explicitement engagée dans l’ethnicisation de son corps étudiant et dans la production d’une élite à conscience nationale». C’est l’un des plus importants centres universitaires ukrainiens, où les limites entre ce qui est considéré comme recherche «légitime» et la propagande ultranationaliste sont systématiquement brouillées.
La promotion par Weingarten de ces politiciens et institutions d’extrême droite et son silence délibéré sur les crimes commis par les fascistes ukrainiens contre la population juive de Lviv et d’Ukraine ont les implications les plus sinistres.
En raison de son importance géostratégique et économique, l’impérialisme allemand a occupé et cherché à soumettre l’Ukraine au cours des deux Guerres mondiales. Mais il ne l’a jamais fait sans la collaboration substantielle de la bourgeoisie nationaliste et des forces locales d’extrême droite. Pendant la Seconde Guerre mondiale, cette collaboration a pris des proportions monstrueuses. Les fascistes ukrainiens de l’OUN, issus d’une réaction violente et nationaliste dirigée contre la révolution socialiste d’Octobre 1917, devinrent un pilier central de la guerre des nazis contre l’Union soviétique et surtout de l’Holocauste. Ils étaient imprégnés d’une idéologie raciste et fasciste où la haine anti-juive se confondait avec l’anticommunisme le plus violent.
Bien que Lviv fût alors une ville multi-ethnique composée de Polonais, de Juifs et d’Ukrainiens, elle est devenue le cœur de l’extrême droite ukrainienne. C’est ici, le 30 juin 1941 à 20 heures, que Yaroslav Stetsko, de l’OUN-B, a proclamé un État ukrainien indépendant «sous la direction de Stepan Bandera» et a promis la coopération de l’Ukraine avec la «Grande Allemagne nationale-socialiste, qui, sous la direction d’Adolf Hitler, crée un nouvel ordre en Europe et dans le monde, et aide la nation ukrainienne à se libérer de l’occupation moscovite». Dans toute la ville, les nazis et l’OUN-B ont déployé des drapeaux jaune-bleu et des croix gammées, ainsi que des affiches portant des slogans tels que «Longue vie à Stepan Bandera, longue vie à Adolf Hitler».
Au moment où l’OUN-B proclamait son «État ukrainien indépendant», eut lieu le pogrom le plus épouvantable de l’Ukraine occidentale sous occupation nazie. Tôt le matin du 1er juillet 1941, les membres de la milice ukrainienne mise en place par l’OUN-B commencèrent à chasser les Juifs de leurs foyers et à les pousser jusqu’à des cours de prison, où ils furent contraints de se livrer à des rituels censés démontrer leur responsabilité dans des crimes commis par le service secret soviétique NKVD. Ils étaient ensuite brutalement battus à mort. Les femmes juives étaient frappées à coups de pied, battues, déshabillées et violées; les femmes enceintes étaient frappées à coups de pied dans l’estomac. Les auteurs du pogrom étaient avant tout des nationalistes ukrainiens, mais aussi des troupes d’occupation allemande, ainsi que des éléments de la population ukrainienne locale et, dans une moindre mesure, de la population polonaise.
L’historien Grezgorz Rossoliński-Liebe, qui a écrit une biographie de Stepan Bandera qui fait autorité, a souligné que le pogrom était «une action bien organisée» dans laquelle «la milice ukrainienne établie par l’OUN-B a collaboré étroitement avec les formations allemandes…» (Grezgorz Rossoliński-Liebe, Stepan Bandera: La vie et l’après-vie d’un nationaliste ukrainien: Fascisme, génocide et culte, Stuttgart: Ibidem Verlag, 2014, p. 212).
Le pogrom a fait entre 7.000 et 8.000 morts selon les estimations. Moins de deux mois plus tard, du 25 au 28 juillet, les nationalistes ukrainiens ont organisé le pogrom suivant à Lviv, tuant environ 1.500 autres personnes. Les historiens estiment à 39.000 le nombre total de personnes assassinées lors des pogroms anti-juifs dirigés par l’OUN-B au cours des premiers mois qui ont suivi l’invasion nazie en Ukraine occidentale.
Aussi horribles que soient ces chiffres, ils ne représentent qu’une partie relativement faible des crimes commis par les forces fascistes ukrainiennes pendant la Seconde Guerre mondiale. Les membres de l’OUN-B furent intégrés en masse dans la police sous les autorités d’occupation allemande qui a joué un rôle central dans l’Holocauste en Ukraine. On a tué au moins 1,6 million de Juifs ukrainiens au cours de ce génocide.
Les crimes du fascisme ukrainien ne se sont pas limités à la population juive. En 1943-1944, l’OUN-B et l’UPA se sont livrés à des massacres génocidaires de la population polonaise. Cette dernière vivait depuis des siècles sur ce qui est aujourd’hui le territoire ukrainien. La Galicie orientale, où se trouve Lviv, ainsi que la Volhynie, sont redevenues le centre des massacres de l’OUN-UPA. Ces organisations ont assassiné entre 70.000 et 100.000 hommes, femmes et enfants polonais, souvent avec les mêmes méthodes de torture que les fascistes ukrainiens avaient apprises des nazis et qu’ils avaient déployées auparavant contre leurs victimes juives.
Les enseignants pourraient se demander pourquoi Weingarten consacre tant d’efforts à la promotion d’une guerre qui, selon Biden lui-même, pourrait mener à «l’Apocalypse», dans des conditions où les enseignants font face à une pandémie qui continue et à une austérité croissante visant à détruire l’enseignement public.
En réalité, les enseignants américains sont victimes de la même politique pro-capitaliste et guerrière que celle que Weingarten et l’AFL-CIO imposent aux travailleurs d’Europe de l’Est. Weingarten se pose en défenseur de la «liberté» ukrainienne alors qu’elle et l’AFT ont joué un rôle indispensable pour imposer la politique d’«immunité collective» de la classe dirigeante en réponse à la pandémie de COVID-19. L’AFT a fait pression pour la réouverture dangereuse des écoles pour le compte de Wall Street et contre l’opposition des enseignants et des parents. En conséquence de cette politique meurtrière, plus d’un million d’Américains sont morts, parmi lesquels au moins 8.000 enseignants et 2.000 enfants.
Pour la classe dirigeante américaine, le renforcement des forces fascistes, en Ukraine mais aussi aux États-Unis, est une composante nécessaire de la campagne de l’impérialisme américain pour assujettir d’abord la Russie, puis la Chine et finalement le monde entier à une domination sans partage ; et pour se préparer à une confrontation violente avec la classe ouvrière. Dans le cadre de cette stratégie de guerre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, les bureaucraties syndicales jouent le rôle crucial d’étouffer la lutte des classes et de subordonner la classe ouvrière à l’appareil d’État et aux intérêts de la classe dominante.
La visite de Randi Weingarten à Lviv et sa dissimulation des crimes du fascisme ukrainien montrent clairement deux choses. Premièrement, un mouvement pour mettre fin à la guerre doit comprendre une rébellion des travailleurs, aux États-Unis et dans le monde, contre ces appareils réactionnaires. Il faut établir un réseau international de comités de base pour organiser les luttes des travailleurs de façon unifiée et coordonnée à l’international. Deuxièmement, un mouvement socialiste anti-guerre dans la classe ouvrière doit être préparé et ancré dans la défense de la vérité historique et l’assimilation de toutes les leçons politiques clés des grandes questions non résolues du 20e siècle.
(Article paru d’abord en anglais le 14 octobre 2022)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…