Par Leila Mazboudi

Dans les médias israéliens, le traitement du dossier sur la démarcation des frontières maritimes avec le Liban tourne à la tragédie. Alors que dans les médias libanais, c’est tout le contraire, jusqu’à l’euphorie. Quoique les observateurs des deux côtés n’ont pas encore pris connaissance des propositions faites par le médiateur américain Amos Hochstein, livrées pour la première fois dans un texte écrit, aux dirigeants libanais la semaine dernière.

Côté israélien, les observateurs constatent le fait de l’accélération des négociations à partir du mois de juin dernier, depuis les menaces contre ‘Israël’ du numéro un du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah. De l’autre, ils semblent spéculer sur la teneur du texte américain en question, et tentent de deviner ses clauses à la lumière des réactions libanaises entre autres, dont celles du Hezbollah.

Les dirigeants libanais ont laissé entendre lundi 3 octobre, à l’issue de la rencontre des présidents à Baabda pour en discuter, que le Liban a obtenu ses pleins droits dans le gisement de Qana situé à cheval sur la ligne 23, autour de laquelle se sont axés les pourparlers. Et le chef du Hezbollah Sayed Nasrallah, lors de son discours samedi 1er octobre, au lendemain de la remise du message de Hochstein, semblait plutôt satisfait, mais aussi sur l’expectative, toute en faisant remarquer que « les jours prochain seront décisifs »

« Israël » n’a rien obtenu: Karish contre Qana

Qoiqu’ignorant le contenu des propositions américaines concertées avec les Israéliens, des observateurs israéliens déplorent d’ores et déjà que l’entité sioniste n’ait rien obtenu, alors que le Liban a tout obtenu.

Selon le Jerusalem Post, « Israël a renoncé à une zone contestée en échange de promesses théoriques non encore cristallisées ».
Le journal Israel Hayom estime « qu’Israël a renoncé pour la première fois à des eaux économiques qui lui reviennent et dans lesquelles se trouvent des couches importantes de gaz naturel ».

L’ex-ambassadeur juif américain en ‘Israël’ David Friedman semble lui aussi partager le ton des observateurs israéliens les plus taciturnes : «  Le Liban a obtenu l’intégralité de ce qu’il a demandé et Israël  a reçu zéro de ses demandes », a-t-il tweeté.

Tous les trois font  allusion au champ Qana qui mord dans la zone située entre la ligne 23 et la ligne 29. Le Liban a conditionné qu’il lui revienne entièrement, d’autant qu’il a renoncé à la ligne 29 qu’il revendiquait aussi, mais s’était abstenu de la mettre à la table des négociations du dernier round .

« Le Liban a obtenu tous ses droits sur le champ de Qana, et je n’en dirai pas plus» a lancé le vice-président du parlement Elias Bou Saab, à l’issue hier lundi de la rencontre des trois présidents à Baabda, destinée à discuter les propositions américaines.

Sachant que du côté des dirigeants israéliens officiels, le ton est certes moins pessimiste. L’accord devrait leur permettre de passer à la phase d’extraction du gaz du champ de Karish, situé dans la zone contestée et revendiquée par le Liban de la ligne 29.

Mais pour les observateurs israéliens, le report de la date de son extraction est le signe de s’être plié aux mises en garde du Hezbollah. Prévue par la société britannique Energean pour la mi-septembre, elle a été reportée à la mi-octobre.

Hezbollah, le sauveur: diplomatie des drones

En effet, chez d’autres observateurs israéliens, on déplore surtout dans l’exploit libanais le fait qu’il a été réalisé grâce à l’intervention du Hezbollah, ce qui ne saurait que lui accorder une plus grande popularité et crédibilité à un moment où Américains,  Israéliens et leurs alliés locaux déploient toutes sortes de manœuvres pour l’affaiblir et de le présenter comme un fardeau pour les Libanais.

« Israël s’est obstiné pendant les négociations avec le Liban jusqu’à ce que les menaces de Nasrallah interviennent, alors il s’est rétracté », constate le commentateur des affaires arabes sur la Treizième chaîne israélienne, Zvi Yehezqali.
Selon lui, «les menaces de Nasrallah concernant les négociations sur la démarcation de la frontière maritime ont fait leur effet et elles ont mis Israël sous pression. Ces menaces empêcheront Tel-Aviv d’extraire du gaz ».

L’avis de Yehezqali est partagé par l’expert des Affaires arabes Yoni Ben-Menahem qui lui ajoute l’effet des drones que la résistance a envoyés au-dessus du gisement Karish.
« Hezbollah a pris l’initiative en main lorsqu’il a envoyé 4 drones non armés en direction du gisement Karish et il a réussi de changer l’équation des tractations en faveur du Liban ».
Il a tweeté : « c’est un exploit pour le Hezbollah qui a réussi une fois de plus à se positionner en tant que défenseur des droits du Liban et de ses richesses ».
Et d’ajouter : « Le Hezbollah considère le projet d’accord sur les frontières maritimes entre le Liban et Israël comme une victoire pour lui sur Israël et les pays occidentaux. De son côté, il a saisi le gouvernement israélien par son point faible et l’a fait chanter jusqu’au bout avec une menace militaire. »

Ces propos rappellent ceux du chef du bloc parlementaire du Hezbollah Mohamad Raad qui a assuré dimanche : « le parti fait face à un ennemi qui n’accepte personne d’autre dans la région, mais nous l’avons attrapé par le cou lorsque nous avons remarqué son besoin d’investir du gaz ». Sachant que le gaz de Karish devrait approvisionner l’Europe en pénurie en raison de ses sanctions imposées à la Russie sur fond de guerre en Ukraine.

Exploits libanais, pertes israéliennes

En effet du côté libanais où le contenu des propositions n’a pas non plus été révélé, l’optimisme est à l’heure. Ce qui est considéré comme une perte chez les Israéliens est jugé comme un exploit. Quoique les négociations aient porté sur la ligne 23 et non la 29, réclamée par l’armée libanaise.

Une fois conclu, l’accord serait perçu comme un exploit par les Libanais, car il a été réalisé sans normalisation avec l’entité sioniste.
Le chef de l’Etat Michel Aoun ne s’y est pas trompé lorsqu’il a insisté le lundi dans un tweet qu’il «n’y aura aucun partenariat avec la partie israélienne».

D’autre part, le fait que le Liban puisse obtenir la totalité du champ Qana est aussi considéré comme un acquis incontestable. De même le report de l’extraction du champ de Karish par les Israéliens. Et le lien établi entre les deux aussi.

Position extrême contre position extrême

Pour ce fait, estime l’experte libanaise D. Leila Nicolas qui écrit pour le site web de la télévision libanaise al-Mayadeen, en adoptant la ligne 29, qui lui accorde 2460 Km de plus, se basant « sur des règles scientifiques et juridiques bien claires », les négociateurs libanais ont voulu prendre une position extrême, pour contrer  l’extrémise israélien qui s’est illustré par son attachement à la ligne 1, pendant plus de dix années de négociations. Cette ligne établie dans un accord sur la démarcation conclu par l’ex-premier ministre Fouad Siniora avec Chypres, sans passer par le Parlement libanais, n’ayant aucune légitimité pour les Libanais.
Dans le prolongement, la ligne Hoff établie par un médiateur américain entre la ligne 1 et la ligne 23 est aussi tombée en désuétude.

Il en découle que le fait que les Israéliens ont renoncé à la ligne 1, qui confisque 860 km2 de la zone économique exclusive du Liban, constitue aussi une concession israélienne, quoique sur ce qui ne leur appartient pas. Leur manœuvre dans les négociations s’étant avérées inefficaces.

Hezbollah face aux menaces existentielles

Le rôle crucial du Hezbollah est certes mis en exergue. D’autant qu’il s’impose au plus fort chaque fois qu’une menace existentielle guette le Liban et le présente comme salvateur, explique le chroniqueur des questions israéliennes du journal al-Akhbar, Ali Haydar.

« Il en a été ainsi lorsque l’ennemi sioniste a occupé le Liban, puis lors de la menace des groupuscules takfiristes en Syrie, puis avec l’éclatement de la crise économique et financière qui le ravage et enfin sur la démarcation des frontières maritimes et la récupération de ses droits en hydrocarbures offshores », a-t-il a fait remarquer pour la télévision al-Manar, dans le cadre du programme « Entre guillemets ».

M. Haydar dévoile aussi la méthodologie utilisée par les Israéliens pendant les tractations.
« Ils imposent des réalités comme si elles leur sont acquises, négocient pour que ce qu’ils ont obtenu devienne légitime puis tente d’obtenir davantage », a-t-il expliqué pour le centre d’études U Feed.  Aussi, il semble que toute cette manœuvre a été rendue caduque.

L’on peut constater que les Israéliens qui pleurent leurs pertes sur le dossier de démarcation des frontières maritimes avec le Liban n’ont rien perdu dans les faits. Puisqu’au terme de l’accord, ils vont finalement exploiter le champ Karish, sans être inquiétés. Tandis que que les Libanais n’ont obtenu que ce qui leur est dû alors que l’exploration de leur gisement Qana n’a même pas été entreprise. Ce qui permet de suggérer qu’Israël a toujours une longueur d’avance.

Soutenu par les USA, les puissances occidentales, des monarchies et des régimes arabes, l’entité sioniste dispose certes d’atouts de force incontestables. En témoigne entre autres que le médiateur américain Hochstein est en même temps israélien. Dans sa mentalité arrogante et hégémoniste qui se veut tout accaparer, il suffit que les autres obtiennent leurs droits pour qu’Israël se sente lésé. C’est la lutte de tous les peuples que l’implantation israélienne en Palestine occupée a profondément lésés. Son éqation est toujours la même: leurs droits contre l’usurpation israélienne!

D’où l’importance de ce qui est réalisé par les Libanais et qui mérite son nom d’exploits, leur perspicacité venant du fait qu’ils affrontent un ennemi fort et bien soutenu. Serait-ce pour cette raison que les Israéliens s’inquiètent le plus, d’autant que cela devient récurrent!

Source : Al Manar
https://french.almanar.com.lb/…