Ibrahim Al-Nabulsi, combattant de la branche armée du Fatah, à Naplouse
Photo : via The Diaspora Journal
Par Hebh Jamal
« Je vous aime tant ! Si je suis martyr, les amis, j’aime ma mère. Prenez soin de la patrie après mon départ, et ma dernière volonté pour vous, sur votre honneur : ne lâchez pas le fusil – sur votre honneur. Je suis encerclé, et je vais vers mon martyre. Priez pour moi. »
Les derniers mots laissés par Ibrahim Al-Nabulsi, alors qu’il allait être abattu par les forces israéliennes d’occupation ce mardi, m’ont profondément touchée, d’une manière à laquelle je ne m’attendais pas. Des milliers de Palestiniens ont été assassinés par Israël, mais celui-ci était différent. Nous entendons rarement les derniers mots de nos martyrs. Nous ne sommes habitués qu’à voir leurs corps en pièces et leurs visages cadavériques avec seulement notre imagination pour nous faire entrer dans leurs pensées.
« Ibrahim les pourchassait, et non l’inverse », a déclaré le père de Nabulsi. « Chaque fois qu’il entendait parler d’un raid de l’armée israélienne, il était le premier à sortir et à les affronter. C’était son destin. Nous louons Dieu. »
Nabulsi, à seulement 18 ans, a semé la peur dans le cœur d’une machine coloniale violente. Comme l’un des hommes les plus recherchés d’Israël dans la ville du nord de la Cisjordanie, Ibrahim avait survécu à plusieurs tentatives d’assassinat, notamment le 24 juillet quand lui et un groupe des combattants ont été encerclés dans une maison du quartier al-Yasmina de la vieille ville de Naplouse.
Il avait alors réussit à s’échapper et à rester en vie alors que deux autres combattants Muhammad Azizi, âgé de 25 ans, et Abdul Rahman Jamal Suleiman Sobh, âgé de 28 ans, étaient assassinés.
N’ayant pas peur des risques pris lors de son apparition publique, Nabulsi a assisté le lendemain aux funérailles de ses camarades, au mépris de leurs meurtriers.
Les Palestiniens comme Nabulsi, cependant, ne sont pas pleurés par les organisations libérales traditionnelles ou les groupes de « défense des droits de l’homme ». Bien qu’il n’ait que 18 ans, Nabulsi ne reçoit pas de nécrologie, de condamnation par les militants les plus en vogue ni de veillée publique. Pour l’Occident, des Palestiniens comme Nabulsi ne collent pas au rôle déshumanisant de la victime palestinienne innocente. C’est un militant, un commandant, un terroriste, mais jamais un combattant de la liberté.
Dans son article, l’universitaire Ramzy Baroud décrit la création de « l’intellectuel victime », ou la victime dont le message est entièrement façonné par son sentiment d’apitoiement sur lui-même et de victimisation. La création de l’intellectuel victime a été possible en raison des espaces limités dont disposaient les Palestiniens pour parler de l’occupation et des crimes israéliens violents, forçant certains à choisir les voies disponibles pour obtenir le soutien des médias et du public occidentaux.
« En d’autres termes, pour que les intellectuels palestiniens puissent opérer dans les marges de la société occidentale dominante – ou même dans l’espace alloué par certains groupes pro-palestiniens – ils ne peuvent être autorisés à témoigner qu’en tant que pourvoyeurs de victimisation. Rien de plus », écrit Baroud.
Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Le « Lion de Naplouse » raconte au monde que son seul souhait est que son peuple se réveille.
« Je veux juste que notre peuple adopte une position ferme contre l’occupation. Pour qu’il n’y ait pas d’espions ou de traîtres. C’est ma seule demande, je ne veux rien d’autre » a-t-il dit.
Pour honorer le souhait d’Ibrahim, nous ne devons pas nous battre pour la Palestine simplement dans les marges socialement acceptables. Nous ne pouvons pas nous contenter de froncer les sourcils et ignorer qu’un occupant violent ne peut être réduit au silence uniquement par des protestations et des boycotts.
Au lieu de cela, ces méthodes ne devraient fonctionner qu’en étroite cohérence avec nos combattants de la résistance, des personnes qui donnent leur vie pour voir une Palestine libérée.
La mère de Nabulsi a pleuré la mort de son fils avec des youyous alors qu’elle s’adressait à une foule de partisans. « Ibrahim a triomphé », a-t-elle dit. « Mon fils, qui m’est plus cher que ma propre âme, est revenu vers son seigneur. Bien qu’ils aient tiré sur Ibrahim, il y en a des centaines comme lui. Vous êtes tous à Ibrahim. Vous êtes tous mes enfants », a-t-elle déclaré.
Souvent, les gens veulent associer les mères des combattants de la résistance palestinienne à des femmes sans sentiments prêtes à envoyer leur enfant mourir. Beaucoup ne comprennent pas que ces « enfants » ont l’impression qu’il n’y a pas d’autre alternative que de se battre.
Israël mène des raids quasi quotidiens en Cisjordanie et a tué plus de 80 Palestiniens jusqu’à présent rien que dans cette année. Leur dernier cessez-le-feu à Gaza a déplacé leur attention vers le meurtre de Palestiniens ailleurs. Il n’y a pas de cessez-le-feu sous un régime d’apartheid.
Sur la base de vagues déclarations simplement qualifiées de « menaces pour la sécurité », Israël est autorisé à commettre des exécutions sommaires et à assassiner qui bon lui semble uniquement sur la base de spéculations. Ses tueurs opèrent en dehors de la loi, en toute impunité. Ibrahim l’a compris. Des milliers comme Ibrahim l’ont compris.
Leur engagement à libérer par la force la Palestine d’une occupation violente n’est pas parce qu’ils aspirent à la mort ou même qu’ils ne craignent pas la mort. C’est plutôt parce qu’ils ont soif de vie et sont fatigués d’être à la merci de leur colonisateur.
Dans ma conversation avec un compatriote palestinien, celui-ci m’a dit que bien que la romantisation du « héros » palestinien puisse être contre-productive, il existe un certain type de romance pour la résistance et le martyre auquel nous devrions nous accrocher. »
« Nous devrions le mobiliser comme un remède contre la logique déshumanisante de la victimisation et de l’innocence », m’a-t-il expliqué.
Nous ne pouvons que « prendre soin de la patrie », comme nous l’a demandé Ibrahim, lorsque nous prendrons enfin une position ferme et pleurerons tous les Palestiniens, même ceux qui ont osé se battre.
Auteur : Hebh Jamal
* Hebh Jamal est une journaliste qui vit en Allemagne, et qui écrit principalement sur les inégalités, l’islamophobie et les droits des Palestiniens. Ses articles peuvent être consultés sur 972mag, Mondoweiss, MiddleEastEye, al-Jazeera…
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12 août 2022 – The Diaspora Journal – Traduction : Chronique de Palestine
Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…