Ahmad Manasra, à l’age de 15 ans – « Les autorités israéliennes doivent immédiatement relâcher Ahmad Manasra, un jeune homme aujourd’hui âgé de 20 ans qui souffre de graves troubles mentaux apparus après son arrestation, il y a sept ans, alors qu’il était enfant », a déclaré Amnesty International le 17 juin 2022. « En 2015, les autorités israéliennes ont arrêté Ahmad Manasra, qui était alors âgé de 13 ans, et l’ont soumis à un interrogatoire au cours duquel il a été malmené et menacé, et privé de l’assistance d’un avocat. Il est depuis incarcéré, et il est maintenu en détention à l’isolement depuis le début du mois de novembre 2021. Ahmad a été diagnostiqué comme souffrant de schizophrénie, de délires psychotiques, et il souffre également d’une grave dépression avec des pensées suicidaires. » – Photo : via wafa.ps
Par Ramzy Baroud
« Nous regrettons de ne pas vous avoir protégés. » C’est ce qui ressort d’une déclaration publiée par des experts des droits de l’homme des Nations unies le 14 juillet, exhortant le gouvernement israélien à libérer le prisonnier palestinien Ahmad Manasra. Âgé de 14 ans seulement au moment de son arrestation et de sa torture par les forces israéliennes, Manasra a aujourd’hui 20 ans. Son cas est emblématique. Il a subi à peu près tous les traitements inhumains qu’Israël réserve aux enfants palestiniens.
La déclaration des experts était forte et sincère. Elle accusait Israël de priver le jeune Manasra « de son enfance, de son environnement familial, de sa protection et de tous les droits qui auraient dû lui être garantis en tant qu’enfant ». Elle qualifie l’affaire de « douloureuse et obsédante », compte tenu de la « détérioration de l’état mental » de Manasra.
La déclaration va plus loin en déclarant que « nous sommes tous souillés … par une telle infamie en tant que membres de la communauté internationale des droits de l’homme ».
Condamner Israël pour les mauvais traitements qu’il inflige aux enfants palestiniens, qu’ils vivent sous siège militaire israélien dans la bande de Gaza dévastée pour les attaques israéliennes, ou sous occupation militaire et apartheid dans le reste des territoires occupés par Israël, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, est devenu habituel.
Et pourtant, le Secrétaire général des Nations unies n’a pas osé inclure Israël dans la liste ignominieuse que cet organisme publie chaque année pour faire honte aux gouvernements et aux groupes qui commettent de graves violations à l’encontre des enfants et des mineurs partout dans le monde.
Curieusement, le rapport reconnaît l’horrible bilan d’Israël en matière de violation des droits de l’enfant en Palestine. Il détaille certaines de ces violations, que les travailleurs de l’ONU ont factuellement constatées. Il s’agit notamment de « 2934 violations graves contre 1208 enfants palestiniens » pour la seule année 2021.
Mais le rapport met sur le même pied le bilan d’Israël, l’un des plus révoltants au monde, et celui des Palestiniens, à savoir que 9 enfants israéliens ont été impactés par des actes de violence palestiniens au cours de cette année entière.
Même s’il est inexcusable de blesser délibérément un seul enfant, quelles que soient les circonstances ou l’auteur de l’acte, il est ahurissant que le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, ait trouvé approprié de mettre sur le même plan les violations systématiques perpétrées par l’armée israélienne et les 9 mineurs israéliens blessés par des groupes armés palestiniens, que ce soit intentionnellement ou non.
Pour résoudre le problème de l’écart criant entre le nombre d’enfants victimes des Israéliens et celui des enfants victimes des Palestiniens, le rapport de l’ONU a regroupé toutes les catégories afin de détourner l’attention de l’identité de l’auteur des crimes, et de diminuer l’impact des crimes israéliens.
Par exemple, le rapport indique qu’un total de 88 enfants ont été tués dans toute la Palestine, dont 69 à Gaza et 17 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Puis le rapport ventile ces meurtres de manière à confondre les enfants palestiniens et israéliens, comme s’il cherchait délibérément à brouiller les pistes.
En lisant attentivement, on découvre que tous ces meurtres ont été perpétrés par les forces israéliennes, sauf deux.
De plus, le rapport utilise la même logique pour ventiler le nombre d’enfants mutilés dans le conflit, bien que sur les 1128 enfants mutilés, seuls 7 étaient israéliens. Parmi les autres, 661 ont été mutilés à Gaza et 464 en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.
Le rapport impute ensuite la responsabilité, à des « groupes palestiniens armés », de certaines des victimes palestiniennes qui auraient été blessés à la suite d’ « accidents impliquant des enfants qui se trouvaient à proximité d’exercices d’entraînement militaire ». En supposant que ce soit le cas, les accidents de cette nature ne peuvent être considérés comme des « violations graves » car ils sont, selon la propre définition de l’ONU, accidentels.
Mais la répartition chaotique de ces chiffres, elle, n’est pas accidentelle, car elle a permis à Guterres de déclarer que « si la situation se répétait en 2022, sans amélioration significative, Israël devrait être inscrit sur la liste. »
Pire, le rapport de Guterres est allé encore plus loin pour faire croire que les Israéliens sont sur la bonne voie, en déclarant que « jusqu’à présent cette année, nous n’avons pas été témoins d’un nombre similaire de violations », comme pour suggérer que le gouvernement israélien de droite de Naftali Bennett et Yair Lapid avait délibérément changé de politique concernant le ciblage des enfants palestiniens.
Bien sûr, il n’y a aucune preuve d’une quelconque évolution de la situation.
Au contraire, le 27 juin, Defence for Children International-Palestine (DCIP) a signalé qu’Israël « avait intensifié son agression » contre les enfants en Cisjordanie et à Jérusalem-Est depuis le début de 2022. DCIP a confirmé que pas moins de 15 enfants palestiniens avaient été tués par les forces israéliennes au cours des six premiers mois de 2022, soit presque le même nombre de tués dans les mêmes régions pendant toute l’année précédente.
Ce nombre inclut 5 enfants dans la seule ville occupée de Jénine. Israël a même pris pour cible des journalistes qui tentaient de rendre compte de ces violations, notamment la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, qui a été tuée le 11 mai, et Ali Samoudi, qui a reçu une balle dans le dos le même jour.
Il y aurait beaucoup à dire, bien sûr, sur le siège de centaines de milliers d’enfants dans la bande de Gaza, connue comme la « plus grande prison à ciel ouvert du monde », et de beaucoup d’autres en Cisjordanie occupée.
L’absence de respect des droits de l’homme fondamentaux, notamment en ce qui concerne les soins et médicaments vitaux et, dans le cas de Gaza, l’eau potable, ne laisse guère présager une amélioration notable du bilan d’Israël en ce qui concerne les droits des enfants palestiniens.
Si vous pensez que le rapport de l’ONU est un pas dans la bonne direction, détrompez-vous. 2014 a été l’une des années les plus tragiques pour les enfants palestiniens où, selon un précédent rapport de l’ONU, 557 enfants ont été tués et 4249 ont été blessés, la grande majorité d’entre eux ayant été pris pour cible pendant la guerre israélienne contre Gaza.
Human Rights Watch a déclaré que le nombre de Palestiniens tués « était le troisième plus élevé au monde cette année-là ». Pourtant, Israël n’a pas été inscrit sur la « liste de la honte » de l’ONU. Le message clair ici est qu’Israël peut faire ce qu’il veut aux enfants palestiniens, car il n’aura à rendre aucune compte juridique, politique ou morale pour ses crimes.
Ce n’est pas ce que les Palestiniens attendent des Nations unies, une organisation qui est censée mettre fin aux conflits armés et instaurer la paix et la sécurité pour tous.
Pour l’instant, le message émanant de la plus grande institution internationale du monde à Manasra et aux autres enfants de Palestine restera inchangé : « Nous regrettons de ne pas vous avoir protégés. »
Auteur : Ramzy Baroud
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Center for Islam and Global Affairs (CIGA)
Visitez son site web: www.ramzybaroud.net et son compte Twitter.
18 juillet 2022 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…