Par Ahmed Halfaoui
Si de ce côté de la Méditerranée des voix se mettent à rappeler les affres du colonialisme, c’est qu’en face on déterre l’immonde cadavre du système pour le maquiller en paradis perdu.
De «l’Algérianisme», sous toutes ses formes, qui est ce nationalisme au pays perdu dans la spirale implacable de l’Histoire à la nostalgie béate, il y a dans l’air du temps de revisiter le passé, autrement qu’avec la réalité d’un drame qui a compromis durant près d’un siècle et demi la vie d’un peuple.
Le fait n’est pas anodin et la mémoire est encore vive des cris, des larmes et du sang versé. C’est que ça travaille dur à ancrer dans les consciences que 130 ans de crimes étaient, au contraire, une période de félicité et que les torts étaient partagés.
Au-dessus du mouvement, dans le régime français, la convocation d’Albert Camus au devant de la scène, et l’invocation de sa panthéonisation par Sarkozy, se décline sans fard en louanges pour son attitude vis-à-vis de la décolonisation.
Les Algériens auraient commis l’erreur de ne pas le suivre (les pieds-noirs aussi, mais accessoirement). Il n’aurait pas fallu qu’ils se fourvoient dans une violence qui ne devait les mener qu’à leur perte. Camus a tout tenté, en vain. Aujourd’hui, il revient.
L’Algérie n’est pas développée au niveau voulu, des jeunes, des intellectuels la fuient. C’est le départ des colons et des pieds-noirs qui en est la cause. «Aujourd’hui, sauf les paysages ; tout y a changé, les villes, villages ont grandi bien souvent en dépit du bon sens. La politique désastreuse, du laissez-faire, beaucoup d’Algériens des campagnes,sans avenir assuré, abandonnèrent leur terre, pour en fait, un devenir incertain… » (http://www.piedsnoirs-aujourdhui.com)
Ah ! Si l’Histoire pouvait aller dans ce sens et si les choses pouvaient avoir été idylliques pour tous et que la guerre était vraiment le fait d’un malentendu et non pas d’un retour de feu trop longtemps confiné. Ceux que les regrets remuent seraient plus à l’aise et plus arrogants et les Algériens moins fiers et moins rancuniers.
Les «bienfaits de la colonisation», donc la confirmation du bien fondé de «l’action civilisatrice des indigènes», sont déclamés à tout va. Simple nostalgie pour les uns, besoin d’exorciser pour les autres, dit-on. On voudrait bien l’admettre. Mais, les mêmes, 65 ans après les crimes nazis, continuent sans faiblir et sans baisser la garde une seconde à les dénoncer et à les flétrir.
Pour ces crimes-là, il y a eu Nuremberg. Pour les crimes du colonialisme, il n’y a pas eu de procès. Pourtant, ils se sont passés à ciel ouvert et plus d’un siècle durant, avec tous les ingrédients qui vont avec. Il y a eu, selon les cas, les massacres pour conquérir, les massacres pour réduire, les massacres pour soumettre, les massacres pour réprimer. Il y a aussi eu les internements de masse, les déplacements de population, les spoliations. Il y a eu encore le déni d’identité et la chosification de millions d’êtres humains durant des générations.
Dès le début, on avait mis en garde les premiers colons : «Par ses mœurs, ses habitudes, sa religion,l’Arabe est l’ennemi né des chrétiens (roumi) ; il subit le joug imposé par le vainqueur, mais il est loin d’être soumis ; au fond du cœur, il nourrit un sentiment de haine dont ses croyances lui font un mérite et une loi, et la pensée secrètement entretenue par ses marabouts (prêtres arabes), qu’un jour le sol foulé par nous, sera rendu à ses premiers maîtres. Rusé, sobre, laborieux,seulement lorsque la nécessité l’y contraint, il apporte dans ses relation savec nous toute la défiance et la finesse du Normand, et une répulsion qu’il sait dissimuler lorsque son intérêt l’y oblige. C’est à la force qu’il obéit; il ne reconnaît la domination qu’appuyée de la puissance… (Le «Guide des nouveaux colons en Algérie» éditions Levi, 1948).
Le ton devait être donné. A la violence de la conquête devait succéder la violence de la ségrégation. Le système en avait besoin pour tenir et le moyen infaillible est la destruction, aux yeux du colon d’abord, ce qu’il y a d’humain chez le colonisé,ensuite de faire accepter par ce dernier cette nouvelle «vérité». D’ailleurs, «les droits qu’il [l’Algérien] réclame pour son compte sont uniquement ceux de la destruction et de la ruine pour perpétuer la barbarie : nous, au contraire,nous avons de plus que lui et employons, pour accomplir la mission que nous nous sommes donnée, les droits de la civilisation et de l’humanité»(in Races indigènes de l’Algérie, A.Pomel 1871). Le ton est sans équivoque. Ce fut au temps où la pudeur ne faisait pas partie de la panoplie des puissants.
On inventera, pour la cause, une formation sociale inédite,formée d’une identité reconnue et dominante et d’une entité suspendue entre le statut de sujet français et rien. Cette dernière devait être maintenue en dehors du droit, on lui tailla une législation qui confortera l’ordre colonial : «Le code de l’indigénat, ce monument du racisme d’Etat, adopté le 28 juin 1881 par la IIIe République pour sanctionner, sur la base de critères raciaux et cultuels, les ‘’Arabes’’ soumis à une justice d’exception,expéditive et dérogatoire» (Olivier Le Cour Grandmaison).
Il est inutile de dérouler ce ça a signifié pour les Algériens (et d’autres peuples soumis aux mêmes dénis) et juste demander pourquoi ce n’est pas reconnu, pourquoi c’est nié et, pire, pourquoi il y a cette volonté d’inverser la réalité des choses. D’autant plus qu’on est allé jusqu’à la repentance solennelle et à l’auto flagellation, maintes fois réitérées, concernant le comportement infâme du gouvernement de Pétain.
Il faut désormais se dire que ce «négationnisme» (terme emprunté) est dangereux pour l’avenir du monde et qu’il y a tout lieu de ne pas baisser les bras. Initialement le terme qualifiait la négation des crimes nazis, par extension, le terme s’applique à la négation ou à l’atténuation d’autres faits, qualifiés de crimes contre l’humanité. On peut citer le massacre des Arméniens par le gouvernement turc pendant la Première Guerre mondiale, le massacre de Nankin par l’armée impériale japonaise, le génocide au Rwanda, les massacres pratiqués par les Khmers rouges au Cambodge… Il est inutile de préciser que d’autres massacres ne figurent pas dans la liste, alors que par leur ampleur et par leurs effets ils peuvent aisément rivaliser en horreur. On peut tirer comme conclusion que le régime colonialiste bénéficie de plus d’égards, c’est la seule conclusion qui s’impose.
Alors, il devient légitime d’élever son niveau de vigilance et d’amoindrir la confiance qu’il faut accorder à ceux qui détiennent le monopole mondial du droit. Parce que c’est le droit de la force qui règne et qu’il n’y a jamais un droit absolu qui ferait justice le bandeau sur les yeux.Ce droit n’est pas aveugle, il ne sort pas de la tête de juristes au-dessus de tout, il n’est jamais neutre. Il est l’expression d’un monde qui n’a pas fini d’être inégal et injuste où rien n’est encore acquis et où la barbarie a désormais le visage du «bien» surarmé.
Source : La page FB de l’auteur
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