L’immense participation palestinienne aux prières à al-Aqsa durant le Ramadan 2022 est à sa manière une réplique cinglante aux tentatives de normalisation des relations avec l’état israélien raciste, voleur et ségrégationniste, et à ses nombreuses provocations dans les lieux saints de l’Islam
Photo : Réseaux Sociaux
Par Hatem Bazian
Pour décrire le phénomène actuel des musulmans qui foncent tête baissée dans un processus de normalisation avec Israël, le meilleur terme me paraît être celui de Sionisme musulman.
J’ai hésité entre ce terme et celui de Sionisme islamique, mais j’ai opté pour le terme Sionisme musulman, afin de ne pas donner une quelconque légitimité épistémologique à ce phénomène ni l’ancrer dans davantage que la fraction de musulmans qui choisissent d’embrasser une puissance coloniale de peuplement dans l’espoir d’obtenir des avantages matériels.
Bien qu’on puisse établir un parallèle avec le sionisme chrétien et que l’emploi du terme Sionisme islamique puisse se justifier, le terme Sionisme musulman se révèle bien plus exact que le mot “islamique” dans ce cas précis.
Je suis évidemment ouvert à d’autres points de vue sur la question, mais je tiens à faire une distinction entre ce que font les musulmans (individuellement, les dirigeants musulmans ou en tant que groupe) et ce qu’est l’Islam d’un point de vue épistémologique, théologique et juridique.
Tout ce que fait un musulman n’est pas l’Islam ou n’est pas considéré comme islamique, même si parfois des individus font ce lien pour défendre ou brouiller leurs actions.
Nous affirmons que les musulmans qui embrassent actuellement le colonialisme sioniste n’ont rien à voir avec l’épistémologie islamique et son message fondé sur la justice. La récente ruée des gouvernements arabes et musulmans vers l’”Accord d’Abraham“, un nom qui fait référence au Prophète Ibrahim (PBBH), témoigne précisément de ce Sionisme musulman rampant.
On peut dire beaucoup de choses sur l’”Accord d’Abraham”, mais ce dont nous sommes certains, c’est que, d’une part, ce n’est pas un “accord de paix” visant à mettre fin au colonialisme de peuplement en Palestine, et que d’autre part, il n’a aucun rapport avec l’Islam ou les valeurs islamiques.
Les “Accords d’Abraham” visent à contourner les droits de souveraineté des Palestiniens sur leurs terres et leur droit au retour, tout en permettant à Israël de développer des relations économiques, politiques et sociales avec les Arabes et les États musulmans.
Qu’est-ce que le Sionisme musulman ? Le Sionisme musulman fait référence aux mesures de normalisation que prennent des individus et des États musulmans pour établir des relations avec Israël et avec le projet colonial sioniste en Palestine ou à l’étranger, en les habillant d’un manteau épistémologique, juridique ou théologique islamique ; une sorte de cadre prêt à l’emploi constitué de citations coraniques apaisantes ou de citations prophétiques choisies (toutes sont citées hors contexte, mais cela ne les empêche pas de les utiliser dans leurs discours) qui tente de donner une apparence de légitimité à une situation inacceptable, à savoir le colonialisme de peuplement en Palestine.
Les Sionistes musulmans mettent les relations avec Israël et le sionisme au centre de leurs priorités, tout en réduisant au silence, en ignorant ou en diabolisant les Palestiniens qu’ils rendent responsables de la situation en Palestine.
Blâmer les Palestiniens, les victimes du colonialisme de peuplement, est présenté comme la preuve de la “subtilité” et de l’”intelligence” de leurs relations avec le sionisme.
Le Sionisme musulman s’appuie sur ses liens avec le sionisme juif pour s’élever dans les instances de pouvoir et avoir accès aux cercles d’influence en Occident, et ne manque jamais une occasion d’utiliser le “vocabulaire israélien” pour expliquer son action lorsqu’il est contesté.
Certains font semblant de ne pas savoir ce qui se passe et se concentrent sur la promotion large et indifférenciée de la tolérance et d’une image positive de l’Islam.
Le Sionisme musulman considère que la résistance palestinienne a échoué et qu’en embrassant Israël et le sionisme dans le cadre de projets parrainés par des VIP, d’événements sportifs et d’investissements conjoints, on aide en fait les Palestiniens – ne riez pas, certains croient réellement à cette vision intéressée du monde.
Certains de ces Sionistes musulmans vont jusqu’à affirmer que toutes leurs actions ont pour but de faire avancer la cause palestinienne, bien qu’ils ne demandent jamais leur avis aux Palestiniens eux-mêmes.
D’autres reviennent toujours à l’argument sioniste habituel selon lequel “l’attentat-suicide” est le problème majeur, et soulignent que les Palestiniens devraient pratiquer leur type d’Islam pacifique – avec une représentation israélienne à leurs côtés.
Le Sionisme musulman serait le “bon” Islam, tandis que la Palestine pratiquerait le “mauvais” Islam. Le Sionisme musulman reprend les arguments de la Hasbara * israélienne, tout en prétendant défendre l’Islam.
Les efforts de normalisation de certains États ne sont pas nouveaux, ils ont commencé en secret dès l’implantation du sionisme dans la région, mais la tentative de les habiller d’un manteau islamique est relativement récente.
L’évolution vers ce modèle de normalisation commence avec l’accord de Camp David d’Anwar Sadate, qui avait compris l’importance d’utiliser des références coraniques et une bonne fatwa pour fournir une couverture religieuse à l’adhésion au sionisme.
Camp David est un accord politique qui s’inscrit dans le cadre de la réorientation de l’Égypte vers l’Occident opérée par Sadate. L’action de Sadate était un mouvement stratégique en pleine guerre froide et le Coran et l’Islam ont servi à habiller religieusement ce changement pour lui donner une aura de légitimité.
Les érudits religieux qui ont issu des fatwas ou participé à un niveau ou un autre à cet accord agissaient en tant qu’employés de l’État et leur position reflétait les priorités de l’État au lieu d’être fondée sur la tradition islamique. Immédiatement après la signature de l’accord de Camp David, Israël a lancé sa guerre contre le Liban, qui a fait des milliers de morts et provoqué le massacre bien documenté de Sabra et Chatila.
Les activités de normalisation du Sionisme musulman sont présentées comme un dialogue interreligieux pour, entre autres, comprendre le judaïsme et son histoire. Cependant, pour comprendre le judaïsme, il n’est pas nécessaire d’embrasser le colonialisme de peuplement et/ou les efforts de diabolisation des Palestiniens, ni de s’opposer au mouvement BDS.
Le Sionisme musulman s’engage dans un ensemble de projets et d’activités de dupe, qui, sous couvert d’un habillage religieux, servent à faciliter le développement du colonialisme de peuplement sioniste en Palestine, ainsi qu’à favoriser l’intervention occidentale et israélienne dans les affaires arabes et musulmanes.
Dernièrement, le Sionisme musulman a reçu beaucoup de soutien de la part des principaux médias du monde arabe et musulman.
Il a aussi embauché ou soudoyé des influenceurs de médias sociaux pour faire avaler la normalisation à de populations arabes et musulmanes qui ne se doutent de rien.
Note :
* Hasbara : propagande
Auteur : Hatem Bazian
* Hatem Bazian, conseiller politique d’Al-Shabaka, est maître de conférences aux départements d’études du Proche-Orient et des études ethniques de l’Université de Californie à Berkeley.
Son compte Twitter.
24 avril – Medium.com – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…
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