Par Laurent Brayard
J’ai réalisé cette interview grâce à une activiste russe, nommée Elena qui faisait de l’humanitaire dans le Donbass depuis de longs mois. Nous étions le 5 septembre 2015, elle me présentait un couple, qui furent les premiers torturés d’une longue liste de personnes que je rencontrerais dans le Donbass. Elena humanitaire était au contact de beaucoup de réfugiés de l’Ukraine sous la botte des bataillons néonazis et ultranationalistes. Ils avaient fuis l’Ukraine, ils avaient été arrêtés puis torturés, battus, emprisonnés puis échangés. Oleg était l’un d’eux, échangé contre un soldat ukrainien capturé dans le Donbass. Ils avaient tellement peur de me parler, qu’il avait fallu que je les rencontre dans un endroit désert, un parc pour enfant en bas d’un immeuble. Leur peur était si grande que l’impression que j’en gardais, c’est qu’il leur avait fallu une énergie énorme pour venir nous parler. Et cette peur de retomber dans les mains de leurs bourreaux, de revivre ces moments, avait dû être vaincue. Voici donc l’histoire d’un habitant de Marioupol, simple manifestant pacifique, choqué par les événements sanglants survenus à Odessa et à Kiev et qui ne se doutait pas, qu’à Marioupol, cela serait encore plus terrible. Il ne pouvait imaginer que la violence et les néonazis seraient bientôt le quotidien de sa ville… pendant huit années.
Une manifestation, un massacre, le début du lent martyre du port du Donbass.
Oleg peut avoir 35 ans, il est accompagné de sa femme Elena que nous rencontrons dans une rue de Donetsk. Ils sont inquiets mais pourtant ils ont accepté de témoigner à la condition de n’être ni nommé, ni photographié, ni filmé directement. Cet article ne comprendra donc aucune photo, leurs familles sont toujours à Marioupol ou en Ukraine en grand danger dans le cas où nous aurions la maladresse de dévoiler une information précise sur ces deux témoins. L’un et l’autre n’ont pas compris l’explosion de l’EuroMaïdan, dans l’Est de l’Ukraine cela paraissait l’une de ces révolutions éclatant régulièrement dans l’Ouest du pays. Et pourtant. Car après le massacre d’Odessa et le début des répressions et des persécutions contre les russophones ou activistes de l’Antimaïdan, l’Est de l’Ukraine bouge. Marioupol n’est pas la dernière, elle se trouve en ébullition pour la parade traditionnelle en commémoration du 9 mai 1945… interdite par le gouvernement ukrainien. Les manifestants dont Oleg fait partie se rassemblent dans la ville pacifiquement, ils n’ont pas d’armes, ils trouveront en face d’eux un certain… bataillon Azov.
Répressions aveugles, racket de riches habitants, Marioupol, Donbass… en 2014-2015.
Oleg est arrêté avec de nombreux hommes. L’arrestation est très violente, ils sont battus et maltraités, les prisonniers sont conduits à l’aéroport de Marioupol : « Ils ont arrêté beaucoup de manifestants et durant les semaines suivantes les répressions ont été terribles. Nous avons été battus et j’ai également été interrogé durement, torturé physiquement et moralement, ils ont fait mine de m’exécuter. Les gens étaient ensuite dénoncés par leurs voisins, pour des raisons futiles. Le bataillon Azov était appuyé par des sbires du SBU, la police politique de Porochenko et également par la police locale. Ils se sont mis à arrêter des gens, surtout des riches qu’ils libéraient contre rançon. Au départ c’était des sommes de l’ordre de 5 000 dollars par tête, mais ils ont aussi pillés les maisons des prisonniers, se sont emparés de tout ce qu’il leur faisait plaisir. Ceux qui ne pouvaient pas payer étaient jetés en prison ou simplement exécutés sur place en douce. J’ai par la suite était envoyé dans une prison à Zaporojie. Ma famille m’a cherché longtemps, nous étions des centaines dans ce cas et ils ne donnaient aucune information à notre sujet, ils pouvaient ainsi faire ce qu’ils voulaient de nous. Il reste dans cette prison d’État de nombreux prisonniers politiques ou de pauvres hères. Et puis j’ai été libéré il y a quelques semaines, je suis resté ainsi plus d’un an dans une geôle. Maintenant que je suis à Donetsk, une fois que je serai remis, je compte m’engager comme volontaire dans l’Armée des insurgés, ils ne prendront jamais Donetsk, nous ne nous rendrons jamais ».
C’est avec beaucoup de difficultés qu’Oleg témoigne, son épouse m’interrompt à plusieurs reprises choquée par mes questions sur les conditions de détentions, sur la torture « Il vient juste de rentrer, c’est dur pour lui, c’est très douloureux, vous ne croyez pas que c’est indécent de poser de telles questions ? ». Je n’insiste pas, je sens à la détresse de la voix d’Elena que les souffrances qu’ils ont endurées sont terribles et qu’ils sont encore hantés par ce qu’ils ont vécu : « J’ai pu m’enfuir après l’arrestation d’Oleg, j’ai pris mon enfant sous le bras, nous avons tout laissé derrière nous et dans la fournaise de la bataille, de la guerre qui commençait, j’ai pu traverser les lignes ukrainiennes et rejoindre Donetsk avant qu’il soit trop tard. Nous n’avons pas de futur tant que cette guerre ne sera pas terminée, nous vivons ici dans une mauvaise situation, notre famille est écartelée. Ils nous ont attaqué le 9 mai 2014, véritablement c’était une attaque violente, la situation est folle dans cette ville et elle le reste. C’est un vrai régime de terreur, les gens n’osent pas se parler, ils se taisent, la moindre parole de travers peut signifier leur mort, leur arrestation, alors les gens ont peur, ils ont vraiment la peur au ventre et vivent dans l’angoisse du dénouement. Beaucoup de gens attendent leur libération, la paix et que cela cesse ». Pendant toute l’interview je ressentirais effectivement la peur panique qui les habite encore. Un certain malaise plane, nous repartirons avec cette dure impression. Dans la voiture qui nous reconduit, l’un de nous lance : « a-t-on rêvé ou alors est-ce la réalité ce qu’ils ont raconté, à notre époque c’est effarant de comprendre que cela se passe maintenant, maintenant et chez nous ».
Personne pourtant n’a rêvé, c’est ici la stricte et triste vérité, dans cette Ukraine qui est décrite comme un paradis, un régime criminel tue, arrête, enferme, bombarde, interdit des partis, assassine des opposants dans la rue, parfois jeté d’un balcon. Les rapports de police laconique racontent toujours la même chose : « Suicide », « morts brûlés par maladresse ayant voulu user de cocktails molotov », « population civile du Donbass massacrée par le tir imprécis ou fratricide des rebelles » et jusqu’à France 2 avec une « invasion de grands-mères espionnes de Poutine armées de parapluie » http://www.les-crises.fr/les-mamies-de-poutine/ . Julien Sauvaget l’élite de nos journalistes, encore un triste exemple. En pensant à Oleg et Elena, ces gens persécutés qui ont tout perdu, je me demande quelle fable notre « envoyé spécial » aurait bien pu monter : « complot de ménagères et maris avinés dans le but de poser des bombes » ?
Laurent Brayard pour Donbass Insider
Source : Donbass Insider
https://www.donbass-insider.com/fr/…
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