Par l’AARASD
Résumé et points forts de la séance publique consacrée au Sahara occidental lors de la semaine de contrôle à l’Assemblée nationale française le jeudi 6 janvier 2022
À l’initiative du Groupe parlementaire de la Gauche Démocrate et Républicaine (GDR), dont font partie les députés communistes et notamment Jean-Paul Lecoq, qui est le véritable initiateur de cette séance, une réunion publique de débat sur le thème : « Bilan des actions de la France pour faire respecter le droit international : le cas du Sahara occidental » a eu lieu à l’Assemblée nationale le jeudi 6 janvier 2022.
Lors de la première partie de la séance (qui a duré une heure) trois personnes sont intervenues : Claude Mangin,épouse française du prisonnier politique sahraoui Naama Asfari, Gilles Devers, avocat du Front Polisario dans l’affaire des accords de commerce Union Européenne-Maroc, et Oubi Bouchraya Bachir, Représentant du Front Polisario à Bruxelles pour l’Union européenne et l’Europe. Elles ont traité du sujet du jour en apportant leur témoignage, puis échangé avec les députés présents en séance.
Pendant la deuxième partie (une heure également), les trois intervenants ont quitté la salle pour rejoindre les rangs du public qui assiste au débat mais n’y intervient pas. Est alors arrivé le ministre délégué auprès du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, et par ailleurs ministre chargé des petites et moyennes entreprises auprès du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance : Monsieur Jean-Baptiste Lemoyne. Il est alors intervenu puis a répondu aux questions des parlementaires.
Un constat a été fait par l’ensemble des intervenants : la situation actuelle au Sahara occidental est préoccupante, avec des tensions qui menacent la sécurité et la stabilité dans la région, alors qu’un cessez-le-feu approuvé par les parties – le Front Polisario et le Royaume du Maroc –, et soutenu par le Conseil de Sécurité de l’ONU et l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), avait été mis en place en septembre 1991, il y a plus de 30 ans. Plus de 30 ans de cessez-le-feu pour aboutir à une reprise de la guerre à la fin 2020 : il s’agit d’un véritable échec du processus de paix.
Les constats du Front Polisario
C’est sur la responsabilité de cet échec que le débat a été âpre à l’Assemblée nationale. Oubi Bouchraya Bachir, dans son intervention initiale, a souligné combien la France avait encouragé le Maroc à se défaire de la légalité internationale représentée par le droit du peuple sahraoui à disposer de lui-même : elle a soutenu le Royaume, à l’intérieur comme à l’extérieur du Conseil de Sécurité, dans son rejet du référendum d’autodétermination, et a agi pour que la mission de paix de l’ONU au au Sahara occidental (la MINURSO) ne puisse avoir dans son mandat la surveillance des droits de l’homme, à la différence de toutes les autres missions de paix de l’ONU dans le monde.
D’après le Représentant du Front Polisario, ce soutien de la France, ce « copinage », a mis le Maroc sur la voie de l’arrogance : au bout de 30 ans, « il est devenu intransigeant, extrémiste, belliqueux, parvenant finalement à ramener le conflit aux affrontements militaires ». Alors que depuis la fin des années 1980, c’était les négociations qui primaient.
A ce sujet, Oubi Bouchraya Bachir indique que « le Front Polisario n’est certainement pas le responsable de l’échec du processus de paix, car il savait dès le départ que la paix avait un prix, et nous avons réglé notre partie de la facture ».
A titre d’exemple, il souligne : « Nous avons approuvé le Plan Baker, accepté par le Conseil de Sécurité en 2003, en vertu duquel le territoire devait bénéficier d’une autonomie interne pendant une période de 4 à 5 ans devant conduire à un référendum d’autodétermination dans lequel, en plus des Sahraouis, un grand nombre de colons marocains pouvaient également voter… » Or le Maroc a rejeté ce Plan Baker en bloc et en détail.
Autre exemple donné par Oubi Bouchraya Bachir : « Nous avons soumis en 2007 une offre en 7 points contenant des garanties pour le Maroc dans le cas où le référendum mènerait à l’indépendance du territoire. Nous y avons même inclus l’exploitation des richesses de façon conjointe. »
Même refus de la part du Maroc.
Concernant la proposition marocaine d’autonomie du territoire sahraoui, déposée en avril 2007 auprès de l’ONU et soutenue depuis par la France, le Représentant du Front Polisario souligne qu’elle est fondée sur l’idée que la souveraineté sur le Sahara occidental appartient au Maroc : « ce qui est faux ». En outre, il ajoute que cette proposition a été faite« préalablement à toute consultation authentique du peuple sahraoui », qu’elle n’est donc pas acceptable en droit, ni d’un point de vue démocratique. La seule solution de compromis qui le soit est la solution référendaire,qui donne au peuple sahraoui le choix entre l’indépendance ou l’intégration pure et simple au Maroc, c’est-à-dire entre la position du Front Polisario et celle du Royaume, avec éventuellement aussi la possibilité de choisir l’autonomie à l’intérieur du Maroc.
Autre constat fait par Oubi Bouchraya Bachir : la mission de paix de l’ONU, la MINURSO (MIssion des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum au Sahara Occidental), dans la mesure où elle est impuissante à surveiller les violations des droits de l’homme qui ont lieu en toute impunité au Sahara occidental, « est simplement devenue un instrument du Maroc pour consolider son occupation du territoire. »
La prise de position du ministre français
Pour sa part, M. Jean-Baptiste Lemoyne affirme, dans son intervention en ouverture de la deuxième partie de la séance, que « la France a toujours été très attentive à la situation sur le terrain, et aux perspectives de résolution d’un conflit qui dure depuis plusieurs décennies déjà ; elle l’est d’autant plus aujourd’hui que nous constatons un regain de tension qui est préoccupant entre les parties prenantes. »
Il dit l’attachement de la France au respect du droit international, comme une priorité constante de la diplomatie française, « car c’est dans notre intérêt de promouvoir un cadre multilatéral, qui est fondé sur des règles qui sont mutuellement agréées et qui permettent du coup de parvenir à un règlement pacifique des différends. »
« La France s’attache à rappeler le droit international dans toutes les enceintes multilatérales lorsque celui-ci est remis en cause. On le fait :
- au Conseil de Sécurité de l’ONU, naturellement au regard de notre responsabilité particulière en tant que membre permanent ;
- également à l’Assemblée générale de l’ONU ;
- aussi au Conseil onusien des droits de l’homme dont la France est membre élu jusqu’en 2023. »
« Donc, en cohérence avec ses positions de principe, la France est attachée au plein respect du droit international dans le conflit du Sahara occidental. Nous soutenons la recherche d’une solution politique qui soit juste, durable, mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies. »
« Et pour avoir une perspective de résolution du conflit, nous avons un cadre juridique qui est bien connu :
- le Sahara occidental est inscrit depuis 1963 sur la liste des territoires non autonomes par l’Assemblée générale de l’ONU, sur la base de l’article 73 de la Charte des Nations Unies ;
- le Conseil de Sécurité lui-même a approuvé un plan de règlement en 1990 (Résolution 658 du 27 juin 1990, qui approuve le rapport du Secrétaire général contenant le texte des propositions de règlement telles qu’elles ont été acceptées par les deux parties, le Maroc et le Front Polisario, le 30 août 1988) ;
- c’est d’ailleurs un an plus tard, le 24 avril 1991, qu’a été créée la MINURSO(MIssion des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum au Sahara Occidental), dont le mandat est régulièrement prolongé par le Conseil de Sécurité ; il l’a été d’ailleurs il n’y a pas très longtemps, en octobre 2021 ;
- le rôle de cette mission est vraiment primordial pour le respect des accords de cessez-le-feu, pour la stabilité de la région, et elle contribue à créer les conditions nécessaires à la reprise du processus politique. »
On voit là combien sont divergentes les visions, non pas du mandat, mais du rôle réel de la MINURSO, et si Jean-Baptiste Lemoyne affirme que « la défense et la promotion des droits de l’homme est une priorité pour notre action diplomatique, dans cette région comme partout dans le monde » et qu’« on assure un suivi attentif du respect de ces droits de l’homme », comment ne pas s’interroger sur la sincérité de cette affirmation, quand on sait justement que les exactions marocaines contre les civils sahraouis dans la partie occupée du Sahara se font au nez et à la barbe de la MINURSO, qui n’a pas mandat pour y surveiller les droits humains, et que le Maroc interdit toute visite du territoire à tout observateur, journaliste ou membre d’une association ou d’un parti politique qu’il suppose favorable aux Sahraouis ?
Le débat sur le respect du droit international
Le député Jean-Paul Lecoq a réagi à l’intervention du ministre Jean-Baptiste Lemoyne en soulignant la contradiction qu’il voit entre la première partie de celle-ci, qui affirme fortement le respect par la France du droit international, et la deuxième partie, « où vous montrez que vous ne le respectez pas ».
La deuxième partie, c’est quand Jean-Baptiste Lemoyne dit : « l’autonomie, ça nous va bien, il faut discuter là-dessus ». Ce à quoi Jean-Paul Lecoq répond : « Eh bien non, discutons de la mise en œuvre des résolutions des Nations Unies, pas de la position marocaine ! »
Il est frappant qu’à chaque fois Jean-Baptiste Lemoyne passe sous silence la position du Front Polisario, qu’il semble traiter comme quantité négligeable, alors qu’il parle du nécessaire « respect de la souveraineté des États concernés », faisant allusion au Maroc avec qui« la France entretient un dialogue de confiance étroit, régulier ». Or le Front Polisario, la deuxième partie au conflit, est le représentant légal du peuple sahraoui reconnu par les Nations Unies, et il n’est pas d’accord avec ce plan d’autonomie : la position marocaine ne peut donc incarner le droit international !
Toutefois, Jean-Baptiste Lemoyne reviendra sur le sujet, évoquant « la position de Jean Paul Lecoq qui considérait dans une intervention précédente que la position française jugeant le plan d’autonomie de 2007 comme une base sérieuse était en contradiction avec le droit international : non ! »Il rappelle alors que la résolution du Conseil de Sécurité du 30 octobre 2021 « prend note de la proposition marocaine présentée le 11 avril 2007 au Secrétaire Général, et(traduction non officielle de l’anglais) accueille favorablement les efforts sérieux, crédibles de la partie marocaine pour faire avancer le processus vers une solution ». Sa conclusion : « Vous voyez qu’une résolution du Conseil de Sécurité, c’est du droit international. Il n’y a pas de contradiction, au contraire ! »
Or le fait de « prendre note », d’« accueillir favorablement », c’est une position, mais est-ce un acte de droit ?
Le rôle du Conseil de sécurité en question
Jean-Paul Lecoq a interrogé Oubi Bouchraya Bachir : « En août dernier (2021), Staffan Di Mistura a finalement été nommé au poste d’Envoyé Personnel du Secrétaire Général de l’ONU pour le Sahara occidental, chargé des négociations entre les parties. Que peut apporter cette nomination, en considération notamment de la visite de l’Envoyé Personnel prévue à partir du 15 janvier 2022 dans la région ? »
Réponse du Représentant du Front Polisario : « La nomination d’un Envoyé Personnel n’est pas un objectif en soi. Pour rappel, il y a eu un grand nombre d’Envoyés Personnels, dont certains remarquables, comme James Baker(ancien Secrétaire d’État américain) ou le dernier, Horst Köhler(ancien Président allemand). Le problème n’est pas lié à la personnalité de cet Envoyé Personnel. Le problème réside dans le Conseil de Sécurité, qui se sert de cette nomination pour se cacher derrière et s’en laver les mains, continuant à gérer le conflit au lieu de le résoudre. »
Oubi Bouchraya Bachir dénonce cette « approche erronée et irresponsable », sous l’influence de la France, et, voyant que l’on commence à prendre conscience de la gravité de la situation aujourd’hui au Sahara occidental mais aussi dans l’ensemble de la région du Maghreb, il invite fortement le Conseil de Sécurité à changer d’approche et à avancer dans le sens de la résolution du conflit.
Pour ce faire, « la formule est claire, et à la portée du Conseil : s’appuyer sur le seul accord signé jusqu’à aujourd’hui entre les deux parties au conflit, qui sont le Royaume du Maroc et le Front Polisario ; cet accord s’appelle le Plan de règlement ONU-OUA de 1991, adopté par le Conseil de Sécurité lui-même, et à l’origine de la mission de paix déployée au Sahara occidental, la MINURSO. »
Le rôle de la France en question
Jean-Paul Lecoq s’adressant à Oubi Bouchraya Bachir : « Vous étiez Représentant du Front Polisario en France entre 2016 et 2020, quel est votre sentiment sur la position française vis-à-vis de votre organisation ? J’entends très souvent parler d’équidistance comme réponse du Ministre des Affaires étrangères français à chaque fois qu’il est interrogé sur la question : quelle est votre vision de cette équidistance ? Et pouvez-vous faire la comparaison avec ce qui se passe à Bruxelles ? »
La réponse :« Quant à cette prétendue équidistance, je peux vous assurer que lorsque j’étais Représentant en France entre 2016 et 2020, le Ministère des Affaires étrangères a coupé tout contact avec le Front Polisario à partir de début avril 2017. On a essayé à plusieurs reprises de rétablir le contact, mais on n’a trouvé que portes fermées. Il s’agit apparemment d’une décision méditée du Quai d’Orsay, qui est le reflet clair d’un parti-pris en faveur du Maroc. Cela a abouti, en coupant avec l’une des deux parties au conflit, à une sorte d’auto-exclusion de la France de toute possibilité de jouer un rôle dans la résolution de celui-ci. »
Il ajoute encore : « Depuis mon arrivée à Bruxelles, je suis reçu par l’ensemble des capitales européennes au niveau des Affaires étrangères, et c’est la même chose dans tous les pays du monde, y compris les capitales de membres permanents du Conseil de Sécurité : la France est vraiment une exception. Elle fait donc partie du problème du Sahara occidental. »
Et de conclure : « Avec la reprise de la guerre (novembre 2020), la France est fortement appelée à réviser sa position et à commencer à penser sérieusement à faire partie de la solution, sur la base de la légalité internationale ; c’est en s’appuyant sur l’accord de 1991 entre les parties (qui prévoit la consultation du peuple sahraoui à travers un référendum d’autodétermination) que la solution est possible. »
Ultérieurement, en réponse au député LREM Jean-François Mbaye qui, parlant de la situation explosive dans la région « dont nous ne pouvons nous satisfaire », a demandé aux intervenants quelle solution juste, durable et acceptable par les parties pourrait être trouvée, le représentant du Front Polisario déclare que « notre position est l’indépendance, alors que celle du Maroc est l’intégration pure et simple du Sahara occidental à son territoire ; le référendum, c’est donc la position de compromis, intermédiaire entre celles des deux parties, c’est la position de l’ONU et de la légalité internationale, celle vers laquelle nous devons aller. »Toutefois, il ne cache pas que les modalités de mise en œuvre de ce référendum feront l’objet de négociations peut-être longues.
L’Union Européenne et le Sahara Occidental : une question de droit
En ouverture, Maître Gilles Devers, l’avocat du Front Polisario, déclare : « Je voudrais marquer mon incompréhension totale devant le sort réservé au peuple sahraoui. Ce peuple, qui mène un combat strictement légaliste en faveur du respect du droit international par l’action en justice, fait l’objet d’un ostracisme, d’une répression et d’un déni absolument invraisemblables. »
Puis il met au clair les aspects de droit : « La Cour de justice de l’Union européenne a rendu en 2016 un arrêt d’une grande importance, qui a jugé de manière claire et définitive que le Maroc ne dispose d’aucune souveraineté sur le territoire du Sahara occidental. Ce jugement a des répercussions pour les États européens et les entreprises européennes opérant sur ce territoire. Ce jugement est conforme à l’avis rendu par la Cour internationale de justice en 1975. La base juridique est donc solide. »
« En tant qu’avocat, je sais que notre devoir est de respecter les décisions de justice et qu’un gouvernement a le devoir de les conforter, a fortiori quand il est aussi impliqué que l’est le gouvernement français. En théorie, la France reconnaît l’arrêt de 2016 et l’absence de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. » (Pour mémoire, voir l’enchaînement des jugements et recours devant la justice européenne dans le résumé ci-dessous)
L’enchainement des jugements et des recours devant la justice européenne
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg s’est prononcée le 21 décembre 2016 dans un arrêt jugeant définitivement que le Maroc n’est pas souverain sur le territoire du Sahara occidental, car ce dernier dispose d’un statut « séparé et distinct » de celui du Royaume.
La Cour relève pourtant que « le régime de préférences tarifaires institué par l’accord d’association UE-Maroc (…) est, dans certains cas, appliqué « de facto » aux produits originaires du Sahara occidental ».Ce qu’elle dénonce car, « conformément aux règles pertinentes de droit international », l’accord UE-Maroc ne peut s’appliquer à ce territoire…
Or, la Commission européenne fait connaître, en juin 2018, un rapport sur « les bénéfices pour la population du Sahara occidental de l’extension des préférences tarifaires aux produits originaires du territoire ». Cette extension est adoptée par décision du Conseil européen en juillet 2018, etle Parlement européen lui donne son feu vert le 16 janvier 2019 « après que la Commission européenne et le Maroc ont trouvé un accord sur un mécanisme de traçabilité permettant de définir l’origine des produits exportés depuis le territoire. »
La Commission européenne, sous l’influence de la France, a donc négocié 2 nouveaux accords avec le royaume du Maroc, un accord agricole et un accord de pêche, qui déclarent étendre leurs dispositions au territoire du Sahara occidental et à ses eaux adjacentes (en mettant en avant, pour le justifier, des « consultations »avec les responsables marocains et des habitants du territoire, pour la plupart des colons marocains, qui les ont approuvés, alors que c’est leconsentement du peuple sahraoui,à travers son représentant reconnu par l’ONU, le Front Polisario, qui aurait dû être recherché, et qui ne l’a pas été).
En réaction, dès avril 2019, le Front Polisario introduit deux recours en annulationcontre les décisions du Conseil de l’UE d’approuver ces accords conclus en violation du droit à l’autodétermination.
Et le 29 septembre 2021,le Tribunal de justice de l’UE annule ces 2 accords commerciaux liant le Maroc et l’Union européenne, l’un portant sur les produits agricoles et l’autre sur la pêche. Il est dit toutefois qu’ils resteront en vigueur pendant 2 mois maximum après ce jugement « afin de préserver l’action extérieure de l’Union et la sécurité juridique de ses engagements internationaux ».
Mais le Conseil de l‘UE a enclenché le 19 novembre 2021 une procédure de pourvoi en cassation contre ces arrêtsdu Tribunal. Ce pourvoi implique que les effets des accords commerciaux annulés seront maintenus jusqu’au prononcé de l’arrêt du pourvoi par la Cour de justice de l’UE. Et il est clairement envisagé que cet arrêt n’intervienne que dans 18 mois à 2 ans, soit vers la fin de 2023.
Maître Devers ajoute à propos du gouvernement français : « Mais il y a ses déclarations publiques, profondément choquantes et irrespectueuses des décisions de droit, ses démonstrations obscènes d’amitié et de proximité envers le Maroc, le jour même où celui-ci déclare que cette décision de justice n’est que de la propagande, que rien n’a été jugé et qu’il reste souverain sur le Sahara !»
L’avocat du Front Polisario pose alors la question : « Est-il possible d’attendre du gouvernement français un langage de vérité publique sur le sujet,au bénéfice de tout le monde ? »
Puis il fait une observation plus « circonstancielle » :
« Quand on parle de frontières, on parle d’échanges, de droits de douane. Il y a une dette douanière. Des entreprises ont profité pendant des dizaines d’années de l’application de facto du principe de la souveraineté du Maroc, auquel la Cour a mis fin par son arrêt de 2016. » Ce qui veut dire que pendant des dizaines d’années elles ont profité d’avantages tarifaires indus, au détriment du peuple sahraoui qu’elles doivent dédommager.
La troisième observation de Maître Devers porte sur les exportations agricoles en provenance du Sahara occidental. Car il y a des normes de commercialisation à respecter, dont l’une est particulièrement importante pour les produits agricoles : la mention de l’origine. Le Sahara occidental étant depuis l’arrêt de 2016 bien identifié comme « territoire séparé et distinct de celui du Maroc », c’est le Sahara occidental qui devrait être mentionné comme origine de tous ces produits. Or les contrôles sur l’origine sont actuellement effectués sur place par Morocco Foodex, un établissement public marocain, et les statistiques officielles d’Eurostat (direction générale de la Communauté européenne chargée de l’information statistique) n’indiquent de nos jours aucune importation en provenance du Sahara occidental… Tout viendrait du Maroc ! Alors que l’on sait que les mentions d‘origine ont été falsifiées…
Question de Maître Devers : « La France va-t-elle continuer longtemps à accepter cette certification par une entreprise marocaine ? »
Jean-Paul Lecoq, s’adressant à l’avocat du Front Polisario, lui demande : « Pourriez-vous revenir sur la question de l’étiquetage ? Il est important en effet de développer plus précisément ce sujet complexe, qui concerne également d’ailleurs la question palestinienne. Cela pose même un problème majeur de concurrence. »Et c’est alors qu’il fait une annonce inattendue : « En demandant l’inscription à notre ordre du jour de la question du Sahara occidental, je n’imaginais pas que j’allais être sollicité par les producteurs français de tomates et de concombres qui m’ont demandé à cette occasion d’évoquer la concurrence déloyale de la production du Sahara occidental, celle-ci n’étant pas soumise aux droits de douane. On mesure à cet exemple les implications concrètes de l’occupation illégale de ce territoire. »
Il remarque en outre que, depuis la reconnaissance du statut séparé et distinct du territoire sahraoui, une véritable « épopée judiciaire »–une suite de décisions de la Commission européenne, de recours du Front Polisario et de jugements de la Cour de justice de Luxembourg – s’est développée, ajoutant : « C’est la preuve que le droit doit être respecté, sans quoi les entreprises,y compris des entreprises françaises, risquent de faire face à une insécurité juridique croissante, ce qui est évidemment très mauvais pour elles et pour leurs projets d’investissement de long terme. »
Il note d’ailleurs qu’il existe une longue liste de sociétés originaires de divers pays du monde qui ont décidé de quitter le territoire.
Maître Devers dresse alors un état des lieux : « L’arrêt de la CJUE de 2016 précise bien que sur ce territoire qui n’est pas marocain et qui ne le sera jamais, sauf si le peuple en décide autrement par référendum, il ne peut y avoir d’activité économique qu’avec le consentement du peuple du Sahara occidental. Je n’exprime pas là le point de vue de l’avocat ou des dirigeants du Front Polisario : je me contente de lire une décision de justice. L’arrêt de 2016 a introduit la décolonisation dans le droit de l’Union européenne ; il est salué à cet égard, et commenté dans toutes les revues. Il implique qu’il ne revient pas à l’Union européenne ou à la France de décider ce qui est bon pour le développement du territoire. Seul le peuple sahraoui peut le faire. »
Après 2016, les instances européennes ont cherché un moyen de contourner cette décision. Dès lors que les deux territoires étaientconsidérés en droit comme distincts, un procédé d’extension de l’accord d’association a été envisagé. Comme le décrit Maître Devers :« Le Maroc s’est évidemment bouché les oreilles, car une extension signifiait qu’il n’était pas chez lui. Le Maroc a été conduit, par un accord international, à admettre qu’il n’était pas souverain sur le territoire du Sahara occidental, puisqu’il a signé le traité d’extension avec l’Union européenne (en 2019). Est-ce de la bonne diplomatie ? Il ne me revient pas d’y répondre. Quoi qu’il en soit, le piège est en train de se refermer. Pour notre part, nous préférerions qu’il n’y ait pas de piège, et que les discussions se poursuivent. »
Par ailleurs, il précise que cette situation a des implications concrètes pour les douanes. Car bien sûr le Maroc s’arrange pour faire appliquer des préférences tarifaires aux produits qui viennent du Sahara occidental comme s’ils venaient du Royaume. Or, s’il n’y avait pas ces préférences tarifaires indues, les exportations de produits agricoles du Sahara occidental seraient redevables aux pays européens importateurs de 6,6 millions d’euros de droits de douane par an !
Maître Devers indique :« Les mémoires précisément documentés que nous avons publiés à ce sujet n’ont jamais été mis en cause. Au total, le montant à récupérer équivaudrait à 16,5 millions d’euros. Pourquoi n’est-il pas réclamé ? Des procédures ont-elles été lancées, et des efforts ont-ils été faits ? […] Ce sont autant de questions précises sur lesquelles nous appelons une réaction. »
Et il ajoute : « Nous pouvons d’ores et déjà annoncer que des syndicats agricoles italiens et espagnols s’apprêtent à intenter de nouveaux procès,tant ils sont écrasés par cette distorsion douanière [car eux ils paient des droits de douane aux pays importateurs !]. Ces procédures nous confortent dans notre lecture stricte de la question de la dette douanière. »
Concernant l’étiquetage des produits issus du Sahara occidental :« Là encore, nous nous contentons, dans les mémoires que nous déposons à la Cour, de décliner la pratique de l’Union européenne. […] Nous ne demandons ni plus ni moins, pour le Sahara occidental, que l’équivalent de ce qui se pratique avec la Palestine : un étiquetage portant la mention « origine colonie marocaine au Sahara occidental ». Ce n’est pas notre premier cheval de bataille – nous préférerions reprendre la maîtrise (de l’exploitation des ressources du Sahara occidental) –, mais telle est la solution que nous sollicitons dans l’immédiat. Nous demandons également que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) effectue des contrôles, pour traquer cette fraude à l’origine : les consommateurs pensent acheter des produits provenant du Maroc, alors qu’ils viennent du Sahara occidental. Il s’agit bien d’une fraude à l’origine : la loi n’est pas appliquée, et les infractions sont patentes. »
En conclusion, Gilles Devers exprime une certaine inquiétude quant à la procédure de pourvoi en cassation intentée en novembre 2021 par le Conseil européen contre les arrêts du Tribunal de justice de l’UE, précisant : « Non pas pour nous-mêmes, mais pour l’État de droit en général.La procédure est en cours, et l’arrêt devrait survenir en 2022 ou 2023. […] Somme toute, la décision politique est transférée au tribunal.Il sera facile d’arguer, ensuite, que tout a été fait – jusqu’à un pourvoi devant la grande chambre de la CJUE –, que la justice a rendu sa décision et qu’il convient de l’appliquer. Ce sera très dur pour le Maroc.
Que ce soit très dur pour les dirigeants marocains ne nous traumatise pas outre mesure, mais le peuple sahraoui est très attaché à entretenir des liens amicaux avec le peuple marocain,et souhaite que la situation se résolve par la négociation. »
Les réponses du ministre concernant le droit international et le droit européen
Après la suspension de séance, la parole est donnée à M. Jean-Baptiste Lemoyne,ministre délégué auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères. Dans son intervention inaugurale, il déclare : « Avant d’en venir en détail sur le cas du Sahara occidental, je voudrais vous redire l’attachement de la France au respect du droit international. C’est une priorité constante de la diplomatie française, parce qu’il est dans notre intérêt de promouvoir un cadre multilatéral fondé sur des règles mutuellement agréées qui permettent d’assurer un règlement pacifique des différends.[…] La France s’attache à rappeler le droit international dans toutes les enceintes multilatérales (Conseil de Sécurité, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme de l’ONU) lorsque celui-ci est remis en cause.
En cohérence avec cette position de principe, la France est attachée au plein respect du droit international dans le conflit au Sahara occidental. Nous soutenons donc très clairement la recherche d’une solution politiquequi soit juste, durable et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. »
Il affirme ensuite que« La France et l’Union européenne veillent à ce que les relations avec le Maroc s’inscrivent pleinement dans le cadre du droit international et du droit européen tels qu’interprétés par les juridictions compétentes. C’est la raison pour laquelle l’UE et le Maroc ont renégocié deux accords internationaux qui les liaient, à savoir, d’une part, le volet commercial de leur accord d’association, d’autre part, leur accord de pêche, pour tirer les conséquences des arrêts rendus par la CJUE en 2016 et en 2018 et préciser, ainsi, le cadre et les conditions d’application de ces accords au Sahara occidental ou aux produits qui en sont originaires. Conformément aux arrêts de la cour, ces nouveaux accords considèrent le Sahara occidental comme un territoire distinct du royaume du Maroc. »
Il ne donne aucune réponse quant à la dette douanière mise en exergue par l’avocat Gilles Devers, et signale les deux arrêts rendus le 29 septembre 2021 par le tribunal de l’Union européenne(première instance), qui ont annulé les décisions du Conseil de l’Union européenneautorisant la conclusion des accords UE-Maroc étendus au Sahara occidental.
Jean-Baptiste Lemoyne poursuit : « Toutefois, un pourvoi a été formé devant la Cour de justice, qui devra se prononcer de façon définitive sur cette question. Pendant la durée de cette procédure, les accords restent pleinement en vigueur. La France est convaincue que ces textes respectent le droit international et européen, qu’ils sont conformes au principe fondamental de la primauté des intérêts des habitants des territoires non autonomes,ainsi qu’à l’obligation de favoriser leur prospérité. Nous allons d’ailleurs nous attacher à faire valoir ce point de vue auprès de la Cour de justice – dont, bien évidemment, nous respecterons scrupuleusement la décision finale. »
Pour mémoire : cet avis n’est pas partagé par l’avocat du Front Polisario, qui a rappelé que ce ne sont pas les bénéfices que peuvent apporter ces accords commerciaux aux différents habitants du territoire qui devraient décider de leur légitimité, mais bienle consentement que pourrait leur donner le peuple sahraoui par la voix de son représentant reconnu, le Front Polisario. Consentement qui n’a pas été demandé.
Un constat disputé encore une fois
Jean-Paul Lecoq a annoncé qu’il emploierait « ses deux minutes » à contredire M. le Ministre délégué.
Ainsi : « Quand vous dites au sujet des décisions de justice européenne que vous souhaitez le bien-être du peuple sahraoui dans les territoires occupés, la seule chose à faire serait de demander son avis au Front Polisario, […] seul habilité à donner l’autorisation d’exploiter les richesses au Sahara occidental et de conclure des accords – ou à les conclure lui-même – avec l’Union européenne.»
« Depuis près de trente ans,le groupe de la Gauche démocrate et républicaine estime que la France possède la clé de la paix dans cette région du monde.Si le cessez-le-feu a été annulé, c’est justement à cause de ce non-règlement, dû à trente ans d’inaction diplomatique, trente ans de stand-by . En d’autres termes, on n’a pas mis à profit le temps du cessez-le-feu pour conclure une paix durable et définitive, et on en voit aujourd’hui le résultat : comme vous le dites vous-même, le conflit pourrait enflammer toute la région, et la France n’y a aucun intérêt. »
Ce à quoi Jean-Baptiste Lemoyne répond :
« Sur le droit international, les choses sont claires : en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France ne ménage pas ses efforts pour favoriser la recherche de solutions,comme je l’ai montré sur de nombreux dossiers. Le Gouvernement actuel n’est évidemment comptable que de ce qui a été fait au cours des cinq dernières années mais, même en faisant référence aux trois décennies qui viennent de s’écouler, on ne peut pas dire que l’absence de résolution soit due à un manque de bonne volonté de la part d’États extérieurs qui souhaitent précisément favoriser la résolution du conflit. Pour que les choses avancent, encore faut-il que des volontés locales se retrouvent(…) : c’est pourquoi nous appelons au dialogue et nous appuyons les efforts de l’Envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations unies. »
Cette volonté de dialogue est indubitablement partagée par le Front Polisario. Cependant, la formule répétée par le ministre – la recherche d’une solution politique qui soit juste, durable et mutuellement acceptable – contient une forme d’impasse, puisque la solution recherchée par les Sahraouis, l’indépendance, n’est pas acceptable pour le Maroc, et celle recherchée par le Maroc, l’intégration pure et simple du territoire sahraoui à celui du Royaume, n’est pas acceptable pour le Front Polisario. Ne reste donc que la « solution de compromis » défendue par Oubi Bouchraya Bachir : la mise en application du référendum d’autodétermination. La France, qui n’a pas soutenu cette solution jusqu’ici, devra donc s’y convertir pour que le dialogue ait vraiment lieu.
Le cas de Claude Mangin et la très oppressante question des droits de l’homme
« Je suis Claude Mangin, citoyenne française et défenseure des droits humains. Je suis mariée depuis 18 ans avec Naâma Asfari, militant pour le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, un droit reconnu par l’ONU.
Naâma est en détention arbitraire au Maroc depuis plus de onze ans. Il a été enlevé par les forces de sécurité marocaines le 7 novembre 2010 à Laâyoune. C’était la veille du démantèlement, par les forces armées marocaines, d’un campement de protestation pacifique qui a réuni durant un mois plus de 20 000 Sahraouis, hommes, femmes et enfants, rassemblés dans 8 000 tentes traditionnelles à Gdeim Izik, à dix kilomètres de la capitale du Sahara occidental. Lors de ce démantèlement violent, il y aurait eu 11 agents tués. Naâma, arrêté la veille, a pourtant été accusé de ces meurtres et transféré en prison à Rabat avec 24 autres camarades. Il a été torturé et condamné à 30 ans de prison par le tribunal militaire de Rabat en 2013, sur la base d’aveux extorqués sous la torture – une peine confirmée en appel en 2017. Ses compagnons, arrêtés dans la même affaire et condamnés à des peines allant de 20 ans à la perpétuité, ont également vu celles-ci confirmées.
Ces procès ont été entachés de nombreuses irrégularités relevées par les observateurs internationaux présents. Le 15 novembre 2016, le Comité contre la torture de l’ONU a condamné le Maroc pour faits de torture sur Naâma Asfari. Dans sa décision, le Comité demandait au Maroc de s’abstenir de toutes représailles sur le plaignant et sa famille. Cette condamnation a redonné sa dignité à mon mari et à ses compagnons, mais les représailles à son égard et au mien n’ont pas cessé : de 2010 à 2016, j’ai pu lui rendre régulièrement visite dans sa prison au Maroc mais, depuis cette condamnation en 2016, j’ai été expulsée 5 fois sans aucune justification. Les deuxième et troisième expulsions m’ont empêchée d’être présente au procès en appel.
Si j’ai pu revoir mon mari en janvier 2019, c’est parce que, pour alerter le gouvernement français sur mon droit de visite bafoué, j’ai observé en avril et mai 2018 une grève de la faim de 30 joursà la mairie d’Ivry-sur-Seine,notre ville de résidence, dont Naâma porte le titre de Citoyen d’honneur. Cette unique visite en 5 ans a été obtenue après de très difficiles négociations entre la Sous-direction de l’Afrique du Nord au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et l’ambassade du Maroc. On me reprochait en effet mes prises de parole à l’automne 2018 sur les ondes en Allemagne et à Strasbourg dans une église. C’est ainsi que j’ai été empêchée de présenter la situation des prisonniers de Gdeim Izik lors d’une soirée-débat dans une église de Strasbourg par un commando de 5 personnes envoyé par le consulat marocain. Ce même consulat est allé jusqu’à engager une démarche de protestation contre moi auprès de l’évêché.
La visite, qui a eu lieu il y a 3 ans déjà sous l’égide du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), organe nommé par le roi, a été très éprouvante. Constamment surveillée par des dizaines d’hommes, j’ai été dénoncée aux autorités françaises car j’ai rencontré le coordonnateur sahraoui chargé des relations avec les familles sahraouies ainsi qu’un membre du bureau de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). À cette occasion, le média en ligne le360.maa publié un article diffamatoire où je suis traitée de « chrétienne, épouse de l’égorgeur sahraoui » Naâma Asfari.
Ayant compris que la situation n’était pas normalisée, j’ai tenté une nouvelle visite 6 mois plus tard, en juillet 2019, mais j’ai été expulsée pour la cinquième fois. J’ai contesté cette interdiction d’entrée sur le territoire auprès des tribunaux marocains. Ma requête a été rejetée au motif que je constituais un trouble à l’ordre public et un danger pour la sécurité intérieure et extérieure de l’État. En novembre 2020, la Cour de cassation a définitivement condamné mon mari à 30 ans de prison. Quid de mon droit de visite pour les 19 prochaines années ?
Il a été révélé enfin que mon téléphone avait été infecté par le logiciel espion Pegasus, avec 128 connexions entre octobre 2020 et juillet 2021. J’ai compris à cette occasion comment le Maroc avait pu être informé de la tenue de nombreux événements militants ou privés, ce que je ne m’expliquais pas jusqu’alors.
En dépit des obligations qu’elle a envers ses ressortissants, dont je suis, et envers ses résidents, dont mon mari, la France a failli à assurer son rôle de protection. Jamais le Consulat de France n’est intervenu pour s’opposer à mes expulsions.
La France ne nous soutient pas dans notre combat pour la reconnaissance du caractère politique des prisonniers de Gdeim Izik.Elle se rend complice d’un État qui a été reconnu coupable de torture sur la personne de mon mari en ne demandant pas l’application de cette condamnation et en permettant au Maroc d’exercer des représailles à l’encontre d’une ressortissante française.
Je demande la libération de tous les prisonniers en détention arbitraire depuis 11 ans. »
Questions de Jean-Paul Lecoq
Le député interroge Claude Mangin sur le rôle de la France dans le refus du droit de visite que lui ont opposé les autorités marocaines.
D’autre part, souhaitant élargir le débat à la situation des droits humains dans le territoire occupé par le Maroc, il rappelle : « Sultana Khaya est une jeune femme qui préside la Ligue pour la défense des droits de l’homme et la protection des ressources naturelles à Boujdour, en territoire occupé par le Maroc. Elle est, avec sa mère et sa sœur, assignée à résidence depuis un an, sans aucun procès. Leur domicile subit des incursions régulières visant à détruire les objets personnels de la famille. Elle est régulièrement brutalisée et agressée sexuellement par des agents marocains. » En fonction de quoi, il demande : « Comment la France pourrait-elle faire pression sur le Maroc pour qu’il mette un terme aux intimidations et aux violences dont sont victimes les militants sahraouis pacifiques ? »
Réponses de Claude Mangin
« Je dois dire que les prisonniers politiques sahraouis sont en mauvaise santé et qu’ils sont persécutés en permanence, et ça dure depuis 11 ans. Et comme ils ont subi de la torture, il y a des traumatismes qui remontent en permanence. En plus, ils n’ont plus de droit de visite de leur famille depuis 2 ans à cause du Covid.
En ce qui concerne ma situation : le fait que ce soit des « prisonniers de Gdeim Izik », c’est-à dire le symbole de cette grande révolte de 2010, pacifique, est devenu un vrai traumatisme pour le Maroc, puisque il avait cru à l’époque pouvoir montrer au monde entier que le peuple sahraoui n’existait pas et que les Sahraouis étaient Marocains, comme il y a des Marocains Rifains ou autres… Eh bien si, ce grand rassemblement de Gdeim Izik a montré que le peuple sahraoui était bel et bien là, et qu’il fallait compter avec lui. Et mon mari et moi sommes les symboles de cette situation.[…]
D’autre part, à cause de la plainte que j‘ai déposée devant le Comité contre la torture, le Maroc a été condamné pour cette torture sur mon mari,donc tout cela ça fait beaucoup… Et, face à cela, je n’ai eu de réponse du gouvernement français que le silence. Ce silence qui est bien l’autre manière de montrer que cette question du Sahara est taboue au Maroc, mais qu’elle est aussi taboue en France… […]
Quand moi je vais au Maroc, quand on vient pour le Sahara occidental au Maroc, on est en situation « illégale », et donc c’est ce que je subis, alors que si j’étais mariée à un Marocain qui est en prison pour… trafic de drogue par exemple, au hasard, je n’aurais pas tous ces soucis… Donc je suis bien victime d’une question politique, de la question de la reconnaissance de la souveraineté des Sahraouis sur leur territoire au Sahara occidental.
Jusqu’en 2016, j’ai été reçue par l’ambassade de France, mais c’était toujours pour me faire dire comme le Maroc était bien ! Mais,à partir de la condamnation du Maroc, ça a été fini, et jamais je n’ai été soutenue par le Ministère des Affaires étrangères ni par le Consulat,sauf quand j’ai fait cette grève de la faim de 30 jours, ce que je trouve quand même un petit peu grave d’être obligée de passer par là pour pouvoir exister…
Maintenant si je parle de ce qui se passe dans le territoire occupé : voilà un territoire qui est une vraie prison à ciel ouvert. Depuis 2013, aucun étranger qui vient pour rencontrer des Sahraouis ne peut y entrer, ou bien ils sont expulsés, y compris des eurodéputés – il y en a eu 5 dans ce cas-là –, et c’est plus de 300 personnes qui ont été expulsées depuis 2013.
Depuis la reprise des combats, il y a un an, en novembre 2020, c’est encore pire.Les défenseurs des droits humains, les militants n’ont absolument pas le droit de prendre la parole, ni de manifester. Il y a le cas de Sultana, qui est une icône de la lutte des Sahraouis dans le territoire occupé, qui est martyrisée, empêchée de sortir depuis plus d’un an de chez elle, et agressée tous les jours, tous les jours, tous les jours…
Sur cette situation, comme le territoire est interdit à toute personne étrangère, eh bien, il n’y a aucune image, il n’y a aucun journaliste qui peut aller là-bas, et donc c’est comme si ça n’existait pas !
Mais le peuple sahraoui existe, et nous sommes là aujourd’hui pour en parler ; il serait bon que, tout simplement, la France permette à l’ONU d’élargir le mandat de la MINURSO à la surveillance des droits de l’homme. Comme vous le savez, c’est la seule mission des Nations Unies au monde qui ne l’a pas dans son mandat. Donc la MINURSO –qui est présente à El Aïoun par exemple, ou à Boujdour où est Sultana Khaya –n’a aucun pouvoir pour faire la description de ce qui se passe dans le territoires occupé.
En revanche, nous sommes nombreux, les associations de soutien au peuple sahraoui, en France, en Europe, dans le monde : il y a plus de 250 associations dans le Groupe de Genève qui tous les jours alerte le Haut Commissariat des Droits de l’Homme de l’ONU ; et tous les Mécanismes Spéciaux ont été sollicités, et tous ont condamné le Maroc pour faits de torture, pour empêchement des avocats d’aller au Maroc, pour la détention arbitraire, pour l’empêchement du droit de visite et du droit de manifester et de parler, bref tous les Mécanismes Spéciaux ont été alertés, ils ont tous condamné depuis 11 ans le Maroc pour tous ces faits, mais rien ne débouche, et le peuple sahraoui continue de souffrir uniquement parce qu’il se bat pour qu’il puisse exister dans son territoire,comme tout peuple a le droit de le faire, et il se bat pour ça depuis 45 ans maintenant. »
Le ministre Jean-Baptiste Lemoyne aborde la question des droits de l’homme
« Il est très clair que le respect du droit international, la défense, la promotion des droits de l’homme constituent une priorité de notre action diplomatique dans cette région comme partout dans le monde. Nous suivons attentivement le respect des droits de l’homme dans le monde entier. »Il précise toutefois que cela se fait « dans le respect de la souveraineté des États concernés, mais en maintenant avec ces États un dialogue dense, souvent intense. La France entretient ainsi un dialogue étroit, régulier et de confiance avec les autorités marocaines.»
Il signale en outre que : « la question du Sahara occidental est également suivie au Conseil des droits de l’homme et, aux côtés de ses partenaires, la France appelle tous les États, y compris le Maroc, à respecter les engagements internationaux en matière de droits de l’homme – des engagements qu’ils ont d’ailleurs librement souscrits. »
Face à ces propos très généraux, Jean-Paul Lecoq n’a pas manqué, suite à l’appel aux questions par la Présidente de la séance, de demander des précisions sur les intentions du Quai d’Orsay en matière de respect des droits humains des Sahraouis : « Je veux conclure en évoquant le sort des prisonniers politiques – je pense notamment à Naâma Asfari et à notre concitoyenne Claude Mangin. Cette dernière, qui s’est adressée maintes fois au Quai d’Orsay, n’a jamais obtenu les réponses qu’une citoyenne française est en droit d’obtenir sur ses demandes relatives au droit de visite et au respect du droit humain. Elle en a témoigné tout à l’heure et j’aimerais connaître l’attitude future du Quai d’Orsay à son égard. »
Ce à quoi le ministre Jean-Baptiste Lemoyne répond : « S’agissant de notre compatriote Claude Mangin, vous savez combien le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a suivi et continue de suivre sa situation. Je crois pouvoir dire sans être démenti que Jean-Yves Le Drian a soutenu les demandes faites par Mme Mangin, ce qui a abouti à ce qu’unevisite soit accordée en janvier 2019. » Et tandis que Jean-Paul Lecoq fait remarquer haut et fort qu’il s’agit d’une seule visite, le ministre continue : « Cela dit, comme vous le savez, l’admission sur un territoire national relève de la souveraineté d’un État. J’ajoute que, dans le contexte pandémique actuel, même les Français établis au Maroc peuvent avoir des difficultés à circuler hors du Maroc en raison de l’empêchement des liaisons aériennes et et maritimes. Quoi qu’il en soit, nous continuerons d’évoquer le dossier de Claude Mangin avec les autorités marocaines. »
À ce stade, il faut souligner qu’à la question posée par Jean-Paul Lecoq : « J’aimerais connaître l’attitude future du Quai d’Orsay vis-à-vis du Représentant du Front Polisario en France,puisque Paris est la seule capitale d’Europe à ne pas traiter le Représentant du Front Polisario comme il se doit – alors que, je le rappelle, la France préside le Conseil de l’Union européenne depuis le 1er janvier dernier », Jean-Baptiste Lemoyne n’a pas donné de réponse.
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Source : AARASD
http://www.association-des-amis-de-la-rasd.org/…
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