19 mars 2011 : Des manifestants à Saint-Paul, Minnesota, défilent contre les interventions
et les dépenses militaires américaines. (Fibonacci Blue/Flickr/CC BY 2.0)

Par Wiliam Astore

Des questions véritablement cruciales impliquant des centaines de milliards, voire des milliers de milliards de dollars des contribuables américains passent largement inaperçues, écrit William J. Astore.

Source : Consortium News, Wiliam Astore
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Où allez-vous trouver l’argent ? Cette question hante les propositions du Congrès visant à aider les pauvres, les mal-logés et ceux qui luttent pour payer leur hypothèque, leur loyer ou leurs factures médicales, parmi tant d’autres questions domestiques essentielles. Et pourtant – divine surprise ! – il y a toujours beaucoup d’argent pour le Pentagone.

Pour l’année fiscale 2022, en fait, le Congrès se montre particulièrement généreux avec un financement de 778 milliards de dollars, soit environ 25 milliards de dollars de plus que ce que l’administration Biden avait initialement demandé. Même cette somme faramineuse sous-estime sérieusement le financement du gouvernement pour le vaste appareil américain de sécurité nationale qui, puisqu’il engloutit plus de la moitié des dépenses discrétionnaires fédérales, est véritablement la principale, bien que non officielle, quatrième branche du gouvernement de ce pays.

L’approbation finale du dernier budget militaire, officiellement connu sous le nom de National Defense Authorization Act (NDAA) de 2022, pourrait être reportée au mois de janvier, le Congrès se disputant sur diverses questions secondaires. Cependant, contrairement à tant de financements cruciaux pour les soins directs des Américains, n’imaginez pas une seconde qu’il ne sera pas adopté à la supermajorité. (Oui, le gouvernement pourrait effectivement être suspendu un de ces jours, mais pas – jamais ! – l’armée américaine) [En cas de consommation du bugdet annuel avant le 31 décembre,les services fédéraux se trouvent paralysés comme le 30 septembre 2021 et le Sénat et la chambre des représentant doivent autoriser une enveloppe supplémentaire, NdT].

Parmi les questions secondaires du budget de la « défense » qui font actuellement l’objet de discussions, je citerai notamment la question de savoir si les militaires doivent pouvoir refuser les vaccins Covid-19 sans être sanctionnés, si les jeunes femmes doivent être tenues de s’inscrire au système de service sélectif à l’âge de 18 ans (même si les États-Unis n’ont pas eu de conscription depuis près d’un demi-siècle et ne sont pas susceptibles d’en avoir une dans un avenir prévisible), ou si l’AUMF (Autorisation de recours à la force militaire) pour la guerre en Irak, adoptée par le Congrès avec un effet désastreux en 2002, devrait être abrogée après près de deux décennies de calamité et de futilité.

Alors que les débats sur ces questions et sur d’autres questions similaires, inévitablement partisanes, font les gros titres, la question la plus importante de toutes échappe à une couverture sérieuse : pourquoi, malgré des décennies de guerres désastreuses, les budgets du Pentagone continuent-ils de croître, année après année, comme des champignons nucléaires en expansion permanente ? En d’autres termes, alors que des voix s’élèvent et que des bras s’agitent au Congrès au sujet de la tyrannie des vaccins ou d’une hypothétique future conscription de votre fille de 18 ans, les questions véritablement cruciales impliquant votre argent (des centaines de milliards, voire des milliers de milliards de dollars des contribuables) sont largement passées sous silence.

Quelles sont certaines de ces questions que nous devrions examiner, mais que nous n’examinons pas ? Je suis heureux que vous ayez posé la question !

Sept questions avec « lancer de poids »

Lorsque j’étais dans l’armée de l’Air et que je travaillais à Cheyenne Mountain (l’abri antiatomique ultime de l’époque de la Guerre froide), nous parlions des missiles nucléaires en termes de « poids de lancement ». Plus ce poids est élevé, plus l’ogive est grosse. Dans cet esprit, j’aimerais lancer sept questions sur le poids du projectile – dont certaines avec plusieurs « ogives » – en direction générale du budget du Pentagone. C’est un exercice qui vaut la peine d’être fait, en grande partie parce que, malgré sa taille, ce budget semble généralement imperméable à une surveillance sérieuse, et encore moins à de véritables questions de toute sorte.

Alors, c’est parti et accrochez-vous bien (ou, dans l’esprit du nucléaire, baissez-vous et couvrez-vous !) :

Un : Pourquoi, avec la fin de la guerre d’Afghanistan, le budget du Pentagone continue-t-il de grimper en flèche ? Alors même que l’effort de guerre américain s’exacerbait avant de s’effondrer dans la défaite, le Pentagone, selon ses propres calculs, dépensait près de 4 milliards de dollars par mois, soit 45 milliards de dollars par an, dans ce conflit et, selon le projet sur les coûts de la guerre, 2.313 milliards de dollars depuis son début. Maintenant que la folie et le mensonge sont enfin terminés (du moins en théorie), après deux décennies de fraude, de gaspillage et d’abus de toutes sortes, le budget du Pentagone pour 2022 ne devrait-il pas diminuer d’au moins 45 milliards de dollars ? Encore une fois, l’Amérique a perdu, mais les contribuables américains ne devraient-ils pas maintenant économiser un minimum de 4 milliards de dollars par mois ?

Le 20 mars 2010 : Manifestation à Minneapolis contre les guerres en Irak et en Afghanistan. (Fibonacci Blue/Flickr/CC BY 2.0)

Deux : Après une guerre désastreuse contre le terrorisme qui a coûté plus de 8 000 milliards de dollars, n’est-il pas enfin temps de commencer à réduire la présence impériale mondiale de l’Amérique ? Honnêtement, pour sa « défense », l’armée américaine a-t-elle besoin de 750 bases à l’étranger dans 80 pays sur tous les continents sauf l’Antarctique, entretenues pour un coût supérieur à 100 milliards de dollars par an ? Pourquoi, par exemple, cette armée étend-elle ses bases sur l’île de Guam, dans le Pacifique, au détriment de l’environnement et malgré les protestations d’une grande partie de la population indigène ? Un seul mot : la Chine ! N’est-il pas étonnant de constater que la menace sans cesse grandissante de la Chine donne du pouvoir à un Pentagone dont les demandes budgétaires insatiables pourraient avoir des problèmes sans un adversaire « quasi-pair » désigné ? C’est presque comme si, dans un sens biaisé, le budget du Pentagone lui-même était désormais « fabriqué en Chine. »

Troisièmement : En parlant de la Chine et de sa quête présumée d’un plus grand nombre d’armes nucléaires, pourquoi l’armée américaine continue-t-elle à réclamer 1.700 milliards de dollars sur les 30 prochaines années pour son propre ensemble d’armes nucléaires « modernisées » ? Après tout, la force stratégique actuelle de la Marine, représentée avant tout par les sous-marins de classe Ohio équipés de missiles Trident, est (et sera dans un avenir prévisible) capable de détruire le monde tel que nous le connaissons. Un échange nucléaire « général » mettrait fin à la vie de la majeure partie de l’humanité, étant donné l’impact désastreux de l’hiver nucléaire qui s’ensuivrait sur la production alimentaire. Quel est l’intérêt du projet de loi « Build Back Better » [Mieux reconstruire, NdT] de Joe Biden, si les dirigeants américains se préparent à tout détruire avec une nouvelle génération de bombes nucléaires et de missiles produisant un holocauste ?

Quatre : Pourquoi l’armée américaine, prétendument financée pour la « défense », est-elle plutôt configurée pour la projection de forces et les frappes mondiales de toutes sortes ? Pensez à la Marine, construite autour de groupes d’attaque de porte-avions, qui mène maintenant le combat contre « l’ennemi » en mer de Chine méridionale. Pensez aux bombardiers stratégiques B-52 de l’US Air Force, qui volent toujours de manière provocante près des frontières de la Russie, comme si le film Dr. Strangelove (Dr. Folamour, NdT) était sorti non pas en 1964 mais hier. Pourquoi, en somme, l’armée américaine refuse-t-elle de rester chez elle et de protéger la forteresse Amérique ? Un vieux cliché sportif, « La meilleure défense est une bonne attaque », semble traduire la faillite de ce qui passe, même après des décennies de guerres perdues dans des pays lointains, pour la pensée stratégique américaine. Cela peut avoir un sens sur un terrain de football, mais, à en juger par ces guerres, cela a été une catastrophe majeure pour nos militaires, sans parler des peuples étrangers qui ont reçu des armes mortelles très « Made in the USA. »

Des soldats américains effectuent une simulation de chargement d’armes nucléaires dans un C-17 Globemaster III sur la base aérienne McChord à Tacoma, Washington, 2009. (Armée américaine, Benjamin Faske)

Au lieu de se délecter de l’effet de surprise, ce pays devrait trouver les guerres choisies qu’il a menées depuis 1945 réellement choquantes et horribles – et agir pour y mettre fin pour de bon et financer toute version future de celles-ci.

Cinq : En parlant de frappes mondiales avec des répercussions terribles, pourquoi le Pentagone travaille-t-il si dur pour encercler la Chine, tout en augmentant les tensions qui ne peuvent que contribuer à l’escalade nucléaire et même à une nouvelle guerre mondiale dès 2027 ? Question connexe : Pourquoi le Pentagone continue-t-il à prétendre que, dans ses « jeux de guerre » avec la Chine sur une éventuelle bataille future pour l’île de Taïwan, il perd toujours ? Est-ce parce que « perdre», c’est en fait gagner, puisque cette possibilité peut alors être invoquée pour justifier de nouvelles demandes de fonds au Congrès afin que ce pays puisse « rattraper » la dernière menace rouge ?

(Question bonus : Alors que les généraux américains ne cessent de perdre des guerres réelles aussi bien qu’imaginaires, pourquoi aucun d’entre eux n’est-il jamais limogé ?)

Sixièmement : En parlant d’agression mondiale, pourquoi ce pays maintient-il une vaste et coûteuse armée dans l’armée qui est dirigée par le Commandement des opérations spéciales et orientée opérationnellement pour faciliter les interventions partout et n’importe où ? (Notez que les forces d’opérations spéciales de ce pays sont plus importantes que les armées à part entière de nombreux pays sur cette planète). Si l’on considère les dernières décennies, les forces d’opérations spéciales ne se sont pas révélées si spéciales que cela, n’est-ce pas ? Et peu importe que l’on cite les guerres du Vietnam, d’Irak ou d’Afghanistan. Autrement dit, pour chaque mission de la SEAL Team 6 qui tue un grand méchant, il y a un nombre surprenant de catastrophes à petite échelle qui ne font qu’aliéner d’autres peuples, générant ainsi un retour de flamme (et donc, bien sûr, un financement supplémentaire de l’armée).

Sept : Enfin, pourquoi, oh pourquoi, après des décennies de pertes militaires, le Congrès s’en remet-il toujours aussi mollement à « l’expérience » de nos généraux et amiraux ? Pourquoi émettre autant de chèques en blanc à la bande qui ne peut tout simplement pas tirer droit, que ce soit au combat ou lorsqu’ils témoignent devant les commissions du Congrès, ainsi qu’aux entreprises géantes (et aux monstres de lobbying du Congrès) qui fabriquent l’armement même qui ne peut pas tirer correctement ?

Dans l’armée, c’est un compliment d’être appelé un franc tireur. Je suggère que le président Biden commence à renvoyer une foule de généraux jusqu’à ce qu’il en trouve quelques-uns qui soient prêts à faire exactement cela et à lui dire, ainsi qu’au reste d’entre nous, quelques vérités crues, en particulier sur les armes qui fonctionnent mal et les guerres perdues.

Ronald Reagan faisant campagne avec Nancy Reagan à Columbia, en Caroline du Sud, en octobre 1980. (Bibliothèque Ronald Reagan via Wikimedia Commons)

Il y a quarante ans, après l’accession de Ronald Reagan à la présidence, j’ai commencé à écrire sérieusement contre le gonflement du budget du Pentagone. À l’époque, cependant, je n’aurais jamais imaginé que les budgets de ces années-là paraîtraient modestes aujourd’hui, surtout après l’implosion du grand ennemi de l’époque, l’Union soviétique, en 1991.

Pourquoi, alors, le NDAA de chaque année s’élève-t-il toujours plus haut dans la troposphère, dérivant au gré du vent et empoisonnant notre culture militariste ? Parce que, pour dire l’évidence, le Congrès préfère s’engager dans des dépenses d’argent plutôt que d’exercer la moindre surveillance réelle lorsqu’il s’agit de l’État de sécurité nationale. Il a, bien sûr, été essentiellement capturé par le complexe militaro-industriel, un sort funeste dont le président Dwight D. Eisenhower nous a avertis il y a 60 ans dans son discours d’adieu. Au lieu d’être un chien de garde pour l’argent de l’Amérique (sans parler de notre démocratie qui disparaît rapidement), le Congrès est devenu le véritable toutou des militaires et de leurs fabricants d’armes bien rémunérés.

Soutenez la campagne de financement d’hiver du CN !

Ainsi, même si le Congrès se donne en spectacle en débattant de la NDAA, ce n’est rien d’autre, au mieux, qu’une danse de Kabuki politique [un show politique, NdT] (une métaphore, soit dit en passant, assez courante dans l’armée, ce qui en dit long sur le sens de l’humour très développé de ses membres). Bien sûr, nos représentants au Congrès agissent comme s’ils exerçaient un contrôle, même s’ils font ce qu’on leur dit, tandis que les entrepreneurs aux poches profondes versent des contributions importantes aux « coffres de guerre » des campagnes de ces mêmes politiciens. C’est une victoire pour eux, bien sûr, mais une perte majeure pour ce pays – et même pour le monde.

Faire plus avec moins

Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Jaustin, arrivant à Miami pour la passation de commandement du Commandement Sud des États-Unis, le 29 octobre. (DoD, Lisa Ferdinando)

À quoi ressemblerait un véritable contrôle du budget de la défense ? Encore une fois, je suis heureux que vous posiez la question !

Il se concentrerait sur la défense réelle, sur la prévention des guerres et, surtout, sur la réduction de notre gigantesque armée. Cela impliquerait de réduire ce budget de moitié environ au cours des prochaines années et de forcer nos généraux et amiraux à s’engager dans l’acte le plus rare pour eux : faire des choix difficiles. Peut-être verraient-ils alors la folie de dépenser 1.700 milliards de dollars pour la prochaine génération d’armements de portée mondiale, ou de maintenir toutes ces bases militaires dans le monde, ou peut-être même la stupidité extrême de mettre la Chine au pied du mur au nom de la « dissuasion. »

Voici une pensée radicale pour le Congrès : les Américains, en particulier la classe ouvrière, sont constamment conseillés de faire plus avec moins. Allez, vous, les travailleurs, remontez vos bretelles et mettez le nez sur l’établi !

Pour un si grand nombre de nos représentants élus (souvent bien abrités dans des circonscriptions grotesques), moins d’argent et moins d’avantages pour les travailleurs sont rarement considérés comme des problèmes, mais seulement comme des défis. Arrêtez de pleurnicher, mettez de l’huile de coude et « faites-le » !

L’armée américaine, toujours fière de son esprit « can-do » à l’ère du « can’t doisme », devrait avoir beaucoup d’intelligence à exploiter. Il suffit de penser à tous ces « groupes de réflexion » de Washington auxquels elle peut faire appel ! N’est-il pas grand temps, alors, que le Congrès mette le complexe militaro-industriel au défi de se concentrer sur la manière de faire beaucoup moins (comme moins de guerre) avec beaucoup moins (comme moins de budgets pour des armements dispendieux et des guerres calamiteuses) ?

Pour ce budget et les budgets futurs du Pentagone, le Congrès devrait envoyer le plus fort des messages en réduisant d’au moins 50 milliards de dollars par an pendant les sept prochaines années. Forcez les gars (et les quelques filles) portant des étoiles à établir des priorités et à mettre l’accent sur la défense réelle de ce pays et de sa Constitution, ce qui, croyez-moi, serait une expérience unique pour nous tous.

Chaque année ou presque, je réécoute le discours de Dwight Eisenhower sur le complexe militaro-industriel. Dans ces derniers moments de sa présidence, Ike a mis en garde les Américains contre les « graves implications » de la montée d’un « immense établissement militaire » et d’une « industrie permanente de l’armement aux vastes proportions », dont la combinaison constituerait une « montée désastreuse d’un pouvoir mal placé ». Notre pays souffre aujourd’hui d’une telle montée en puissance qui a déformé la structure même de notre société. Ike a également parlé à l’époque de la poursuite du désarmement comme d’un impératif permanent et de l’importance vitale de rechercher la paix par la diplomatie.

Dans son esprit, nous devrions tous demander au Congrès de mettre fin à la folie des budgets de guerre toujours plus élevés et de leur substituer la poursuite de la paix par la sagesse et la retenue. Cette fois-ci, nous ne pouvons vraiment pas laisser les nombreuses armes fumantes de l’Amérique se transformer en autant de champignons au-dessus de notre planète assiégée.

William Astore, lieutenant-colonel (USAF) à la retraite et professeur d’histoire, est un habitué de TomDispatch et un membre senior de l’Eisenhower Media Network (EMN), une organisation de vétérans militaires et de professionnels de la sécurité nationale critiques. Son blog personnel s’intitule Bracing Views.

Source : Consortium News, Wiliam Astore, 17-12-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
https://www.les-crises.fr/…

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