Le président Joe Biden prend la parole le jeudi 6 janvier 2022, à Washington, depuis le Statuary Hall du Capitole des États-Unis pour marquer le premier anniversaire de l’assaut du 6 janvier sur le Capitole par des partisans fidèles au président de l’époque, Donald Trump. (Greg Nash/Pool via AP)
Par Eric London
Avant-hier, Joe Biden a prononcé un discours depuis le Capitole des États-Unis dans lequel il a déclaré à la population qu’il y avait eu une tentative de renverser la Constitution et d’établir une dictature en Amérique. Biden a averti que le danger n’était pas passé et que les conspirateurs planifiaient activement de renverser les élections à venir.
Le 6 janvier a été «un point d’inflexion dans l’histoire», a-t-il dit. Un réseau de comploteurs «tenait un couteau sous la gorge de la démocratie américaine» et «en ce moment même, dans chaque État, de nouvelles lois sont rédigées non pas pour protéger le vote, mais pour le nier. Non seulement ont-ils voulu supprimer le vote, mais aussi le subvertir». Biden a déclaré: «Alors que nous nous tenons ici aujourd’hui, un an après le 6 janvier 2021, les mensonges qui ont suscité la colère et la folie que nous avons vues dans cette enceinte n’ont pas diminué. Nous devons donc être fermes, résolus et inflexibles dans notre défense du droit de vote et de la prise en compte de ce vote».
Le principe qui régit les discours présidentiels nationaux est d’éviter de dire ce qui ne doit pas être dit. Le but du discours n’était pas de faire la vérité sur ce qui s’est passé le 6 janvier 2021, mais d’en cacher la signification.
La vérité ne peut être extraite qu’en examinant ce que Biden n’a pas dit.
Tout d’abord, le discours de Biden n’a pas expliqué pourquoi, si le pays est sous la menace imminente d’une dictature, son gouvernement a retardé ce discours pendant une année entière.
Le discours d’avant-hier était la première fois que Biden s’adressait à la nation au sujet des événements du 6 janvier. Il a comparé le 6 janvier aux événements de Pearl Harbor, mais Franklin Delano Roosevelt n’a pas attendu le 7 décembre 1942 pour s’adresser à la population au sujet d’une attaque qui avait eu lieu l’année précédente.
On n’a pratiquement pas informé le public du moment où le président devait prononcer son discours. Les discours présidentiels sont généralement des événements politiques majeurs, dont la date est annoncée à l’avance afin d’assurer le plus large auditoire possible. Mais le discours de Biden a eu lieu presque par surprise, sans avertissement préalable, à 9 heures du matin, heure de l’Est, 6 heures du matin, heure du Pacifique. On a choisi l’heure pour assurer le plus petit auditoire possible parmi les masses de travailleurs. Le gouvernement estimait qu’il ne pouvait pas éviter de reconnaître l’anniversaire, mais ne voulait pas que la population entende ce que Biden avait à dire.
Le discours de Biden ne prévoyait aucune action concrète pour stopper les comploteurs dans leur élan. Il ne faisait aucune proposition pour que les responsables rendent des comptes. Il n’a pas expliqué pourquoi, si «nous devons être fermes, résolus et inflexibles», le gouvernement n’a rien fait.
Son discours n’a pas désigné nommément le principal conspirateur, se référant à Trump uniquement par le titre officiellement utilisé, «l’ancien président». C’est un signe de faiblesse et une concession à Trump, qui aurait dû être qualifié non pas d’«ancien président», mais de criminel et de dictateur en puissance. Le discours de Biden n’a pas non plus nommé une seule personne responsable du complot, que ce soit ses dirigeants au Sénat (Hawley, Cruz, Tuberville, Marshall, Kennedy, Lummis et Hyde-Smith), à la Chambre (Gosar, Biggs, Taylor Greene, Boehbert, Brooks, Gaetz, Cawthorne, et bien d’autres), à la Maison-Blanche (Stephen Bannon, Peter Navarro, Steven Miller), ou dans l’armée (Christopher Miller, Charles Flynn).
Le discours de Biden n’a pas non plus appelé le complot par son vrai nom. Les formulations utilisées par Biden et les nombreux rédacteurs de discours qui ont revu et soigneusement révisé les propos montrent que les auteurs avaient pour objectif de dissimuler à la population les aspects les plus dangereux et les plus alarmants. Il a déclaré que dans le pays «des forces existaient qui privilégient la force brute au détriment du caractère sacré de la démocratie» et qui visent à «transformer» le parti républicain, qui est un parti conservateur, «en quelque chose d’autre», a-t-il dit, évitant d’utiliser le terme «fasciste». Les mots «autoritaire», «dictature» ou «État policier» n’apparaissent pas dans le discours de Biden.
Il n’a pas expliqué ce qui se serait passé si le coup d’État avait réussi. Si la meute avait réussi à prendre des otages au Congrès, les démocrates auraient entamé des négociations avec Trump pour un arrangement qui l’aurait maintenu au pouvoir.
Le discours du président n’a pas décrit le rôle joué par la police et l’armée pour faciliter le complot de Trump. Biden a présenté les forces de sécurité comme des défenseurs de la démocratie, appelant les forces de l’ordre «les héros qui ont défendu ce Capitole». Il a déclaré: «Dépassés en nombre face à une attaque brutale, la police du Capitole, le département de la police métropolitaine de D.C., la Garde nationale et d’autres courageux représentants des forces de l’ordre ont sauvé l’État de droit».
Biden n’a pas démasqué le parti républicain pour avoir soutenu le complot de Trump. Il a plutôt fait l’éloge de ces «hommes et femmes courageux» au sein du Parti républicain qui «se dressent contre» Trump et «essaient de faire respecter le principe de ce parti» sans faire référence au fait que 147 congressistes républicains ont soutenu les objections parlementaires à la certification du collège électoral. Il a appelé à l’unité avec les républicains en déclarant: «Quels que soient mes autres désaccords avec les républicains qui soutiennent l’État de droit et non le règne d’un seul homme, je chercherai toujours à travailler ensemble avec eux, pour trouver des solutions communes».
Il n’a abordé aucun des processus sociaux et historiques sous-jacents qui ont donné naissance à Trump et au trumpisme. Biden a déclaré que Trump était motivé par son «ego meurtri», ajoutant que «l’ancien président qui ment sur cette élection et la foule qui a attaqué ce Capitole ne pourraient pas être plus éloignés des valeurs américaines fondamentales». Mais si le danger provenait uniquement de «l’ego» de Trump, alors il n’y aurait pas de danger. Biden n’a pas essayé d’expliquer comment des millions d’Américains croient les mensonges de Trump et pourquoi une partie importante de l’establishment politique et médiatique les promeut. Chaque fois que Biden a abordé un sujet qui aurait mérité d’être exploré, il est passé immédiatement à autre chose, comme lorsqu’il a fait une référence alléchante au rôle de «l’avidité de quelques-uns» dans la promotion de la dictature.
Mais Biden n’a pas expliqué pourquoi, en tant que président, il a adopté les politiques de «laisser faire» de Trump en réponse à la pandémie, tout en rejetant toute aide économique à la population parce que la Maison-Blanche ne veut pas «faire des chèques pour inciter les gens à rester chez eux».
Le parti démocrate est intrinsèquement incapable de défendre la démocratie. Il mène une guerre sur deux fronts. D’une part, les démocrates préfèrent éviter une prise de pouvoir fasciste, car cela nuirait aux intérêts de l’impérialisme américain dans le monde. Pendant des décennies, le parti démocrate a justifié les guerres néocoloniales et les coups d’État par des motifs humanitaires. Il a soutenu frauduleusement que des interventions militaires brutales sont nécessaires pour protéger la «démocratie» et fait la leçon à la moitié du monde sur l’importance des «élections libres et équitables».
Même dans le discours de Biden sur la menace de dictature venant de l’intérieur du système politique américain, il a réussi à blâmer «la Chine et la Russie» pour avoir «parié que les jours de la démocratie sont comptés». Les démocrates sont conscients qu’un coup d’État minerait leurs prétextes pour l’intervention étrangère en général et contre ces deux adversaires en particulier.
D’autre part, le parti démocrate mène une guerre sur un second front contre la classe ouvrière. Alors qu’il s’efforce de supprimer les salaires et de forcer les travailleurs et les étudiants à retourner sur leurs lieux de travail et dans les écoles au milieu de la pandémie, les démocrates doivent également minimiser la menace de la dictature pour éviter une explosion sociale. C’est pour cette raison qu’ils n’ont lancé aucun appel large aux masses populaires lors des événements du 6 janvier. Le parti démocrate est terrifié à l’idée que si la classe ouvrière prenait pleinement conscience du danger, un mouvement de masse se développerait, menaçant les profits de la grande entreprise et la flambée des marchés boursiers.
Dans un moment révélateur de son discours, Biden a expliqué que les événements du 6 janvier étaient sans précédent dans l’histoire américaine. «Pour la première fois à l’intérieur de ce Capitole», a-t-il dit, des manifestants ont brandi «le drapeau confédéré qui symbolise la cause qui vise à détruire l’Amérique, à nous déchirer. Même pendant la guerre civile, cela n’est jamais arrivé. Mais c’est arrivé ici en 2021».
La guerre civile américaine s’est déroulée pendant la période de l’essor du capitalisme américain. Une section de la classe dominante, le parti républicain d’Abraham Lincoln, était prête en tant que classe à agir pour défendre la constitution et abolir le système esclavagiste. Le parti républicain a mobilisé des masses de gens qui ont soutenu la lutte révolutionnaire, même au prix d’énormes difficultés et de centaines de milliers de vies. Les insurgés confédérés ont certes tenté de brandir leur drapeau au Capitole de Washington, mais une armée de deux millions de soldats nordistes leur a barré la route.
Aujourd’hui, à l’ère de la décadence terminale du capitalisme mondial, le 6 janvier montre qu’il n’existe aucune section au sein de la classe dirigeante qui soit prête à défendre les droits démocratiques. Tout l’establishment politique est rongé par les niveaux massifs d’inégalité sociale, la guerre impérialiste permanente, la militarisation de la police, les déportations massives, les assauts incessants contre les emplois et les conditions de vie. Les démocrates ne peuvent pas mobiliser les masses pour défendre la démocratie parce que les démocrates sont terrifiés par les masses.
La classe ouvrière est la force sociale qui peut faire avancer la lutte pour défendre les droits démocratiques et s’opposer à la menace du fascisme, en inspirant et en entraînant derrière elle les éléments progressistes de la classe moyenne. La lutte contre la dictature signifie la lutte contre le système capitaliste dont le fascisme et la dictature tirent leur force.
(Article paru en anglais le 7 janvier 2022)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…