Par Shuaib Almosawa, Jeremy Scahill et Jawa Al Muzaiel
Un haut responsable houthi déclare à Drop Site que le Yémen cessera ses attaques contre les navires américains si Trump met fin à ses bombardements
Dans un entretien approfondi, Mohammed al-Bukhaiti a affirmé que Donald Trump pouvait mettre un terme à la bataille de la mer Rouge en contraignant Benyamin Netanyahou à arrêter la guerre génocidaire menée par Israël. Il a affirmé que le Yémen avait d’ores et déjà gagné la bataille morale, devenant un sujet de fierté pour tous les peuples libres du monde. Pour sa part, la marine américaine a utilisé plus de missiles pour la « défense aérienne » contre le blocus naval des Houthis que pendant toute la période allant de l’opération Tempête du désert, dans les années 1990, jusqu’à octobre 2023, date du début de l’opération militaire en mer Rouge.
Par Shuaib Almosawa, Jeremy Scahill et Jawa Al Muzaiel
Source : Drop Site News, 10 avril 2025
Traduction : lecridespeuples.substack.com

Mohammed al-Bukhaiti, au centre, lors d’une marche de solidarité avec Gaza et les prisonniers palestiniens, le 3 août 2024.
Un haut dirigeant d’Ansar Allah, mouvement plus connu sous le nom de Houthis, a déclaré à Drop Site News que si les États-Unis mettaient fin à leur campagne de frappes aériennes contre le Yémen, les forces houthies s’engageraient à suspendre toutes les attaques contre les navires américains dans la région.
« Nous ne nous considérons pas en guerre contre le peuple américain », a affirmé Mohammed al-Bukhaiti, membre du Bureau politique d’Ansar Allah et porte-parole de longue date du mouvement. « Si les États-Unis cessent de cibler le Yémen, nous mettrons un terme à nos opérations militaires à leur encontre. »
Depuis novembre 2023, en réponse à la guerre d’Israël contre Gaza, les Houthis imposent un blocus naval significatif en mer Rouge, empêchant les navires commerciaux de rallier Israël. Ils ont également mené des attaques contre Tel-Aviv et d’autres villes israéliennes, affirmant que leurs opérations militaires et navales se poursuivraient en solidarité avec la résistance palestinienne.
Le 15 mars, le président Donald Trump a ordonné une campagne de bombardements soutenus contre le Yémen, officiellement pour protéger les voies de navigation internationales au large des côtes yéménites — frappant le pays presque chaque nuit. Des dizaines de civils ont été tués. « Le choix des Houthis est clair : cessez de tirer sur les navires américains, et nous cesserons de tirer sur vous », a écrit Trump sur TruthSocial le 31 mars. « Dans le cas contraire, ce n’est que le début, et la vraie souffrance est encore à venir. »
L’avertissement de Trump a été repris par le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, lors d’une interview sur Fox News : « Dès que les Houthis diront : “Nous cessons de tirer sur vos navires, nous cessons de tirer sur vos drones”, cette campagne prendra fin. Mais d’ici là, elle sera implacable. »
Bien que les forces houthies aient visé des navires de guerre et des drones américains impliqués dans les frappes contre le Yémen, elles n’ont pris pour cible aucun navire commercial américain depuis l’entrée en fonction de Trump. Depuis l’escalade des attaques américaines, Ansar Allah poursuit des opérations militaires qu’il qualifie d’autodéfense et d’actes de solidarité avec les Palestiniens de Gaza. « Notre guerre avec les États-Unis n’est pas inévitable », a déclaré al-Bukhaiti. « Si les États-Unis renoncent à leurs politiques hostiles envers nous et envers notre nation islamique, nous mettrons fin à nos actions hostiles à leur encontre. La balle est donc dans le camp de l’establishment au pouvoir à Washington. »
Dans un entretien exclusif accordé à Drop Site — le plus substantiel livré à un média américain depuis le début des frappes massives le mois dernier — al-Bukhaiti a défendu le blocus maritime des Houthis en mer Rouge. Gouverneur du gouvernorat de Dhamar, récemment frappé par les bombardements américains, al-Bukhaiti a exposé les conditions posées par les Houthis pour une désescalade militaire.
« Lorsque l’entité sioniste cessera ses crimes génocidaires à Gaza et autorisera l’entrée de nourriture, de médicaments et de carburant, conformément à l’accord de cessez-le-feu, nous cesserons toutes nos opérations militaires à son encontre », a déclaré al-Bukhaiti. « Nous n’avons fait que nous défendre. Il y a également des crimes de génocide à Gaza et un siège destiné à affamer la population. Toutes les nations devraient agir pour soutenir les opprimés et les faibles, comme le stipulent les conventions internationales et le droit international des droits de l’homme. »
Al-Bukhaiti a précisé que, bien que les Houthis respecteraient un accord concernant les navires américains si les bombardements cessaient, les navires israéliens resteraient soumis au blocus tant qu’Israël n’aurait pas mis fin à sa guerre génocidaire contre les Palestiniens de Gaza — ou jusqu’à un éventuel renouvellement de l’accord de cessez-le-feu. « Les opérations contre l’entité sioniste se poursuivront jusqu’à ce que nos objectifs soient atteints », a déclaré al-Bukhaiti. « Si Trump cherche réellement la paix, comme il le prétend, il aurait dû concentrer ses efforts sur la pression à exercer sur Netanyahou pour qu’il applique l’accord de cessez-le-feu, incluant la levée du blocus sur Gaza et l’autorisation d’y acheminer nourriture et médicaments. Ce n’est qu’alors que nous cesserons toutes les opérations militaires contre l’entité sioniste. »
Alors que l’administration Trump a présenté les attaques des Houthis comme visant des navires commerciaux américains, la réalité est que ces attaques ont ciblé des navires de guerre et des drones participant aux frappes sur le Yémen. Les Houthis ont attaqué des destroyers américains à l’aide de missiles de croisière, de drones et de missiles antinavires. Mercredi, Yahya Saree, porte-parole militaire des Houthis, a déclaré que le groupe avait abattu un drone américain MQ-9 qui « menait des missions hostiles » dans le nord-est du Yémen. Il a précisé que l’appareil avait été touché par « un missile sol-air de fabrication nationale ». Saree a affirmé qu’il s’agissait du troisième drone américain abattu au cours des dix derniers jours, et du dix-huitième depuis que les Houthis ont ouvert leur front de solidarité avec Gaza.
La dernière attaque connue des Houthis contre des navires commerciaux américains remonte à décembre 2024, avant l’entrée en fonction de Trump. Des navires de guerre américains escortaient alors trois bâtiments battant pavillon américain en route vers Djibouti, en Afrique de l’Est, lorsque les forces houthies ont lancé un barrage d’attaques. Depuis l’investiture de Trump, aucune attaque de ce type n’a eu lieu.
« Le fait qu’aucun navire [américain] n’ait été pris pour cible depuis [décembre 2024] confirme l’efficacité de nos opérations de soutien à nos frères de Gaza, et démontre que nous ne visons que les navires appartenant à l’entité sioniste ou commerçant avec elle », a déclaré al-Bukhaiti. « Nous avons appris des États-Unis comment utiliser les blocus navals comme arme — mais nous les utilisons pour des raisons éthiques. Les États-Unis et l’entité sioniste ont imposé un blocus maritime, terrestre et aérien à Gaza. Le blocus que nous imposons à l’entité sioniste est donc une riposte à celui de Gaza. »
Dans un discours prononcé jeudi, Abdulmalik al-Houthi, chef d’Ansar Allah, a déclaré que les frappes aériennes américaines au Yémen n’avaient pas réussi à mettre fin au blocus de la mer Rouge ni à dissuader les frappes houthies contre Israël. « Les Américains n’ont pas réussi à sécuriser la navigation maritime pour l’ennemi israélien », a-t-il affirmé. « Ils n’ont pas davantage réussi à stopper les tirs de missiles et les attaques de drones sur la Palestine occupée — et, si Dieu le veut, ils n’y parviendront pas. »
Depuis l’instauration du blocus naval au début de la guerre de Gaza, les forces houthies ont pris pour cible des dizaines de navires internationaux en route vers Israël à l’aide de drones et de missiles, et ont même réquisitionné un navire. Si les États-Unis qualifient ces attaques de menace imminente pour la vie des citoyens américains, elles n’ont, en quatorze mois, causé la mort que de trois marins marchands : deux ressortissants philippins et un Vietnamien. L’essentiel des dégâts provoqués par le blocus houthi est d’ordre économique, entraînant une chute marquée du trafic marchand dans la région, en particulier au port israélien d’Eilat, tributaire des routes maritimes de la mer Rouge. Les vagues de bombardements de représailles menées par les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël n’ont guère entamé les capacités d’action des Houthis en mer.
Bien que Trump et d’autres hauts responsables américains aient affirmé qu’ils cesseraient leurs frappes sur le Yémen si les Houthis arrêtaient de viser les navires américains — ce qu’al-Bukhaiti a précisément affirmé être prêts à faire dans sa déclaration à Drop Site — il est peu probable que cette promesse soit tenue tant que la guerre d’Israël contre les Palestiniens de Gaza se poursuivra.
Dans un décret signé le 22 janvier, Trump a déclaré : « Il est de la politique des États-Unis de coopérer avec leurs partenaires régionaux pour éliminer les capacités et les opérations d’Ansar Allah, le priver de ses ressources, et ainsi mettre un terme à ses attaques contre le personnel et les civils américains, les partenaires des États-Unis et la navigation maritime en mer Rouge. » Ce décret a également rétabli la désignation des Houthis comme organisation terroriste étrangère — mesure que Trump avait déjà prise lors de son premier mandat présidentiel, et qui avait été annulée par le président Joe Biden.
« Les intérêts américains, qu’ils soient militaires ou économiques, sont toujours dictés par la volonté de prolonger la guerre au Yémen et dans la région — afin de vendre des armes et de maintenir l’avantage qualitatif d’Israël », a déclaré al-Bukhaiti. « Ainsi, les Etats-Unis n’agissent pas en médiateurs en vue de la paix, mais œuvrent à accentuer les clivages et approfondir les divisions entre les pays de la région. »
Les Houthis ont affirmé que toute décision de lever le blocus naval dépendrait des actions du Hamas et des autres factions de la résistance palestinienne à Gaza. « Lorsque l’entité sioniste cessera ses crimes génocidaires à Gaza et autorisera l’entrée de nourriture, de médicaments et de carburant, conformément à l’accord de cessez-le-feu, nous cesserons toutes nos opérations militaires contre elle », a déclaré al-Bukhaiti. Et il y a de bonnes raisons de le croire.
Lorsque le Hamas a signé un accord de cessez-le-feu avec Israël le 17 janvier, les Houthis ont annoncé la levée de leur blocus et l’arrêt de leurs attaques. La première phase de l’accord a expiré le 1er mars, et Israël a refusé de poursuivre les négociations sur la seconde. Il a au contraire imposé un blocus total à Gaza, empêchant toute aide d’entrer dans l’enclave. Les Houthis ont alors lancé un ultimatum à Israël pour lever ce siège, lui laissant quatre jours pour s’exécuter. Au cinquième jour, le blocus naval houthi a été rétabli.
« S’agissant de Gaza, les Américains devraient négocier avec la résistance palestinienne sur place pour trouver une solution, car nos opérations militaires ont pour but d’exercer une pression et de servir de levier entre les mains des négociateurs palestiniens », a déclaré al-Bukhaiti. « Nous devons agir pour mettre fin aux crimes de génocide, par tous les moyens, y compris militaires et économiques. L’obligation de rendre des comptes doit viser ceux qui soutiennent le génocide à Gaza, protègent ses auteurs et se dérobent à leurs responsabilités — et non ceux qui remplissent leurs devoirs religieux, moraux et humanitaires. »
Les tambours de guerre contre l’Iran
L’administration Trump a présenté les Houthis comme des instruments de l’Iran et affirmé que Téhéran armait activement et facilitait le blocus yémenite ainsi que les attaques contre Israël. Avant de lancer les frappes du 15 mars, Trump a publié un message, qu’il a déclaré adressé à l’Iran : « Ne menacez PAS le peuple américain, son président — qui a reçu l’un des mandats les plus importants de l’histoire présidentielle — ni les voies maritimes mondiales. Si vous le faites, PRENEZ GARDE, car les Etats-Unis vous tiendront pleinement responsables, et nous ne serons pas tendres à ce sujet ! »
Le général Hossein Salami, chef du Corps des gardiens de la révolution islamique, a nié que l’Iran dirigeait les opérations des Houthis, affirmant que Téhéran « ne joue aucun rôle dans la définition des politiques nationales ou opérationnelles » de ses alliés de l’Axe de la résistance.
Drop Site a interrogé al-Bukhaiti sur les accusations américaines et sur l’ampleur du soutien militaire iranien aux forces houthies. « Le Yémen est soumis à un blocus qui empêche toute entrée d’armes. Nous avons donc dû compter sur nous-mêmes pour fabriquer toutes nos armes — missiles, drones et autres équipements militaires », a déclaré al-Bukhaiti. « Le Yémen développe continuellement ses capacités défensives, ce qui est l’un des rares avantages du blocus imposé. » Il a ajouté : « L’action islamique visant à aider nos frères à Gaza est un devoir religieux, moral, humanitaire et fraternel — ce n’est pas une position pro-iranienne. Celle de l’Iran est morale et louable, car elle soutient la liberté et les droits des opprimés. »

Le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth (à droite), prend la parole aux côtés du président Donald Trump, du vice-président JD Vance et du secrétaire d’État Marco Rubio, lors d’une réunion avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche à Washington, le 7 avril 2025. (Photo : SAUL LOEB/AFP via Getty Images)
Lundi, lors d’une réunion dans le Bureau ovale avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Donald Trump a dévié d’une discussion sur l’état de la guerre à Gaza pour évoquer la situation au Yémen. Trump n’avait apparemment appris que récemment que les Houthis fabriquaient eux-mêmes leurs armes, et a semblé confirmer les affirmations d’al-Bukhaiti sur une production nationale importante. « Ce sont des experts en missiles. Je veux dire, ils fabriquent vraiment des missiles — personne ne le pensait, mais ils en fabriquent. C’est très sophistiqué, et ils sont très résistants », a déclaré Trump.
Trump s’est ensuite tourné vers son secrétaire à la Défense, Hegseth, assis à l’autre bout du canapé, et lui a demandé de prendre la parole.
« Oui, monsieur », a répondu Hegseth. « Les trois dernières semaines ont été difficiles pour les Houthis, et cela ne va faire qu’empirer. La campagne a été dévastatrice — qu’il s’agisse d’installations souterraines, de sites de fabrication d’armes, de bunkers, de troupes à découvert ou de systèmes de défense aérienne. Nous n’allons pas relâcher la pression. Et cela ne fera que s’intensifier jusqu’à ce que les Houthis déclarent qu’ils cesseront de tirer sur nos navires. »
Al-Bukhaiti a reconnu que la campagne de bombardements américaine avait causé des destructions massives au Yémen, mais il a ajouté que les Houthis étaient conscients des enjeux liés à la confrontation avec Israël. « Nous savions dès le départ que soutenir Gaza entraînerait de lourdes pertes, car cela nous placerait dans une confrontation directe avec l’entité sioniste et ses alliés, en particulier les États-Unis. Toutefois, nous avons également infligé des pertes économiques et militaires importantes aux Etats-Unis et à l’entité sioniste », a-t-il déclaré. « Cette bataille n’est pas seulement une bataille d’armement — c’est aussi une bataille morale. Le Yémen a déjà remporté la bataille morale dès le premier round. Le monde voit désormais que Washington n’est pas sincère lorsqu’elle prétend défendre les droits de l’homme, la liberté et la dignité — ni lorsqu’elle prétend vouloir répandre la démocratie, alors même qu’elle soutient un génocide en Palestine. »
Al-Bukhaiti a déclaré que les Houthis avaient « érodé l’image de l’Amérique » en forçant les États-Unis et d’autres alliés d’Israël à emprunter des détours complexes pour le transport maritime, notamment en passant par la côte sud de l’Afrique pour atteindre l’Europe. Il a également affirmé que les navires de guerre américains avaient été contraints de se replier à des centaines de kilomètres des côtes yéménites. « Cela les a empêchés de mener des attaques sans ravitaillement en vol de leurs chasseurs, ce qui a limité leur efficacité », a-t-il expliqué. « Ainsi, même si nous subissons des pertes, nous en infligeons également. Pour nous, il s’agit d’une bataille morale que nous devons mener, quel qu’en soit le prix. Garder le silence face à un génocide signifierait la fin de la moralité, de l’humanité et de la loyauté. La position du Yémen devrait être une source de fierté pour tous les peuples libres du monde. »
Trump et Hegseth ont célébré leurs frappes contre le pays le plus pauvre du monde arabe avec un mélange de pompe et d’autosatisfaction, qualifiant souvent leurs actions d’exceptionnelles. En réalité, les États-Unis bombardent le Yémen de façon continue depuis décembre 2009, lorsque le président Barack Obama a lancé une guerre aérienne secrète au nom de la lutte contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique. Cette guerre s’est rapidement transformée, à partir de 2015, en une campagne de bombardements soutenue, facilitée par les États-Unis et le Royaume-Uni au sein d’une coalition officiellement dirigée par l’Arabie saoudite.
En réponse aux attaques des Houthis contre Israël et à son blocus naval, le président Biden a autorisé, en janvier 2024, les États-Unis à commencer à frapper le Yémen, parallèlement aux frappes du Royaume-Uni. Ces attaques visaient [prétendument] les sites de lancement houthis utilisés pour attaquer des navires, les zones industrielles et les infrastructures électriques, ainsi que les ports de navigation.
L’administration Trump a considérablement intensifié ces attaques, ciblant directement des responsables houthis pour les assassiner, tout en bombardant des villes yéménites surpeuplées. Selon le ministère yéménite de la Santé, au moins 115 civils yéménites ont été tués depuis le 15 mars. Mardi, des frappes américaines à Hodeidah ont tué quinze personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, selon un porte-parole du ministère. Mercredi soir, trois personnes ont été tuées à Sanaa. Les Houthis n’ont pas publié de statistiques concernant les pertes au sein de leurs forces.
Sous les administrations Biden et Trump, les États-Unis ont également tenté de détruire des installations de production d’armes au Yémen, bien que les experts et les responsables américains aient toujours reconnu que ces frappes n’avaient ni affaibli les capacités des Houthis ni mis fin à leurs opérations maritimes. On estime que les Houthis disposent d’un arsenal important, protégé par les chaînes montagneuses du Yémen et entreposé dans des souterrains profonds. Depuis des années, les analystes des services de renseignement américains peinent à localiser ces sites ou à trouver le moyen de les neutraliser.
Dans son discours de jeudi, le chef d’Ansar Allah a déclaré que les frappes américaines n’avaient fait qu’encourager les Houthis à produire davantage d’armes. « Elles ne réduiront pas nos capacités militaires, mais contribueront au contraire à leur développement », a déclaré Abdulmalik Al-Houthi. « Elles n’affaibliront pas la situation militaire de ce pays, car il s’agit d’une position solide, fondée sur des bases et des racines confessionnelles. »
La campagne de bombardements menée au Yémen par l’administration Trump a coûté aux États-Unis plus d’un milliard de dollars, en munitions ainsi qu’en dépenses opérationnelles et de personnel, malgré des succès militaires limités. Selon le commandant de la marine à la retraite Bryan Clark, de l’Institut Hudson, la marine américaine a utilisé plus de missiles pour la « défense aérienne » contre le blocus naval des Houthis que pendant toute la période allant de l’opération Tempête du désert, dans les années 1990, jusqu’à octobre 2023, date du début de l’opération militaire en mer Rouge.
Signaux mortels
Le matin du 15 mars, peu avant que les États-Unis ne lancent leurs frappes aériennes massives sur le Yémen, le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz a créé une discussion de groupe sur l’application de messagerie cryptée Signal. Intitulé « Houthi PC small group », Waltz a expliqué qu’il s’agissait d’un « groupe de principes sur les Houthis, en particulier pour les 72 heures à venir ». Parmi ses membres figuraient Pete Hegseth, le vice-président JD Vance, le secrétaire d’État Marco Rubio, le directeur de la CIA John Ratcliffe et d’autres responsables de la sécurité nationale.
Le contenu de la discussion est devenu public parce que Jeffrey Goldberg, rédacteur en chef de The Atlantic, y a été ajouté « par inadvertance ». « Le monde a appris peu avant 14 h, heure de l’Est, le 15 mars, que les États-Unis bombardaient des cibles houthies à travers le Yémen », écrit Goldberg. « Pour ma part, j’ai su deux heures avant l’explosion des premières bombes que l’attaque était imminente. »
Les échanges décrivent un groupe d’officiels puérils se vantant de la manière dont ils allaient attaquer le Yémen, notamment en frappant un responsable houthi présumé, peu après son entrée dans un immeuble résidentiel. « La première cible – leur responsable des missiles – nous avons eu une identification positive de lui entrant dans l’immeuble de sa petite amie [une absurdité insondable au vu de la culture yéménite], qui s’est maintenant effondré », a écrit Waltz. « Excellent », a répondu Vance. Waltz a ensuite envoyé des émojis représentant un drapeau américain et des flammes. Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a écrit : « Excellent travail à tous ». « Félicitations à tous – en particulier à ceux présents sur le théâtre des opérations et au CENTCOM ! Vraiment formidable. Que Dieu vous bénisse », a déclaré Susie Wiles, cheffe de cabinet de la Maison Blanche. Tulsi Gabbard, directrice du renseignement national, a répondu : « Excellent travail et excellents effets ! »
Selon les autorités sanitaires yéménites, cinquante-trois personnes ont été tuées, dont cinq enfants. Plus d’une centaine d’autres ont été blessées.
La majorité de la couverture médiatique et des critiques adressées à l’administration Trump s’est concentrée sur l’utilisation de Signal et l’inclusion de Goldberg dans des discussions relevant du renseignement américain, plutôt que sur le contenu des exécutions militaires. Les plus hauts responsables de la sécurité nationale des États-Unis ont discuté des bombardements comme s’il s’agissait d’événements sportifs. Parmi les responsables américains participant à la discussion, seul Vance a exprimé quelques réserves initiales quant au lancement des attaques au Yémen, mais ses objections portaient essentiellement sur des considérations économiques et de communication publique.
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« Je pense que nous commettons une erreur », a écrit Vance. « 3 % du commerce américain passe par le canal de Suez. 40 % du commerce européen aussi. Il y a un réel risque que le public ne comprenne pas cela ni pourquoi c’est nécessaire. La meilleure raison de le faire est, comme l’a dit le président, d’envoyer un message », a-t-il ajouté. « Je ne suis pas sûr que le président soit conscient de l’incohérence de son message actuel sur l’Europe. Il y a en outre un risque non négligeable d’une flambée modérée à sévère des prix du pétrole. »
En fin de compte, Vance a déclaré qu’il serait « prêt à soutenir le consensus de l’équipe et à garder ces préoccupations pour moi. Mais il y a de solides arguments en faveur d’un report d’un mois, d’un travail de communication sur les raisons pour lesquelles cela compte, d’un examen de la situation économique, etc. »
Le directeur de la CIA, Ratliffe, a appuyé Vance en écrivant : « [N]ous mobilisons des ressources pour apporter notre soutien dès maintenant, mais un report ne nous porterait pas préjudice et le temps supplémentaire serait mis à profit pour identifier de meilleurs points de départ pour couvrir les dirigeants houthis. »
Hegseth a plaidé pour une attaque immédiate. « Je pense que la communication sera difficile quoi qu’il arrive — personne ne sait qui sont les Houthis — c’est pourquoi nous devrions rester concentrés sur les deux points suivants : 1) Biden a échoué et 2) l’Iran a financé », a-t-il écrit. « Nous sommes prêts à passer à l’action, et si je devais voter pour ou contre, je pense que nous devrions y aller. Il ne s’agit pas des Houthis. Pour moi, il s’agit de deux choses : 1) Rétablir la liberté de navigation, un intérêt national fondamental ; et 2) Rétablir la dissuasion, que Biden a anéantie. »
Après quelques échanges sur la façon dont une frappe au Yémen rendrait service au monde, Vance a envoyé un message à Hegseth : « [S]i tu penses que nous devrions le faire, allons-y. Je déteste juste devoir renflouer l’Europe encore une fois », a-t-il écrit.
Les démocrates du Congrès se sont insurgés contre l’utilisation de Signal par l’équipe de sécurité nationale de Trump, exigeant des enquêtes sur la divulgation non autorisée des plans d’attaque à Goldberg. Le contenu de la conversation — ce qu’il révélait sur l’éthique de l’extension des bombardements américains au Yémen et sur les morts civiles qu’elle entraînerait inévitablement — n’a suscité pratiquement aucune inquiétude publique.
https://twitter.com/lecridespeuples/status/1911156811761058300
« Les Américains se sont concentrés sur le danger de telles fuites. Mais elles ont révélé l’arrogance des responsables américains de l’administration Trump — non seulement envers le Yémen ou les Palestiniens, mais aussi envers leurs alliés les plus proches », a déclaré al-Bukhaiti. « Les fuites ont mis en lumière le véritable objectif des opérations militaires américaines : faire pression sur les alliés de la région, de l’Europe, du Japon et d’ailleurs. »
Le 4 avril, Trump a publié sur les réseaux sociaux une vidéo qui, il n’y a pas si longtemps, aurait été une révélation scandaleuse relayée par Wikileaks. La vidéo montrait un missile américain s’abattant sur un rassemblement tribal dans l’arrière-pays du Yémen. « Ces Houthis s’étaient rassemblés pour recevoir des instructions en vue d’une attaque. Oups, il n’y aura pas d’attaque de la part de ces Houthis ! Ils ne couleront plus jamais nos navires », a déclaré Trump. L’attaque aurait fait plus de soixante-dix morts. Le Commandement central des États-Unis, chargé des frappes au Yémen, n’a pas publié la vidéo et n’a fourni aucun détail sur l’attaque.

« Ce qui a été visé, c’est un rassemblement social — ce type de réunions a lieu à l’occasion de visites festives ou de conciliations tribales. Il ne s’agissait pas d’une réunion de planification d’attaques contre la marine américaine, comme l’a prétendu Trump », a déclaré al-Bukhaiti. « De telles frappes élargissent le champ du conflit. Cibler des événements sociaux ou culturels est une évolution dangereuse. Tout le monde doit savoir que ce sont les Etats-Unis qui ont ouvert cette voie. » L’agence de presse officielle Saba a indiqué que « les personnes présentes à ce rassemblement n’avaient aucun lien avec les opérations menées par Ansar Allah », sans préciser qui avait été tué. Bukhaiti a affirmé qu’aucun dirigeant houthi n’était présent, mais il a refusé d’en dire davantage. Interrogé sur le fait que les Houthis n’aient reconnu l’attaque américaine qu’après la publication de la vidéo par Trump, al-Bukhaiti a répondu : « C’était lié à certaines considérations, notamment le maintien de l’unité interne. Mais cela ne justifie pas que les Etats-Unis prennent pour cible de tels rassemblements. »
Al-Bukhaiti a déclaré que les Houthis étaient prêts à maintenir leur soutien à Gaza aussi longtemps que nécessaire, en dépit du flux incessant de bombes et de menaces émanant de la Maison Blanche. « La tragédie en Palestine est due à la fois à la complicité de nombreux pays — au premier rang desquels les États-Unis — et au silence régional des pays arabes et islamiques. Nous ne pouvons pas être des conspirateurs ou de simples spectateurs », a-t-il déclaré. « Nous devons agir pour mettre fin aux crimes de génocide par tous les moyens — y compris militaires et économiques. Il faut que la responsabilité retombe sur ceux qui soutiennent le génocide à Gaza, qui protègent ses auteurs et qui négligent leur devoir — et non sur ceux qui remplissent leurs obligations religieuses, morales et humanitaires. »
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Source : Le Cri des peuples
https://lecridespeuples.fr/…