Par Jaafar Al Bakli
Par Jaafar Al Bakli. Adaptation en version française par René Naba, Directeur du site https://www.madaniya.info
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L’assassinat du chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, le 31 juillet 2024, à Téhéran, remet en mémoire les précédents attentats qui ont éliminé en Iran les dirigeants iraniens, notamment la série de quatre attentats qui a ponctué l’avènement de la République islamique, dont les plus importants auront été, en 1981, celui qui a ciblé l’ayatollah Mohamad Behechti, le No2 du clergé Chiite, l’Ayatollah Morteza Moutahari, membre des «Tribunaux Islamiques Révolutionnaires, le général Gharani, ancien chef d’état-major de la nouvelle armée iranienne, –assassinat revendiqué par le groupe extrémiste Forghan constitué par des musulmans hostiles au clergé–. Enfin, l’attentat de 30 Août 1981 et celui de juin 1891, qui avait décapité le leadership iranien deux ans après l’instauration de la République Islamique.
L’attentat, qui a coûté la vie au cours au président iranien, a été le fait d’un proche collaborateur du premier ministre. Il s’est produit dans un édifice public où se tenait une réunion du Conseil Suprême de la Défense iranien. L’assassin identifié était Massoud Kashmiri, un membre des Moudjahidines du Peuple d’Iran, organisation marxisante dont le chef Massoud Radjavi était réfugié à Auvers sur Oise (France). Kashmiri avait infiltré le bureau du Premier ministre sous l’apparence d’un responsable de la sécurité de l’État
Le titre original de l’article de Jaafar Al Baklien langue arabe est le suivants : “Quelque chose de vicié en Iran”. Jaafar Al Bakli, Universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe.
Retour sur l’assassinat du président iranien Mohamad Ali Radjaï
Mohammad Ali Radjaï, né le 15 juin 1933 à Qazvyn, est le deuxième président iranien après avoir été Premier ministre sous Abol Hassan Bani Sadr. Il a trouvé la mort lors d’un attentat le 30 août 1981 à Téhéran.
L’attentat a été le fait d’un proche collaborateur du premier ministre. Il s’est produit dans un édifice public où se tenait une réunion du Conseil Suprême de la Défense iranien. L’assassin identifié était Massoud Kashmiri, un membre des Moudjahidines du Peuple d’Iran, organisation marxisante dont le chef Massoud Radjavi était réfugié à Auvers sur Oise (France). Kashmiri avait infiltré le bureau du Premier ministre sous l’apparence d’un responsable de la sécurité de l’État
Le porte serviette
Au quartier de Djamaran
Le cortège présidentiel a traversé la Rue Basser, dans la banlieue de Djamaran, au Nord de Téhéran, à 09H 00H du matin ce dimanche 30 Août 1981 avant d’emprunter une ruelle étroite portant le nom du martyr Hamid Al Husseini.
Les brises matinales soufflaient sur la capitale depuis le sommet du Mont Elbrouz, atténuant la chaleur intense qui régnait sur la ville en cette période de l’été.
Le cortège s’est immobilisé à un barrage. Un garde a alors cherché à s’enquérir de l’identité des passagers des deux voitures. Il a constaté la présence du nouveau Président de la République. L’officier le salua et l’autorisa à poursuivre son chemin vers le domicile de l’Imam Ruhollah Khomeiny, le guide la Révolution islamique d’Iran.
Le convoi présidentiel s’est alors immobilisé dans une quasi impasse au No 59 de la place. Une dizaine de personnes descendirent de voitures, certains portait l’habit religieux, mais la plupart étaient en tenue civil. En délégation, ils ont pris la direction d’une modeste demeure adossée à un lieu de culte.
Là, des gardes ont fouillé des membres de la délégation, priant la totalité des passagers du convoi à se débarrasser de leurs sacoches et des appareils qu’ils transportaient. Des membres de la délégation ont manifesté une certaine irritation. La délégation comprenait en effet le président de la République, son premier ministre, le représentant du Guide suprême au sein du Conseil Supérieur de la Défense Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, ainsi que le secrétaire du Conseil National de Sécurité, Massoud Kashmiri. Ce dernier était particulièrement irrité par les instructions des gardiens.
Kashmiri aux gardiens : Un tel comportement est honteux et insultant. Comment des gardiens peuvent-ils se permettre de fouiller leurs supérieurs ?
Réponse de Hamid Ansari, chargé de la sécurité de la résidence de l ’Imam Khomeiny : « Messieurs, il s’agit de simples mesures de sécurité. Vous êtes tous dignes de confiance.
Intervention du président Radjaï : « Je suis venu à diverses reprises à la résidence de l’Imam, mais il n’y avait pas de fouilles. S’agit-il de nouvelles instructions émanant du Guide Suprême ?
Réponse de Hamid Ansari : « Ce sont les instructions de M. Ahmad Khomeiny, fils de l’imam.
Radjaï : « Dans le passé, je suis venu à plusieurs reprises à la résidence de l‘ayatollah Khomeiny, mais il n’y avait pas de fouille. S’agit-il de nouvelles instructions émanant du guide suprême ?
Réponse : Ce sont les instructions de M. Ahmad Khomeiny, le fils du guide.
Radjaï : Soit. Fouillez-nous.
Mais Kashmiri, s’emparant de sa sacoche, hausse soudainement le ton : Pour moi, il s’agit d’une question de principe. Je ne peux tolérer être l’objet d’une suspicion. Je refuse de participer à cette réunion. J’attendrai la fin de la réunion assis dans ma voiture.
La vivacité de la réaction de Kashmiri apparaissait disproportionnée par rapport à la réaction modérée du président iranien, suscitant les doutes du chef de la sécurité. Désignant la sacoche que tenait Kashmiri, le responsable lui demande ce qu’elle contenait.
Perturbé, Kashmiri répond après une minute d’hésitation : Des documents ultra secrets. Puis, pointant du doigt Hamid Ansari, il ajoute sur un ton d’une grande vivacité : Je suis secrétaire du Conseil national de Sécurité de l’Iran. Je n’accepterai pas que tu espionnes les secrets d’état de la République islamique ».
Le premier ministre intervient alors pour calmer le jeu : « M. Kashmiri est mon directeur de cabinet ? C’est un homme de confiance. Si vous n’avez pas confiance en lui, de qui allez-vous avoir confiance ? Je ne veux pas embarrasser le Président ni aucun de ses collaborateurs.
Hamid Ansari s’isole alors et se met à parler avec un talkie-walkie. Quelques minutes plus tard, Ahmad Khomeiny (1) apparait sur les lieux.
Le fils du guide suprême souhaite la bienvenue aux hôtes et ordonne que nul ne soit fouillé corporellement, recommandant que les visiteurs passent par un portillon électronique pour des vérifications de sécurité.
Et Ahmad Khomeiny de préciser : « Ces nouvelles dispositions s’appliquent à tous les visiteurs sans exception ».
Quant à Kashmiri, il s’approche du président lui chuchote quelques mots à l’oreille, puis s‘est installé dans l’une des voitures qui allait reprendre le chemin du retour
L’explosion
Lieu : Salle de conférence 1 er étage du Bureau du premier ministre, Rue Pasteur, Téhéran, Dimanche 30 Août 1981 14H30.
Le président Radjaî est arrivé à l’heure convenue pour la réunion du Conseil Supérieur de la Défense, mais le premier ministre est arrivé en retard des dix ministres présents à la réunion. Il a pris place aux côtés du président iranien, suivi de son homme de confiance, Massoud Kashmiri.
Celui-ci tenait un enregistreur (2), équipé d’une cassette avec sa sacoche sur son épaule. Kashmiri a placé sa sacoche par terre entre les deux présidents et a rapproché l’enregistreur du président Radjaî. Il l’a actionné pour enregistrer le débat.
A droite du président avaient pris place six des principaux responsables de la sécurité du pays : Le premier ministre, puis un siège vide destiné au ministre de l’intérieur, Mohamad Reza Mahdavi, puis lé général Wahid Dasterji, chef de la police, le général Akhiam ; chef d’état-major de la gendarmerie, Khosro Tahrani, chef des services de renseignements, le colonel Srour Eddine, vice-ministre de l’intérieur, enfin Massoud Kashmiri.
Sur la gauche du président avaient pris place Moussa Namjo, (défense), le colonel Youssef Kalahdour, adjoint au chef des Gardiens de la Révolution et le général Mohamad Mehdi, chef du 2me Bureau, les services de renseignements de l’armée iranienne.
La réunion a commencé par la lecture par le chef de la police, Wahid Dasterji, du rapport sur l’état de la sécurité dans le pays, la semaine écoulée. La discussion a porté sur la mort du commandant Hamitig tué à Kermânchâh. Le président iranien a voulu savoir s’il s’agissait d’un acte prémédité. Il lui a été répondu que ce n’était pas le cas.
A ce moment, Massoud Kashmiri s’est levé et s’est dirigé lentement vers un buffet au fond de la salle. Il y a posé une grande théière de thé et des pâtisseries. Il s’est servi une tasse de thé et s’est mis à observer l’assistance. Puis, il s’est glissé à l’extérieur de la salle par une porte latérale et a quitté le siège du Conseil des ministres vers une voiture qui l’attendait.
Cinq minutes après le départ de Kashmiri, à 15H 14, les lumières se sont éteintes, la salle de la réunion a été plongée dans l’obscurité. L’extinction des lumières a été suivie d’une violente explosion propulsant des flammes vers l’ensemble des lieux.
La bombe se trouvait dans la sacoche que Kashmiri avait placée, de même que la bombe incendiaire placée dans l’enregistreur. Le souffle de l’explosion a projeté dans l’air les participants ; la boule de feu a embrasé leurs vêtements et leurs chaussures. Des débris de chaises détruites se sont éparpillées sur le sol.
L’explosion était si violente qu’elle a été entendue dans un rayon de plusieurs Kms à la ronde autour de la Rue Pasteur. Nul parmi l’assistance n’a entendu les cris de douleurs poussés par les victimes de l’explosion pour la simple raison que leurs tympans avaient été crevés.
L’explosion a détruit le plafond du 1 er étage de l’immeuble, infligeant de sérieux dégâts au 2ème étage. L’immeuble présentait l’aspect d’une vaste cheminée dégageant d’abondantes fumées noires.
A l’intérieur de cet enfer, le Président et le Premier ministre périrent carbonisés au point qu’il a été difficile de les identifier.
Le chef de la police, le général Dasterji, s’est jeté par la fenêtre pour mettre fin aux souffrances infligées par les brûlures. Il périt six jours plus tard des suites de ses brûlures et de ses blessures.
Fait plus grave, la salle de réunion ne disposait pas de matériel anti incendie. Les pompiers qui ont accédé à la salle via des élévateurs, n’ont pu identifier les corps, ni le nombre des victimes en raison du magma qui jonchait la salle.
Les sauveteurs ont découvert les cadavres d’Abdel Hussein Dafflaria, directeur général de la direction financière auprès du Premier ministre, mort dans l’ascenseur par étouffement alors qu’il venait rejoindre la réunion.
De même, le cadavre d’une vieille dame, soufflée par l’explosion alors qu’elle marchait à proximité du bâtiment officiel.
L’assassinat du Président de la République et du Premier ministre a été un coup d’autant plus dur pour le régime islamique qu’il est intervenu deux mois après l’attentat à l’explosif contre le No 2 du régime, l’ayatollah Mohamad Behechti et 70 personnalités parmi les plus éminentes du pays, au siège central du Parti de la République Islamique
La question lancinante qui se posait était de savoir comment un pays en état de guerre (contre l’Irak) pouvait-il se révéler aussi vulnérable ? Pourquoi de telles failles dans le dispositif de sécurité, révélées par les attentats successifs contre les sommités du régime n’ont pas été colmatées ? S’agirait-il de menées hostiles d’états étrangers ?
Quelque chose de vicier perturbait le fonctionnement du système sécuritaire iranien. Il devenait impératif pour l’Iran que l’enquête débouche sur des résultats décisifs afin de remédier définitivement aux dysfonctionnements du système.
L’enquête
L’enquête a été confiée à Behzad Nabavi, vice-premier ministre. L’ayatollah Mohamad Mehdi Rabbani, procureur général d’Iran, a été chargé de la superviser.
Le cadavre du président Radjaï a été identifié grâce à une dent en or. Quant à Massoud Kadi, dont le corps n’a pas été retrouvé, le président de la commission d’enquête, Nabavi, a décidé que le cadavre a été totalement carbonisé et réduit en cendres. Nabavi n’a pas tenu compte de l’avis du médecin légiste selon lequel qu’il était scientifiquement impossible qu’un cadavre se transforme en cendres.
Des cendres ont été recueillies du site, placées dans un sac en plastique et placées à côté des cercueils des martyrs devant le siège du parlement. Les obsèques ont été retransmis par la radio-télévision. Lorsque le cercueil symbolisant celui de Kashmiri a été porté vers le cimetière, la foule a crié « Adieu martyr Kashmiri, avec la grâce de Dieu ».
Pas un instant les enquêteurs n’ont songé que Kashmiri n’était pas un martyr, Ils s’en sont rendus compte qu’après trois jours, un délai qui a permis au criminel et ses complices de fuir l’Iran, via la Turquie.
Ce qui a attiré l’attention est le fait qu’aucun membre de la famille Kashmiri n’était présent aux obsèques, ni ne s’est recueilli devant le cercueil. A ce moment-là, et seulement à ce moment, le doute s’est inséré dans les esprits.
Lorsque la police s’est présentée au domicile de Kashmiri, la maison était vide. Le domicile est situé dans le quartier Aryashar, dans l’ouest de Téhéran. Ce quartier a été débaptisé depuis lors et renommé Al Saadiyya.
Les voisins ont indiqué aux enquêteurs qu’une voisine s’est présentée au domicile, il y a trois jours, et a emporté l’épouse de Kashmiri, Minno Dalmouza, ses enfants et leurs valises.
La police a enquêté dans un autre domicile de Kashmiri et y a trouvé un important lot d’armes, des documents ultra sensibles, portant sur les secrets les plus sensibles de l’état. Il en a été de même avec la maison des parents de Kashmiri, qui étaient vide. Tous les membres de la famille Kashmiri savaient disparu.
C’est à ce moment que le président de la commission d’enquête, se rendant à l’évidence, a révélé solennellement le nom du criminel « Massoud Kashmiri, secrétaire du Conseil National de Sécurité ».
Le criminel
La question qui a longtemps taraudé les enquêteurs iraniens était de savoir qui était vraiment Kashmiri, l’homme qui a réussi à infiltrer les rouages les plus sensibles de l’État iranien.
Simple employé d’une société commerciale, propulsé subitement à la tête des archives de l’armée impériale iranienne au moment de sa dissolution, il s’est vu confier des responsabilités au sein des services de renseignement de l‘armée, avant d’être nomme h Directeur général du Conseil National de Sécurité.
A quel titre, un tel homme pouvait être nommé Secrétaire du CNS, un poste où il avait la haute main sur l’ensemble du renseignement iranien (armée, comités révolutionnaires, justice, médias etc.)
Comment les services de renseignement iraniens ont pu tolérer que cet homme ait pu exercer des responsabilités aussi sensibles alors qu’il avait eu des relations étroites avec le Mouvement des Moudjahidines du Peuple (Khalq) une formation marxiste dirigée par Massoud Radjavi.
Qui a pu camoufler sa mort en suggérant un cadavre virtuel ? Pourquoi avoir voulu créer un cadavre virtuel ? Les enquêteurs ont orienté leurs recherches dans cette voie pour dénouer l’énigme Kashmiri.
Kashmiri présentait un visage lisse, un responsable calme, portant barbe pour suggérer une religiosité et accomplissait les cinq prières quotidiennes prescrites par l’Islam. Il témoignait d’un zèle excessif de piété. Il conservait par devers lui deux crayons, l’un pour les documents officiels, l’autre pour ses notes personnelles. Il veillait tard au bureau pour donner l‘impression d’une assiduité. En fait, ce sérieux dissimulait une supercherie monumentale.
La somptueuse maison qu’il possédait à Mahr Chahr Karq, enregistrée en son nom au cadastre, était en fait une résidence appartenant à une riche famille Bahaï qui avait été réquisitionnée.
Kashmiri a noué des relations avec Le Mouvement des Moudjahidines Khalq avant la Révolution islamique, via son cousin Aboul Fadl Dolnouar, devenu son beau-frère. Dolinar était un membre influent de la branche militaire du Khalq, tué lors d’un affrontement armé avec les Pasdarans (gardiens de la Révolution), la milice du régime islamique.
La mort d’Aboul Fadl a-t-elle accentué l’engagement de Kashmiri ? Non.
Kashmiri s’était forgée une réputation de militant radical, intransigeant du Parti de Dieu, soutenant fortement les principes de la Révolution islamique. Il s’est même engagé dans les rangs des Pasdarans.
Mais comment expliquer sa propulsion du statut de militant de base à celui de membre du cercle dirigeant de l’Iran ?
Khalq était-il si bien implanté au sein du système iranien au point de servir de levier à Kashmiri où d’importants dirigeants islamiques ont-ils été abusés par sa personnalité pour l’installer au cœur du pouvoir par bêtise ou connivence ?
Les suspects
L’enquête a conduit à suspecter des responsables iraniens. Sept d’entre eux ont été arrêtés : Ali Akbar Tahrani, Mohamad Madavi, Mohsen Sazagar, Khosro Qanbar Tahrani, Hussein Qumran, Habib Ali Dadadi et Bijan Tajek. Tous d’anciens responsables de la sécurité. Certains ont été accusés de négligence, les autres de Haute trahison.
Certains suspects avaient des liens avec Behzad Nabavi, chargé de superviser l’enquête. Pour cette raison, l’équipe des enquêteurs a été remplacée. La nouvelle équipe était présidée par le Procureur général à Téhéran, Assadollahi Lajourdi.
Le 1er suspect
Parmi les suspects figurait Mohamad Kazem Biro Radavi, ancien du mouvement Khalq du temps du chah d’Iran.
Radavi avait abandonné le mouvement Khalq pour devenir un membre fondateur du « Conseil Central des Moudjahiddines de la Révolution Islamique», à l’avènement de la République Islamique. Radavi a même occupé un poste sensible au sein des forces armées, en sa qualité de responsable du contre-espionnage.
Non seulement Radavi mais également cinq autres personnes – Kashmiri, Jawad Qadir, Ali Akbar Tahrani, Habib Dandachi, et Taki Mohamadi – ont pu accéder à ce département ultra-sensible.
Cette situation a été calamiteuse pour l’Iran. L’équipe avait libre accès aux archives secrètes des forces armées. Elle a eu également accès à l’immeuble abritant le siège des services de renseignement américains du temps du chah, mettant la main sur de nombreux dossiers dont la trace s’est perdue.
Parmi les documents dérobés figuraient les projets conçus par les Américains en vue de remplacer l’aviation impériale, notamment les projets HB et IBEX que le mouvement Khalq a transféré par la suite à l’Union soviétique.
Le 2me suspect
Ali Akbar Tahrani, l’ami très proche de Kashmiri, lequel avait appuyé sa candidature pour être affecté à la Présidence du Conseil des ministres. Tahrani, comme Kashmiri, était un membre actif du Khalq. Il a quitté la formation marxiste et s’est présenté aux autorités islamiques comme étant un « repenti ». Dans ses attributions, le trio –Tahrani, Kashmiri et Radavi — avait supervisé le bureau de contre-espionnage de l’armée.
Tahrani et Mohsen Sazagar ont été accusés de faux témoignage dans l’identification du cadavre de Kashmiri.
Le 3eme suspect Mohsen Sazagar
Mohsen Sazagar a fait office d’interprète de l’Imam Khomeiny à Neauphle le Château, (France), en 1978-1979, avant le retour d’exil du guide spirituel iranien. Sazagar a été un des premiers adhérents au mouvement Khalq avant d’exercer des responsabilités au sein du régime islamique. Il a contribué à la promotion de Kashmiri au sein du cabinet du premier ministre.
Sazagar a même pris la responsabilité d’annoncer la fausse mort de Kashmiri, en envoyant personnellement un communiqué en ce sens à la radio-télévision iranienne
Le 4eme suspect : Khosro Qanbar Tahrani
Responsable du renseignement et de la sécurité au sein du cabinet du président iranien, présent sur les lieux au moment de l’explosion, il s’en est tiré avec des blessures légères. Il a joué un grand rôle dans l’ascension de Massoud Kashmiri.
Condamné à une peine de prison entre 1975 et 1978, il a démissionné du mouvement Khalq à la proclamation de la République Islamique où il assumera des responsabilités au sein du Conseil central de la Révolution avant d’être nommé responsable des services de renseignement auprès du premier ministre.
De fortes suspicions pèsent sur lui pour son confiance aveugle et son soutien continu à Kashmiri.
Le 5me suspect : Taki Mohamadi
Membre de « l’Organisation de la Révolution Islamique », il avait adhéré au « Mouvement des étudiants suivant la ligne de l’Imam », qui avait pris d’assaut l’ambassade américaine à Téhéran et pris en otage ses occupants, en 1979.
Taki a connu la célébrité lorsqu’il est apparu sur une photo conduisant un otage, les yeux bandés ; Une photo qui a fait le tour du monde. La presse occidentale l’a confondu en fait avec Mahmoud Ahmadi Nijad en raison de la forte ressemblance entre Taki et le futur président iranien.
Par la suite, Taki a rejoint le contre-espionnage de l’armée en compagnie de Kashmiri. Après l’explosion du 30 août 1981, il a été nommé attaché auprès de l’ambassade iranienne au Koweït, puis en Afghanistan.
Quand l’enquête sur l’assassinat du Président a progressé, Taki a été rappelé à Téhéran et arrêté. Les aveux de ses anciens compagnons l’ont conduit à manifester son intention de coopérer en faisant de nouvelles révélations.
Mais il a été trouvé pendu à la prison d’Evin de manière suspecte, à l’aide d’une ceinture avec des allumettes placées de ses carotides. Chose qu’un candidat au suicide ne saurait fixer par lui-même. La déduction qui s’imposait de cette mise en scène macabre est que Taki a été tué puis pendu.
L’enquête s’est emballée, les accusations fusaient au point de viser les fondateurs du système du renseignement iranien, Saïd Hajarian et le ministre de l’industrie lourde, Behzad Nabavi.
L’enquête a alors pris une tournure dangereuse, mettant en péril le nouveau pouvoir.
Alors que le pays est engagé dans une guerre contre l’Irak et soumis par ailleurs à un blocus américain, les amis des prévenus ont orchestré une campagne visant à mettre en doute les conclusions de l’enquête, en pointant sa politisation.
Le procès a été suspendu après 3 séances. Le verdict d’une sévérité diverse. L’un a été condamné à une pénalité financière ; un autre à la prison et un 3me à la peine capitale.
Soixante ministres, députés, hauts fonctionnaires sont intervenus en faveur des assassins, allant même jusqu’à adresser un message collectif à l’Imam Khomeiny réclamant leur clémence, vantant leur intégrité et leur dévouement à la cause de la révolution.
L’Ayatollah a finalement amnistié les condamnés et a autorisé la remise en liberté des accusés (5).
Références
1- Ahmad Khomeiny, a relaté cette affaire dans un livre intitulé « Archives de l’Imam », édition Institut de « l’Organisation et des textes sur les traces de l’Imam » -Téhéran 1995
2- L’usage des enregistreurs dans les attentats était de pratique courante en Iran. Ainsi dix mois avant l’attentat contre le conseil des ministres du 30 Aout 1981, une tentative d’attentat visant Ali Khamenei, le successeur de Khomeiny, avait eu lieu deux mois auparavant, le 27 juin 1981, alors qu’il prononçait un discours à la mosquée Abou Zor, à Téhéran. La bombe incrustée dans un enregistreur placé devant lui a explosé, l’atteignant aux poumons, blessant sa main droite et son cou. Par chance, la bombe n’avait pas pleinement explosé. Le régime avait accusé le mouvement Khalq
3- De nombreux incriminent des gouvernements étrangers dans l’attentat contre le siège du Conseil des ministres ; Ainsi Kashmiri a reconnu, dans une vidéo en date de 1999, soit huit ans après les faits, avoir rencontré le général Taher Jalil al Habachi, chef des services de renseignements irakiens. Il a admis être en contact permanent avec les Français. ‘’L’Elysée et la Maison Blanche étaient informés en avance des attentats en Iran», a-t-il soutenu.
De son côté, Massoud Radjavi, chef des Mouvement Khalq, a déclaré « Les Américains et les Français savaient parfaitement qui a dynamité le siège du Conseil des ministres à Téhéran et le siège du Parti islamique. Mais en dépit de cela, ils ne nous ont jamais qualifié de « terroriste ».
4 – Le mouvement « Moudjahiddines Khalq » a infiltré le régime islamique, à un très haut niveau au point qu’une alliance s’est nouée entre Massoud Radjavi, chef du mouvement et Abol Hassan Bani Sadr, premier président de la République islamique. A l’éviction de Ban Sadr, Massoud Radjavi l’a protégé et a favorisé son exfiltration hors d’Iran. Radjavi et Bani Sadr ont fui à bord du même avion qu’avait emprunté le chah pour son exil. L’avion était piloté par le même pilote d’ailleurs qui avait piloté l’avion du souverain, le Colonel Behzad Maazi.
Khalq disposait d’éléments infiltrés dans l’armée, au sein des pasdarans, les services de renseignements y compris l’entourage de Khomeiny.
Massoud Radjavi, avait été expulsé de France et s’était replié ainsi que son mouvement, en 1986, en Irak. Il s’est installé dans un territoire de 36 km2, nommé pour l’occasion Camp d’Achraf, en mémoire de la première épouse du dirigeant marxiste iranien.
5 – La plupart des accusés ont regagné leurs activités. Ainsi Mohamad Radavi a été le candidat du premier ministre Nour Hussein Moussawi au poste de ministre de l’information. Khosro Qanbar Tahrani a été conseiller pour la sécurité du président Mohamad Khatami. Sazagar a été nommé au Conseil d’administration de l’Organisation pour le Développement de l’industrie lourde.
Le plus étrange est que la plupart ont opéré une reconversion politique se présentant désormais comme étant des « réformistes ».
Jaafar Al Bakli
Universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe.
Source : Madaniya
https://www.madaniya.info/…
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