Par Gideon Levy

Quand Dana Spector se risque dans la jungle

Gideon Levy, Haaretz, 26/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il n’y a pas besoin de la droite fasciste pour semer les graines du racisme, déshumaniser et diaboliser les Palestiniens. Tout est là, au centre, au cœur même d’Israël. Dana Spector visite un village palestinien et expose au grand jour une vérité fondamentale sur les médias israéliens.

Dana Spector écrit une chronique très lue dans un journal très lu. Sa chronique s’intitule « Bientôt, j’irai loin » [Bakrov agia rachok]. La semaine dernière, elle s’est rendue à l’endroit le plus éloigné où une chroniqueuse de Yedioth Ahronoth puisse aller : un village palestinien, à cinq minutes de Kfar Saba [“village du grand-père”, colonie juive installée au début du XXème siècle sur des terres achetées par le baron Rotschild, NdT]. 

Ses impressions constituent un document déconcertant et fascinant. Il faut le lire pour comprendre ce qui se passe lorsque le centre israélien, satisfait de lui-même et éclairé à ses propres yeux, se rend en safari dans un zoo appelé village palestinien.

Il ne s’agit pas du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir ni de l’activiste d’extrême droite Benzi Gopstein. Spector est la gouroue israélienne du style de vie et du bien-être, qui est allée voir les Palestiniens dans leur cage. Elle a été choquée par ce qu’elle a vu. Leur café ressemblait à un « kiosque infesté de rats ».

Elle est arrivée à Hébron dans un véhicule blindé des Forces de défense israéliennes, bien sûr, en tant qu’invitée d’un bataillon de l’armée israélienne appelé le bataillon Panther, également connu sous le nom de bataillon « autorité ». L’un des nombreux charmes de ce bataillon particulier est qu’il est mixte.

Portant un casque et un gilet pare-balles en céramique, comme il sied à une correspondante de guerre, elle n’avait même pas réussi à s’étendre sur un fauteuil dans une maison que l’armée avait expropriée après en avoir expulsé les occupants, avant d’être témoin d’une « haine ouverte et flagrante » dans les yeux de deux jeunes hommes dans la rue qui ont vu des soldats s’approcher de la maison volée. Elle avait peur. C’est vraiment effrayant de voir une maison expropriée. « Si j’avais été l’une des combattantes extraordinaires et courageuses du bataillon Panther, j’aurais peut-être eu moins peur », écrit-elle.

L’anthropologue blanche est venue découvrir des mondes cachés. « Je voulais découvrir dans quel genre de maisons les gens vivaient, comment ils menaient leur vie quotidienne, c’est-à-dire quand ils n’étaient pas occupés à pratiquer leur passe-temps favori, à planifier la mort des Juifs. » Férue de shopping, elle était également curieuse de savoir si le village possédait un magasin de vêtements. Soixante minutes après son arrivée, elle savait déjà que ce n’était pas un village innocent. « Et ça a suffi à me faire oublier ma culpabilité envers la pauvre famille dont la maison a été confisquée par l’armée ».

Vue de la ville israélienne de Matan, avec le village palestinien de Hableh à l’arrière-plan, à cheval sur la Ligne verte. Photo Avi Ohayon/GPO

Comme tous ceux de son espèce, Spector ne ressent « pas la moindre compassion » pour les Palestiniens après le 7 octobre. Le capitaine A. la soutient : « Pour moi, tous les habitants de ce village sont des terroristes. » Spector voit une armée morale.
La sergente-cheffe A., par exemple, est une jeune femme charismatique avec une queue de cheval couleur miel. Lorsqu’un villageois demande à aller chercher de l’eau, elle le laisse faire. « Je n’arrête pas de vouloir leur montrer que nous ne sommes pas comme eux », explique la charismatique soldate à la queue de cheval couleur miel. Spector veut savoir comment elle gère le fait que son image soit devenue virale dans tous les « nids de terroristes » de Qalqilyah.
Nous ne sommes pas comme eux non plus en matière de décoration intérieure. Spector est horrifiée par un lustre dont les ampoules ont la forme de lys dorés et par un chandelier orné de « diamants ». Un design horrible, conclut l’influenceuse de style. 
« Ce n’est pas si mal que ça», dit une autre combattante. « Tu n’as pas vu Toulakrem. Nous étions à l’intérieur de quelques maisons là-bas où tu ne pouvais pas comprendre comment ils vivent de cette façon. Dans la pire que nous avons vue, il n’y avait même pas de douche ni de toilettes. » Des animaux humains.
L’adoration de Spector pour les soldats n’est pas moins embarrassante. Ce sont des champions du maintien de l’ordre, ils sont si éthiques, on ne peut pas se tromper sur leur regard déterminé et d’acier. « Ils doivent pénétrer par effraction dans des maisons en pleine nuit, s’occuper de bébés qui pleurent et de grands-mères qui hurlent de peur, sans perdre le contact avec tout ce qu’ils ont d’humain », et les larmes coulent. Même les organes de propagande de l’armée israélienne auraient eu honte de publier un tel texte.
À la veille de la récente libération de prisonniers palestiniens, des soldats se sont rendus chez les familles des prisonniers et les ont averties qu’il « valait mieux qu’il ne se passe rien ici qui ne nous plaise pas », comme la joie exprimée pour la libération de leurs fils. Oh, comme ces hommes et ces femmes du bataillon Panther se sont amusés à Qalqilyah. Et surtout, des amourettes fleurissent dans le bataillon.
Nous allons bientôt aller loin. Vous n’avez pas besoin de la droite fasciste pour semer les graines du racisme. Vous n’avez pas besoin de Channel 14 pour déshumaniser et diaboliser les Palestiniens. Tout est là, au centre, au cœur même d’Israël. Dans les pages loisirs et divertissement d’un journal.

Source :TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…

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