Des habitants inspectent le site où ont frappé des attaques aériennes américaines à Sanaa, au Yémen, le jeudi 20 mars 2025. [AP Photo]
Par Andre Damon
Le 15 mars, l’armée des États-Unis a lancé des frappes aériennes sur des quartiers résidentiels de Sanaa, la capitale du Yémen, tuant 53 hommes, femmes et enfants. Parmi les cibles se trouvaient des dirigeants politiques du gouvernement houthi. Le Yémen, le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, subit depuis des années des bombardements et une famine délibérée de la part de l’Arabie saoudite, avec l’aide des États-Unis, ce qui a entraîné la mort de plus de 400 000 personnes.
Les frappes aériennes américaines ont violé de nombreux statuts et traités du droit international, rendant ceux qui ont planifié, ordonné et exécuté l’attaque coupables des crimes de guerre suivants :
- Lancer une attaque non provoquée, en violation de l’interdiction du recours à la force prévue par la Charte des Nations unies et le Statut de Rome.
- Attaquer et tuer des dirigeants politiques qui ne sont pas engagés dans un combat, en violation des protections de la Charte des Nations unies, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et du Statut de Rome.
- Utiliser des armes ou des tactiques qui ne font pas la distinction entre les cibles militaires et civiles, en violation de l’interdiction des attaques sans discrimination telle qu’elle est énoncée dans les Conventions de Genève et le Statut de Rome.
Lundi, dix jours après que l’armée américaine a lancé l’attaque contre le Yémen, le magazine The Atlantic a publié un reportage révélant le fait que des responsables de l’administration Trump avaient accidentellement inclus Jeffrey Goldberg, le rédacteur en chef du magazine, dans un fil de messages dans lequel ils complotaient l’attaque contre le Yémen.
Goldberg, qui s’est retrouvé au cœur d’une conspiration criminelle visant à lancer une guerre d’agression illégale, s’est consciencieusement retiré du fil de discussion, a informé les conspirateurs de leur erreur, puis a attendu dix jours avant de publier des extraits choisis de la discussion.
L’inclusion accidentelle de Goldberg dans les plans de guerre a provoqué l’indignation du Parti démocrate et des médias, non pas à cause de la guerre d’agression criminelle ou des crimes de guerre planifiés, mais parce que la discussion avait eu lieu en dehors des canaux militaires sécurisés.
Le leader démocrate de la Chambre des représentants, Hakeem Jeffries, a demandé au secrétaire à la Défense Pete Hegseth de démissionner, affirmant que ses actions avaient « choqué la conscience » et « probablement violé la loi » : non pas pour le meurtre de civils, mais pour avoir rendu ces crimes publics par inadvertance.

Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, à droite, sort du bureau ovale de la Maison-Blanche, le vendredi 21 mars 2025, à Washington. [AP Photo/Mark Schiefelbein]
Mais ce qui intéresse le public, ce n’est pas de quelle façon le complot a été discuté, mais son contenu. La discussion qui a fait l’objet d’une fuite offre un aperçu révélateur de la manière dont les guerres d’agression américaines sont préparées, lancées et justifiées de manière frauduleuse. Même si les responsables de Trump ont utilisé une plateforme de communication différente, le contenu reflète la planification et les mensonges à l’origine d’innombrables guerres lancées par les administrations précédentes.
Le fil de discussion sur l’application Signal fait état d’une discussion entre les hauts responsables de l’administration Trump concernant le calendrier et l’opportunité de lancer une nouvelle campagne contre le Yémen. Alors que le vice-président JD Vance plaidait pour un report, Trump, qui communiquait avec le groupe par l’intermédiaire de son conseiller fasciste Stephen Miller, a finalement décidé de lancer les frappes immédiatement.
La discussion a clairement montré que l’attaque contre une petite nation pauvre et sans défense était purement une « guerre de choix », destinée à signaler au monde que les États-Unis restent la puissance militaire mondiale dominante.
Comme l’a expliqué le secrétaire à la Défense Pete Hegseth dans le fil de discussion, « il ne s’agit pas des Houthis », c’est-à-dire de la supposée cible de l’attaque. Elle visait plutôt à « rétablir la liberté de navigation » et à «rétablir la dissuasion ».
La justification publique de l’attaque contre le Yémen était la déclaration du gouvernement houthi du Yémen selon laquelle il empêcherait les navires israéliens de traverser la mer Rouge si Israël ne cessait pas de bloquer l’entrée de nourriture dans la bande de Gaza.
La perspective même de ce geste de défi envers Israël, le mandataire des États-Unis au Moyen-Orient, a été perçue comme un geste de défi envers l’impérialisme américain. Il fallait y répondre par une violence écrasante pour envoyer un message au reste du monde et, selon les termes de Hegseth, « rétablir la dissuasion ».
Chacune des centaines de guerres, d’opérations militaires et de campagnes de déstabilisation menées par les États-Unis depuis leur émergence en tant que puissance impérialiste a été justifiée auprès du public comme une réponse à une menace imminente. Si l’armée américaine n’agit pas, « des gens vont mourir », a-t-on répété à l’opinion publique. Mais l’échange sur l’attaque du Yémen a clairement montré qu’une telle « menace imminente » n’existait pas.
Dans l’échange, Joe Kent, le candidat de Trump à la tête du Centre national de lutte contre le terrorisme, a écrit : « Il n’y a rien d’urgent dans le calendrier. Nous aurons les mêmes options dans un mois. » Hegseth a ajouté : « Attendre quelques semaines ou un mois ne change pas fondamentalement le calcul. »
La question la plus urgente soulevée par la divulgation des plans de guerre de l’administration Trump contre le Yémen est la suivante : quelles autres «guerres de choix » l’administration prépare-t-elle actuellement ?
De multiples participants à la discussion sur l’attaque contre le Yémen ont clairement indiqué dans des déclarations antérieures que la cible centrale de l’agression militaire américaine est la Chine. Selon Hegseth, la Chine est le seul pays au monde « ayant la capacité et l’intention de menacer nos […] intérêts nationaux fondamentaux ».
Au début du mois, Elon Musk, l’homme le plus riche du monde et PDG de SpaceX, une entreprise militaire de premier plan, s’est rendu au Pentagone pour assister à une réunion d’information confidentielle sur les plans de guerre américains contre la Chine, y compris sur les cibles spécifiques à attaquer. En fin de compte, la réunion a été annulée après que la presse en ait été informée.
Mais le fait même qu’une telle réunion ait été programmée soulève une question : l’administration Trump a-t-elle un calendrier de guerre avec la Chine, le pays dont la population et l’économie sont les plus importantes au monde et dont l’arsenal nucléaire est le troisième en importance ?
En janvier 2023, le général quatre étoiles Mike Minihan, chef du commandement de la mobilité aérienne de l’armée de l’air, a publié une note interne prédisant une guerre entre les États-Unis et la Chine d’ici 2025. Faisant référence au président chinois Xi Jinping, il a écrit : « L’équipe de Xi, ses motivations et ses opportunités sont toutes alignées pour 2025 », et a exhorté les troupes à « régler leurs affaires personnelles » et à s’entraîner en tirant sur « une cible à 7 mètres », soulignant que « la létalité impitoyable est ce qui compte le plus. Visez la tête ».
Lors de la discussion sur l’attaque du Yémen, l’une des principales préoccupations soulevées par Vance a été que « le public ne comprend pas cela ou pourquoi c’est nécessaire ».
Il s’agit sans aucun doute d’une question centrale dans la planification de la guerre de l’administration Trump contre la Chine : comment faire accepter au peuple américain une guerre à l’autre bout du monde qui impliquerait, au minimum, la mort d’un grand nombre de soldats américains et la dépense de centaines de milliards de dollars, et au pire, l’anéantissement nucléaire de grandes villes américaines ?
Un article paru dans Foreign Affairs soulève cette question. Sous le titre « Les Américains feraient-ils la guerre à la Chine ? » (Would Americans Go to War Against China?), le principal journal de politique étrangère des États-Unis affirme que si « la plupart des Américains disent qu’ils veulent réduire leur présence dans le monde » – c’est-à-dire lancer moins de guerres – l’opinion publique pourrait changer si une guerre avec la Chine était présentée comme une réponse défensive à une attaque contre les États-Unis.
L’article déclare : « Mais dans une enquête que nous avons menée en juillet auprès d’Américains ordinaires et d’anciens responsables politiques américains, nous avons constaté qu’une nette majorité était favorable à une attaque contre la Chine si l’Armée populaire de libération venait à frapper des navires américains en mer de Chine méridionale ».
Cette argumentation s’aligne sur le point de vue d’Elbridge Colby, le candidat de Trump au poste de sous-secrétaire à la Défense pour la politique. Dans son livre de 2021, « The Strategy of Denial », Colby affirme que les États-Unis doivent faire en sorte que toute guerre avec la Chine soit perçue comme si Pékin avait « tiré le premier ». Washington, écrit-il, doit «délibérément faire en sorte que la Chine soit obligée de renforcer la détermination de la coalition », c’est-à-dire provoquer une réaction qui puisse être utilisée pour justifier la guerre auprès de l’opinion publique et des alliés des États-Unis.
Colby a déclaré :
La façon la plus claire et parfois la plus importante de s’assurer que la Chine est perçue de cette manière est peut-être tout simplement de faire en sorte que ce soit elle qui frappe en premier. Peu d’instincts moraux humains sont plus profondément ancrés que l’idée selon laquelle celui qui a commencé est l’agresseur et, par conséquent, celui qui détient une plus grande part de responsabilité morale.
En d’autres termes, pour que les États-Unis parviennent à mobiliser le soutien de l’opinion publique en faveur d’une guerre contre la Chine, il faudrait qu’ils mettent en scène une version du XXIe siècle du naufrage de l’USS Maine en 1898 – utilisé pour justifier la saisie par les États-Unis de Cuba, de Porto Rico et des Philippines – ou de l’incident du golfe du Tonkin, qui a servi à justifier l’escalade meurtrière des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam.
Les fuites concernant l’attaque du Yémen doivent être considérées comme un avertissement. L’administration Trump, à la tête d’une oligarchie financière prédatrice et criminelle assaillie par une crise politique, économique et sociale, et confrontée à une opposition intérieure grandissante, est capable de n’importe quel crime, y compris le déclenchement d’une guerre d’agression totale.
(Article paru en anglais le 26 mars 2025)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…