De gauche à droite: le président russe Vladimir Poutine, le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel et le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors d’une réunion à quatre dit de «Normandie» en 2019. Photo: Xinhua/Gao Jing

Par Guy Mettan

Les 20 erreurs qui aveuglent les Européens

Par Guy Mettan


Première partie − 1 à 10

Ah les cons ! S’ils savaient… » On se souvient de l’exclamation prêtée à Daladier à l’aéroport du Bourget le 30 septembre 1938, alors que la foule l’applaudissait à son retour de la conférence de Munich. 87 ans plus tard mais pour des raisons inverses, on a l’envie de répéter la même chose à ceux qui ont célébré les trois ans de guerre de haute intensité en Ukraine et les offres de négociations de Donald Trump en réclamant la poursuite des hostilités à tout prix. Au moins Daladier et ceux qui l’acclamaient avaient-ils l’excuse de vouloir la paix. Les médias et les leaders politiques européens, qui se veulent aujourd’hui « tous unis derrière l’Ukraine » et appellent à la poursuite de l’hécatombe, risquent d’être jugés demain aussi sévèrement que Daladier et Chamberlain. L’histoire ne leur pardonnera pas de s’être trompés ni d’avoir trompé leurs peuples.

Après la pseudo-conférence de paix du Bürgenstock et les pseudo-plans de paix de Zelenski, les voici en train de se précipiter aux Etats-Unis pour convaincre le président Trump de renoncer à ses négociations avec les Russes et de continuer à armer l’Ukraine « jusqu’à la défaite de la Russie ».

Cela alors que la nouvelle administration américaine a compris que Kiev ne pouvait pas gagner la guerre sur le terrain et qu’elle tente d’éviter un désastre qui affaiblirait irrémédiablement l’Europe – et donc l’Amérique par contrecoup – tout en renforçant de façon irréversible l’axe russo-chinois et le reste des BRICS. Plus les hostilités dureront, plus l’Ukraine et la position de l’Occident s’affaibliront.

On ne sait pas encore si le projet de Trump réussira, tant les résistances sont vives. En attendant son issue, il n’est pas inutile de revenir sur les erreurs de jugement, les omissions et les effets délétères d’une propagande qui a amené les peuples européens à s’aveugler sur ce conflit et les leaders européens à s’intoxiquer avec leurs propres discours mensongers. C’est ce que nous nous proposons de faire, en décryptant les contre-vérités les plus flagrantes à l’origine de cet acharnement belliciste.


1/C’est une guerre non provoquée. FAUX !

Le sommet de l’OTAN d’avril 2008 à Bucarest, en Roumanie, où les  » aspirations de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN  » ont été officiellement saluées. (Archives de la Chancellerie du Président de la République de Pologne, Wikimedia Commons

Dès le lendemain de l’opération russe du 24 février 2022, un narratif s’est mis en place dans les chancelleries et les médias occidentaux, suivant lequel il s’agirait d’une guerre non-provoquée, qui aurait éclaté sans raison aucune, par pur caprice du sadique « Maître du Kremlin ». Depuis lors, les porte-parole de la Maison-Blanche, du Pentagone, du Département d’Etat ainsi que l’ensemble des médias mainstream américains n’ont cessé de déclamer sur tous les tons le mantra d’une « unprovoked war of agression ». La formulation complète se lit comme suit : « L’invasion russe et la guerre d’agression non-provoquée contre l’Ukraine ne sont pas aujourd’hui juste une attaque contre la liberté et nos libertés, mais aussi une menace pour l’ordre mondial (US Department of Defense, Feb. 24, 2024). Les Européens ont repris l’antienne en chœur.En réalité, il s’agit bien d’une guerre provoquée, et provoquée depuis des décennies même, si l’on déroule le fil des doctrines et des actions des Etats-Unis depuis la chute de l’Union soviétique fin 1991, qui visent toutes à contrer la Russie : doctrine dite Wolfowitz (1992), Le Grand Echiquier de Zbignew Brezinski (1997), progression de l’OTAN aux frontières russes (2004), invitation faite à l’Ukraine d’adhérer à l’Otan (2008) malgré les avertissements de Poutine en 2007, attaque de Saakhachvili contre l’Ossétie (août 2008), coup d’Etat de Maidan (février 2014), armement de l’Ukraine malgré les accords de Minsk I et II (2015-2022), rapport de la Rand Corporation (Overextending and Unbalancing Russia, 2019), refus de considérer les offres de paix russes (Sommet de Genève du 16 juin 2021 et plans de paix de décembre 2021).

Après trois ans de conflit et un million de morts inutiles, de plus en plus d’observateurs et la nouvelle administration américaine sont en train de démonter cette légende et conviennent que cette guerre aurait pu, et aurait dû être évitée.

Il aurait suffi pour cela de réaliser quatre conditions très raisonnables : faire appliquer les Accords de Minsk signés en 2014 et 2015 ; dissoudre les milices ukrainiennes d’extrême-droite ; renoncer à inclure l’Ukraine dans l’OTAN ; entamer des négociations sérieuses avec la Russie à propos d’une nouvelle architecture de la sécurité en Europe. Mais on n’en voulait à aucun prix tant il importait d’affaiblir la Russie et de l’éliminer de la scène mondiale.

On notera qu’un narratif similaire a servi au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Les gouvernements et les médias occidentaux l’ont présentée comme un attentat terroriste destiné à tuer des innocents sans raison, et non comme la réaction d’un peuple décimé et occupé depuis des décennies. En revanche, quand c’est l’Occident qui se lance dans une guerre (Vietnam 1964, Panama 1989, Golfe 1991, Serbie 1999, Afghanistan 2001, Irak 2003, Côte d’Ivoire 2004, Syrie et Lybie 2011), celle-ci est évidemment toujours provoquée (par le comportement de l’ennemi).


2/Le conflit a commencé le 24 février 2022. FAUX !

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Violent coup d’État de Maidan en Ukraine, 2014. (Wikipedia)

La guerre en Ukraine ayant éclaté sans raison, il importe de gommer tout ce qui pourrait permettre de comprendre le comportement russe, et donc d’effacer les causes antérieures au 24 février (voir supra). C’est pourquoi, dans la bouche des dirigeants et des journalistes occidentaux, on ne trouvera jamais, ou très rarement, des rappels d’événements précédant cette date. Lorsqu’ils sont évoqués, c’est isolément, comme s’ils étaient détachés de la présente guerre.

En réalité, la guerre d’Ukraine a commencé en avril-mai 2014, lorsque les populations du Donbass, de Kharkov, Odessa et Marioupol se sont révoltées contre le traitement que les nouvelles autorités pro-occidentales issues du renversement du gouvernement légal de Ianoukovitch leur infligeaient (pogroms, interdiction de la langue russe pour les démarches officielles et dans les écoles). On notera à titre exemple le pogrom de Marioupol lors de la fête du 9 mai 2014 (une vingtaine de morts), l’incendie de la Maison des Syndicats d’Odessa par des extrémistes néonazis le 2 mai 2014 (42 morts), des incendies de bus et le bombardement des villes du Donbass par l’aviation puis par l’artillerie des bataillons Azov dès le mois d’avril 2014. Entre 2014 et 2022, la guerre a fait près de 14 000 morts selon le décompte de l’OSCE et de l’ONU, dont 4000 civils et 200 enfants du Donbass.

Dès le 16 février 2022, les bombardements ukrainiens, toujours selon les rapports officiels, ont redoublé d’intensité faisant des dizaines de morts par jour, laissant craindre une attaque massive de l’armée ukrainienne contre le Donbass. (OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine, Daily Reports on 17 to 24 Feb. 2022). Ces bombardements massifs ont redoublé d’intensité dès le 16 février 2014, suggérant une attaque massive du Donbass par l’Ukraine. Ces faits ne sont jamais mentionnés en Occident mais ce sont eux qui ont déclenché l’attaque russe du 24 février. Sous cet angle, l’intervention russe peut être vue comme le droit légitime de protéger des populations en danger (R2P, selon l’article 138 et suivants de la Charte des Nations Unies), tel que l’Occident l’a maintes fois invoqué lors de ses interventions militaires néo-coloniales. Voir « Is Putin’s War Legal? » Joe Lauria, Consortium News, March 29, 2022.


3/La Russie veut la guerre. FAUX !

Lors de la conférence de Munich sur la sécurité en 2007. (Kremlin.ru, Wikimedia Commons, CC BY 4.0)

Outre que cet argument contredit l’affirmation No 1, il ne repose sur aucun fait tangible ni aucune déclaration, doctrine ou document qui viendraient l’étayer. Depuis la Conférence de Munich de 2007, Poutine n’a cessé de demander aux Occidentaux de maintenir la neutralité de l’Ukraine, neutralité par ailleurs garantie par la déclaration de souveraineté de 1990 et l’article 17 de la Constitution ukrainienne de 1996 qui prohibe la présence de bases militaires étrangères sur le sol ukrainien. Poutine s’est porté garant des accords de Minsk de 2014 et 2015, signés par les séparatistes et les kiéviens, et qui prévoyaient une fédéralisation de l’Ukraine et le respect des langues minoritaires. Or ces accords ont sciemment été utilisés par l’Ukraine pour se réarmer et non pour être appliqués, ainsi que l’ont reconnu l’ancien président Porochenko, Angela Merkel et François Hollande en décembre 2022.

Pendant toute l’année 2021, tant au Sommet du 16 juin à Genève qu’avec les deux projets de traités sur la sécurité européenne présentés par Moscou le 17 décembre, la Russie n’a cessé de multiplier les offres de paix et d’espérer des signes dans ce sens de la part des Occidentaux – souvenez-vous de la longue table qui avait servi à accueillir Emanuel Macron. Sans succès.

Seules les déclarations des dirigeants polonais, baltes et scandinaves et les propos des experts proches des milieux néo-conservateurs appuient la thèse du militarisme agressif de la Russie. Pas très convaincant.

L’argument pourrait d’ailleurs être retourné contre ses auteurs. N’est-ce pas l’Occident qui n’a cessé de proclamer qu’il fallait poursuivre cette guerre pour affaiblir la Russie, comme l’a répété à maintes reprises Lloyd Austin, l’ancien chef du Pentagone, voire pour la démanteler en 200 groupes ethniques indépendants comme l’a proposé le président polonais Duda à la conférence du Bürgenstock ? N’est-ce pas l’Ukraine de Zelenski qui s’est interdit de négocier avec la Russie ? (Cf. Un décret de Kyiv entérine l’impossibilité de négocier avec Poutine, Reuters, 4 octobre 2022).


4/la Russie veut envahir l’Europe et détruire ses démocraties. FAUX !

Le président russe Vladimir Poutine au Monument de la mère patrie à Saint-Pétersbourg, le 27 janvier, à l’occasion du 81e anniversaire de la libération complète de Leningrad du siège nazi. (Kremlin)

Variante du mensonge précédent. L’argument consiste à reprendre la théorie des dominos en vigueur pendant la guerre froide : si on cède sur l’Ukraine, Poutine envahira les pays baltes, puis la Pologne puis l’Europe. C’est la thèse favorite de The Economist, le magazine phare de l’interventionnisme militaire, qui dépeint sans cesse sur ses couvertures un Poutine rêvant de conquérir l’Europe et de reconstituer soit l’Union soviétique soit l’empire tsariste, quand ce n’est pas les deux en même temps.

Sauf que jusqu’à maintenant, la Russie n’a jamais lancé d’attaques sur un territoire européen, à l’inverse des pays de l’OTAN dont les armes s’enfoncent profondément dans le territoire russe, dont les satellites et les drones d’observation scrutent le territoire russe pour guider les missiles ukrainiens et dont les experts militaires et du renseignement forment et conseillent l’armée et les services ukrainiens.

Jamais Poutine n’a menacé, ni même laissé entendre qu’il voulait attaquer l’Europe. On ne trouvera aucun mot dans ses discours et ses écrits allant dans ce sens. Au contraire, il a affirmé que celui qui souhaitait le retour de l’Union soviétique n’avait pas de tête et n’a jamais changé d’avis à ce propos. Les deux guerres de Tchétchénie ont été livrées à l’intérieur du territoire russe et non à l’extérieur. La brève guerre de Géorgie d’août 2008 a été provoquée par l’attaque surprise de Sakaachvili pendant l’inauguration des JO de Pékin. Quant aux conflits gelés de Transnistrie et d’Abkhazie, ils datent des années 1990, bien avant l’arrivée de Poutine au pouvoir.

A propos de l’Ukraine, Poutine a toujours affirmé qu’il voulait une Ukraine démilitarisée et « dénazifiée » mais en aucun cas occupée. Le 15 juin 2024, il a proposé un plan de paix, le cinquième depuis 2014, qui se contentait de renouveler ces deux exigences. La seule nouveauté concernait les quatre oblasts annexés en 2022 et dont la population russophone ne souhaite en aucun cas réintégrer l’Ukraine après les sévices subis. Si l’on s’en tient aux faits et aux déclarations, Poutine a toujours affirmé que la Russie avait bien assez de territoires à développer avant de songer à s’étendre encore. Jusqu’ici, rien n’est venu démentir ses propos.


5/L’extension de l’OTAN jusqu’aux frontières russes n’est pour rien dans le conflit. FAUX !

L’arrivée au sommet de Washington, le 31 mai 1990, a été marquée par une grande cérémonie sur la pelouse de la Maison Blanche. Ici, le président Bush salue officiellement Mikhaïl Gorbatchev, alors président de l’URSS. (Crédit : Bibliothèque présidentielle George H.W. Bush, P13298-18)

Cette affirmation des bellicistes néo-conservateurs est parfaitement fausse. D’une part, en 1990, une promesse ferme avait été faite à Mikhail Gorbatchev, suivant laquelle l’URSS ne s’opposerait pas à la réunification de l’Allemagne et au départ de l’Armée rouge en échange de la non-expansion de l’OTAN en Europe de l’Est. Verbale, cette promesse figure expressément dans les archives américaines déposées à l’Université de Georgetown. Elle a été maintes fois confirmée par l’ancien ministre allemand Hans-Dietrich Genscher et par Jack Matlock, l’ambassadeur américain à Moscou à cette époque. François Mitterrand envisageait alors de créer une maison commune européenne avec la Russie.

Dans les années 1990, Boris Eltsine, puis Evgueni Primakov se sont opposés à la première puis à la deuxième vague d’expansion de l’OTAN voulue par Bill Clinton et les milieux proches de Wolfowitz et de Robert Kagan. La Russie ayant dissous le Pacte de Varsovie, elle avait même proposé d’intégrer l’OTAN. Sans succès. Depuis 2004 et l’adhésion des pays baltes, l’OTAN est aux portes de la Russie.

En 2007, à la conférence de la sécurité de Munich, Poutine clairement dit que l’admission de l’Ukraine et de la Géorgie serait considérée comme une ligne rouge, en s’inspirant de la réaction américaine lors de la crise des missiles. Si les Etats-Unis ont failli déclencher une guerre nucléaire en 1962 à cause de missiles nucléaires soviétiques à Cuba, pourquoi la Russie devrait-elle tolérer des missiles nucléaires américains à sa frontière ? Début février 2022 pourtant, Zelenski laissait entendre, à la conférence de Munich toujours, qu’il était prêt à accueillir des missiles nucléaires américains sur son territoire… Dix jours plus tard, la réponse russe à cette ultime provocation était connue.


6/L’Euromaidan fut une révolution populaire. TRES PARTIELLEMENT VRAI !

Affrontements à Kiev lors du coup d’État de février 2014 (Tchernov/Mstyslav, Wikimedia)

Le narratif occidental voudrait que la révolution de Maidan entre novembre 2013 et février 2014 fût le résultat d’un pacifique mouvement populaire contre une odieux régime ploutocratique soutenu par Moscou. C’est très partiellement vrai.

L’élection de Ianoukovitch en 2010 a probablement été la plus démocratique de toute l’histoire de l’Ukraine. Elle a été validée comme telle par toutes les instances européennes et onusiennes. En réalité, il avait même été élu une première fois en 2004 mais son élection fut contestée à la faveur d’une première révolution orange orchestrée par le candidat pro-occidental Iouchtchenko. La veille de son départ forcé, le 21 février 2014, Ianoukovitch avait signé un accord avec quatre ministres européens en vue d’organiser de nouvelles élections à l’automne. Résultat : il fut renversé le lendemain par un coup d’Etat organisé par l’ambassadeur américain Geoffrey Pyatt et la secrétaire d’Etat adjointe Victoria Nuland après que toute la nomenklatura néoconservatrice européenne et américaine, de Bernard-Henri Lévy à John Mc Cain se fut bousculée place de Maidan pour distribuer des croissants aux manifestants chauffés à blanc par la propagande de l’extrême-droite bandériste. Des fuites ont révélé les échanges entre ces deux personnages, montrant comment ils avaient choisi le premier ministre à installer au pouvoir et avaient envoyé paître (le fameux Fuck the EU!) l’Union européenne et l’accord signé la veille avec Ianoukovitch.

Quant aux pacifiques manifestants, ils n’eurent très vite plus rien de pacifique ni de spontané. D’une part, dans une audition au Congrès en décembre 2013, Victoria Nuland a reconnu que les Etats-Unis avaient investi cinq milliards de dollars dans un changement de régime en Ukraine et devaient rapidement récupérer leur investissement. Et l’étude faite par le professeur Ivan Katchanonvski de l’Université d’Ottawa a clairement montré comment ces manifestants avaient été instrumentalisés par l’extrême-droite ukrainienne et que des tirs avaient été sciemment dirigés contre les policiers ukrainiens depuis l’hôtel Ukraina afin de provoquer une riposte et de pouvoir ensuite accuser le gouvernement de tuer les manifestants. J’ai moi-même vu des vidéos prises par un agent du renseignement français qui montraient l’origine des tirs et leur impact sur les arbres alors présents sur les lieux.

Conclusion : l’arrivée au pouvoir d’Arseni Iatseniouk, le politicien désigné par Victoria Nuland, n’est aucunement le fruit d’un choix démocratique, mais le fruit d’un coup d’Etat organisé à la suite d’une grossière ingérence américaine (et non russe !) dans les affaires internes de l’Ukraine. Aussitôt installé aux commandes, Iatseniouk, aujourd’hui réfugié aux Etats-Unis, devait prendre les décisions funestes qui devaient conduire au soulèvement des populations russophones d’Odessa et du Donbass et à la guerre actuelle.


7/Poutine est un malade mental à l’article de la mort. FAUX !

Depuis 2014, on ne compte pas les unes de magazines et les émissions TV sur les maladies mentales et physiques de Poutine. Syndrome d’Asperger, autisme, paranoïa, délire de persécution remontant à son enfance perturbée, cancers à répétitions, Poutine devrait être interné à l’asile psychiatrique ou mort depuis longtemps si l’on en croit les experts qui défilent sur les plateaux et les colonnes des journaux.

Petit florilège : « l’effroyable » Poutine est « un menteur, un imposteur, un kleptocrate, un manipulateur, un dictateur, un violeur (des peuples), un oppresseur, un conservateur, un calculateur, un stalinien, un nouvel Hitler, un fasciste, un nostalgique de l’URSS, un nostalgique des tsars, un révisionniste, un kagébiste et un obsédé sexuel qui propose à l’Occident de se joindre au Contrat social du mensonge. Son regard est froid et son œil presque vitreux, avec une face de cire muette et une freudienne et pathétique obsession sexuelle des biscoteaux et du botox. »

Quant à ses tares physiques, on croirait lire le compendium des pathologies de l’OMS, tant elles sont nombreuses.

Et pourtant, Poutine est plus fringant que jamais malgré ses septante-deux ans, ses vingt-cinq ans de pouvoir et ses trois ans de chef de guerre… Pas une parole qui dérape, pas un geste qui se lâche, une concentration de tous les instants, on ne connait pas beaucoup de chefs d’Etat d’un tel sang-froid. De quoi faire pâlir de jalousie Joe Biden et Emmanuel Macron…


8/Il n’y a jamais eu d’accord à Istamboul du printemps 2022

Des reporters de guerre accurus en Ulraine  couvrir « le massacre de Bucha » en avril 2022

A en croire les médias occidentaux, il n’y aurait jamais eu d’accord à Istamboul en mars-avril 2022. On les a longtemps niés, avant de reconnaitre que, si discussions il y a bien eu entre Ukrainiens et Russes, on aurait été très loin d’un accord. Aucun document n’aurait été signé et Boris Johnson ne serait jamais intervenu pour les faire annuler à l’occasion de sa visite surprise à Kiev le 9 avril 2022, répétait encore le quotidien suisse le Temps peu avant la conférence du Bürgenstock de mai 2024.

Et pourtant un coup d’œil dans la presse de l’époque suffit à prouver que les pourparlers furent bien réels et qu’on était parvenu à un accord signé, qu’il ne s’agissait plus que de ratifier.

Un premier round de négociations a eu lieu fin février dans le parc national biélorusse de Brest. Le deuxième s’est déroulé le 4 mars près de Gomel et les trois suivants à Istamboul. Le 6 mars, l’un des négociateurs ukrainiens, Denis Kireev a été assassiné après avoir été accusé de trahison. Le 28 mars, un communiqué est publié à Istamboul avec l’intitulé « Key Provisions of the Treaty on Ukraine’s Security Guarantees ». Le même jour, Zelensky confirmait que les négociations pourraient être finalisées le lendemain 29 mars.

Le 30 mars, la Russie retire ses troupes de Kiev et, le 2 avril, surgit l’affaire du soi-disant massacre de Boutcha, qui prit aussitôt de proportions inouïes. (On notera à ce propos qu’on n’en entend plus parler. Aucune preuve n’a été fournie malgré les enquêtes et les assurances données. On attend toujours la liste des victimes…) Le 9 avril, Boris Johnson est à Kiev. Mi-avril, le WEF annule la participation russe au Forum de Davos, qui avait été déplacé en mai à cause du Covid, et transforme la maison russe en Maison de l’Ukraine avec une exposition sur les crimes de guerre russes. Des pourparlers continuent cependant jusqu’au 3 mai, moment où les Ukrainiens annoncent la fin des « non-négociations »…

En 2023, Poutine a exhibé les 18 articles du projet d’accord devant un parterre de chefs d’Etat africains. De son côté, le 25 novembre 2023, le chef de la délégation ukrainienne, David Arakhamia a confirmé que les négociations étaient proches d’aboutir mais qu’elles ont échoué faute de confiance et parce que Boris Johnson avait promis d’armer l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire. En avril 2024, la revue Foreign Affairs publiait un article retentissant sur les « négociations qui auraient pu mettre fin à la guerre en Ukraine. » Ce qu’on savait déjà depuis que l’ancien premier ministre israélien Naftali Bennett, qui avait rencontré les parties au printemps 2022, avait déclaré que les accords avaient été bloqués par les Occidentaux. Mais c’était avant qu’il se rétracte, suite au tollé suscité par ses propos. Il affirma ensuite avoir simplement voulu dire que « les négociations avaient été stoppées »… Heureusement, le New York Times a pu mettre tout ce petit monde d’accord en publiant l’intégralité du document le 15 juin 2024 (Ukraine-Russia Peace Is as Elusive as Ever. But In 2022 They Were Talking).

Certes, de nombreux points n’avaient pas été réglés, tels que le statut de la Crimée et des territoires annexés. Mais ce texte reste encore aujourd’hui le meilleur point de départ pour de vraies négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie.


9/L’Ukraine est une démocratie. FAUX ! Elle se bat pour défendre les valeurs européennes : VRAI !

Des volontaires de l’Assemblée sociale-nationale prêtent serment d’allégeance à l’Ukraine avant d’être envoyés dans la partie orientale de l’Ukraine pour rejoindre les rangs du bataillon spécial «Azov» à Kiev, en Ukraine, le mardi 3 juin 2014. Photo: DR.

La formule sonne bien mais elle est aux trois-quarts fausse. L’Ukraine n’est plus une démocratie depuis longtemps et elle ne défend pas vraiment les valeurs de l’Occident.

L’Ukraine a été relativement démocratique jusqu’en 2014, beaucoup moins entre 2022 et 2014, et plus du tout après cette date. On a vu qu’en 2004, la victoire de Yanoukhovitch au premier tour avait été contestée par une première révolution orange qui avait porté au pouvoir le candidat battu. Depuis l’indépendance, la corruption a gangrené les élections, les députés pouvant s’acheter leur siège avec l’aide des oligarques, et notamment de deux de plus connus d’entre eux, Ihor Kolomoïski et Rinat Akhmetov, le propriétaire de l’usine Azovstal. On rappellera que le premier a financé la campagne de Zelenski en 2019 et que l’actuel Premier ministre, Denys Chmygal, a été l’un des plus proches collaborateurs d’Akhmetov, le plus riche des milliardaires ukrainiens.

La corruption n’a en aucun cas disparu, même si l’Ukraine a « amélioré » sa position en gagnant une vingtaine de places en quatre ans au palmarès de Transparency International. Elle figurait au 104e rang mondial des pays les plus corrompus en 2023. Mais surtout, l’ensemble des médias, des syndicats et des partis opposés à Zelenski ont été bannis, dissous et pourchassés depuis mars 2022, sous le prétexte de collusion avec la Russie (Analysis of Recent Legislation on Banning Political Parties, IFES Comment, May 19, 2022). Il n’y a plus d’opposition ni de médias ni même de médias indépendants en Ukraine aujourd’hui (Voir A Big Step Back : In Ukraine, Concerns Mount Over Narrowing Press Freedoms, New York Times, 18 June 2024. Shrinking press freedom in Ukraine: urgent need to implement a roadmap, RSF, 19 juin 2024). Au début de cette année, Zelenski a fait arrêter l’ancien président Porochenko. Un Zelenski dont le mandat est arrivé à échéance le 20 mai dernier, ce que l’ensemble des médias et des dirigeants européens continuent à ignorer malgré les déclarations de Trump et d’autres dirigeants mondiaux.

De même, l’église orthodoxe d’Ukraine dépendant du patriarcat de Moscou, largement majoritaire dans le pays jusqu’en 2022, a été persécutée. Elle a vu ses prêtres molestés ou expulsés, ses biens confisqués et ses églises et ses couvents brûlés ou fermés, quand ils refusaient de se soumettre au métropolite de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, inventée de toutes pièces en 2018.

Dernier sujet qui fait tache en matière de démocratie : l’influence des mouvements néo-nazis, des extrémistes de Secteur Droit, des milices Azov, Kraken et autres qui ont commis des crimes de guerre depuis 2014 en bombardant les populations civiles et les enfants du Donbass. On se souvient des défilés arborant des emblèmes SS et des saluts nazis en criant des slogans antisémites qui indignaient l’ambassade d’Israël avant janvier 2022. Pendant les premiers mois de la guerre, les images de soldats ukrainiens tatoués de symboles nazis et de portraits de Hitler ont saturé les réseaux sociaux jusqu’à ce qu’ils soient purgés parce qu’elles ne coïncidaient pas avec la défense des « valeurs occidentales ». Leurs liens avec le général Zhalujny, qui a intégré leur chef Andrei Parubyi dans l’armée ukrainienne, sont avérés. Ils ont toutefois perdu un de leurs principaux sponsors, l’ancien ministre de la Défense Arsakov, qui a été mis à l’écart.

Aujourd’hui tout a été purgé et les extrémistes ukrainiens ont été priés de boutonner leurs chemises. Mais l’idéologie n’a pas disparu pour autant.

Comment peut-on affirmer dans ces conditions que l’Ukraine est démocratique et qu’elle lutte « pour défendre nos valeurs » ?


10/Poutine est un dictateur qui veut imposer l’autocratie. CELA RESTE A PROUVER !

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et l’administratrice de l’USAID Samantha Power à Kiev le 2 octobre 2024. (USAID, Flickr, CC BY-NC 2.0)

Attention, sujet délicat ! La reductio ad Hitlerum ou ad Stalinum est généralement celle que vous servent les partisans de l’Ukraine quand ils sont à bout d’arguments. On ne peut pas soutenir le nouvel Hitler, on ne peut pas négocier avec l’héritier de Staline, on ne saurait parler avec le terrifiant Sauron poutinien qui règne sur le noir Mordor.

A ce stade, accordons-leur un point : oui la Russie n’est pas une démocratie libérale. On peut y critiquer l’armée et le régime mais à ses risques et périls (mais ni plus ni moins qu’en Ukraine : voir supra). Certains médias d’opposition se sont exilés. Mais ne sont-ils pas soutenus et financés par des capitaux étrangers, comme viennent de le montrer les révélations de l’USAID ? Des manifestants anti-Poutine ont été arrêtés et certains, comme Navalny, jugés et condamnés. Mais Julian Assange et les Gilets jaunes français n’ont-ils pas subi le même sort ?

Les élections russes seraient biaisées ? La belle affaire ! Que dire des élections moldaves, faussées par l’argent européen et le manque d’accès aux urnes des centaines de milliers de Moldaves de Russie ? Des élections géorgiennes, gangrenées par les ingérences et les capitaux extérieurs ? Des élections roumaines, annulées après le premier tour parce qu’elles allaient porter au pouvoir un candidat non conforme ?

Est-ce de la faute de Poutine s’il est soutenu par plus de 70% de la population, ainsi que le confirment les sondages indépendants, alors que les dirigeants de l’Europe dite démocratique se trainent à 20% ?

La presse ne serait pas libre en Russie ? Mais que dire de la nôtre, qui bannit impitoyablement les voix critiques, interdites d’antenne ou de colonnes dans les médias dominants ? Et comment se plaindre du bannissement de certains journalistes occidentaux en Russie quand d’innombrables médias et journalistes russes sont interdits dans l’Union européenne ? Notre exemplarité laisse beaucoup à désirer…

Quant à imposer l’autocratie à l’extérieur de la Russie, il n’en a jamais été question. Au sein des BRICS, les Russes ne s’ingèrent pas dans les affaires des autres. Ni eux ni les Chinois ne cherchent à convertir à l’autocratie l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud.

À suivre

Guy Mettan, journaliste indépendant et homme politique

Source : Arrêt sur Info
https://arretsurinfo.ch/ah-les-cons-sils-savaient/

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