Par Nidal Hamade

La journaliste libanaise Roula Nasr a reçu l’écrivain, journaliste politique et chercheur en mouvements islamiques, Nidal Hamade, afin qu’il présente son dernier ouvrage intitulé « La chute de Damas » à paraître, en langue arabe, à la Librairie Nissan à Beyrouth.

Son récit n’est certes pas conforme aux détails répandus par les médias officiels, car il vient confirmer que la guerre cruelle contre la Syrie n’est pas le résultat d’un moment de colère populaire, d’un soulèvement interne ou d’une révolution, mais d’un plan soigneusement préparé en attendant le moment opportun pour le lancer. Un plan dont l’objectif est désormais indubitable : renverser l’État syrien, démanteler son armée, disperser et affamer son peuple, nourrir la corruption et la discorde afin de remodeler la région selon une vision américano-israélienne désormais évidente, avec l’aide de puissances régionales et internationales qui ont utilisé le terrorisme takfiriste comme une armée de fantassins et ont œuvré chacune pour son propre compte et ses propres intérêts.

Il ne s’agissait donc pas d’instaurer la démocratie, mais de se débarrasser d’un président qui s’est entêté à soutenir la Résistance régionale et à refuser la normalisation des relations de son pays avec l’ennemi. Ce qui n’est évidemment pas le cas du nouveau président de la nouvelle Syrie, accueilli à bras ouverts par les prétendues démocraties en tant que libérateur. Et ce, en dépit de son identité terroriste.

Ci-dessous, les points essentiels discutés au cours de cette entrevue. Les informations ne sont probablement pas inédites, mais il n’est pas inutile de les reprendre en compte vu le silence de cimetière qui enveloppe le malheur et les souffrances en Syrie. [NdT].

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Le président syrien Bachar al-Assad ne s’est pas enfui comme il a été rapporté. Il a été emmené par une importante garde rapprochée à Lattaquié où les Russes lui ont signifié : « c’est fini ! ».

L’Attaché militaire russe, accompagné de soldats russes, sont arrivés en disant que le palais présidentiel risquait d’être bombardé, qu’il n’était plus en sécurité, et qu’ils devaient l’emmener à Lattaquié d’où il pourrait diriger le combat. Le président a demandé aux personnes présentes de ne pas réagir et s’en est remis aux Russes. La nouvelle s’est répandue et les officiers supérieurs syriens ont alors négocié et se sont retirés sans combats car, comme les Russes ne pouvaient l’ignorer, lorsqu’un régime quitte sa capitale, les choses prennent fin.

Bachar al-Assad était donc présent jusqu’au dernier moment au palais présidentiel. D’après son entourage, il était entré dans un état de tristesse extrême suite à l’assassinat de Sayyed Hassan Nasrallah, et a même dit la veille de ce voyage forcé vers Lattaquié [samedi 7 décembre 2024] : « si le Sayyed était vivant, la situation aurait été différente ». En effet, Sayyed Nasrallah était resté son seul soutien et calmait les querelles à partir du moment où les Iraniens étaient devenus récalcitrants à son égard, notamment suite à un désaccord avec le président iranien Raïssi. D’ailleurs, il a souvent répété : « Épargnez Al-Assad, la Syrie est en grande difficulté ».

Les accusations prétendant qu’il aurait laissé tomber la Résistance et aurait conspiré contre la sécurité de Sayyed Nasrallah, ne tiennent pas la route, d’autant plus que les derniers missiles lancés par le Hezbollah sont venus de Syrie. C’est pourquoi Netanyahou a déclaré : « Al-Assad joue avec le feu ». Le fait est que le président syrien avait sa propre vision de l’État syrien en tant que soutien de la Résistance et non le meneur de la guerre.

Il faut savoir que les groupes armés se sont combattus à leur arrivée à Hama, car leur rêve se résumait à atteindre Khan al-Assal en six mois [ville du gouvernorat d’Alep dans le nord de la Syrie]. Devant l’effondrement du gouvernement syrien, la Turquie et Al-Joulani [connu désormais sous le nom de Ahmad Al-Charaa] les ont sommés d’avancer vers Damas. Cependant, ils y ont été devancés par Ahmad al-Awda et les groupes armés de Daraa envoyés par les Russes, [Ahmad al-Awda est sunnite, originaire de Bosra, considéré comme l’homme de la Russie dans le Sud syrien et l’architecte des arrangements avec le gouvernement syrien ; Ndt]. Ils sont arrivés deux jours avant la chute de Damas aux mains d’Al-Joulani et Cie [le 8 décembre 2024] où ils ont raflé ou brûlé les dossiers des services de renseignement.

Pourquoi les Russes ont-ils agi ainsi ? Parce que leur sécurité nationale défendue en Syrie est secondaire alors qu’elle est existentielle en Ukraine, parce qu’ils s’étaient mis d’accord avec Trump sur l’Ukraine alors que Biden comptait leur faire la guerre en Syrie, et parce que la Turquie leur avait garanti la sauvegarde de leurs intérêts et de leurs bases militaires en Syrie, en plus du fait qu’ils pouvaient disposer d’une autre base en Libye et que la Fédération de Russie compte trente à quarante millions de sunnites.

C’est donc un concours de circonstances  et une question de timing défavorable à la Syrie, comme ce fut le cas lorsque les prédateurs se demandaient par où commencer les attaques, par la Syrie ou la Libye, et que Sarkozy a conseillé d’opter pour la Libye plus proche et plus faible.

Il est probable que si la Syrie avait été attaquée avant la Libye, elle serait tombée beaucoup plus tôt, tout comme il est probable que si le soutien militaire de la Résistance libanaise à Gaza avait eu lieu deux mois plus tard, le gouvernement syrien ne serait pas tombé. La preuve en est les déclarations d’Al-Joulani et Cie suite à l’assassinat de Sayyed Nasrallah : « nous nous sommes réunis à Idleb et nous avons conclu que le régime syrien est bel et bien fini ».

À mon avis, le Hezbollah a mésestimé l’opposition chiite qui l’a trahi, tout comme les Palestiniens qui ont décidé d’entrer en guerre ont mésestimé la situation et ont probablement exploité le fait que la Résistance était dans l’obligation de les soutenir ; ce qui n’est rien d’autre que le projet de Azmi B’chara [palestinien, chrétien laïc, ex-membre arabe de la Knesset, considéré comme l’éminence grise de l’émir du Qatar, notoirement hostile à Bachar al-Assad ; Ndt]. Ils sont tous tombés en martyrs et l’axe de la Résistance a explosé.

Par conséquent, ceux qui dirigent actuellement la Syrie sont la Turquie dont les services de renseignement occupent actuellement toute une aile du palais présidentiel syrien, Azmi B’chara, un groupe de trente syriennes et syriens formés à Londres, et un homme de l’ombre : Khaled al-Fayoumi.

Or, Khaled al-Fayoumi est un ukraino-syrien porteur d’une troisième nationalité et l’un des principaux fabricants de drones en Ukraine. Il coopère avec la société turque Baykar qui fabrique les drones Bayraktar. C’est un salafiste, takfiriste, suppôt d’Al-Joulani et du Front al-Nosra devenu HTS [en français : organisation de libération du Levant] à qui il a remis douze sortes de drones. Il a également introduit « Starlink » en Syrie vingt jours après la chute de Damas et prétend que les Russes veulent sa peau. Il ne s’est toujours pas rendu en Syrie, mais a fait savoir que :

« Sans l’accord des États-Unis, la Syrie ne serait pas tombée, la Turquie et Al-Joulani ayant accepté toutes leurs conditions préalables : oublier le Golan ; couper toute relation avec le Hezbollah et l’Iran ; normaliser les relations avec Israël ; ne pas réarmer l’Armée arabe syrienne dont les effectifs ne doivent pas dépasser les cent mille recrues ; démanteler la police syrienne, détruire toute fabrication d’armes chimiques ou autres ; ne pas s’en prendre aux minorités ; accepter une solution kurde à l’irakienne [canton kurde]… »

Cette dernière condition arrange Israël sans bénéfice pour la Turquie car le canton pourrait devenir un État indépendant et menacer sa sécurité nationale. Elle nous amène à poser la question de savoir en quoi les Turcs profiteraient de l’invasion de la Syrie. En réponse, je rappelle qu’en 1997 j’ai été invité à une réunion municipale à Istanbul en présence d’Erdogan et de l’orateur Ahmet Daoud Oglu [ex-Premier ministre turc] qui a déclaré : « lorsque mon ancêtre Soliman al-Kanouni a conquis Damas, il a conquis le monde ».

C’est dire la volonté turque de reconquérir Damas bien avant la prétendue révolution syrienne. Et aujourd’hui, ce sont les renseignements turcs qui nomment les ministres, les commandants militaires syriens, les gouverneurs et les responsables de la sécurité en Syrie. Ce sont eux qui ont ordonné le licenciement en masse des fonctionnaires syriens. Al-Joulani ne fait qu’obéir.

En revanche, concernant ce qu’il considère comme des « minorités » et non comme des apostats, Al-Joulani a conçu son propre programme. Il est intitulé : « Expulsion des minorités de la Syrie et des Pays musulmans ». Un document qu’il a soumis en 2013 à Abou Bakr al-Baghdadi [chef de l’État islamique d’Irak proclamé calife par son conseil consultatif en 2014…], mais qu’il a dénigré lors de son entrevue avec le journaliste américain Martin Smith en 2021 à Idleb, en prétextant qu’il était jeune à l‘époque de sa rédaction et qu’il avait changé depuis.

Ce document est en ma possession et le programme en question passe par l’appauvrissement, le chômage et les persécutions systématiques d’abord des Alaouites qui sont devenus presque aussi nombreux que les sunnites, puis des chiites, des chrétiens, des Ismaélites, des Mourchidis et enfin, des Yézidis qui sont des kurdes frontaliers de l’Irak et qui comptent 250000 âmes, c’est-à-dire, un nombre pratiquement égal aux chiites syriens.

D’où les expulsions brutales des familles des officiers syriens de leurs domiciles au profit des suppôts d’Al-Joulani, les violences horribles et meurtrières, les corps traînés sur le sol, et notamment l’ordre d’aboyer à quatre pattes en pleine rue, dans les villes et les villages; une pratique ottomane et le summum de l’humiliation pour ceux qui la subissent ainsi que leurs proches. Mais Al-Joulani et Cie parlent de « comportements individuels » et non d’un programme d’expulsion des minorités d’un pays où elles ont toujours été un facteur de progrès. Leur sort est, là aussi, le dernier souci du président Trump se préparant à annoncer la victoire de la Russie en Ukraine.

À mon avis Al-Joulani ne tombera pas de si tôt car ceux qui l’ont amené au pouvoir n’ont pas achevé leur projet. En réalité, il ne préside que Damas. Il contrôle les médias du pays, jouit goulument du protocole de la présidence à tous les niveaux, et compte nommer bientôt 250 diplomates et ambassadeurs que la Turquie a fini de former. Le reste de la Syrie lui échappe, mais peu lui importe pour le moment vu qu’il avait déclaré être prêt à n’envahir qu’un village avant de s’étendre. Une expansion qu’il a réussie à partir de la région d’Idleb.

L’ironie de l’Histoire est que ce sont les Russes et les Iraniens qui ont empêché le président Bachar al-Assad d’attaquer Idleb afin de satisfaire le président Erdogan et poursuivre leurs propres négociations avec lui, après l’avoir soutenu lors de la tentative du coup d’État contre lui en juillet 2016.

Et aujourd’hui, nous assistons à un soutien international d’Al-Joulani qui a été entraîné pour son rôle de président par les Anglo-Saxons et notamment par Robert Ford [l’ex-ambassadeur des USA en Syrie ?]. Israël le traite de terroriste pour le garder sous sa botte bien qu’il n’ait pipé mot devant l’invasion israélienne du Sud de la Syrie. Une invasion qui s’étend jusqu’à la base américaine d’Al-Tanf, sépare complètement la Syrie de la Jordanie en la protégeant d’une attaque extérieure ou intérieure. Par conséquent, concernant la volonté de Trump de déplacer les Palestiniens en Jordanie, Israël a peut-être gagné des points auprès du régime jordanien ; ce qui semble plus difficile dans le cas de l’Égypte.

Par ailleurs, les services secrets iraniens ont discrètement rencontré les services de renseignement turcs en présence d’Al-Joulani, lequel n’a pas de problème avec eux, contrairement à son animosité à l’égard du Hezbollah. Ce qui ne veut pas dire que l’Iran ou le Hezbollah ont abandonné la Syrie dont le rôle est vital pour la Résistance. Pour le moment, ils observent.

Quant aux Saoudiens, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils affrontent Israël, même pas en paroles, mais à de graves désaccords entre eux et la Turquie, entre Israël et la Turquie, entre les Arabes et les Kurdes, entre les Turcs et les Kurdes…

La boîte de Pandore est donc grande ouverte, la lutte pour la Syrie est toujours en cours et l’Histoire se répète.

Nidal Hamade

05/03/2025

Source : vidéo YouTube

وثيقة الجولاني السرية لتهجير الأقليات باي باي سوريا.. أخطر معلومات لقاء سري الشرع_ايران اين الموساد؟
https://www.youtube.com/watch?v=kM6cWgG028M&ab_channel=RoulaNasr

Résumé et traduction par Mouna Alno-Nakhal

Source : Mouna Alno-Nakhal

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