Basel Adra, à gauche, et Yuval Abraham acceptent le prix du meilleur long métrage documentaire pour No Other Land à la cérémonie des Oscars, le dimanche 2 mars 2025, au Dolby Theatre de Los Angeles. [AP Photo/Chris Pizzello]
Par David Walsh
La victoire du film pro-palestinien No Other Land dans la catégorie meilleur documentaire et celle du film brésilien I’m Still Here, qui dénonce les crimes de la dictature militaire brésilienne soutenue par les Etats-Unis dans les années 1970, dans la catégorie meilleur long métrage international, sont historiquement et politiquement significatives. Le résultat du vote de près de 10 000 membres de l’Académie révèle sans aucun doute un processus moléculaire de radicalisation en cours, aux Etats-Unis comme dans le monde. C’est un fait parlant que les sondages aient indiqué avant la cérémonie des Oscars que ceux ayant montré le plus grand intérêt pour ceux-ci étaient les jeunes de 18 à 29 ans.
En ce qui concerne No Other Land, le génocide de Gaza et l’expulsion brutale et illégale de dizaines de milliers de civils palestiniens de la Cisjordanie ont suscité une grande horreur et une grande colère. L’attaque meurtrière menée contre une population entière, soumise à une violence et à des humiliations sans fin, par l’une des machines militaires les mieux équipées de la planète, galvanise de larges couches de la population. Ce sentiment ne s’estompe pas et ne s’estompera pas, malgré les meilleurs efforts mensongers des propagandistes de toutes les puissances occidentales. Qui peut croire à un «cessez-le-feu» et à une «paix» acceptés par des bouchers ?
Dans leurs discours de remerciement, vus par des dizaines de millions de personnes à travers le monde, deux des co-réalisateurs de No Other Land (article en anglais), le Palestinien Basel Adra et l’Israélien Yuval Abraham, ont dénoncé les décennies d’injustice et le nettoyage ethnique en cours des Palestiniens, ainsi que la «destruction» de Gaza et les actions du gouvernement américain pour bloquer la paix et maintenir la «suprématie ethnique».
Le triomphe de I’m Still Here (article en anglais) aux Oscars ne peut qu’accroître l’intérêt et l’enthousiasme pour ce film au Brésil et au-delà. Le film du réalisateur Walter Salles raconte l’histoire de la disparition de Rubens Paiva, un homme politique brésilien du Parti travailliste, assassiné par la junte militaire au début des années 1970, et le combat pour la justice mené par sa femme, Eunice Paiva (interprétée par Fernanda Torres, nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice principale).
Comme le WSWS a l’a souligné, plus de 5 millions de Brésiliens sont allés «au cinéma pour voir le film, qui est déjà le cinquième plus gros succès de l’histoire du pays». Les gros titres ont souligné que «les Brésiliens ont applaudi» à l’annonce de la récompense. L’Associated Press a rapporté qu’à Rio de Janeiro, «où se déroulent les défilés du carnaval, l’animateur a annoncé les résultats aux dizaines de milliers de spectateurs présents dans la foule, provoquant des cris de joie».
Dans son discours prononcé dimanche à Los Angeles, Salles a dédié son prix à Eunice Paiva, «une femme qui, après une perte subie sous un régime autoritaire, a décidé de ne pas céder et de résister».

I’m Still Here
Le succès de No Other Land, qui documente la criminalité des opérations de «nettoyage ethnique» sionistes en Cisjordanie visant à terroriser ou à chasser la population palestinienne locale, a une influence particulière étant donné l’hostilité dirigée contre le film par les milieux politiques et culturels officiels en Europe et aux États-Unis.
Après que le documentaire a été récompensé au festival international du film de Berlin l’année dernière, le film a été immédiatement critiqué par les médias allemands et les politiciens de divers partis comme étant «honteux» et «antisémite», bien que l’équipe de tournage soit composée de deux Palestiniens et de deux Juifs israéliens. Aux États-Unis, la campagne contre No Other Land a pris la forme d’une «conspiration du silence» pour empêcher sa diffusion. Les distributeurs et les éléments pro-sionistes du monde du cinéma ont décidé qu’il était trop dangereux de permettre à la population américaine de voir la cruauté et la barbarie des colons et des soldats israéliens. Le film, malgré sa nomination aux Oscars et sa victoire, n’a toujours pas de distributeur, une situation sans précédent.
No Other Land , comme l’a commenté le WSWS l’année dernière, réalisé par
le collectif palestino-israélien composé de Basel Adra, Hamdan Ballal, Yuval Abraham et Rachel Szor, raconte l’expulsion brutale de villageois palestiniens de Masafer Yatta, un regroupement de 19 villages au sud d’Hébron en Cisjordanie.
Les cinéastes, comme nous l’avons expliqué,
sont contraints de se protéger des actions agressives de l’armée israélienne et des milices fascistes de colons qui lui sont alliées. Leurs amis et leurs proches les aident à cacher leurs images. Quiconque s’oppose aux expulsions est impitoyablement attaqué.
Les crimes sionistes continuent dans la région. Comme l’a rapporté CNN lundi,
Quelques heures avant la victoire du film aux Oscars, des habitants de la région de Cisjordanie représentée dans le documentaire ont été attaqués par des colons israéliens accompagnés des forces israéliennes. […] Les soldats israéliens ont arrêté trois personnes dans la région et les colons ont attaqué les habitants du village de Khirbet Asfi, à Masafer Yatta, en jetant des pierres, en détruisant des panneaux solaires et en endommageant des réservoirs d’eau.
Les efforts persistent visant à étouffer toute critique de la politique meurtrière d’Israël et des financiers, fournisseurs d’armes et complices américains et européens du régime de Netanyahou. L’expulsion d’étudiants (article en anglais) du Barnard College de Columbia pour avoir protesté contre le génocide, le licenciement du rédacteur en chef de la page éditoriale du Palm Beach Post pour un dessin faisant allusion aux morts massives à Gaza et les efforts de l’administration Trump pour expulser ceux qui critiquent Israël ne sont que quelques-uns des incidents les plus récents.

No Other Land
Dans son discours prononcé dimanche soir aux Oscars, qui a été accueilli par de vifs applaudissements, Basel Adra a observé que
Il y a deux mois, je suis devenu père. Et j’espère que ma fille n’aura pas à vivre la même vie que moi, toujours dans la peur de la violence des colons, des démolitions de maisons et des déplacements forcés auxquels ma communauté, Masafer Yatta, est confrontée chaque jour sous l’occupation israélienne.
Yuval Abraham a ajouté
Quand je regarde Basel, je vois mon frère. Mais nous sommes inégaux. Nous vivons dans un régime où je suis libre sous le régime du droit civil et Basel est soumis à des lois militaires qui détruisent sa vie et qu’il ne peut pas contrôler.
Le fait d’honorer No Other Land a été à juste titre perçu par le régime sioniste et ses partisans comme une gifle.
Le ministre de la Culture, Miki Zohar de l’extrême droite, a qualifié la décision de l’Académie de «triste moment pour le monde du cinéma». Il a affirmé qu’au lieu de «présenter la complexité de la réalité israélienne, les cinéastes ont choisi d’amplifier des récits qui déforment l’image d’Israël vis-à-vis du public international. La liberté d’expression est une valeur importante, mais transformer la diffamation d’Israël en outil de promotion internationale n’est pas de l’art, c’est un sabotage dirigé contre l’État d’Israël». Dans le cadre de sa défense de la «liberté d’expression», Zohar a contribué en 2023 à instaurer une politique qui refuse de financer les cinéastes qui osent critiquer l’État sioniste.
Les pro-sionistes américains n’ont pas pu retenir leur réaction instinctive et idiote. John Podhoretz, ancien rédacteur des discours de Ronald Reagan et fonctionnaire de l’administration de George H. W. Bush, a fait ce commentaire: «Félicitations au Hamas pour sa victoire aux Oscars. Maintenant, voyons la mise en oeuvre de leur éradication.»
Bien sûr, loin de faire des concessions à l’antisémitisme, les votants de l’Académie ont également décerné à Adrien Brody l’une des plus prestigieuses récompenses de l’institution, celle du meilleur acteur dans un rôle principal, pour sa performance dans The Brutalist, un film confus, mais dans lequel Brody incarne un architecte juif hongrois, victime tourmentée d’un camp de concentration nazi et, ironiquement, futur émigré en Israël.

Anora
Anora, le film réalisé par Sean Baker, qui raconte l’histoire d’une travailleuse du sexe russo-américaine de Brooklyn qui se heurte à la famille d’un oligarque russe, a remporté de nombreux prix, dont cinq pour Baker lui-même, un record. Le film n’est pas le meilleur effort du réalisateur après The Florida Project, beaucoup plus émouvant, mais il a un côté anti-establishment et la compassion mutuelle finale des deux personnages les plus bas de l’échelle sociale trouve sans aucun doute un écho auprès du public.
La cérémonie des Oscars a inévitablement mis en évidence les contradictions et les particularités des couches sociales qui y participent et la soutiennent. Il y avait une quantité plus que suffisante d’autosatisfaction et de glamour insensé, avec les inévitables doses d’ obsession raciale et de genre («le premier Dominicain-Américain à remporter un Oscar», «le premier Noir à remporter le prix des meilleurs costumes», etc.)
L’animateur puéril de la cérémonie de remise des prix, Conan O’Brien, a fait sa seule incursion dans la politique en «plaisantant» de manière acerbe, disant
Anora connait du succès ce soir […] C’est une excellente nouvelle… J’imagine que les Américains sont ravis de voir quelqu’un tenir enfin tête à un puissant Russe.
L’actrice chevronnée Daryl Hannah, dont on n’avait plus entendu parler depuis des années et qui était présente pour remettre le prix du meilleur montage, a clamé: «Slava Ukraini!» [Gloire à l’Ukraine!].
Étant donné la domination de longue date du Parti démocrate et de la politique d’identité à Hollywood, la victoire de No Other Land est d’autant plus significative. Le vote proprement dit avait eu lieu avant que Trump ne réintègre la Maison Blanche, même si le caractère général de sa nouvelle administration était déjà apparent. Il a donc été un rejet délibéré de la politique de Biden et Blinken, celle d’armer et encourager les tueurs de masse israéliens. Les événements se frayent un chemin dans la conscience des artistes les plus critiques, ainsi que des sections avancées de la classe ouvrière et de la jeunesse aux quatre coins du monde.
(Article paru en anglais le 4 mars 2025)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…