Par André Lacroix

Madame l’Éditorialiste en chef,

Chère Madame Delvaux,

Permettez-moi de vous faire part de ma déception à propos de votre édito du week-end intitulé : « Trump-Zelensky : le monde soudain sidéré, puis pétrifié : que va-t-il arriver ? » (1).  Appréciant généralement vos prises de position tant écrites que parlées, ma déception est grande.

Je regrette profondément qu’une journaliste de votre qualité se soit laissée aller à une réaction viscérale plutôt que rationnelle.  Rien que le titre est trompeur : qu’entendez-vous par « le monde », sinon les leaders de quelques pays, essentiellement européens (plus le Canada) ?

Pas plus que vous, je n’apprécie la vulgarité du personnage Trump, mais cela vous autorise-t-il à parler de « la folie de ce président américain qui ne sait même pas quand la guerre a commencé, qui ment sur l’identité de l’agresseur, et qui profite des morts ukrainiens pour se faire un butin » ?

La folie, d’abord.  Est-il vraiment opportun d’accuser de folie quelqu’un avec qui on n’est pas d’accord ?  Ce genre d’argument ad hominem ne devrait pas avoir sa place dans une publication sérieuse.

D’après vous, Trump « ne sait même pas quand la guerre a commencé ».  Vous paraissez ainsi ratifier la thèse selon laquelle la guerre a commencé le 24 février 2022.  Il s’agit là pour le moins d’une myopie historique, contraire à la déontologie journalistique impliquant de contextualiser les événements :

– viol de la promesse faite à Gorbatchev de ne pas étendre l’OTAN aux pays du défunt Pacte de Varsovie,

– coup d’État de Maïdan et formation d’un gouvernement ultranationaliste, faisant du russe une langue de seconde zone,

– sabotage des accords de Minsk,

– accroissement exponentiel des bombardements par Kiev sur les populations du Donbass dans la quinzaine qui a précédé le 24/02/2022.

Le mantra répété en boucle d’une soi-disant « unprovoked war » est une injure à l’intelligence.

D’après vous, Trump « ment sur l’identité de l’agresseur ».  Mais l’agresseur est-il nécessairement celui qui tire l’épée ou plutôt celui qui a provoqué l’affrontement ?  Selon la formule faussement attribuée à Montesquieu : « Il faut condamner celui qui fait la guerre, mais plus encore celui qui l’a rendue inévitable. »  Si, à la veille du 24/02/2022, les Occidentaux s’étaient engagés solennellement à refuser l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et s’ils avaient forcé Kiev à accorder un statut d’autonomie au Donbass au sein de l’Ukraine, Poutine n’aurait eu aucun motif de lancer son opération spéciale.

D’après vous, « Trump profite des morts ukrainiens pour se faire un butin ».  Même si, durant son premier mandat, Trump n’a rien fait de sérieux pour stopper le conflit, vous portez là une accusation gratuite, plutôt odieuse.  Ce sont les fournisseurs d’armes qui se font un butin.  Si les efforts actuels de Trump aboutissent, ils auront précisément pour conséquence de mettre fin à la boucherie sur le champ de bataille.

Libre à vous d’exprimer votre admiration pour Zelensky, le « seul homme d’État dans la pièce ».  À cette image d’Épinal, permettez-moi de préférer l’analyse du colonel suisse Jacques Baud : https://www.youtube.com/watch?v=OkcPB-iznAQ.  Pour ce véritable expert, Zelensky est plutôt un enfant gâté, à qui l’Occident a réservé tapis rouges et standing ovations ; mais quand le problème arrive, en l’occurrence le désengagement étatsunien, il n’est pas prêt à y faire face.

Un manque d’anticipation, largement partagé par les dirigeants européens et par la grande presse.   « Nous sommes sidérés, écrivez-vous, et envahis dans la foulée par la seule question qui s’impose désormais : quoi, maintenant ? »  Effectivement, il serait grand temps que nos dirigeants et que la presse cessent d’entretenir un climat d’hystérie collective en faisant croire à la menace russe.  Pas plus que Trump, Poutine n’est fou : à supposer même qu’il ait l’intention d’envahir l’Europe – quod non – il est suffisamment intelligent pour savoir que la Russie n’en a pas les moyens économiques, ni surtout les ressources démographiques. 

Plutôt que de chercher stupidement à faire perdre la Russie, une Russie qui a résisté à Napoléon et à Hitler, les Occidentaux ne seraient-ils pas bien inspirés de rechercher avec le Président de la Fédération de Russie comment garantir une paix durable en Europe, cette presqu’île du continent eurasiatique ?

Les sommes folles que nos gouvernements s’apprêtent à investir dans l’armement ne seraient-elles pas mieux utilisées dans des programmes sociaux et écologiques ?

Voilà le type de questions que j’aurais aimé voir posées  par mon quotidien préféré.

Veuillez agréer, chère Madame Delvaux, mes meilleures salutations.

André Lacroix,
vieil abonné du Soir

(1) https://www.lesoir.be/658715/article/2025-02-28/trump-zelensky-le-monde-soudain-sidere-puis-petrifie-que-va-t-il-arriver

Source : auteur via la liste Alerte Otan

Laisser un commentaire