ONU Info. Mai Shahin (à droite) et Elik Elhanan (à gauche), défenseurs de la paix, dans les studios d’ONUTV en janvier 2025.

Par ONU Info

Source : ONU Info

Deux personnes ayant combattu dans des camps opposés lors du conflit qui oppose depuis des décennies les Palestiniens et les Israéliens se sont rencontrées pour discuter de la manière dont les Juifs israéliens et les Palestiniens pourraient vivre côte à côte, dans la paix.<b/lockquote>

Il est difficile d’imaginer une paix durable compte tenu de la brutalité du récent conflit à Gaza, entre le Hamas et Israël. C’est pourtant l’objectif que s’est fixée une organisation de la société civile, « Combattants pour la paix » [Combatants for peace, en anglais].

Nominée pour deux prix Nobel de la paix, cette organisation est composée d’Israéliens et de Palestiniens qui, après avoir adhéré à la violence, se sont tournés vers la paix et le dialogue, seule solution pour panser les plaies des deux communautés.

Mai Shahin et Elik Elhanan, figurent parmi les membres de « Combattants pour la paix » qui ont été invités au Siège des Nations Unies à la fin du mois de janvier par le Bureau de l’ONU sur l’État de droit et les institutions chargées de la sécurité.

Mme Shahin, une militante palestinienne pour la paix et thérapeute ayant plus de 12 ans d’expérience dans la résolution des conflits, a combattu Israël lors de la deuxième Intifada, un soulèvement des Palestiniens dans les territoires occupés qui a débuté en 2000.

M. Elhanan est un universitaire au City College de New York. À la fin des années 1990, il a servi dans une unité des forces spéciales israéliennes. En 1997, sa sœur de 14 ans a été tuée à Jérusalem par un kamikaze.

Conor Lennon, d’ONU Info, a profité de leur passage à l’ONU pour les accueillir dans nos studios. Il leur a d’abord demandé si le dialogue entre les membres de « Combattants pour la paix » était devenu plus difficile, compte tenu de l’intensité du conflit entre Israéliens et Palestiniens.

Cet entretien a été édité pour des raisons de clarté et de longueur.

ONU Info. Mai Shahin (à gauche) et Elik Elhanan (à droite), défenseurs de la paix, dans les studios d’UNTV en janvier 2025.

Mai Shahin : Même s’il peut y avoir des désaccords, le dialogue a été un moyen de résoudre et de mettre fin à l’occupation pendant de nombreuses années. Il est donc normal pour moi d’être assise avec un autre être humain qui se trouve être juif israélien.

Elik Elhanan : « Combattants pour la paix » existe depuis un certain temps. Les attaques du 7 octobre 2023 et les violences et crimes contre l’humanité qui ont suivi à Gaza nous ont mis à l’épreuve. Mais ce n’était pas notre première épreuve de ce genre.

Nous essayons de trouver un moyen de communiquer et de dialoguer depuis 2005. Les conflits ne sont jamais absents, mais nous essayons de vivre avec et autour d’eux.

Au cours des 20 dernières années, cette communauté est devenue la mienne. Ce sont mes frères et sœurs. Ce sont mes pairs. Ce sont les personnes que je consulte lorsque j’ai besoin d’un conseil. Et ce sont les personnes vers lesquelles je me tourne lorsque j’ai besoin de soutien.

Je fais confiance à Mai et aux autres membres palestiniens. Nous pleurons pour deux communautés et nous nous battons pour deux communautés. Grâce à notre engagement de longue date, cela nous semble naturel.

Mai Shahin : Pour nous, il était très clair, même le jour même, que nous devions nous rencontrer. Aujourd’hui plus que jamais. En fait, le travail que nous faisions depuis tant d’années a porté ses fruits le 7 octobre.

Nous avons rapidement commencé à discuter de la manière d’apporter tout ce que nous avions appris et pour lequel nous avions travaillé, et de la manière de tenir notre discours devant les communautés israélienne et palestinienne. Il y a eu beaucoup de conversations et de réunions, beaucoup de chagrin et beaucoup de larmes.

© UNICEF/Eyad El Baba. Une voiture remplie d’effets personnels retourne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Le dialogue non-violent est l’une des stratégies les plus cruciales que nous utilisons au sein de « Combattants pour la paix ». Nous ne nous contentons pas de parler de politique; nous nous rapprochons profondément les uns des autres et nous laissons venir la douleur et le deuil.

En tant que Palestiniens, nous avons laissé la place aux militants israéliens qui allaient d’un enterrement à l’autre. Ils avaient besoin de venir avec leur frustration, leur colère, leur douleur et leur chagrin. Et nous avons compris que c’était le moment de montrer à nos communautés que la résistance non violente est en fait le seul moyen pour nous de vivre ensemble sur un pied d’égalité.

Elik Elhanan : J’étais à New York lors des événements du 7 octobre et j’étais terrifié pour les deux communautés.

Ma famille vient des kibboutzim du sud. Je connais des gens à Gaza. Beaucoup de nos membres ont des familles et des amis à Gaza et nous pouvions sentir que les représailles israéliennes seraient insensées, disproportionnées et criminelles. C’était terrible.

Je n’avais qu’un seul espoir : que les « Combattants pour la paix » survivent. Comme je l’ai dit, ce n’est pas notre première épreuve, mais c’est la pire. Il y a eu de nombreux moments où nous avons pensé que l’organisation ne survivrait pas à ce niveau d’atrocités.

C’est la capacité des membres, généralement du côté palestinien, à tendre la main qui a sauvé le mouvement. Ainsi, même dans les moments les plus sombres, une parcelle d’espoir subsiste.

J’ai perdu ma sœur en 1997 dans un attentat suicide du Hamas. Je connais bien ce côté du conflit et je sais que je suis l’agresseur de ce conflit. Je n’ai jamais pu trouver dans la société israélienne un lieu de pardon pour mes actes et une place pour mon chagrin.

Cependant, mes amis palestiniens de « Combattants pour la paix » ont été en mesure de me donner cet espace, et la peur de le perdre a été la pire peur que je n’aie jamais connue. Et la joie qui existe encore est certainement ce qui me donne de l’espoir au quotidien.

Elik Elhanan : Il n’y a pas eu de moment précis. Il a fallu du temps et de la patience, et le chemin a été semé d’embûches.

Après le meurtre de ma sœur, alors que j’étais en proie à la rage et à la douleur, des membres de mon unité et mon commandant m’ont rendu visite. Ils n’avaient rien à dire, aucune vision, si ce n’est plus de mort, plus de tueries.

Je me souviens très bien que des officiers de mon unité m’ont dit de m’en remettre rapidement et de revenir dans l’unité.

« Tu te sentiras à nouveau comme une personne à part entière. Nous allons au Liban. Tu te vengeras ».

Les Palestiniens qui ont tué ma sœur sont originaires de la région de Naplouse. En quoi le fait de combattre le Hezbollah au Liban va atténuer ma douleur ou racheter sa mort ? Quelle est cette vision d’un monde entièrement dominé par une violence insensée ?

Cette violence transactionnelle m’a déprimé plus que je ne saurais l’expliquer. J’ai vécu une sorte de dépression violente et colérique pendant de nombreuses années, jusqu’à la seconde Intifada.

Jeune étudiant à Paris, j’ai rencontré des étudiants palestiniens et nous avons commencé à travailler ensemble et à protester contre la violence. Nous avons insisté sur le fait que le dialogue et les négociations de paix fondées sur l’égalité et la justice n’étaient pas morts. C’est à ce moment-là que quelque chose s’est ouvert en moi.

Mai Shahin : Il y a 13 ans, j’ai eu la chance de rencontrer une communauté de Palestiniens et d’Israéliens qui avaient la vision et le rêve de vivre ensemble. C’était la première fois que je rencontrais des Israéliens normaux, qui n’étaient pas des militaires, qui n’enquêtaient pas sur moi et ne me terrorisaient pas aux points de contrôle.

J’ai commencé à réfléchir à ma propre histoire et j’ai réalisé que, même lorsque j’ai choisi la résistance violente, mon intention n’était pas de tuer.

Nous n’avons jamais rien eu contre le peuple juif ou la nation juive. Nous sommes contre l’occupation. Nous sommes contre l’oppression. Nous sommes contre le mur de séparation et les points de contrôle. Nos partenaires israéliens disent la même chose.

UNICEF/Eyad El Baba. Des enfants et leurs familles attendent à Al Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le feu vert pour commencer leur voyage de retour vers la ville de Gaza et les zones du nord, après 15 mois de déplacement.

Mai Shahin : Nous avons organisé une grande campagne de solidarité en août, et des membres de la Knesset se sont joints à nous. Nous espérons qu’il y aura davantage d’acteurs du changement en politique.

Elik Elhanan : Je dois préciser que les hommes politiques qui nous soutiennent dans le système israélien se situent à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Il s’agit des membres juifs et palestiniens du parti communiste et de la coalition qui l’entoure.

Malheureusement, dans le système politique israélien dominant, nous bénéficions d’un soutien silencieux important, mais peu d’entre eux ont le courage de nous soutenir ouvertement.

Je pense que c’est parce qu’ils croient que nous, Israéliens, avons besoin de plus d’unité, de force et de rassemblement.

Je pense que ce dont nous avons besoin, c’est d’une opposition fondée sur des principes. Nous le constatons dans la réaction populaire à notre travail, tant en Israël qu’en Palestine, et j’espère que les politicien(ne)s, tant en Israël que dans le reste du monde, nous suivront.

Mai Shahin : La véritable solution, c’est que tout le monde vive librement sur une même terre, comme en Amérique ou en Europe, avec des chrétiens, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des non-croyants qui vivent tous ensemble librement et dans le respect.

Elik Elhanan : La réalité change et les perspectives changent.

Au sein de « Combattants pour la paix », nous avons commencé à construire un langage politique commun pour que les Israéliens et les Palestiniens puissent fonctionner ensemble sous un système politique unique.

Cette expérience m’a changé. J’aime partager mon paysage politique avec les Palestiniens, avec leur expérience, leur intelligence et leur compréhension particulière de l’histoire et de la politique.

Nous n’avons pas de prise de position sur ce sujet. C’est un travail qui incombe à d’autres, peut-être à des personnes présentes dans ce bâtiment.

Nous sommes ici pour dire que la solution passe par la négociation et un processus de paix, et non par la violence, la guerre, le nettoyage ethnique et le génocide.

Tout vaut mieux que ce qui se passe actuellement.

Source : ONU Info
https://news.un.org/fr/…

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