Des Palestiniens revenus à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, après le retrait des forces israéliennes, tiraient des conteneurs d’eau en se servant de planches à roulettes, le 6 mai 2024. L’eau est essentielle pour répondre aux besoins vitaux des habitants, confrontés à des conditions de vie catastrophiques. © 2024 Ali Jadallah/Anadolu via Getty Images
Par Human Rights Watch
La privation d’eau généralisée imposée par les autorités israéliennes menace la survie des habitants de Gaza
- Les autorités israéliennes ont délibérément créé des conditions de vie visant à causer la destruction d’une partie de la population de Gaza, en privant intentionnellement les civils palestiniens de l’enclave d’un accès adéquat à l’eau, ce qui a probablement causé des milliers de morts.
- Ce faisant, les autorités israéliennes sont responsables du crime contre l’humanité d’extermination, et d’actes de génocide. La ligne de conduite des autorités israéliennes, ainsi que certaines déclarations suggérant que des responsables israéliens souhaitaient détruire les Palestiniens de Gaza pourraient constituer le crime de génocide.
- Les autres gouvernements et les organisations internationales devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir un génocide à Gaza, y compris en suspendant leur aide militaire, en réexaminant leurs accords bilatéraux et leurs relations diplomatiques avec Israël, et en soutenant la Cour pénale internationale et les autres initiatives pour rendre justice.
(Jérusalem, 19 décembre 2024) – Les autorités israéliennes ont intentionnellement privé les civils palestiniens de Gaza d’un accès adéquat à l’eau depuis octobre 2023, entraînant très probablement des milliers de morts et commettant ainsi le crime contre l’humanité d’extermination et des actes de génocide, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Dans ce rapport de 179 pages, intitulé « Extermination and Acts of Genocide: Israel Deliberately Depriving Palestinians in Gaza of Water » (« Extermination et actes de génocide : Israël prive délibérément d’eau les Palestiniens de Gaza»), Human Rights Watch a constaté que les autorités israéliennes ont intentionnellement privé les Palestiniens de Gaza d’un accès à l’eau potable et à l’assainissement nécessaires à la survie humaine élémentaire. Les autorités et les forces israéliennes ont d’abord coupé l’approvisionnement en eau courante à Gaza, puis l’ont restreint ; elles ont rendu la plupart des infrastructures d’eau et d’assainissement inutilisables en coupant l’électricité et en restreignant l’approvisionnement en carburant ; elles ont délibérément détruit et endommagé les réseaux d’eau et d’assainissement, ainsi que le matériel nécessaire à la remise en état de ces réseaux ; enfin, elles ont entravé l’entrée dans la bande de Gaza d’approvisionnements en eau cruciaux.
« L’eau est essentielle à la vie humaine, mais pendant plus d’une année, le gouvernement israélien a délibérément privé les Palestiniens de Gaza du minimum vital pour survivre », a déclaré Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Il ne s’agit pas juste de négligence, mais d’une politique délibérée de privation ayant entraîné des milliers de décès par déshydratation et maladie, ce qui constitue le crime contre l’humanité d’extermination et un acte de génocide. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 66 Palestiniens de Gaza, quatre employés de la Compagnie des eaux des municipalités côtières (Coastal Municipalities Water Utility, CMWU), 31 professionnels de santé et 15 employés d’agences des Nations Unies et d’organisations internationales d’aide humanitaire à Gaza. Human Rights Watch a également analysé des images satellite, des photographies et des vidéos réalisées entre le début des hostilités en octobre 2023 et septembre 2024, ainsi que des données collectées et des estimations fournies par des médecins, des épidémiologistes, des organisations humanitaires et des experts dans le domaine de l’eau et de l’assainissement.
Human Rights Watch a conclu que les autorités israéliennes ont intentionnellement créé des conditions de vie visant à causer la destruction physique des Palestiniens de Gaza, en totalité ou partiellement. Cette politique, infligée dans le cadre de la tuerie de masse de civils palestiniens à Gaza, signifie que les autorités israéliennes ont commis le crime contre l’humanité d’extermination, qui se poursuit actuellement. Cette politique correspond aussi à l’un des cinq « actes de génocide » prévus par la Convention de 1948 sur le génocide. L’intention génocidaire pourrait également être déduite de cette politique ainsi que de certaines déclarations de responsables israéliens suggérant qu’ils souhaitaient détruire les Palestiniens de Gaza ; c’est pourquoi cette politique pourrait constituer le crime de génocide.
Immédiatement après les attaques du 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël, menées par des groupes armés palestiniens de Gaza dirigés par le Hamas, dont Human Rights Watch a constaté qu’elles constituaient des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, les autorités israéliennes ont coupé l’approvisionnement en électricité et bloqué les livraisons de carburant à la bande de Gaza. Le 9 octobre, Yoav Gallant, alors ministre de la Défense, a annoncé un « siège complet » de Gaza en déclarant : « Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant, tout est fermé ».
Le même jour, et pendant plusieurs semaines par la suite, les autorités israéliennes ont entièrement coupé les réseaux de distribution d’eau et empêché le carburant, la nourriture ainsi que l’aide humanitaire d’entrer dans la bande de Gaza. Les autorités israéliennes continuent de restreindre l’entrée de l’eau, du carburant, de la nourriture et de l’aide humanitaire à Gaza et de couper l’électricité de Gaza, nécessaire au fonctionnement des infrastructures vitales. Ces restrictions ont perduré même après que la Cour internationale de Justice (CIJ) a émis des mesures conservatoires en janvier, mars et mai 2024, ordonnant aux autorités israéliennes de protéger les Palestiniens de Gaza contre le risque de génocide et, pour ce faire, de fournir de l’aide humanitaire, en précisant en mars que cela comprenait l’eau, la nourriture, l’électricité et le carburant.
Les autorités israéliennes ont également empêché l’entrée à Gaza de la quasi-totalité de l’aide humanitaire liée à l’approvisionnement en eau, y compris les systèmes de filtration de l’eau, les réservoirs et le matériel nécessaire à la réparation des infrastructures d’approvisionnement en eau.
Entre octobre 2023 et août 2024, la Compagnie des eaux des municipalités côtières de Gaza, les Nations Unies et d’autres sources ont indiqué que les habitants de Gaza n’avaient pas accès à la quantité d’eau minimum pour assurer la survie dans les situations d’urgence prolongée. Les Nations Unies ont signalé que les habitants du nord de la bande de Gaza n’avaient pas eu accès à l’eau potable pendant plus de cinq mois, de novembre 2023 à avril 2024. Si une étude sur l’accès à l’eau publiée en août a fait état d’une amélioration, la plupart des habitants n’avaient toujours pas un accès suffisant à l’eau pour boire et cuisiner.
Human Rights Watch a constaté que les forces israéliennes avaient délibérément ciblé et endommagé ou détruit plusieurs installations importantes d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène. Dans plusieurs cas, Human Rights Watch a recueilli des preuves que les forces terrestres israéliennes contrôlaient alors les zones concernées, indiquant que ces destructions étaient délibérées.
October 15, 2023: Image © 2024 Planet Labs PBC. Graphics and analysis © Human Rights Watch January 20, 2024: Image © 2024 Planet Labs PBC. Graphics and analysis © Human Rights Watch
L’anéantissement du système de santé de Gaza, y compris en ce qui concerne le suivi des données de santé, fait que les cas confirmés de maladies et de décès potentiellement liés à des maladies d’origine hydrique, à la déshydratation et à la famine ne sont pas systématiquement enregistrés ou signalés. Cependant, en s’appuyant sur des entretiens avec des professionnels de santé et des épidémiologistes, il est probable que les opérations des autorités israéliennes ont entraîné la mort de milliers de personnes. Ces décès viennent s’ajouter au plus de 44 000 personnes tuées directement dans les hostilités, selon les données du ministère de la Santé de Gaza.
Des centaines de milliers de personnes souffrent également de maladies et de problèmes de santé, notamment la diarrhée, l’hépatite A, des maladies cutanées et des infections des voies respiratoires supérieures, que l’insuffisance de l’accès à l’eau potable a probablement causés ou favorisés. La déshydratation est particulièrement dangereuse pour les nourrissons, les femmes enceintes ou qui allaitent, et pour les personnes handicapées.
Le crime de génocide implique de commettre des actes de génocide avec une intention génocidaire. La CIJ a indiqué que pour qu’une telle intention soit « inférée d’une ligne de conduite » d’un État, il faut que ce soit la « seule conclusion qui puisse raisonnablement être déduite » des actes en cause. Les constatations de Human Rights Watch, ainsi que certaines déclarations de responsables israéliens suggérant qu’ils souhaitaient détruire les Palestiniens de Gaza, pourraient indiquer une telle intention.
Human Rights Watch a également conclu que certaines déclarations de hauts responsables israéliens appelant à couper l’accès à l’eau, au carburant et à l’aide humanitaire, parallèlement à leurs actions, ont constitué des incitations publiques et directes à commettre un génocide.
Le blocus ininterrompu de la bande de Gaza par le gouvernement israélien, ainsi que le bouclage par Israël de l’enclave pendant plus de 17 ans, représentent également une punition collective infligée à la population civile, ce qui constitue un crime de guerre. Le bouclage s’inscrit aussi dans le cadre des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution que les autorités israéliennes continuent de commettre contre les Palestiniens.
Plusieurs gouvernements ont sapé les initiatives pour que des comptes soient rendus, et continuent à fournir des armes à Israël malgré le risque évident de se rendre complices de violations graves du droit international humanitaire.
« Les autres gouvernements ne doivent pas contribuer aux crimes graves que les responsables israéliens commettent à Gaza, notamment des crimes contre l’humanité et des actes de génocide, et devraient prendre toutes les mesures possibles pour empêcher davantage de souffrance », a conclu Tirana Hassan. « Les gouvernements qui arment Israël devraient stopper tout risque de complicité dans les atrocités commises à Gaza et agir immédiatement pour protéger les civils par un embargo sur les armes, des sanctions ciblées et en soutenant la justice. »
Source : HRW
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