Par Régis de Castelnau
Il est très difficile de savoir ce qui s’est exactement passé avec l’effondrement fulgurant du régime Assad. On ne sait pas quelles ont été les discussions, parce qu’il y en a eu, entre la Russie et la Turquie, la Russie et l’Iran, et qu’elle a été la position de la Chine dont il faut rappeler que l’Iran est une pièce essentielle des « Nouvelles routes de la soie ». Et bien sûr les contacts probables entre les Russes et Donald Trump. Ce qui est clair c’est que les Russes et les Iraniens ont lâché Assad et probablement pour plusieurs raisons. D’abord parce que son régime était complètement vermoulu, et que malgré tous les conseils, demandes et propositions il a refusé de négocier et de passer les compromis nécessaires. Et en particulier il n’a pas accepté que la Russie organise, entraîne et équipe son armée. Mais ensuite et surtout parce qu’ils ont intégré le changement décisif dans l’évolution du monde avec l’émergence des BRICS, le déclin de l’Occident et la catastrophe économique et politique de l’Union Européenne. Le Moyen-Orient n’est plus vraiment stratégique ni pour l’Hégémon, ni pour la triade Russie, Chine, Iran. Écoutons ce que dit Trump à ce propos sur son réseau personnel et en majuscules s’il vous plaît : « LA SYRIE EST UN DÉSASTRE, MAIS ELLE N’EST PAS NOTRE AMIE, ET LES ÉTATS-UNIS NE DEVRAIENT RIEN À VOIR AVEC ELLE. CE N’EST PAS NOTRE COMBAT. LAISSONS-LE SE DÉROULER. NE VOUS IMPLIQUEZ PAS ! » On dirait bien qu’il a vu l’opération des néocons de l’administration Biden partante. Plonger la Syrie et l’Ukraine (avec les autorisations de frappe dans la profondeur) dans le chaos, pour garantir que Trump reste impliqué au Moyen-Orient et en Europe centrale.
Aux observateurs à courte vue qui en Europe acclament la chute de Damas, comme un échec du couple russo-iranien on va répondre qu’ils se font probablement des illusions. Tout d’abord, malgré les provocations israéliennes, et alors qu’il en avait les moyens, l’Iran est resté extrêmement prudent. Ensuite on sait aujourd’hui que les Russes ont joué un rôle dans le retrait israélien du Liban et que ce sont eux qui ont demandé à l’Iran de rester mesuré. Interrogée par les Iraniens, la Chine a confirmé à Téhéran que la Russie était son partenaire en charge du Moyen-Orient. Il y a donc eu probablement concertation et entente stratégique sur le sujet.
Il y avait plusieurs raisons à cela, mais on peut en retenir deux.
Tout d’abord celle qui relève de l’évidence.
En détruisant méthodiquement tous les éléments qui auraient pu aider à la stabilité et en laissant Israël faire n’importe quoi, l’Occident collectif a réussi à faire du Moyen-Orient une poudrière inextricable et ingérable qui lui explosera à la figure. Créant une situation vis-à-vis de laquelle la catastrophe libyenne apparaîtra comme une aimable partie de campagne.
Finalement Russie et l’Iran n’ont pas (plus ?) l’intérêt stratégique majeur dans la région qui les obligerait de plonger encore plus en avant dans ce bazar. Pour la Russie, nous ne sommes plus en 2015, et le déclenchement de la guerre en Ukraine accompagné de ses réussites économiques et militaires dans le contexte de l’accélération des BRICS, ont fait du Moyen-Orient un théâtre secondaire. Et en intervenant en 2015, la Russie défendait ses propres intérêts et pas ceux du régime Assad.
Le Hypnotisé comme des coléoptères par la lumière, l’Occident voit toujours cette région du monde comme le réservoir de pétrole indispensable et reste asservi par les intérêts israéliens. Finissant par devenir aveugle à ses intérêts propres.
La première conséquence est la chute de Damas entre les mains de Daech, la seconde une fermeture probable à court ou moyen terme des bases russes en Syrie et la troisième une montée en puissance d’un intégrisme religieux radical et meutrier dans toute la Région méditerranéenne orientale. Avec évidemment les conséquences pour l’Europe que l’on craint déjà, à base de déplacements massifs de population et d’inévitable terrorisme. Dès que les USA vont se retirer, comme c’est voulu et prévu de Syrie et d’Irak, l’Europe va se retrouver seule avec ce clou enfoncé dans son flanc. Bon courage…
Il y a ensuite la deuxième raison, celle que l’on ne veut pas voir.
Pour les Russes l’Ukraine, n’est plus un problème existentiel il est désormais celui de l’Occident.
Il ne faut pas se tromper sur le sentiment d’une écrasante majorité du peuple russe au sujet de l’attitude des Européens de l’Ouest ! Le souhait russe né il y a plus de 200 ans avec cet occidentalisme particulier les poussant à vouloir être européens à part entière vient d’être enterré pour très longtemps, par les réactions hostiles et russophobes de l’Europe à propos de l’OTAN, de la Crimée, de l’OMS en Ukraine etc …
Le gouvernement russe est traité depuis 20 ans avec un mépris absolu par tous les dirigeants occidentaux pour lesquels la Russie se limite à une bande de moujiks habitant la Moscovie. Or les parties centrales et orientales de la Russie qui voient leur population croître pèsent de plus en plus dans le développement du pays. Et ceux-là ne sont pas européens.
Dans le même temps, la Chine est passée de 700 millions d’habitants pauvres, voire misérables en 1968 à une puissance 1,4 milliard d’habitants devenant la première économie du monde aujourd’hui. Il ne s’agit plus d’une petite météorite dérivant dans le ciel, mais d’une planète géante, fruit d’un bigbang économique stupéfiant et sans précédent. La force d’attraction d’un tel astre est évidemment considérable. Et le monde est ainsi en train de s’organiser en Asie.
Alors pour la Russie, puisque l’Europe ne veut pas d’elle, ce sera donc l’Asie. Ses débouchés, sa sécurité et surtout la paix qu’aujourd’hui l’Europe lui refuse. L’alliance avec la Chine offre un tampon sécuritaire bien plus fiable que l’Europe avec laquelle elle partage de surcroit moins de frontières. Et inversement, la puissance militaire, en industries lourdes, en ressources naturelles et agricoles de la Russie offre à la Chine des perspectives vitales.
Alors, dans ce contexte, à quoi servirait-il à la Russie de s’accrocher à la Méditerranée ? Elle n’y a plus guère intérêt stratégique et militairement elle a désormais une avance qui la protège. La démonstration du missile Oreshnik était un avertissement à l’Occident, que désormais la dissuasion avait changé et que c’était la Russie qui tenait le manche. Mais c’était aussi un message d’adieu à l’Europe, celle des von der Leyen, Macron, Scholz, Starmer et autres ébouriffantes nullités.
La Russie ne perd objectivement pas grand-chose avec l’irruption des djihadistes à Damas, tout comme elle n’a rien perdu avec ce qui s’est passé en Arménie. Son retrait forcera l’Occident collectif à occuper militairement et économiquement le terrain pour tenter de contenir et faire ce que finalement la Russie faisait gratuitement : assurer la sécurité de l’Europe.
Alors que celle-ci rêve toujours de lui faire la guerre.
Source : Vu du Droit
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