Prof. Carlos Ruiz Miguel. D. R.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Mohsen Abdelmoumen : Vous êtes juriste, professeur de droit constitutionnel et vous connaissez très bien le dossier du Sahara Occidental. Vous faites un travail très important pour la compréhension de ce dossier. Historiquement, le Sahara Occidental a-t-il appartenu un jour au Maroc ? Comment expliquez-vous les mensonges du royaume féodal marocain qui n’arrête pas d’affirmer que le territoire du Sahara Occidental lui a toujours appartenu ?

Pr Carlos Ruiz Miguel : La Cour internationale de justice a répondu clairement à cette question dans son avis consultatif rendu le 16 octobre 1975. La Cour a dit explicitement que le Maroc n’a jamais eu de souveraineté sur le Sahara Occidental. Certaines tribus, en fait les tribus les plus importantes (Reguibat et Oulad Delim), ont toujours été indépendantes. D’autres tribus (Tekna) qui étaient nomades dans la partie nord-ouest du territoire vivaient entre le Maroc et le Sahara Occidental et pour vendre leurs produits sur les marchés du sud du Maroc devaient prêter allégeance au sultan du Maroc, mais quand ils revenaient au Sahara Occidental ils ignoraient le sultan.

Vous avez déclaré que le changement de position du gouvernement espagnol vis-à-vis du Sahara Occidental a été fait en violation de l’article 97 de la Constitution espagnole. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Le changement de position de l’Espagne a été pris par le Premier ministre (président du gouvernement). Cependant, la politique étrangère n’est pas une compétence attribuée au Premier ministre espagnol par l’article 97 de la Constitution, mais au gouvernement, dont le Premier ministre n’est qu’un des membres. Le gouvernement n’a jamais voté ce changement.

Comment expliquez-vous le revirement de la France qui a opté pour le plan d’autonomie du Maroc, tout en sachant que la France est membre du Conseil de sécurité de l’ONU ? La position française n’est-elle pas contraire au droit international ?

Certes, la position de la France contenue dans la lettre envoyée par le président Macron à Mohammed VI est contraire au droit international, mais le vote de la France au Conseil de sécurité en octobre 2024 n’est pas conforme à la position de Macron et reste conforme au droit international.

Pourquoi le monde ferme-t-il les yeux sur l’occupation illégale du Sahara Occidental par le régime marocain ?

Ce n’est pas le «monde» qui ferme les yeux, mais certaines puissances qui soutiennent le Maroc : la France et les Etats-Unis clairement, et Israël, qui est extrêmement influent sur les Etats-Unis.

Pourquoi l’ONU n’arrive-t-elle pas à organiser un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui ? Quels sont les enjeux réels de l’occupation marocaine du territoire sahraoui ?

L’ONU n’a pas réussi à organiser un référendum parce que le Conseil de sécurité, où siègent la France et les Etats-Unis, n’a pas permis de prendre des mesures contre le refus du Maroc de se conformer à ses engagements internationaux.

Quelle analyse faites-vous de la dernière décision de la Cour de justice de l’Union européenne concernant les accords UE-Maroc ?

A mon avis, ces arrêts (car il s’agit de trois arrêts et non d’un seul) sont une victoire totale du peuple du Sahara Occidental et du Front Polisario. Nous pouvons prendre en considération une seule chose : la Cour a condamné la Commission européenne et le Conseil de l’UE à payer tous les frais de procédure engagés par le Front Polisario. Une telle décision n’est prise que lorsqu’une partie (le Polisario dans ce cas) gagne totalement un procès contre ceux qui sont obligés de payer les frais (la Commission de l’UE et le Conseil de l’UE à cet égard).

On a vu le scandale du Marocgate qui a secoué les institutions européennes avec une corruption systématique pratiquée par le régime marocain à l’endroit des politiciens européens. Selon vous, pourquoi les responsables marocains ne sont-ils pas jugés pour ces méfaits de même que les politiciens européens ? Au vu de ce scandale, peut-on encore parler d’un fonctionnement démocratique des institutions européennes ?

Plusieurs raisons semblent expliquer cette situation. Tout d’abord, certains juges semblent avoir renoncé à poursuivre les enquêtes qu’ils avaient lancées : corruption, chantage ? Ensuite, il semble que certains gouvernements européens aient négocié avec le Maroc pour «geler» les enquêtes. En échange de quoi ?

D’après vous, le Polisario ne doit-il pas se constituer partie civile pour défendre le peuple sahraoui dont les richesses ont été pillées pendant des décennies ?

Après les trois arrêts rendus par la Cour de justice de l’UE, la voie est ouverte pour poursuivre l’UE et demander des compensations concernant la mise en œuvre des accords déclarés contraires à la législation de l’UE. La décision de prendre cette mesure est une décision politique dans laquelle le Polisario doit tenir compte de nombreuses considérations.

Mon pays l’Algérie a toujours soutenu les causes justes, notamment celle du peuple sahraoui et celle du peuple palestinien. Comment expliquez-vous l’acharnement et les attaques quasi quotidiens que subit mon pays de la part du régime marocain ?

Les attaques marocaines contre l’Algérie ont, à mon avis, deux sources différentes. Tout d’abord, le Maroc rêve d’enlever à l’Algérie le leadership de l’Afrique du Nord. Deuxièmement, le Maroc joue le rôle d’outil de la France. La France n’a pas oublié ni pardonné à l’Algérie sa défaite dans la guerre de Libération algérienne.

Vous avez écrit un livre très important pour comprendre les véritables enjeux de la question sahraouie : El Frente Polisario : Desde sus orígenes hasta la actualidad (Le Front Polisario, depuis ses origines jusqu’à nos jours). Voyant que le dossier sahraoui traîne à l’ONU qui n’arrive pas à organiser un référendum, ne pensez-vous pas que l’option armée est la seule alternative du peuple sahraoui pour libérer son territoire ?

La guerre n’est pas nécessairement la seule, ni la première option, à mon avis. Les procédures devant la Cour de justice de l’UE montrent une autre alternative. Je ne me risque pas à dire laquelle est la plus efficace, ni laquelle devrait être prioritaire.

Les entreprises, surtout occidentales, qui ont participé au pillage des richesses du Sahara Occidental avec l’occupant marocain ne doivent-elles pas être condamnées ?

A ce stade, les entreprises qui ont opéré au Sahara Occidental dans le cadre des Accords de l’UE pourraient argumenter qu’elles ont opéré dans le cadre légal. Cependant, à partir de maintenant, si elles continuent à opérer au Sahara Occidental, elles risquent une plainte du Polisario qui pourrait les condamner.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est le Professeur Carlos Ruiz Miguel ?

Juriste espagnol, le Pr Ruiz Miguel enseigne le droit constitutionnel à l’Université de Saint-Jacques de Compostelle depuis 2001. Il est également titulaire de la Chaire Jean-Monnet de la Commission européenne.

Il a écrit plus de dix livres et des douzaines d’articles universitaires, dont beaucoup se rapportent au Sahara Occidental. Parmi eux citons El Sahara Occidental y España : historia, política y derecho : análisis crítico de la política exterior española (Le Sahara Occidental et l’Espagne : histoire, politique et droit : analyse critique de la politique étrangère espagnole). Plus récemment, il a coécrit El Sahara Occidental. Prontuario jurídico. 15 enunciados básicos sobre el conflicto (Le Sahara Occidental. Un aide-mémoire judiciaire. 15 énoncés de base sur le conflit), un ouvrage de référence dans l’étude du conflit. Il est également directeur du Centre d’études sur le Sahara Occidental de l’Université de Saint-Jacques de Compostelle. Il est l’une des références académiques sur le conflit du Sahara Occidental.

Source : auteur
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/…

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