Interview réalisée par Robin Delobel

Rony Brauman a été président de Médecins sans frontières de 1982 à 1994. Il est actuellement membre du Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (CRASH) de Médecins sans frontières. Une voix importante pour nous parler de la situation humanitaire à Gaza. Il n'hésite pas à affirmer et souligner l'importance d'utiliser les mots justes, le processus génocidaire en cours à Gaza.

Comment qualifiez-vous la situation humanitaire qui sévit à Gaza?

Cela s’aggrave tous les jours. Chaque fois on croit avoir touché le fond et tous les jours on voit que les Israéliens creusent un peu plus profond pour enfoncer plus encore la population palestinienne. Le plus frappant, c’est tous les records! Record des atrocités, des bombardements, record de destruction de bâtiments civils, record de morts de médecins, de journalistes, de sauveteurs, d’administrateurs, records d’enfants tués aussi. L’ONU rappelant qu’il n’y a jamais eu autant d’enfants tués dans une guerre au cours de ces trente dernières années qu’à Gaza actuellement.

On est dans un projet d’anéantissement de la société palestinienne, un processus génocidaire en cours et non seulement c’est abominable, non seulement ce qui se passe est absolument effroyable, mais en plus ce processus génocidaire, cette guerre d’anéantissement est soutenue par les démocraties occidentales à l’exception de quelques unes. Saluons-les parce qu’elles ont le mérite de l’avoir fait, comme l’Espagne, l’Irlande, la Norvège, ne mettons pas tout le monde dans le même sac. Mais ces pays sont manifestement impuissants à faire changer l’Union Européenne dans ses rapports avec Israël, impuissants à faire prendre les sanctions nécessaires qui permettraient d’arrêter le bras du bourreau, impuissants à protéger la cour pénale internationale (1), les manœuvres d’obstruction, de chantage, d’intimidation, de saturation judiciaire dont elle est l’objet.

De tous les côtés on voit une population cernée, agressée, enfoncée, nous sommes au balcon, nous voyons tout cela. Nous entendons des pays qui prétendent professer la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit, pourtant qui non seulement acceptent mais aussi soutiennent le processus de destruction. C’est une situation, pour moi, totalement inédite!

Vous parlez avec une certaine expérience.

Des guerres cruelles, du fait de mon parcours à MSF, j’en ai vues, directement et indirectement, comme mes collègues. Ce qui s’est passé en Syrie jusqu’à récemment, et encore aujourd’hui mais à moindre degré, ce qui s’est passé en Éthiopie, en Érythrée, ce qui se passe dans l’est du Congo. Tout ça, ce sont des situations terribles, effroyables. Elles sont, en quelque sorte, surclassées en intensité de violence par ce que fait Israël, et d’autre part, les pays qui se réclament de la démocratie condamnent-ils? Je ne sais pas s’ils tentent vraiment de s’y opposer, je ne crois pas. Au moins on peut attendre qu’ils n’encouragent pas le massacre et c’est bien cela qui se passe.

Comment font actuellement les Gazaouis pour s’alimenter ?

Ils s’alimentent très peu, ils se ruinent et il faut avoir à l’esprit que Gaza, en plus de tout ce que la population subit de la part des Israéliens, est au bord de la guerre civile. Des clans armés qui sont plus ou moins soutenus, en tous cas tolérés, regardés avec bienveillance par les Israéliens, pillent sans vergogne les quelques camions qui parviennent à rentrer à Keren Shalom ou dans l’autre point d’entrée qui a été récemment ouvert. Ces gens-là sont des profiteurs de guerre. Les Palestiniens sont des êtres humains, c’est une société avec ses crapules, ses salauds, comme toute société naturellement et ces gens-là profitent donc cyniquement du fait qu’ils peuvent avoir des armes alors que les policiers sont considérés par les Israéliens comme des activistes du Hamas, donc visés comme des “terroristes”. Si bien que les quelques tentatives de maintien de l’ordre de protection de ces convois donnent lieu à des attaques. Récemment encore, on a vu une escorte armée d’un convoi de vivres, être attaquée par les voyous palestiniens, ces clans, ces grandes familles, et également par les forces israéliennes qui soutenaient manifestement les bandits contre les policiers. Voilà la situation effroyable des Palestiniens qui, en plus, voient le danger dans les centres de regroupement de personnes déplacées qu’il y a dans le sud. Des fusillades ont éclaté, des manœuvres d’intimidation, des vols, dans cette situation de pénurie.

Les camions d’aide humanitaire, on le voit régulièrement, sont bloqués. On a parlé du gala ‘Israël is forever’ avec comme organisatrice une militante qui se vante de stopper les camions. Est-ce qu’il y a un progrès au niveau des camions d’aide humanitaire qui accèdent à Gaza ou pas spécialement ?

Non, il n’y a pas de progrès, je n’ai pas récemment eu connaissance d’attaques organisées comme celles auxquelles cette avocate, par ailleurs, se vante d’avoir contribué. Signalons au passage qu’elle tient ces propos en France, qu’elle fait l’apologie d’un génocide, d’actes de terreur, l’apologie de crimes contre l’humanité et qu’apparemment elle ne semble absolument pas inquiétée par les autorités françaises qui ne voient le terrorisme, la terreur, les apologies coupables que d’un seul côté et avec une marge d’interprétation particulièrement sévère tandis qu’elle n’en voit aucune de l’autre. Le mois d’octobre, et le mois de novembre qui s’achève maintenant ont vu des records de faiblesse de l’arrivée de convois de l’extérieur, humanitaires ou commerciaux d’ailleurs. Parce qu’il y a aussi des camions commerciaux mais ils sont de plus en plus rares et de toutes façons ils sont intégralement pillés. En plus de cela, les États-Unis interdisent le bâchage ou la couverture des biens, donc ces bandits qui attaquent les camions voient immédiatement ce qu’il y a dedans. Ils se saisissent de ce qu’il y a de plus précieux et le plus facilement monnayable, qu’il s’agisse de matériel médical, de médicaments, de vivres ou de biens de première nécessité, peu importe, tout ce qui est monnayable est saisi. L’arrivée de vivres se réduit puisque il y a de moins en moins de camions, de moins en moins de produits venant de l’extérieur.

Au niveau de l’aide médicale, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur qui intervient encore à Gaza ?

L’Unrwa est littéralement paralysée, ils n’ont plus le droit de se déplacer. Ils sont bannis du territoire, ils vont bientôt être considérés comme une organisation terroriste. Ils assuraient l’essentiel des soins de santé primaires et des programmes éducatifs et d’assistance sociale auprès des réfugiés palestiniens de Gaza. Je rappelle que les trois quarts de la population de Gaza sont administrativement, juridiquement, des réfugiés, déplacés internes si on veut, qui sont dans le champs de l’assistance de l’Unrwa. Jusqu’à preuve du contraire, elle est maintenant totalement marginalisée, les soins médicaux sont assurés pour l’essentiel par des équipes soignantes palestiniennes soutenues, comme c’est possible de le faire, par divers organismes. Par exemple MSF soutient plusieurs hôpitaux, plusieurs équipes médicales et chirurgicales palestiniennes. Le comité international de la croix rouge fait de même, le croissant rouge palestinien évidemment de la même façon. Il y a un minimum de soins mais quand je dis un minimum ce n’est pas une façon de parler. C’est dérisoire par rapport à l’ampleur, tous les jours il y a de nouveaux afflux de blessés. On en est à environ plus de 100 000 blessés. Aucun pays au monde ne pourrait faire face à cela alors qu’à peu près trois quarts, voire quatre cinquièmes des structures médicales palestiniennes ont été partiellement ou totalement détruites. Des équipes médicales sont menacées, par exemple un chirurgien orthopédiste palestinien qui travaillait pour MSF a été arrêté. Un autre orthopédiste très renommé, a été lui arrêté, on sait qu’il a été sévèrement battu, torturé, détenu dans un camps de torture dans le désert. Il y a des soins pour un certain nombre de gens qui ont la chance de pouvoir parvenir à un centre de santé encore un peu équipé, un hôpital où des blessures peuvent être opérées, où des pansements peuvent être appliqués, mais c’est pour une petite partie seulement de la population à cause de la destruction de la plupart des structures médicales et sanitaires, et du fait de la dangerosité des déplacements. Beaucoup de gens se sont fait tuer simplement parce qu’ils étaient sur une route, un chemin, et qu’ils ont croisé le regard, enfin la lunette, d’un soldat israélien dont on sait qu’ils tirent à vue dans toute la bande de Gaza, enfin dans tous les endroits où ils se trouvent.

Vous parlez de 100 000 blessés. Les chiffres du Hamas sont, en tous cas sur les télévisions françaises, régulièrement mis en doute, mais il y a aussi des chiffres qui parlent plutôt de 200 000 morts et d’une quarantaine de milliers de blessés. Que pensez-vous de ces chiffres ?

Les chiffres du Ministère de la santé sont aujourd’hui de 43 000 et cela augmente tout le temps, ce sont des chiffres qui sont mis en question par des relais propagandistes d’Israël, mais qui sont authentifiés autant que faire se peut. Il y a toujours une marge d’incertitude, d’ailleurs dans les deux sens, y compris dans le sens plutôt maximaliste. Il y a une marge d’incertitude, il y aurait beaucoup plus de morts, disons que si on additionne ces morts-là, qui sont des morts enregistrés, ce sont des cadavres identifiés et répertoriés un par un. Les gens qui mettent ces chiffres en doute sont des négationnistes pur et simple. Il est absolument certain qu’il y en a beaucoup plus, combien en plus, ça je serais bien en peine de le dire. Ce sont des spéculations, 10 000, plusieurs dizaines de milliers, c’est très possible. Les décombres ne livreront jamais entièrement leurs secrets. Il y a des familles entières qui ont été littéralement dévastées, totalement ravagées par des bombardements qui ont détruit l’immeuble dans lequel ils étaient, ils ont été totalement enfouis. On peut parler de 70 000, 80 000, en mort directe, c’est-à-dire tués par bombardement, c’est peut-être ça l’ordre de grandeur. Il faut évidemment ajouter les gens qui meurent de maladie dont le traitement est interrompu. Cela s’additionne parce que ce sont des dommages indirects de la guerre mais directement en rapport avec celle-ci, parce que ce sont des morts qui ne se seraient pas produites si les évènements qui l’ont causée n’avaient pas eu lieu. Là aussi c’est par dizaines de milliers, d’où cette première estimation qui a été publiée il y a quelques semaines de cela, de 180 000 à 190 000 morts, qui est plausible mais sur laquelle j’avoue ne pas me prononcer.

Ce qui est certain c’est que c’est une boucherie, un carnage ! Tous les éléments constitutifs d’un génocide sont là, aussi bien le discours israélien, que les pratiques de l’armée israélienne, de famines organisées, de conditions élémentaires de survie, de tuerie de masse, de tirer librement sur tout ce qui bouge, tout cela est constitutif d’un génocide. Il est important de prononcer ce mot ! Pas parce que mourir d’un génocide serait plus grave en soi que de mourir d’une autre forme de crime contre l’humanité mais parce que le génocide fait l’objet d’une convention juridique signée par tous les États de la planète qui s’engagent à réprimer les auteurs des actes de génocide mais aussi à prévenir ! C’est la grande leçon de la Seconde Guerre mondiale, de la Shoah. Il ne suffit pas d’attendre que le génocide soit accompli pour pleurer sur les tombes ou ce qui tient lieu de tombes. Il y a une obligation morale, juridique et politique de tout faire pour prévenir ce génocide. D’où l’importance de mettre en avant cette notion et pas de la fabriquer artificiellement, de constater qu’aussi bien les historiens, y compris un nombre important d’historiens israéliens, notamment des spécialistes de la Shoah mais également un grand nombre de juristes, spécialistes de droit international, de droit pénal international, qui endossent, qui reprennent à leur compte cette qualification de génocide. Il ne s’agit pas d’une insulte lancée à tout va pour embêter les Israéliens mais un diagnostic, à la fois juridique, éthique et politique, d’une situation qui est intolérable et dont se rendent complices tous ceux qui auraient les moyens d’agir pour empêcher son développement, pour empêcher son extension, c’est-à-dire, notamment, les États qui ont des relations commerciales, diplomatiques, de haut niveau avec Israël et qui les maintiennent, en dépit des atrocités commises par cet État, d’où l’importance de cette dénomination.

Le débat est difficile en France mais, comme vous le dites, ce n’est pas un débat, c’est une qualification, pourtant il ne peut pas être prononcé. L’agitation politico-médiatique en France est plutôt dans le soutien au génocide comme on l’a vu avec le match de foot France-Israël.

C’est insensé, trois présidents de la République pour manifester leur solidarité avec l’équipe d’Israël dans ce match. Sarkozy et Hollande qui se sont joints à Macron, on n’est pas étonnés, se sont des pro-Israël farouches, assumés, Hollande qui a chanté ‘La vie en rose’ avec Netanyahou dans sa résidence privée, en jugeant utile de se faire filmer pour ça. Il n’y a pas lieu de s’étonner, Sarkozy est un néo-conservateur dont les penchants pour Israël ne sont pas secrets non plus. Cette situation est obscène ainsi que le fait que le gala ait été autorisé. Imagine-t-on un gala en faveur du Hamas et du Jihad islamique à Paris pour vanter la résistance palestinienne ? Il serait interdit avant même que l’on ait eu le temps d’ouvrir la bouche.

Vous dites bien qu’il s’agit d’historiens, de juristes, même israéliens, qui font ce constat-là et pourtant de la part de la grande majorité des médias, on voit un manque de sérieux et trop souvent le relais de la communication israélienne.

Moi je fais une différence que j’avais déjà notée, par exemple lors de la situation conflictuelle antérieure qu’a été la guerre de Libye, en 2011, où l’on voyait déjà une très grande différence entre les reporters, les journalistes qui rapportent des faits de terrain et, grosso modo, les éditorialistes et les rédacteurs en chef qui sont là pour diluer, trouver un mot qui neutralise une partie de l’article, etc. Je constate, en tous cas pour les journaux que je lis, de la presse disons traditionnelle, Le Monde et Libé pour ce qui me concerne, je trouve que notamment Le monde fait un travail remarquable, particulièrement ceux qui font du check news, qui vérifient les rumeurs, les insertions. Mais il est vrai que dans l’ensemble, de fait, les éditorialistes sont toujours marqués par un penchant pro-Israël que j’interprète comme la résultante de plusieurs facteurs.

L’un c’est le succès de l’imposition du qualificatif ‘démocratique’ à Israël, toujours décrite, depuis bien avant la création, comme un bout d’Europe implanté au Proche Orient. Les Européens se reconnaissent dans ce bout d’Europe implanté hors d’Europe. On peut appeler ça colonisation, impérialisme, en tous cas c’est écrit par les premiers concernés comme étant un morceau d’Europe, avec ses valeurs, ses modes de vie, ses usages, et donc les relations qui sont censées aller avec tout ça.

On a beau être un État colonial pratiquant l’apartheid, des crimes contre l’humanité, la détention arbitraire, la censure etc., il reste qualifiée de seule démocratie du Proche Orient. Il y a là une espèce d’acharnement idéologique qui est une des grandes victoires politiques d’Israël et de Netanyahou. La deuxième chose c’est qu’Israël est le fer de lance de la lutte contre le terrorisme depuis le 11 septembre, depuis le début des années 2000.

Et pour ce qui est de la France plus spécifiquement, il y a deux fantômes qui sont penchés sur les épaules des décideurs politiques, c’est celui de la guerre d’Algérie et celui de la loi anti-juifs de Pétain. Les deux jouant dans le même sens, règlement de compte avec les Arabes, et crainte (peut-être feinte et/ou surjouée, c’est tout à fait possible) d’être traité d’antisémite. À part ‘antisémite’, il y a ’pédophile’ et ’nazi’ qui sont les insultes équivalentes. Au-dessus, il n’y a pratiquement plus rien. Voilà comment j’explique à grands traits ce penchant pro-Israël mais j’insiste sur le fait qu’il faut quand-même faire du tri dans cette éthique, parce que sinon ce serait vraiment décourager des journalistes qui se battent pour faire un travail honnête et il y en a, et ils y arrivent quand-même.

Vous parlez de la France et il y a un projet de loi qui risque d’être extrêmement répressive initié par la députée Yadan, qui a été signé notamment par F. Hollande pour criminaliser l’anti-sionisme.

C’est une vieille histoire, déjà à l’époque de Dominique de Villepin, en dépit de ses positions tout à fait salutaires du moment, Dominique de Villepin avait commandité à l’écrivain et médecin Jean-Christophe Rufin un rapport sur l’anti-sionisme. Ce rapport se concluait par une proposition de sanctionner juridiquement l’anti-sionisme comme étant le déguisement de l’antisémitisme, c’est un rapport que d’ailleurs le CRIF avait publié sur son site, c’est dire si à l’époque il était content du premier ministre. Je pense que malgré tout elle ne passera pas, qu’elle sera sanctionnée, mais on voit que la défaite de Meyer Habib, par cette députée, (puisque qu’elle lui succède), n’est en rien un gain pour la clarté des débats, pour la démocratie, pour la justice. Elle est en parfaite continuité avec ce voyou fascisant qu’est Meyer Habib.

Il n’y a pas un risque que cette loi passe ?

Je me fais peut-être des illusions, je suis peut-être dans ma bulle, mais je pense qu’avec le déchaînement de violence aveugle dont Israël fait preuve à Gaza et maintenant au Liban, ce qui semble un peu plus affecter nos dirigeants, va quand-même interdire d’assimiler la critique d’Israël à de l’antisémitisme ou même de l’antisionisme, il faut quand même rappeler que le sionisme est une opinion surtout quand on voit le nombre d’Israéliens, certes en proportion ils ne sont pas nombreux mais quantitativement tout de même c’est significatif, le nombre d’Israéliens qui se déclarent antisionistes, non sionistes, en rupture avec le sionisme ou tout simplement le nombre de juifs, j’en fais partie, qui se déclarent non sionistes voire antisionistes.Ça va quand même être dur à faire passer, je ne pense pas que cette pilule-là puisse être avalée, j’espère ne pas me tromper.

Par rapport au Liban, on aurait pu croire qu’après avoir assassiné une série de leaders du Hezbollah et du Hamas, Netanyahou allait diminuer les attaques, les assassinats, mais, malgré ça, cela n’a pas diminué du tout.

Ça continue de plus belle et cela montre ce qu’est le fondement même de la politique israélienne c’est de dire notre sécurité ne dépend pas de la paix, il n’y aura jamais la paix avec des gens que nous avons volés, dépossédés, dépouillés et chassés. Ils en sont convaincus, ça a été dit explicitement à plusieurs reprises, notamment par Dayan dans un célèbre discours qu’il a prononcé en 56 “notre existence ne dépend que de notre capacité d’intimidation, de destruction, de notre force active”. Je pense qu’ils font au Liban ce qu’ils font à Gaza, c’est-à-dire, restaurer leur pouvoir de dissuasion qui est en fait leur pouvoir d’infliger la terreur et l’anéantissement partout.

“La prochaine fois que vous voudrez tirer un missile, vous y penserez à deux fois”, voilà quelle est la logique dans laquelle se trouvent engagés les Israéliens depuis très longtemps et à un niveau paroxystique cette fois-ci.

Aujourd’hui, au moment où nous parlons, un émissaire américain se trouve à Beyrouth pour tenter d’infléchir les uns et les autres, tenter d’obtenir un cessez le feu au Liban, mais de toutes façons le carnage continue à Gaza.

À un moment ou un autre, la guerre au Liban va s’arrêter mais rien ne dit que la bande de terre à la frontière nord d’Israël va être entièrement vidé de son occupation israélienne. Certains veulent y implanter des colonies comme en Cisjordanie, même là on ne sait pas exactement ce qui se passe mais imaginer que l’assassinat de Nasrallah allait mettre un terme à l’attaque israélienne au Liban c’était en fait s’illusionner. C’est facile à dire après mais je pense que c’était prévisible qu’ils n’allaient pas s’arrêter là, maintenant ils s’attaquent au soutien du Hezbollah, donc au soutien du soutien du Hamas, donc par cercle concentré que l’on élargit toujours un peu plus, la zone sur laquelle il faut frapper, la zone de destruction disons, légitime, selon Israël, et c’est ce qu’il se passe au Liban et se qu’il se passe également en Syrie où des attaques répétées ont eu lieu y compris à Damas.

Par rapport au droit international, est-ce que vous pensez que le fait de qualifier de génocide, avec les instances internationales onusiennes, peut ralentir Israël, amener à une solution vers la paix ?

C’est ce qui m’anime dans les différentes démarches auxquelles je suis amené à contribuer pour tenter de faire quelque chose pour les Palestiniens. Pour l’instant cela ne change absolument rien parce que Biden a exclu la suspension des livraisons d’armes après une enquête du département d’État, qui a montré que les armes et les munitions livrées par les États-Unis à Israël étaient utilisées conformément au règlement et au droit international, au droit américain, donc ce qu’il se passe actuellement à Gaza, en Cisjordanie et au Liban, est conforme au droit tel que les Américains se le figurent. Je ne peux pas dire que je vais tomber de ma chaise en entendant ça, on s’y attendait tous, il n’empêche que quand les mots sont là, quand l’autorisation de poursuivre les livraisons d’armes est explicitement accordée, on est encore un peu plus accablés. Les Américains ont des monceaux de cadavres sur les bras dans leur histoire, donc cela ne nous étonne pas. Leur mépris eu égard au droit international n’a d’égal que le mépris des Israéliens pour le droit international, mais c’est leur propre droit qu’ils piétinent parce que ce n’est pas le droit international. C’est leurs propres dispositifs juridiques sur lesquels Biden s’assoit, sur lesquels Trump va évidemment s’assoir, peut-être plus lourdement encore que Biden, mais ce ne sera qu’une affaire de nuance. La crédibilité politique des démocraties occidentales dans leurs affirmations sur l’importance du droit humanitaire, de la compassion et du droit international, tout ça a volé en éclat. Tout cela est sous les décombres de Gaza. Tout le monde ne pourra éclater que d’un triste ricanement en entendant évoquer ces belles notions de droit humanitaire.

Quel est le poids du rapport de Human Rights Watch, un élément en plus dans le dossier ?

Oui, mais je regrette qu’ils se soient contenté de parler de purification ethnique qui est une notion vague, assez creuse. Je suis étonné qu’une organisation de juristes, que j’estime par ailleurs, se soit focalisée sur une formulation qui est creuse sur le plan juridique. Mais on peut considérer aussi que la purification ethnique, ça a été dit d’ailleurs par des juristes au sujet de la Bosnie, de Srebrenika, qu’elle est c’est l’antichambre du génocide. C’est un moment dans un processus qui conduit droit au génocide. Si on le prend comme ça, on peut effectivement rapprocher les différentes positions, Amnesty International va sortir prochainement aussi des conclusions qui vont dans ce sens-là. Tout cela compte.

(1) interview réalisé le 18 novembre, trois jours avant la décision de la CPI


Source :Moyen-Orient

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Source : Investig’action
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