Par Haidar Mustafa 

La vague de manœuvres de déstabilisation de l’ennemi est passée cette semaine du Liban à la Syrie, avec une nuée d’extrémistes soutenus par des puissances étrangères s’introduisant à Alep. Israël a prévenu que la Syrie serait la prochaine cible, mais les militants peuvent-ils accomplir aujourd’hui ce qu’ils n’ont pas réussi à faire depuis près d’une décennie ?

Par Haidar Mustafa 

Source : The Cradle, 30 novembre 2024

Traduction : lecridespeuples.substack.com

Lors de l’annonce de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a lancé une menace explicite au président syrien Bachar al-Assad, le mettant en garde contre le fait de « jouer avec le feu ». Ces paroles ont précédé de quelques heures à peine une offensive-éclair menée par des factions armées terroristes d’Idlib contre des positions de l’armée syrienne dans la zone de désescalade située dans la campagne occidentale d’Alep. L’opération, menée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), incarnation rebaptisée du Front Al-Nosra — filiale syrienne d’Al-Qaïda — dirigée par Abu Muhammad al-Julani, inclut également d’autres organisations terroristes internationales telles que le Parti islamique du Turkestan (PIT).

L’armée se prépare à contrer l’agression

Le matin du 27 novembre, des groupes extrémistes armés ont lancé des attaques violentes contre des positions de l’armée syrienne près du 46e régiment, en direction des villages d’Orem al-Kubra, Orem al-Sughra, Basratun, Anjara, et des zones environnantes, à proximité de l’autoroute M5 reliant Alep, Hama et Damas.

Lors de cette première attaque surprise, dans le cadre d’une opération appelée « Dissuasion de l’agression », les militants ont pu pénétrer dans plusieurs villages évacués par les forces syriennes se préparant à contenir cette brèche, qui constitue une violation flagrante des accords de désescalade de 2019 conclus entre la Turquie, la Russie et l’Iran.

L’ampleur des combats s’est rapidement étendue à la route internationale et à la ville d’Alep. Une source sécuritaire turque, citée par Middle East Eye — média financé par le Qatar —, a affirmé que l’objectif de l’offensive militaire menée par HTS et ses alliés était de reconquérir les positions perdues au profit de l’armée syrienne, soutenue par la Russie, lors des batailles de 2017 à 2020.

Les militants soutiennent que les « violations » des accords de désescalade par les armées syrienne et russe, ainsi que l’intensification de leurs frappes sur Idlib, ont motivé ces opérations militaires visant à reprendre le contrôle de ces zones. Selon eux, le recul de l’armée syrienne dans la campagne occidentale d’Alep a renforcé leur détermination à lancer des attaques supplémentaires en direction des zones rurales à l’est d’Idlib.

En trois jours, les groupes extrémistes armés ont atteint le cœur d’Alep et imposé un couvre-feu de 24 heures. Alors que les affrontements s’intensifiaient, les forces aériennes syriennes et russes ont lancé une série de frappes massives contre les positions et lignes d’approvisionnement de HTS et des militants turkestanais à Darat Azza, Al-Atareb, Sarmin, et d’autres localités. Ces frappes, toujours en cours, ont infligé des pertes lourdes aux factions extrémistes : plus de 200 combattants du HTS et d’autres groupes armés ont été tués, selon plusieurs sources médiatiques [au 5 décembre, il y aurait plus de 2 000 tués dans les rangs des terroristes].

L’escalade des frappes aériennes a ralenti, dès jeudi matin, l’avancée de HTS sur le terrain, le groupe ayant subi des pertes humaines et matérielles importantes. Des renforts massifs, comprenant troupes syriennes et équipements, sont arrivés dans la zone de confrontation principale, s’étendant sur plus de 26 kilomètres à l’ouest d’Alep. Selon l’expert militaire Haitham Hassoun, l’armée syrienne s’est repliée sur des lignes de défense arrière, à une profondeur de 7 à 8 kilomètres, en préparation d’une contre-attaque pour rétablir le statu quo.

Une offensive longtemps planifiée

En réalité, l’opération de HTS n’a rien de spontané : elle est le fruit de plusieurs années de préparation orchestrées par les services de renseignement américains et turcs pour unifier les factions extrémistes du nord de la Syrie. Ce projet, supervisé directement par l’armée turque, visait à rassembler les groupes militants d’Idlib et de la campagne d’Alep, et à confier le pouvoir décisionnel principalement à deux entités : la soi-disant Armée nationale syrienne (ANS), fidèle à Ankara, et Hayat Tahrir al-Sham, affilié syrien d’Al-Qaïda.

Dans ce regroupement d’organisations terroristes figurent également les groupes djihadistes turkestanais et ouïghours, principalement utilisés comme forces de frappe lors d’opérations militaires spécifiques, répondant largement aux intérêts de leurs bailleurs de fonds américains et turcs.

L’expert militaire, le général de brigade Haitham Hassoun, affirme que les préparatifs de cette opération ont commencé « il y a longtemps » et que les groupes participants ont établi une salle d’opérations commune il y a environ un mois et demi. Il estime que les militants ont profité d’opérations médiatiques de « désinformation » et de guerre électronique menées par les services de renseignement turcs pour dissimuler leurs intentions et leurs mouvements. Ces efforts ont été appuyés par les forces d’occupation turques en Syrie dans les jours précédant l’offensive de choc. Les militants ont également bénéficié de renseignements sophistiqués qui leur ont permis d’exploiter les failles existantes sur le terrain et d’identifier les vides dans les positions de l’armée syrienne, ce qui a conduit à cette brèche et à une confusion dans les lignes de défense.

Qui a pris cette décision, et quel est l’objectif ?

Les scènes actuelles à Idlib et à Alep rappellent aux Syriens une période qu’ils pensaient révolue, après la libération d’Alep en 2016 et les accords de désescalade de 2019. Cependant, ces accords, obtenus de haute lutte, sont toujours restés fragiles, car la Turquie n’a jamais respecté ses engagements de débarrasser la zone de l’autoroute M5 des groupes terroristes. Le militantisme dans le nord de la Syrie sert les intérêts d’Ankara, qui cherche à maintenir la pression sur Damas. Cela explique également l’opération armée de cette semaine, une action par laquelle les Turcs espèrent pousser le gouvernement syrien à négocier sous le feu, en particulier si les extrémistes armés réinvestissent Alep ou coupent l’importante route internationale.

D’un autre côté, un des objectifs de cette opération pourrait être lié à la décision des États-Unis de maintenir un état de conflit dans la région et de rediriger la pression vers la Russie et ses alliés régionaux avant le retour du président élu Donald Trump à la Maison Blanche.

Comme l’ont souligné de nombreux commentateurs, cette opération militaire a été déclenchée dans la foulée des menaces explicites formulées par Netanyahu dans son discours cette semaine. Elle semble s’inscrire dans le cadre de la guerre régionale menée par Israël, avec pour objectif de couper les voies syriennes utilisées par les membres de l’Axe de la Résistance. L’offensive semble avoir été coordonnée avec la Turquie, membre de l’OTAN, sous la supervision des autorités d’occupation turques et de leurs services de renseignement, qui soutiennent depuis des années divers groupes extrémistes dans le nord de la Syrie.

D’après une estimation préliminaire, cette situation marque un retour à l’avant-2019, une réinvasion visant à saper les acquis du processus de paix d’Astana. Une réponse tout aussi audacieuse et inattendue s’impose donc : une contre-offensive militaire syrienne. Celle-ci ne devrait pas seulement reprendre les positions perdues récemment, mais avancer de manière décisive jusqu’à Darat Izza, puis au poste-frontière de Bab al-Hawa avec la Turquie. Cela permettrait de couper les routes de communication des militants entre les régions d’Alep et d’Idlib et de rétablir le contrôle gouvernemental sur l’ensemble des gouvernorats.

Ce qui a commencé comme une offensive éclair pourrait offrir une opportunité de mettre fin à l’état de vide dans le nord du pays à l’issue de la guerre syrienne. Cela fournirait également à Damas et à ses alliés un moyen d’éviter des accords de désescalade infructueux et donnerait à l’État syrien une justification légitime, légale et morale pour libérer tous les territoires occupés par des organisations terroristes.

En attendant, l’ouest d’Alep et l’est d’Idlib demeurent des champs de bataille actifs. Toutefois, selon des sources bien informées, il est peu probable que les militants conservent longtemps leur position avantageuse, pour plusieurs raisons essentielles :

  1. L’arrivée imminente de renforts militaires syriens massifs dans la région, qui empêcheront Alep de rester entre les mains d’extrémistes soutenus par l’étranger.
  2. La probabilité réduite pour ces groupes, soutenus par les États-Unis et la Turquie, d’atteindre leurs objectifs aujourd’hui, en raison des bouleversements politiques et économiques majeurs en Europe, qui craint une reprise du conflit syrien et un nouvel afflux de réfugiés à ses frontières.
  3. Le retour de Damas dans le giron arabe grâce à sa réintégration dans la Ligue arabe et à son accueil par plusieurs États du Golfe. Ces capitales ne souhaitent plus soutenir les djihadistes, relancer la guerre ou déstabiliser les voisins immédiats de la Syrie, comme le Liban et l’Irak, à ce moment précis. Elles ne souhaitent pas non plus rouvrir la scène militaire syrienne à la présence de conseillers ou de forces iraniennes.

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Source : Le Cri des Peuples
https://lecridespeuples.fr/…

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