Illustration : The Cradle
Par Haîdar Mustafa
La mission de la coalition américaine contre l’État islamique s’est rapidement transformée en une stratégie plus large d’occupation de certaines parties de la Syrie, la base d’Al-Tanf étant cruciale pour sécuriser son influence et soutenir les intérêts israéliens sur fond de résistance locale croissante.
Par Haîdar Mustafa (revue de presse : The Cradle – 2 décembre 2024)*
Le 10 septembre 2014, les États-Unis ont annoncé la formation d’une coalition internationale avec la participation de 86 pays pour éradiquer le groupe terroriste État islamique qui avait déclaré l‘instauration d’un “califat” à la fin du mois de juin.
Les opérations de la coalition ont commencé en Syrie et en Irak au début de l’année 2015. Cependant, ce qui s’est déroulé était bien plus qu’une simple campagne contre le terrorisme : ces opérations ont servi de vecteur à la progression des ambitions stratégiques des États-Unis en Asie occidentale – y compris l’établissement de bases militaires illégales pour s’assurer une influence et des ressources dans l’est de la Syrie, principalement pour protéger les intérêts de son principal allié, Israël.
Exploiter la guerre à des fins de gains géostratégiques
Washington a exploité la campagne anti-État islamique pour poursuivre des objectifs géostratégiques plus larges, en déployant environ 2 000 soldats en Syrie – une occupation en violation du droit international et de la souveraineté syrienne. En 2016, les forces américaines ont imposé leur présence à Al-Tanf, une base stratégique essentielle située dans la zone des trois frontières entre la Syrie, l’Irak et la Jordanie. Cette position, au sud de l’Euphrate, surplombe une voie d’approvisionnement vitale entre Téhéran, Damas et Beyrouth, que les États-Unis jugent déterminante pour contrôler la région.
La base d’Al-Tanf a été initialement implantée en 1991 avant la deuxième guerre du Golfe, réactivée lors de l’invasion de l’Irak en 2003, puis fermée après que les forces américaines ont renforcé leur contrôle en Irak. Elle a été rouverte en 2016 après le départ de l’État islamique de la région.
Depuis, Al-Tanf a servi non seulement de base d’entraînement pour les combattants de Maghawir al-Thawra, soutenu par la CIA, mais aussi de pierre angulaire d’intérêts américains plus larges, comme l’a noté le colonel Daniel Magruder Jr. dans un rapport de 2020 de la Brookings Institution intitulé Al Tanf garrison : America’s strategic baggage in the Middle East [La garnison d’Al Tanf: le bagage stratégique de l’Amérique au Moyen-Orient].
Selon Magruder, Al-Tanf était censée faciliter la lutte incessante contre l’État islamique, contrer les activités iraniennes et maintenir un effet de levier dans les négociations sur l’avenir de la Syrie.
Cependant, le rôle de la base allait bien au-delà de ces objectifs déclarés. Les forces d’occupation américaines à Al-Tanf se sont engagées dans des opérations de renseignement offensives et défensives tout en soutenant des groupes armés contre le gouvernement syrien.
La base a servi de plaque tournante au Military Operations Center (MOC), un dispositif commun à plusieurs États visant à coordonner les activités militaires dans le sud de la Syrie, pour in fine porter atteinte à la souveraineté syrienne et à ses alliés.
Le véritable objectif stratégique : une zone tampon pour Israël
Au-delà de son rôle militaire, la position stratégique d’Al-Tanf soutient le projet d’une zone tampon sous contrôle impliquant le camp de réfugiés de Rukban, situé à proximité. L’expert militaire, le général de division Muhammad Abbas, a déclaré à The Cradle que cette zone aiderait les objectifs américains et israéliens en créant un barrage physique entre la Syrie et l’Irak.
La base favorise également les opérations israéliennes dans l’espace aérien syrien, en fournissant un appui logistique aux missions de l’armée de l’air qui contournent les défenses aériennes syriennes. La collaboration entre les États-Unis et l’État d’occupation a été bien documentée, Al-Tanf servant de point de lancement pour les frappes aériennes israéliennes au fin fond de la Syrie – des attaques qui seraient beaucoup plus risquées depuis d’autres angles d’approche en raison des systèmes antiaériens syriens.
Un rapport publié en 2021 par le Washington Institute a montré comment la présence américaine à Al-Tanf a directement profité à Israël, en soutenant sa “bataille entre les guerres”, une approche stratégique conçue pour minimiser les risques et exploiter les faiblesses des défenses syriennes.
L‘analyste politique Bassem al-Shehawi note que la présence américaine en Syrie a toujours été alignée sur la protection d’Israël, que ce soit en coupant les liens géographiques entre les membres de l’Axe de la Résistance, ou en déployant radars et systèmes de défense aérienne avancés pour protéger les intérêts de Tel-Aviv.
L’importance d’Al-Tanf pour les États-Unis et Israël
Cette base facilite aussi de manière cruciale les attaques de l’armée de l’air israélienne contre des cibles situées au plus profond de la Syrie – des attaques qui n’auraient pas pu être menées depuis le Liban ou le plateau du Golan occupé en raison de la distance. Depuis 2018, lorsque les défenses aériennes syriennes ont abattu un F-16 israélien, l’armée israélienne a absolument évité de pénétrer dans l’espace aérien syrien depuis sa partie occidentale.
Shehawi ajoute que l’importance de cette base réside à la fois dans l’existence d’une zone tampon et d’un bouclier aérien d’un rayon de 55 kilomètres. Ces zones ont été créées à la suite de l’accord de non-conflit conclu entre la Russie et les États-Unis en Syrie. La base a également joué un rôle dans la lutte contre les attaques de drones et de missiles lancées par l’Iran au cours des opérations True Promise 1 et 2, que ce soit en assurant une surveillance radar ou en tentant de les abattre, à l’instar du rôle joué par d’autres bases américaines en Syrie et dans l’ensemble de la région.
Un rapport publié par Al-Monitor confirme également que des avions de combat israéliens ont déjà utilisé le couloir le long de la frontière jordano-syrienne et l’espace aérien autour d’Al-Tanf pour pénétrer dans l’espace aérien syrien afin de déclencher des frappes.
L’importance d’Al-Tanf était évidente sous la présidence de Donald Trump, qui a souvent parlé de retirer les troupes américaines de Syrie. Toutefois, la situation sur le terrain était plus nuancée. Alors même que Trump faisait des déclarations publiques sur le retrait des troupes, des responsables de son administration, notamment l’ancien conseiller à la sécurité nationale John Bolton, ont veillé à ce que des positions clés comme Al-Tanf restent sécurisées. Bolton a déclaré que tout retrait de Syrie serait conditionné à un accord avec la Russie en vue de suppléer les forces américaines à Al-Tanf, garantissant ainsi la sauvegarde des intérêts sécuritaires israéliens.
L’avenir de l’occupation américaine en Syrie
Avec le retour imminent de Trump à la Maison Blanche le mois prochain, des questions refont surface quant à l’avenir de l’engagement militaire américain en Syrie. On s’attend à ce que, malgré tout regain de rhétorique sur la réduction de l’engagement militaire, Al-Tanf reste un atout clé pour maintenir l’influence américaine en Syrie et dans la région.
En 2023, l’ancien chef d’état-major interarmées américain Mark Milley a visité Al-Tanf, soulignant son importance pour la sécurité d’Israël et confirmant qu’aucun projet de retrait n’est à l’ordre du jour. Al-Tanf continuera probablement à jouer un rôle clé dans la stratégie de Washington en Asie occidentale, même si elle allège sa présence ailleurs en Syrie.
La base constitue un atout stratégique majeur, permettant de maintenir l’influence des États-Unis, entretenir l’instabilité et compliquer la dynamique de la région. Pourtant, une question cruciale demeure : quelle est la viabilité de la présence américaine à Al-Tanf, compte tenu de la résistance croissante ? Les factions irakiennes et syriennes locales prennent les positions américaines à partie, fragilisant ainsi la capacité de Washington à garder le contrôle d’Al-Tanf.
À terme, la Syrie pourrait tirer parti de sa propre “résistance populaire” pour faire pression, contraignant ainsi les forces américaines à quitter le territoire syrien, comme ce fut le cas plus tôt dans l’année avec le soulèvement tribal à Deir Ezzor.
*Source: The Cradle
Traduction : Spirit Of Free Speech
Source : France-Irak Actualité
https://www.france-irak-actualite.com/…