Par Mohamed Belaali

Sans l’Occident capitaliste, Israël n’aurait jamais pu mener cette guerre d’extermination contre le peuple palestinien. Sans les Etats-Unis et dans leur sillage l’Europe, Israël n’aurait jamais pu poursuivre avec arrogance sa fureur sanglante. Et rien ne semble pouvoir arrêter cette moderne barbarie. Mais c’était plus ou moins prévisible. Ce n’est une surprise, malgré l’ampleur des crimes, que pour ceux qui fermaient volontairement les yeux sur l’histoire du sionisme qui, depuis sa fondation au congrès de Bâle en 1897, portait en lui les germes de la négation totale des palestiniens. Il ne s’agit pas d’une nouvelle stratégie, mais d’un projet né bien avant l’existence de l’Etat d’Israël : le colonialisme sioniste. « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » dit le slogan sioniste.

Chaïm Arlosoroff (1899-1933) directeur politique de l’Agence juive, sioniste convaincu et venant de l’extrême gaucheécrivait en 1932 dans une lettre à Chaïm Weismann premier président de l’Etat d’Israël : «  Dans les circonstances actuelles, le sionisme ne peut pas être réalisé sans une période transitoire au cours de laquelle la minorité juive exercerait un pouvoir révolutionnaire organisé, où l’appareil de l’Etat, l’administration et l’établissement militaire seraient concentrés entre les mains de la minorité, afin d’éliminer le danger de la domination de la majorité non juive et supprimer toute rébellion contre nous (…). Il y a une chose à laquelle je suis profondément attaché. Je n’accepterai jamais la faillite du sionisme ».

Vladimir Jabotinsky (1880-1940), un leader sioniste nettement moins hypocrite que la plupart des dirigeants israéliens, écrivait Dans un article intitulé « Le mur d’acier » du 4 novembre 1923 : « La colonisation porte en elle sa propre définition, totale et inéluctable. Elle est comprise par chaque juif et par chaque Arabe. La colonisation ne peut avoir qu’un seul objectif. Pour les Arabes palestiniens, cet objectif est inadmissible. Telle est la nature des choses. Changer cette nature est impossible. La colonisation ne peut être menée que contre la volonté des Arabes palestiniens. »

La colonisation sioniste de la Palestineest ainsi intrinsèquement incompatible avec l’existence du peuple palestinien dont la détermination à vouloir vivre en paix sur sa terre malgré les guerres, les tueries de masse, la déportation, les dévastations, reste totale. Les palestiniens constituent de ce fait un obstacle vivant à la réalisation du « Grand Israël ». Leur attachement indéfectible à leur terre n’a d’égal que la farouche volonté d’Israël de les exterminer. Il faut donc les exterminer ou tout du moins les chasser loin de leur terre, la Palestine. « Expulsez-les » disait déjà Ben Gourion en parlant de ces mêmes palestiniens.

Prise au piège de sa propre logique exterminatrice, la société israélienne, élevée depuis sa création dans la haine et surtout dans le mépris du palestinien, produit non seulement des fanatiques mais choisit pour la diriger des hommes et des femmes, quelle que soit par ailleurs leur coloration politique, qu’elle juge capables d’aller jusqu’au bout de leur mission c’est-à-dire anéantir toute entité et toute identité palestinienne : David Ben Gourion, Golda Méir, Menahem Begin, Shimon Pérès, Benyamin Netanyahou etc. etc. Les noms de ces hommes sont intimement liés à des lieux aujourd’hui connus de tout le monde : Deir-Yassine (1948), Kafr Qassem (1956), Sabra et Chatila (1982), Jénine (2002), Gaza (2008, 2012, 2014, 2018 et 2023) pour ne citer que ceux là. Car le Grand Israël ne peut être construit justement que sur les cadavres palestiniens.

Le modèle d’extermination qui fonde cet Etat, structure l’ensemble des rapports de la société israélienne. Une société fermée, raciste, sans opposition ou presque, nourrie de mythes bibliques et qui s’habitue de plus en plus aux souffrances qu’elle inflige tous les jours aux palestiniens, qui devient insensible à leurs malheurs, sourde à leurs cris de douleurs et aveugle à leur présence.

Pour mener à bien sa sinistre entreprise d’extermination, le sionisme a toujours su s’appuyer sur les superpuissances de l’époque. Hier, il s’est développé sous l’aile protectrice de la Grande-Bretagne; aujourd’hui, il est porté à bout de bras par les Etats-Unis.

L’Etat d’Israël est un pur produit du colonialisme européen et plus précisément britannique qui s’est par ailleurs partagé avec le colonialisme français la dépouille de l’Empire ottoman. C’est à la conférence de San Remo en 1920 que ces deux puissances coloniales européennes se sont partagé le butin. La France s’estemparée du Liban et de la Syrie, l’Angleterre de l’Irak et de la Palestine après l’incorporation de la déclaration Balfour qui prévoyait « de favoriser l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». La déclaration Balfour, le mandat britannique sur la Palestine, l’antisémitisme européen et le génocide nazi ont permis aux organisations sionistes, minoritaires au début, d’étendre leur hégémonie sur les juifs du monde entier. Leur obsession est de faire de toute la Palestine l’Etat exclusif du « peuple juif ». C’est une « Promesse divine » faite au « peuple élu ».

La colonisation sioniste de la Palestine n’aurait donc jamais pu exister sans l’aide décisive de l’Etat

colonial britannique. L’Angleterre et le sionisme politique ont enfanté ensemble un monstre qui ne cesse de grandir au point de devenir un véritable danger pour la paix dans le monde. Mais là encore ce n’est pas un fait nouveau même si les situations historiques ne sont jamais identiques. L’occident capitaliste a vu naître sur ses propres terres dans les années vingt et trente, après la boucherie de 1914/1918, des monstres dont on continue aujourd’hui encore à dénoncer la barbarie.

Il faut dire que l’histoire de cet occident capitaliste, celle de l’Europe et des Etats-Unis n’est en réalité qu’une suite de guerres, de massacres, d’exterminations, de pillages et d’asservissement des peuples. Traite négrière, esclavage, colonialisme, néocolonialisme etc., sont ses produits les plus authentiques. Dans Les Damnés de la terre, Frantz Fanon écrivait : «  L’Occident a voulu être une aventure de l’Esprit. C’est au nom de l’Esprit, de l’esprit européen s’entend, que l’Europe a justifié ses crimes et légitimé l’esclavage dans lequel elle maintenait les quatre cinquièmes de l’humanité. (…) Il y a deux siècles, une ancienne colonie européenne s’est mise en tête de rattraper l’Europe. Elle y a tellement réussi que les Etats-Unis d’Amérique sont devenus un monstre où les tares, les maladies et l’inhumanité de l’Europe ont atteint des dimensions épouvantables.

En effet, ce sont les américains aujourd’hui, après les anglais, qui arment, financent et encouragent Israël à poursuivre son génocide à Gaza. Ils sont devenus comme disait Martin Luther King « Le plus grand pourvoyeur de violence dans le monde aujourd’hui ». Précisons également que cette violence exercée notamment sur des civils sans défense a toujours fait partie intégrante des stratégies des guerres américaines. Les Philippines, la Corée, le Japon, l’Indonésie, le Vietnam, la Yougoslavie, l’Afghanistan, l’Irak, la Lybie etc., tous ces pays ont connu des massacres de civils lors des interventions militaires des Etats-Unis.

Mais malgré l’oppression et les drames dont l’Amérique et l’Europe accablent le monde, leur domination engendre, paradoxalement, les conditions nécessaires pour l’émergence d’un nouvel ordre mondial post-occidental. Le refus de très nombreux pays du Sud de s’aligner sur les positions américaines et européennes concernant les grands dossiers internationaux notamment sur la Palestine et l’Ukraine, leur volonté de réorganiser le système international, de se débarrasser de l’hégémonie du dollar dans les échanges mondiaux, montre à l’évidence qu’un monde multipolaire est en gestation. Les BRICS (46% de la population mondiale et 36 % de la production mondiale) incarnent dans une certaine mesure les aspirations de ces pays à rééquilibrer les rapports de force d’un ordre mondial largement dominé encore par l’Occident. Quant à la Palestine, les BRICS condamnent fermement Israël et l’accusent même, lors de l’ouverture d’un sommet virtuel extraordinaire consacré à la situation à Gaza, de « crimes de guerre » et de « génocide » et réclament « un cessez-le-feu immédiat et complet ». La situation à Gaza « doit nous inciter à unir nos efforts (…) pour mettre fin à cette injustice historique » affirment les pays membres des BRICS. Dans la déclaration finale du sommet de Kazan en 2024, le groupe réaffirme son « soutien à l’admission de l’État de Palestine en tant que membre à part entière des Nations Unies, en lien avec notre engagement indéfectible en faveur d’une solution à deux États, fondée sur le droit international ». Précisons toutefois que le terme de génocide n’a pas été mentionné dans cette déclaration contrairement à celle du sommet virtuel de 2023. Il faut dire que les BRICS, un groupe de pays très hétérogène dont beaucoup entretiennent des relations étroites avec Israël, ne cherchent nullement à constituer une alternative à la domination occidentale ni à remettre radicalement en cause la mondialisation capitaliste. Ils œuvrent plutôt à la construction d’un système multilatéral pour rééquilibrer les rapports de pouvoir au niveau mondial comme le dit clairement la déclaration de Kazan : »Nous nous attachons à renforcer notre partenariat stratégique au profit de nos populations en œuvrant à la défense de la paix, d’un ordre international plus juste, d’un système multilatéral réformé et renouvelé ». Mais malgré leur hétérogénéité et leurs divergences, les BRICS jouissent d’une grande force d’attraction pour les pays émergeants. La situation géopolitique très dégradée notamment en Palestine avec le soutien inconditionnel de l’Occident capitaliste à Israël, sa logique du « deux poids, deux mesures » sur de nombreux dossiers internationaux ont accéléré la contestation de cet ordre néocolonial et poussé de nombreux pays à rejoindre le groupe désormais appelé BRICS+.

Toutefois, même si la Palestine est bien présente dans ce processus de construction d’un nouvel ordre multipolaire, et malgré que les Etats-Unis et l’Europe connaissent un certain isolement au niveau mondial à cause de leur soutien sans limites à Israël, les BRICS, dans l’état actuel des rapports de force, ne sont pas en mesure d’influer sur la politique américaine au Moyen-Orient.

Pour les palestiniens il ne leur reste que la tragique réalité. Ils ne peuvent compter, comme toute leur histoire le démontre, que sur eux-mêmes et sur le soutien et la solidarité des peuples du monde entier.

Mohamed Belaali

Source : le blog de l’auteur
https://www.belaali.com/…

Laisser un commentaire