Par Salim Lamrani

L’état de siège économique imposé par Washington depuis plus de six décennies a, une nouvelle fois,  été condamné par la communauté internationale.

            Le 30 octobre 2024, lors de la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies, et pour la 32e année consécutive, 187 pays ont exigé la levée des sanctions économiques unilatérales des États-Unis, qui étouffent la population cubaine depuis 1960. Comme à l’accoutumée, seul Israël s’est aligné sur Washington en s’opposant à la résolution présentée par La Havane. La Moldavie, quant à elle, a opté pour l’abstention.

            Imposées par le président Eisenhower dans le but de renverser le gouvernement révolutionnaire de Fidel Castro, les sanctions ont été maintenues et renforcées par les différents gouvernements étasuniens. Elles présentent des caractéristiques extraterritoriales – la loi Torricelli de 1992, par exemple –, ce qui signifie qu’elles s’appliquent au-delà des frontières nationales, touchant tous les pays du monde. Ainsi, tout navire étranger qui accoste dans un port cubain se voit interdire l’entrée aux États-Unis pendant six mois. L’objectif de cette législation est d’empêcher le développement du commerce international de Cuba avec le reste du monde.

Les sanctions sont également rétroactives en vertu de la loi Helms-Burton de 1996, qui pénalise les entreprises étrangères investissant dans des propriétés à Cuba ayant appartenu à des citoyens étasuniens dans les années 1960. Cela constitue une aberration juridique, car une loi ne peut normalement pas s’appliquer à des faits antérieurs à son adoption. Le but de ce texte – qui porte atteinte à la souveraineté de Cuba ainsi qu’à celle des pays souhaitant entretenir des relations normales avec La Havane – est de priver l’île d’investissements étrangers.

La rhétorique diplomatique étasunienne pour justifier le maintien d’une politique hostile envers Cuba n’a cessé d’évoluer au fil du temps. En 1960, lorsque Eisenhower a imposé les premières mesures coercitives unilatérales, il a motivé sa décision en évoquant la nationalisation de propriétés étasuniennes. En 1962, lors que son successeur, John F. Kennedy, a décrété des sanctions totales contre l’île, il a invoqué l’alliance avec l’Union soviétique. Dans les années 1970 et 1980, Washington a expliqué que le soutien de La Havane aux mouvements révolutionnaires et indépendantistes à travers le monde constituait un obstacle à un changement de politique. Enfin, depuis l’effondrement de l’URSS, les États-Unis avancent la question de la démocratie et des droits de l’homme pour prolonger leur guerre économique.

Si une trêve a pu être observée durant le second mandat de Barack Obama, l’arrivée de Donald Trump a marqué une recrudescence des sanctions contre l’île. Au cours de sa présidence, Trump a imposé pas moins de 243 nouvelles mesures coercitives, dont 50 en pleine pandémie de Covid-19, soit en moyenne une sanction supplémentaire par semaine pendant quatre ans. Joe Biden, au lieu de revenir à une approche plus constructive, comme lors de la période 2014-2016 lorsqu’il était vice-président, a choisi de maintenir les mesures prises par son prédécesseur.

            Ainsi, plus de 80% de la population cubaine est née sous le régime des sanctions imposées par Washington. Celles-ci ont coûté à l’île un total de 164 milliards de dollars, une somme qui permettrait de couvrir le panier de la ménagère pour chaque famille cubaine pendant 100 ans ! Sous l’administration Biden, les sanctions économiques ont coûté en moyenne 15 millions de dollars par jour à Cuba, soit près de 10 000 dollars par minute. Chaque année, elles représentent une perte de plus de 5 milliards de dollars pour l’île.

À quelques jours de la fin de son mandat, Trump a inscrit Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme. Depuis lors, plus de 1 000 banques internationales ont refusé toute collaboration avec l’île, qui a un besoin crucial de crédits et d’investissements étrangers, par crainte de représailles.

Selon l’ONU, « les droits humains fondamentaux, notamment le droit à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, les droits économiques et sociaux, le droit à la vie et au développement, subissent les conséquences » de l’état de siège anachronique, cruel et illégal imposé par Washington à 10 millions de Cubains. La panne électrique généralisée qui a frappé l’île en octobre 2024 est la conséquence directe des mesures coercitives étasuniennes, qui contreviennent aux principes fondamentaux du droit international et de la Charte des Nations unies.

Les sanctions économiques illustrent l’incapacité des États-Unis à reconnaître l’indépendance de Cuba et à accepter que l’île ait choisi un système politique et un modèle socio-économique différents. Il n’existe qu’une seule issue à ce conflit asymétrique opposant Washington à La Havane : un dialogue respectueux, fondé sur l’égalité souveraine, la réciprocité et la non-ingérence dans les affaires intérieures.

Docteur ès Études ibériques et latino-américaines de Sorbonne Université, Salim Lamrani est Professeur en histoire de l’Amérique latine à l’Université de La Réunion et spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule Au nom de Cuba : https://www.editions-harmattan.fr/livre-au_nom_de_cuba_regard_sur_carlos_manuel_de_cespedes_jose_marti_salim_lamrani-9782140294099-77782.html

Tribune parue dans L’Humanité
https://www.humanite.fr/…

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